Artiste iconique de la scène française depuis près de vingt ans, Sébastien Tellier est de retour avec un nouvel album, Domesticated. Si comme toujours, il tisse un fil rouge entre ses chansons, c’est la première fois que le personnage dans l’album se rapproche autant de la personne qu’est Sébastien Tellier dans la vie de tous les jours.
Nous sommes donc allés à la rencontre de l’artiste, pour en découvrir plus sur l’homme, sa méthode de travail, sa notion de l’art, son amour pour la musique populaire… Et même son rapport à Michel Sardou !
Interview d’un artiste que nul ne pourra jamais domestiquer.
La Face B : La première question que j’ai envie de te poser, c’est comment ça va ?
Sébastien Tellier : Ça va bien en ce moment, je suis content. Bonne dynamique, je viens de sortir un disque, donc c’est sympa, ça faisait six ans que j’en avais pas sorti. Moi ça me plait bien la lumière, le glamour, le succès, tout ça. C’est des trucs qui me plaisent parce que c’est old school justement. Qui a envie de se pointer en Rolls ? Personne à part les mecs vintages. J’ai un côté vintage du show-biz. Je suis content qu’on parle de moi, je suis content de montrer ce que je fais maintenant, ça me plait bien. En plus, avant, on était confinés donc on était stuck dans un monde parallèle, et je suis content de revenir à la réalité mais avec un disque. C’est pas genre « Ah merde, putain, je dois me retaper le métro » ou j’en sais rien de ce que font les gens qui se cassent le cul, mais moi je reviens et c’est tapis rouge. Donc ça j’aime bien.
LFB : Comment t’est venue l’idée de ce nouveau disque Domesticated et quelle est ton intention avec ce disque ?
ST : L’idée m’est venue en composant, c’est-à-dire que j’avais envie de faire des compos, j’avais envie de me réinventer musicalement même si bien sûr on retrouve tous mes codes, parce qu’on n’est jamais totalement différent de soi. J’avais envie de composer tout simplement. Donc j’ai fait des compos, mais des bouts. Des bouts, des débuts, des fins, quelques milieux, parfois un refrain. J’ai pas fait beaucoup de refrains dans ma vie, donc je me suis dis « Tiens, j’ai envie de faire des refrains, j’ai envie de slogans. » Une fois que j’ai eu un peu une musique, j’ai réfléchi tout simplement à ce que je pouvais dire par dessus cette musique. Parce qu’on voit toujours les artistes comme des mecs qui ont été touchés par la grâce, mais ça se fait de façon bien plus banale. Tu as un morceau et tu te dis : « Qu’est-ce que je vais pouvoir dire sur ce morceau ? » Et au fur et à mesure le thème de Domesticated est venu, parce qu’effectivement, j’étais submergé à cette période de ma vie. Ma fille venait de naître, mon fils n’avait encore à l’époque que quatre ans. Donc j’étais submergé par les tâches ménagères, et je trouvais que ça marchait hyper bien de parler de ça sur ma musique, qui est à la fois sensuelle mais qui a aussi ce côté hyper clean, comme quand tu viens juste de laver l’évier et qu’il est parfaitement clean. Il y a ce côté-là, donc ça matchait bien, à la fois l’esthétique des produits vaisselles, le côté clean, l’électro que j’avais envie de faire, la voix méga clean auto-tunée, tout ça se mariait super bien. Donc une fois que je me suis dis que ça se mariait bien, j’ai foncé.
LFB : Quel a été ton processus de création ?
