Sur La Face B, on adore faire des découvertes. Et on a beaucoup aimé le premier EP de Daniel Mist, Troubles. On l’aime tellement qu’on a décidé de lui accorder toute une journée rien qu’à lui. Après la chronique et son ADN, on vous offre ce soir notre conversation avec l’artiste, afin d’en savoir plus sur sa première oeuvre et son processus créatif.
La Face B : Salut Daniel, comment ça va ? Comment te sens tu alors que ton premier EP vient de sortir ?
Daniel Mist : Salut et merci pour cette interview ! A vrai dire je me sens libéré d’un poids, ça faisait déjà un moment que j’avais finalisé ces morceaux, et ça fait du bien de les sortir de mon ordinateur et de les laisser faire leur vie de leur côté. Ça permet de passer à autre chose.
LFB : Est ce que tu peux nous parler de ce premier EP, Troubles ?
D.M : Troubles c’est un EP que j’ai produit seul, sur lequel je chante en anglais, et qui est à la frontière entre l’electro, le hip hop et le songwriting. J’ai essayé de faire des chansons, mais avec un côté expérimental dans les structures et les textures. Et j’ai l’impression que les morceaux sont assez mélancoliques dans l’ensemble.
LFB : Les quatre morceaux que tu as sortis sont tous très différents. Etait-il important pour toi de présenter, avec cette première sortie, le projet dans sa palette la plus large ?
Le but était surtout de faire un EP qui me ressemble, et j’ai ce côté un peu multi-facettes dans ma personnalité. J’écoute beaucoup de styles de musique différents, j’ai des groupes d’amis très différents les uns des autres, j’ai un côté caméléon qui allait forcément se ressentir dans ma musique. C’était important pour moi d’oser proposer un projet qui soit diversifié, et varié, quitte à brouiller un peu les pistes.. Mais je pense quand même que l’EP est cohérent dans le son, les textures et l’ambiance.
LFB : Penses tu qu’en 2020 les genres musicaux n’existent plus, qu’il est important de s’offrir la liberté de tout mélanger sans se poser de questions ?
Je pense même que ça a toujours été le cas, que ce soit Debussy, les Beatles, Gainsbourg ou Dr Dre, j’ai l’impression que les plus grands artistes ne se sont jamais limités à un genre, ou à un type de sonorité, ils ont créé leur propre genre et je trouve ça hyper inspirant. Les Beatles, on ne peut pas vraiment dire que ce soit du rock.. ils ont emprunté à la musique indienne, à la musique classique, à la musique concrète, mais peu importe les genres dont ils s’inspiraient, ça sonnait comme les Beatles. Pareil pour Gainsbourg avec la musique africaine, le reggae, etc…
Le problème c’est que rien ne t’y encourage, que ce soit les radios, les maisons de disques… la route sera toujours plus difficile si tu ne respectes pas les standards. Mais en 2020 chacun a l’opportunité de diffuser sa musique par ses propres moyens donc c’est le moment d’oser !
LFB : J’aimerais revenir sur le titre de ton EP, Troubles. Je trouve que le choix est assez adéquat avec ce que tu présentes car il présente à la fois les « troubles » de la société, mais aussi les « troubles » que peut ressentir n’importe quelle personne.
Est ce que tu partages cette analyse ?
D.M : Oui c’est exactement ça, c’est un point de cohérence fort entre les morceaux. J’ai décliné ce thème sous plusieurs angles, certains sont plus poétiques ou personnels, d’autres plus liés à mon ressenti par rapport à notre époque. Par exemple, sur The Ballet c’est une histoire totalement fictive d’un couple de danseurs qui, sur scène, en pleine chorégraphie, se rendent compte qu’ils ne s’aiment plus. Sur Troubles On My Mind, ce que j’ai essayé d’exprimer c’est la sensation d’être en train de courir pour attraper un métro, tout en étant sur 3 conversations à la fois sur son portable. D’ailleurs c’est l’intro de ce morceau qui m’a donné l’idée du titre de l’EP !
J’aime bien aussi le fait que Troubles ait une signification en anglais et en français.
LFB : De la même manière, je peux te demander d’où te vient l’idée du pseudonyme Daniel Mist ? L’idée de brouillard est présente dans tes photos, ton nom, ta musique… Est ce un projet pour lever le brouillard ? Pour mettre à nu tes sentiments et tes opinions ?
D.M : Oui « mist » en anglais c’est la brume, donc il y a un côté poétique, un côté un peu intriguant, et puis aussi sûrement une forme de pudeur. Pour moi Mist c’est aussi une expression que j’utilise pour décrire quelque chose qu’on a du mal à catégoriser !
Bien sûr, l’une des choses les plus importantes pour moi, c’est que ma musique reflète ma personnalité. Et ça passe par le fait de se mettre à nu, d’être totalement honnête et sincère avec soi-même, mais c’est un travail de longue haleine.
LFB : C’est nécessaire pour toi de poétiser tes idées, de mettre des mots et de la douceur sur certains sujets et idées aussi puissantes et parfois violentes ?
D.M : C’est nécessaire pour moi d’exprimer mes idées et ce que je ressens, que ce soit avec des mots, des sons ou des visuels, mais pas forcément de manière douce ou poétique.
