Pour beaucoup, le nom Butler restera à jamais attaché à Arcade Fire, et Will Butler restera un membre de ce groupe devenu culte, celui de ce personnage bouillonnant qui vit au cœur de la scène derrière son frère Win. Pourtant, il serait injuste de le résumer à cette place d’homme de l’ombre tant le garçon, multi-instrumentiste, a beaucoup plus à offrir et à donner. Cinq ans après un très bon Policy qui jouait autant le rôle d’élément émancipateur que de collection de titres vivant de manière individuelle. Will Butler revient au fond avec Generations, un second album mouvant musicalement mais aux morceaux rattachés comme les vertèbres d’une colonne vertébrale thématique : celle d’un homme qui s’ausculte lui et son histoire et qui par extension apporte un point de vue vibrant sur le monde.
C’est une histoire de sang, et sans doute de larmes. C’est une histoire de traces : celle que l’on porte au bout des doigts et qui racontent notre histoire autant que celles que l’on laissera derrière nous dans le monde. C’est une histoire d’ADN, de famille mais aussi une sorte de coupe, celle d’un arbre qui raconte dans ses lignes, la vie et les années qui l’auront vu vivre et voir passé le monde et ses tourments. C’est cette ligne directrice qui transparait dans la pochette du nouvel album de Will Butler : Generations.
Ici, il n’est pas question de frivolité, ou de détourner le regard, mais plutôt de regarder, les yeux dans le soleil, l’état du monde, ce qu’il est à l’instant T autant que ce qui a pu l’amener à le devenir. Cinq ans ont passé depuis Policy, premier album que l’on recommande fortement, et Generations est nourri du monde, de ses troubles mais aussi de la psyché, des doutes et des réflexions de Will Butler.
Si Generations, était un roman, il serait sans doute désespéré, presque imbuvable dans la noirceur des idées qu’il traite, dans la plume froide et direct dont Will Butler fait preuve. Une sensation de souffre et de souffrance émane des forces vives de ces paroles. On les sent, on les touche presque, la souffrance et la douleur sont présents au cœur des lignes, au sein des rimes. Une certaine violence aussi émane des titres les plus forts de l’album que ce soit Hard Times, I don’t Know What I don’t Know ou encore Not Gonna Die. Nous sommes face à un homme qui se regarde dans un miroir et se questionne, sur son histoire, sa place dans le monde, ses privilèges et parfois son dégout face à la douceur relative dans laquelle il peut vivre sans n’avoir fait aucun effort réel.
Mais, et c’est sans doute mieux ainsi, nous ne sommes pas face à un roman à proprement parler mais face à un album. Et si Generations raconte une histoire, il ajoute musicalement une force que les mots seul ne peuvent apporter : celle des contrastes. Ici tout est guidé par l’importance du son, bien utiles pour mettre en avant la colère, les intentions et force globale de cet album, qui si il pense, si il est guidé par des lignes fortes, n’en oublie jamais de divertir, d’apporter une dose d’épique, de douceur et d’amour.
C’est un album de confrontations, un combat permanent entre la lumière et la nuit, entre les doutes et la joie simple, c’est un album qui navigue entre les intentions froides de la musique électroniques et la chaleur de la soul, du gospel et du gros son de guitares presque punk. C’est aussi un album avec un vrai corps, porté par l’âme collective d’un groupe qui joue ensemble, qui se connait et qui n’a pas peur de flancher. L’une des plus grandes réussite de cet album résidant ainsi dans la connivence et la relation entre la voix de Will Butler et les chœurs féminins. Un contraste une nouvelle fois, mais un guide important et lumineux au sein d’une œuvre danse et lumineuse.