ST : C’est d’abord la musique, c’est ce que je dis toujours. Quand je vais en studio, je ne me dis jamais « Tiens je vais chanter un texte, tiens je vais écrire un texte, tiens je vais parler de ça. » Moi je vais en studio pour faire de la musique. Des notes, des accords, des mélodies, des rythmes. Après, j’ai pas envie de faire que de la musique instrumentale. J’adore la pop, j’adore avoir un pied dans la pop, j’aime bien les codes de la pop, j’aime bien l’efficacité de la pop. Donc la pop, c’est pas de l’instru grégorienne, la pop c’est quand tu chantes des textes et les voix disent un truc. Donc il faut bien que ça dise quelque chose, et tant qu’à dire un truc, autant que ça soit un peu intéressant, autant t’auto-exciter pour bien les chanter.
Pour moi, dans le processus général, les mots sont au service de la musique, pas l’inverse, ce n’est pas « J’écris un texte puis je trouve une musique pour mettre le texte en valeur, » c’est vraiment l’inverse. C’est la musique avant tout. Même si je fais des albums concepts, ce qui oblige tout le monde autour de moi à donner de l’importance à mes textes vu que c’est le concept, si un jour on devait retenir un truc de moi, je préférerais qu’on retienne « Le mec savait faire des bonnes suites d’accords. » C’est ce qui compte pour moi.
LFB : Tu as la réputation de changer de méthode de travail, de matos, de studio à chaque album. Comment cela s’est passé sur Domesticated ?
ST : J’ai tout changé. J’ai changé la voiture, j’ai changé l’appart’, j’ai changé les fringues. J’ai changé tout ce qu’on peut changer, je ne vais pas changer de parents. C’est un processus qui devrait selon moi être plus respecté, parce que c’est un vrai effort que je fais personnellement. N’importe quelle personne qui déménage sait à quel point c’est difficile de trouver une nouvelle maison, de l’obtenir, de s’y installer. Rien que ça, ça mériterait des éloges, je devrais avoir la médaille d’honneur ou j’sais pas comment ils appellent leur truc. Je fais toujours un gros effort pour devenir quelqu’un de différent. Et encore une fois, il y a un truc d’auto-excitation. Tu fais en sorte que ta vie t’excite, de pas subir ta vie. J’ai trouvé une nouvelle maison, ça m’excite de vivre dans un nouvel endroit. Et puis un nouvel endroit, ce n’est pas qu’une nouvelle maison : c’est des nouveaux commerces, des nouvelles personnes, une autre façon de voir le monde. C’est tout ça que j’essaye d’avoir pour moi-même, tout simplement pour ne pas m’emmerder. Ne pas me dire que je me fais chier. Je fais aussi tout ça au service du public, de ceux qui aiment bien ma musique, mais je le fais aussi pour moi, pour rester dans un bon mood.
LFB : Tu as travaillé dans le studio de Bernard Estardy pour cet album. Pourquoi avoir choisi ce studio ?
ST : Je n’ai pas travaillé que là, mais c’est vrai que j’ai fait des trucs là-bas. C’est mon studio si tu veux. Pour moi, ce studio est comme un refuge, ça fait des années que je vais là-bas. Je connais très bien le studio, je connais très bien l’équipe, je m’y sens bien. C’est un studio mythique, plein de tubes ont été enregistrés là-bas, que ça soit Tout Doucement de Bibi à Sardou, Claude François, Johnny… Tout le monde est allé là-bas, même des étrangers, des stars américaines .
Après, ce qui me plaît, c’est que c’est un studio qui a vachement de caractère, qui a vraiment une âme hyper prononcée. Une fois que tu rentres, quand tu passes la porte du studio, c’est intense. Tu es dans le monde de Bernard Estardy. C’est sa création, c’est lui qui a créé la table de mixage, c’est lui qui a fait la déco, tu es dans son cerveau. C’est ce côté qui me plait le plus.
LFB : A quand un album de reprises de Michel Sardou ?
