Mike Skinner l’avait annoncé, il n’avait promis : après Computer & Blues, The Streets c’était fini. Heureusement, les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Et au fond de nous, on avait fortement envie que l’anglais nous mente. Bingo ! Après un retour sur scène et quelques titres, dont l’excellent Call Me In The Morning, The Streets est de retour plus en forme que jamais et très bien entouré avec None Of Us Are Getting Out Of This Life Alive.
À l’heure où l’égoïsme est élevé en règle de vie principale, où le moi passe avant le nous, Mike Skinner choisit, pour le grand retour de son projet The Streets, un chemin parallèle et beaucoup plus excitant puisque c’est un projet porté par la force du collectif qu’il nous offre avec None Of Us Are Getting Out Of This Life Alive. Loin de l’attente de l’album c’est vers la mixtape qu’il s’est dirigé, terrain propice à beaucoup plus d’expérimentations et surtout format idéal pour l’idée directrice derrière ce nouvel effort : embarquer avec lui un tas de collaborations aussi différentes que possible pour offrir un résultat à la fois éclaté et jouissif.
None Of Us Are Getting Out Of This Life Alive nous offre une expérience bordélique, aussi épuisante que réjouissante qui va autant puiser dans le passé de The Streets que laisser la part belle à l’originalité et aux influences des nombreux artistes qui s’accoquinent à Mike Skinner pour ces 12 nouveaux titres.
Évoluant en permanence entre ces deux idées, les morceaux permettent ainsi de mettre en avant la plus grande réussite de The Streets pour cet album : plutôt que d’amener les artistes de cet « expérience de duo » à se raccrocher au train, il s’offre la liberté de prendre du recul et de les laisser s’exprimer, se transformant ainsi par moment en observateur mis en retrait, laissant les mains libres aux artistes qu’ils invitent et devenant par extension, et assez étrangement, le propre guest de son projet.
De fait, des ambiances pop et vaporeuses de Call My Phone Thinking I’m Doing Nothing Better avec Tame Impala à la lourdeur pesante du son d’IDLES sur le morceau qui donne son titre à l’album en passant par Conspiracy Theory Freestyle et ses choeurs dissonants et son piano mélancolique, Skinner élargit ses horizons et montre que son retour n’a rien d’une expérience de pré-retraité mais bien le retour à un projet ambitieux et libéré de toutes contraintes qu’elles soient commerciales ou de styles.
Bien sûr, cette partie ne pourrait fonctionner que si elle trouvait un contrepoids dans des sonorités où le curseur the streets est poussé jusqu’à son extrême. C’est avec un bonheur absolu qu’on redécouvre ainsi l’exceptionnelle Take Me As I Am avec Chris Lorenzo, qui avait été déjà dévoilée précédemment et qui clôture l’album en grande pompe comme une droite qu’on se prendrait par surprise ivre à la sortie d’un bar. Au rayon nostalgie, on ne boudera pas non plus notre plaisir à l’écoute de You Can’t Afford Me avec Ms.Banks ou Eskimo Ice avec Kasien, tandis que I Wish You Loved You As Much As You Love Him a tout du petit tube en puissance qui ramènera un bon nombre de jeunes vers l’univers de The Streets.
Mais si on retrouve avec joie le talent de beatmaker de The Streets, il ne faudrait pas mettre de côté sa plume toujours aussi efficace. Ainsi, il reste cet observateur du quotidien, prenant la mesure de l’importance énorme du téléphone dans nos vies actuelles et dans nos relations humaines, celui-ci devient ainsi un personnage à part entière de None Of Us Are Getting Out Of This Life Alive, apparaissant ici et là dans de nombreuses rimes et punchlines bien senties. Au delà de ça, l’humain reste au cœur de l’œuvre de Skinner, toujours teintée d’une part autobiographique et d’un humour bien senti, l’anglais nous raconte la vie, entre fêtes qu’il devient sans doute trop vieux pour faire, relations humaines, amoureuses et amicales, la fin inévitable et l’impossibilité de changer notre nature. The Streets reste the streets, ce flow trainant, parfois chanté, qui nous raconte des histoires à la fois proches et éloignées de notre quotidien.
Honnêtement, on voyait le retour de The Streets avec un œil assez méfiant, nous demandant si Mike Skinner avait encore la foi dans son alter-ego musical. None Of Us Are Getting Out Of This Life Alive est une réponse éclatante, brûlante et collective, bien loin de ce qu’on aurait pu voir comme un cadeau d’adieu, il nous offre un nouveau chapitre excitant. Une manière de ramener à lui un public qui ne le connaitrait pas encore autant qu’une fanbase qui l’aurait un peu oublié. Et si l’on ne se sortira pas de tout cela vivant, à l’heure actuelle The Streets est en vie et bel et bien en forme. Une manière de prouver une nouvelle fois l’importance d’un artiste discret dans la culture musicale actuelle.