C’est vraiment au cas par cas en fonction de l’ambiance du morceau et de ce que je veux communiquer. Il y a des passages de l’EP où le texte est assez brut, avec un coté assez naïf, je pense notamment à The Next Species On Earth ou même Troubles On My Mind. Je trouve que ça permet de donner un ton un peu plus léger, plus direct.
LFB : Les morceaux donnent une vraie sensation de tout, j’ai du mal à imaginer le texte sans l’ambiance et inversement. En tant qu’auteur/compositeur, qu’est ce qui te vient en premier ? Est ce que tu pars d’une idée ? D’une ligne mélodique ?
D.M : J’ai plus de facilité à démarrer par une mélodie de voix et à construire autour, mais ça dépend des morceaux, et puis j’essaie de varier les plaisirs ! Par exemple pour The Next Species On Earth, tout est parti de la phrase : ’The next species on earth will be created by us, the next species on earth will beat us’.
En tout cas l’aspect mélodique est très important pour moi, c’est ce qui me frappe en premier quand j’écoute un morceau.
LFB : Troubles On My Mind est le morceau qui m’a le plus impressionné dans ton EP. J’avais deux choses à te demander dessus :
Le morceau, pour moi, parle de troubles mentaux et en l’écoutant, on a vraiment la sensation de plonger dans l’esprit de quelqu’un : le fait qu’il soit très déconstruit, les voix qui représentent l’oppression et toutes les pensées qui peuvent assaillir par moment… Comment as tu mis en place toutes ces idées ?
D.M : En fait ça ne parle pas de vrais problèmes mentaux mais plutôt de la sensation d’avoir l’esprit dispersé, de parfois avoir du mal à trouver la sérénité dans une époque où tout va vite, et tout est hyper connecté.
Pour représenter ça, j’ai volontairement produit le morceau sans avoir de structure précise, avec pour base la mélodie de voix, que j’ai faite intervenir ponctuellement, de manière un peu décousue. Et puis il y a cette ligne de basse hypnotisante, qui donne la sensation qu’on doit toujours continuer à avancer, à garder la tête dans le guidon, qu’on ne peut pas se poser 2 minutes.
LFB : Malgré ces idées assez sombres, le morceau reste lumineux et dansant, je me demandais si il était important pour toi de jouer sur ces confrontations, de montrer qu’on peut s’en sortir ?
D.M : Haha je ne trouve pas l’idée si sombre, le but était surtout de dépeindre une sensation de la vie de tous les jours. D’ailleurs ce n’est pas une critique, je ne porte pas de jugement. Mais en effet, dans cette sensation il n’y a pas que des aspects négatifs, il y a un coté stimulant, un coté où on se sent en phase avec son époque. Et puis ce n’est pas un sentiment qui provoque une réaction violente, c’est plus une sorte de perturbation sous jacente.
LFB : De même, The Next Species On Earth a une ambiance cinématographique, comme une sorte de court métrage. Ce qui est encore plus renforcé par le clip qui l’accompagne. Est ce que le cinéma influence ta musique ? Est ce toi qui a ramené l’idée du clip ainsi que les influences qui en ressortent ?
D.M : Je suis passionné de cinéma donc ça a une forte influence sur mes visuels et ma musique.
Pour la musique c’est un peu moins conscient mais quand même présent, et c’est ce qui donne l’ambiance cinématographique de certains morceaux.
Pour le clip, j’avais pour références des films comme Metropolis, Blade Runner…
J’avais une idée très précise de ce que je voulais, mais qui était trop compliquée à réaliser. Lokmane, le réalisateur avait une autre idée plus réaliste, et on est arrivé à une sorte de mix entre les deux.
En tout cas je m’implique beaucoup dans la recherche visuelle. Pour moi c’est une manière d’agrémenter mon univers. Je vois la musique comme un langage, une manière de communiquer, et c’est pareil pour les visuels. En exprimant le même message de plusieurs manières, tu augmentes son impact.
LFB : Nous venons de vivre une période assez étrange pour le monde. Comment as tu vécu ces derniers mois ? Est-ce que cela t’a donné des idées pour un futur projet ?
D.M : C’était une bonne période pour rester concentré donc j’en ai profité pour bosser sur ma musique et mon projet. J’ai essayé de faire en sorte que cet isolement soit bénéfique.
Par contre j’ai surtout travaillé sur des idées préexistantes, et je n’en ai pas forcément eu de nouvelles. Je crois que la routine n’est pas forcément bonne pour la créativité et qu’il faut essayer de sortir le plus souvent possible de sa zone de confort pour rester stimulé intellectuellement et émotionnellement.
LFB : As tu hâte de défendre tes morceaux sur scène ?
D.M : Bien sûr! Hâte que les concerts reprennent! Et hâte de m’atteler à la production de nouveaux morceaux aussi.
LFB : Que peut on te souhaiter pour le futur ?
D.M : Je dirais de belles collaborations! J’ai produit cet EP totalement seul, donc ca pourrait être une bonne expérience humaine, et une belle manière d’enrichir ma musique.
LFB : Est ce que tu as des coups de coeur récents à partager avec nous ? (musique, cinéma, livre …)
D.M : Igor, le dernier album de Tyler the Creator est incroyable! C’est peut être mon album préféré de ces 2-3 dernières années.
Un film qui m’a marqué récemment c’est le dernier Almodóvar : Douleur et Gloire.