ST : Je viens d’une famille très populaire qui vient du nord de la France. Ma famille et mes tantes écoutent énormément Sardou. Les chansons de Sardou, je les connais par cœur. D’ailleurs, je vais te donner une info que je n’ai jamais donnée à personne. J’ai fait une chanson qui s’appelle Broadway, et tous les accords du début sont les mêmes accords que La Java de Broadway de Sardou. Les accords sont beaux, ils m’avaient percuté. Donc je ne suis pas snob en musique, tout me touche, l’art hyper populaire autant que l’art le plus frénétiquement, artistiquement art. J’aime tout du moment que ça me fait vibrer, je suis à fond dedans. Il faut apprendre à regarder les choses sans y mettre ni de connotation sociale, ni de bien et de mal. Parfois, une barre d’immeuble peut être très belle. Bien sûr, si tu commences à te mettre en tête que les gens qui y vivent doivent être malheureux… Si ça se trouve il y a de la violence, là ça devient moche, mais pourtant en tant que tel, ça peut être très beau. J’ai exactement ce rapport-là à la musique, c’est-à-dire que je ne cherche pas ce qu’il y a derrière. Ce qui me plaît, c’est que ça me fasse vibrer sur l’instant et ça me suffit.
LFB : L’Aventura était un album sur l’enfance, est-ce qu’on peut dire que Domesticated est un album sur l’âge adulte ?
ST : Oui, c’est vraiment la suite logique. J’ai toujours parlé de moi dans mes albums et de ce qui comptait le plus pour moi, de sujets qui s’imposaient à moi. Là, effectivement, par la force des choses, étant père, j’ai dû devenir un adulte, parce qu’un enfant ne peut pas s’occuper d’un enfant. Il faut que ce soit un adulte qui s’occupe d’un enfant. C’est la vie qui m’a poussé à ça. Comme je dis souvent, moi qui n’ai jamais cru au destin ni rien, j’ai toujours cru de façon philosophiquement profonde qu’un être était son propre chef. Je me suis rendu compte que j’avais tout faux depuis que j’avais 18 ans. En fait, ce n’est pas ça. Je me rends compte maintenant qu’on est vraiment des marionnettes et que cette vie que je mène, je ne l’ai pas choisie, elle s’est imposée. Même quand j’ai cru faire des choix, en fait je ne les ai pas faits, inconsciemment ce n’était même pas des choix. Donc je me retrouve là, à faire l’adulte, mais je ne savais pas que j’allais devenir vraiment adulte. Ça m’est tombé dessus. J’avais pourtant fait dans L’Aventura une chanson qui s’appelait L’adulte, mais ma femme était déjà enceinte, donc j’étais déjà dans cette perspective. Souvent, j’aime bien mettre un morceau dans l’album d’avant qui fait le pont jusqu’à l’album suivant.
LFB : Est-ce qu’on peut alors dire que c’est ton album de la maturité ?
ST : Toutes ces salades, toutes les phrases toutes faites et tout. Je me retrouve souvent maintenant à dire des trucs comme l’important c’est l’amour, ou des trucs comme ça de bon sentiment. Quand j’étais ado, j’ai grandi en banlieue et je voyais des mecs à la télé dire « Aimez, l’amour… » Je me disais « Mais qu’est-ce qu’il raconte, il est jamais descendu dans la rue le mec, il n’a rien compris. Qu’est-ce qu’il essaye de nous vendre ? On sait très bien que t’aimes surtout le fric et que l’amour tu t’en branles, on le sait. » Mais après, quand tu deviens vraiment artiste, vu que tu es obligé de rester créatif, le problème c’est que l’amour s’impose vraiment à toi. A un moment, si t’es pas sur des bonnes ondes de partage, quand les artistes disent être généreux, ça fait tout bidon, mais quand c’est vraiment ton métier, c’est pas de la connerie. Si t’es pas dans cette logique, ça prend pas. Donc tout ça semble être des phrases merdiques, et Dieu sait que je les ai trouvées merdiques toutes ces phrases, et pourtant maintenant, j’y suis.
LFB : Pourquoi avoir choisi de mettre autant de vocodeur sur cet album ?
ST : J’adore le son du vocodeur, je trouve qu’il y a une transparence, il y a un chorus naturel, il y a quelque chose de vraiment très beau, d’hyper nostalgique, d’hyper profond. Moi qui me suis beaucoup inspiré de mes souvenirs de vacances pour faire ma musique, je trouve vraiment que ce son vocodé, autotuné, tout ce qu’on voudra, enfin le son d’aujourd’hui est vraiment un son qui se prête parfaitement aux souvenirs d’été. C’est vraiment nostalgie glamour. Je m’étais dit « Moi aussi je le veux, il n’y a pas de raison. C’est pas parce que je suis intello que j’ai pas le droit de faire du vocoder sur mon machin. »
Je l’ai fait tout simplement parce que j’adore. Et puis ça fait au moins 20 ans qu’il y a du vocodeur partout, il y a eu les Daft Punk, c’était en 97. Donc au bout de 20 ans, il y a une sorte de patine qui s’est créée où maintenant c’est devenu comme un Levi’s 501. Ça fait partie des classiques. Comme mettre un synthé un peu techno, maintenant ça fait un peu classique, c’est plus du tout du genre « Wouah on essaye de jouer les novateurs, on met un synthé un peu techno. » C’est rentré dans une forme de classicisme, de normalité, donc c’est ce stade qui m’a permis de l’utiliser. Ça fait partie de la normalité. C’est pas « Ouais je vais jouer le mec RnB. » Non. C’est devenu un standard. Je suis un mec standard. J’aime bien quand les trucs sont nobles. En l’occurrence, je n’ai pas utilisé de l’auto-tune ni un vocodeur, c’est d’autres trucs, mais je trouve que ça y est, maintenant, avec la patine du temps, ça a atteint ses lettres de noblesse et ça me permettait vraiment de l’utiliser. Outre ça, je l’ai utilisé aussi parce que j’ai composé des mélodies assez aiguës. Pour moi c’était très important d’avoir du sub, comme dans le RnB d’aujourd’hui mais mêlé à des voix très aiguës. A 45 ans, je ne suis plus capable de faire des voix aussi aiguës qu’à 25 ans, donc pour moi c’était facile grâce à ça d’aller plus haut dans ma voix, dans ma tessiture. Donc à la fois l’amour de la voix transformée et ce que j’avais composé, ça m’a amené directement dans les bras de l’ordi.
LFB : Comment tu as rencontré Corentin Kerdraon (nit) et qu’est-ce qu’il a apporté ?
ST : La première fois que je l’ai rencontré, c’est à Cannes. Cannes est une ville que j’adore, dès que je peux j’y vais. Je marche dans la rue, je croise quelqu’un. Un jeune homme très avenant, très sympathique, l’air très malin, très coquin. Il me parle mais d’habitude quand on me parle dans la rue, je suis sur mes gardes. Là pas du tout. Il me dit « J’ai fait un remix pour Dita von Teese. » Comme j’avais fait le disque Dita von Teese, je connecte vaguement. Je trouve le mec formidable, très sympa, tout de suite il me va. Le remix était super, puis je lui ai envoyé une maquette ou deux pour dire : « Tu verrais quoi sur cette maquette, qu’est-ce que tu imagines ? » Donc il me renvoie un truc, et en l’écoutant j’ai pleuré. C’était les arpeggios qu’il y a sur Oui, une chanson du nouvel album, et ça m’a vraiment fait vibrer. Et je me suis dit que c’était sûr que j’allais faire de la musique avec lui, parce que j’étais vraiment en communion avec ce qu’il me propose. Et puis après il a trouvé une multitude d’idées sur l’album. On a travaillé main dans la main sur la réalisation de l’album, pas la composition, ni l’écriture des textes, mais sur : « Ok, on a cette chanson, il faut vraiment lui donner tout ce qu’elle mérite, il faut qu’elle ait le rythme qu’elle mérite, le synthé qu’elle mérite, la basse qu’elle mérite. » C’est à ça qu’on a pensé tous les deux.
LFB : Pourquoi avoir choisi Nk.F pour mixer ce disque ?
ST : Parce qu’il fait un son frais, il fait un son d’aujourd’hui. Quand je pense à la musique d’aujourd’hui, surtout la musique française, qui fait un son moderne que personnellement je trouve extrêmement actuel voire parfois futuriste, c’est lui. Avant je faisais souvent mixer par Philippe Zdar mais il est mort, alors si tu veux, j’ai dû penser à quelqu’un d’autre. Nk.F s’est imposé parce que c’est lui qui mixait PNL. J’adore PNL. Il mixe plein de petits hits de-ci de-là que t’entends sur Générations. Il fait des mix explosifs, il est hyper créatif. Ce n’est pas quelqu’un qui se contente de recevoir les bandes et de gérer les volumes. C’est quelqu’un qui va prendre un bout, et qui va le remettre ailleurs, qui va te pimper le morceau. Je ne sais pas si tu te souviens de cette émission, Pimp My Ride, où les mecs refaisaient les caisses, lui il fait ça avec ta chanson. Tu lui files, il bosse dessus une semaine et il te la renvoie. Et puis t’es là : « Ah ouais c’est ma chanson ça, putain. » C’est le genre de boulot qu’il fait. C’est fort de faire ça. Ça veut dire que ce mec est en pleine maîtrise, il est vraiment en communion avec son art, il est dans un truc puissant. Donc il m’a bien fait triper lui aussi.
LFB : Tu fais souvent des albums de personnages. As-tu conçu un personnage pour cet album ?
ST : C’est-à-dire que là c’était facile parce que ma vie est vraiment domestiquée. Je suis vraiment quelqu’un qui est au service du quotidien, donc j’ai pas vraiment de personnage à jouer cette fois-ci. C’est ça qui est agréable pour moi. C’est un album qui est beaucoup plus facile à défendre, en faire la promo, parce que je n’ai pas de personnage à jouer. Effectivement, je dois m’occuper de mes gosses, effectivement, je dois faire mon lit, effectivement, parfois je fais la vaisselle. Donc c’est moi, naturel, pas un chef de secte ou un séducteur. C’est moi. Donc c’est bien pratique, je me sens bien là-dedans. J’ai pas à prévoir les interviews à l’avance, j’ai pas à choisir des fringues en particulier. S’il y a des fringues que je trouve chouettes, je les mets, et voilà. C’est pas : « Je peux pas mettre ça parce que ça fait pas assez chef de secte. » Avant, j’étais avide et bourré de codes et d’obligations, tandis que maintenant c’est un truc beaucoup plus sweet, j’ai juste à être moi-même. C’est un des autres bonheurs de cet album, ça me permet d’être simple même face à la presse ou aux gens. Donc j’aime bien ça.
LFB : J’aimerais que tu me parles de ton rapport à la mélancolie. J’ai l’impression que c’est un sentiment qui traverse toute ton œuvre, tous tes disques studio mais aussi toutes les bandes originales.
ST : C’est simple, si on a un regard lucide sur le monde, le monde est bien triste. Il y a beaucoup trop de violences, beaucoup trop de drames, beaucoup trop d’injustice, beaucoup trop de peine, beaucoup trop de difficulté. De toute façon, la mort est au bout. Donc voir le monde tel qu’il est, c’est voir ça. Le monde est vraiment comme ça. Donc ça se ressent dans toute ma musique, cette tristesse absolue. C’est une tristesse parce que je constate ce chaos, donc ça amène une tristesse. Mais par-dessus ça, il faut bien vivre quand même, donc j’amène de la fantaisie, de la fraîcheur. Mais c’est sûr que, dans le fond, j’ai une vision bien triste du monde, c’est ça qui transpire quand même à travers mes mélodies. Après, pour le public et même pour moi, je n’ai pas envie d’aller en studio et de faire que de la musique très sombre qui parle de galères. Pourtant, bien sûr que dans le fond du fond, il y a une tristesse immense de constater comment les choses se passent.
LFB : Tu as eu une influence assez considérable sur les artistes de la jeune scène française. Quel regard portes-tu sur cette jeune scène française et qu’est-ce que ça te fait ?
ST : Pour moi, rien ne peut être plus gratifiant que d’influencer d’autres artistes. C’est la récompense ultime que des gens puissent écouter mes disques en se disant : « Putain c’est exactement ça que j’aimerais faire ! » Là ça me fait planer. C’est ça le cœur du game, c’est de réussir à faire des trucs assez coquins pour que ça titille à fond les autres. Je trouve ça parfait, c’est comme ça qu’on devrait faire un disque. Que d’autres mecs puissent se dire : « Ça c’est parfait, c’est comme ça que je veux être, c’est ça que je veux faire ! », ça me fait surkiffer. Là je ressens qu’on m’envoie de l’amour. Le mec, il doit vraiment aimer ma musique pour vouloir faire comme moi. Mais, je suis aussi comme ça par rapport à Christophe et plein d’autres mecs. Et certainement les mecs qui font un peu comme moi aiment aussi plein d’autres chanteurs. Ça, pour moi, c’est l’ultime récompense.
LFB : J’ai eu la chance de voir le documentaire Many Lives à la Gaîté Lyrique. J’aimerais savoir ce que ça t’a fait quand tu as vu ce documentaire, de revivre toutes ces longues années…
ST : J’étais estomaqué. Je ne voyais pas du tout le truc se dérouler comme ça. J’avais un souvenir qui était complètement à côté de tout ça. Pourtant, force est de constater quand on le voit que c’est réel, ce n’est pas des images de synthèse. Ça me surprend. Ça me surprend surtout de voir à quel point vu de l’extérieur, je passe pour un barjo. Je suis hyper consciencieux, mais là, je me suis aperçu que, vu de l’extérieur, c’est un fou qui a cassé ses liens et qui s’enfuit. C’est pas que ça m’a choqué mais j’étais vraiment étonné de renvoyer cette image aussi sauvage. Je ne me vois pas comme un mec sauvage, je me vois plus comme un mec qui aime bien glandouiller sur son canapé, donc ça a été une forme de choc.
LFB : Si tu devais donner un conseil au Sébastien d’il y a vingt ans, qu’est-ce que tu lui dirais ?
ST : Je lui dirais de faire du yoga. J’étais trop stressé. J’ai toujours été un mec qui se projette mais se projeter, à la fois c’est bien, parce que tu pré-analyses, tu scannes un peu le terrain avant d’y aller donc c’est pas mal, mais ensuite c’est embêtant parce que ça te force à prendre en compte tous les problèmes éventuels qu’il pourrait y avoir dans n’importe quelle situation. Aller en soirée, aller en studio. J’étais en proie à ça au début. Il y a vingt ans, j’appréhendais tout. Je me disais : “si ça se trouve je ne vais pas bien faire ma guitare” , “si ça se trouve je ne vais pas bien chanter”, “si ça se trouve tout le monde va penser que j’ai l’air con”, j’étais que là-dedans. Si j’ai bien un conseil à dire à ce mec : “Fais du yoga, tu verras les choses autrement.” Je me faisais des plans sur la comète. Trop se projeter, ce n’est pas bon. On est quand même mieux dans l’instant, ça semble basique mais c’est vrai.
LFB : Et si tu devais donner un conseil au Sébastien de 2040, qu’est-ce que ça serait ?
ST : J’aimerais surtout rester frais. L’important, c’est de faire de la musique fraîche. Je suis d’une génération – j’ai 45 ans – où les mecs que j’admirais quand j’étais petit comme les Pink Floyd, les mecs sont devenus des papis qui font de la musique. C’est pas qu’ils n’en ont plus rien à foutre, la passion est là, mais moi j’ai envie de rester frais. Après, je vais devenir un papi, ma barbe commence déjà à être blanche, un jour elle sera toute blanche, un jour peut-être que j’arriverais plus à courir, j’en sais rien. Mais ce qui est important pour moi, c’est de quand même faire de la musique fraîche. Un truc où au moins d’un côté ou d’un autre, on peut se dire que ça n’a pas été fait avant ou alors que je ne l’avais pas fait avant. Rester sur une forme de trampoline.
LFB : J’aimerais savoir quelles sont tes œuvres fondatrices…
ST : Il y a eu Atom Heart Mother de Pink Floyd, l’album avec la vache, parce qu’on écoutait ça tous les dimanches matin avec mon père et il me disait « Tu vois, eux c’est des génies. C’est ça le génie musical. » Donc j’écoutais ça à fond, puis t’y crois quand t’es petit. J’ai grandi avec cette image que cet album était le Graal de la musique, le top du top de tout ce qui s’était fait depuis tous les temps. Ça c’est un disque fondateur pour moi. J’ai grandi en pensant que c’était ça la perfection. Après j’ai découvert d’autres groupes, j’ai découvert comment on pouvait faire autrement, mais j’ai longtemps cru que c’était la perfection.
LFB : Et au cinéma ?
ST : J’adorais Starship Troopers parce que c’était un film qui mêlait plein de trucs. C’était à la fois un film d’action mais aussi un film intello, un peu sexy, mais quand même avec des extraterrestres. J’aimais bien ce mélange. Quand j’ai vu ce film, je me suis dit : « Ah ouais, on peut faire quand même des œuvres sympas qui mélangent tout. » Le mec, il a foutu dedans tout ce qu’il aimait. Souvent, je dis que le monde est une salade. C’est vraiment un film salade. Moi j’essaye de faire des albums salades parce que tous les changements d’accords que j’aime au moment où je fais l’album, je les mets, c’est ça que j’aime bien. Ce film m’a appris une forme de liberté et de distance par rapport à son œuvre, une sorte de second degré, mais qui ne soit pas un second degré à la British. Une autre forme de second degré.
LFB : C’est quoi ta vision du monde de demain ?
ST : En tout cas, ce que j’espère et ce qui est sûr, c’est que j’imagine un monde de loisirs. Ce serait vraiment formidable de passer ses journées à s’amuser. C’est ce que je souhaite pour tous les humains, avoir du fun. Le fun, c’est le plus important. Admettons que tu rentres chez toi : « Bonsoir chéri, alors aujourd’hui, c’était comment ? – C’était fun. » Tu peux pas attendre de meilleure réponse. Donc ouais, à fond société de loisirs, divertissement, parcs d’attractions géants.
LFB : Qu’est-ce que tu écoutes comme musique en ce moment ?
ST : En ce moment j’écoute pas mal Murray Head, la chanson c’est Say It Ain’t So, Joe. C’est une chanson que j’écoutais quand j’étais ado à Biarritz avec mes potes, mes premières vacances sans les parents. C’est une chanson qui résonne vachement. Juste avant le confinement, je suis allé me balader aux puces et je suis tombé sur cet album qui s’appelle aussi Say It Ain’t So je crois, et quand je suis revenu à la maison je l’ai mis dans ma platine et j’ai fondu. C’est caramel mou. Donc ça je l’écoute non-stop.
LFB : Et enfin : qu’est-ce que je peux te souhaiter ?
ST : Ce qu’il faudrait me souhaiter, c’est de ne plus avoir mal au dos. Deux semaines de massage.
Le nouvel album de Sébastien Tellier est disponible sur toutes les plateformes de streaming. Il sera en concert le 29 septembre aux Nuits Botanique à Bruxelles et le 21 octobre à La Cigale.