Tout commence avec une porte qui claque, un sentiment de ras le bol porté par une force électronique qui gronde lentement avant d’aller se confronter à des guitares. Outta Here est le lancement d’une aventure, une lente montée en puissance qui ne s’offre aucune respiration avant de lancer l’un des morceaux de bravoure de l’album : Bethlehem. Une énergie de tous les instants, comme si la colère exposée dans les paroles ne pouvait trouver la réalité qu’à travers un morceau épique et frondeur, comme l’énergie d’un désespoir qui cherche avant tout à vivre pour sans doute mieux disparaitre plus tard.
On se dit alors que l’album trouve sa voix, son mojo, mais celà serait oublier la faculté qu’à Will Butler de nous surprendre et surtout son talent pour développer une vraie palette musicale. Ainsi, Close My Eyes, se dévoile tout en douceur, à mi-chemin entre la soul et le gospel, porté par un chant pop s’envolant par moment vers une sorte de prêche lyrique bien sentie et toujours accompagné par ces chœurs fantastiques qui accentuent les refrains ; nous poussant à reprendre avec l’artiste des sentiments que l’on a forcément ressenti de manière aussi forte que lui. Surrender joue sur les mêmes terres, à la différence près que celle-ci crée un dialogue, une véritable connivence, entre Will Butler et les choeurs qui se répondent et se confrontent.
Entre temps, I don’t know what I don’t Know explose elle aussi, sur des notes électroniques bien senties, que l’on retrouvera dans Hard Times autre morceau de bravoure de cet album. Le premier est un constat , à la fois celui d’une impuissance mais aussi une mise en garde : à bien des égards, l’ennemi se révèle intérieur et celui qu’on voudrait être devient facilement celui que l’on déteste et que l’on veut combattre. Dans la seconde, les doutes se fondent encore une fois dans le texte mais Butler y trouve une porte de sortie : dans les yeux et le cœur de l’être aimé, un brin de lumière bienvenue, qui nous rappelle une fois encore, et on y croit très fort, que l’amour finira par tous nous sauver.
Alors l’album et l’histoire continue et trouve une sorte de point culminant à notre époque et à ces questionnements : Not Gonna Die est une sorte de bilan de toutes les inquiétudes de notre époque ainsi que des peurs surréalistes qu’on essaie de nous mettre en tête. Si le morceau se rapproche sans doute le plus du « style » Arcade Fire, le morceau est une sorte de complainte politique. Un morceau puissant qui balaie qui a pris corps ces cinq dernières années, et sans doute bien avant aux Etats Unis : l’ennemi serait étranger. Not Gonne Die est à la fois la charge la plus frontale autant que le morceau qui se veut le plus chargé d’espoir. Il est donc nécessaire de cesser d’être stupide et de voir la mort partout, même si celle-ci l’est. Il faut cesser de vivre dans la peur, dans la haine de l’autre, et de soi, et simplement vivre, laisser le bon gagner, même si l’on chute et que l’on a tort parfois. Not Gonna Die est un morceau qui prend aux tripes de par sa sincérité, sa brutale vérité et la tendresse infinie qui en découle. Une percée salutaire de la lumière dans un ciel souvent nuageux, portée par une batterie dantesque et un saxophone bienvenue.
Que reste-il après ce climax ? De la douceur, de l’apaisement, et un morceau de conclusion qui nous fout les poils. Will Butler nous compte une dernière histoire, un retour dans le temps, une sorte de nouvelle qui mélange fatalement, et c’était sans doute tout le but de Generations, l’histoire d’une nation et l’histoire d’un homme. Entre anachronisme, réalité historique et génie mélodique, Fine est une réussite totale à l’image de cet album.
Vous l’aurez compris, Generations est un album dense, qui mérite une véritable attention. Un album qui nous impacte en plein cœur et qui mèle avec l’allégresse du désespoir, des thématiques sombres et contemporaines, à un véritable talent de composition, permettant à cette histoire personnelle et universelle de se transformer en joyeuse piste de danse et de chant. Will Butler prouve, si il en avait besoin, tout le talent de musicien et d’auteur qui l’habitent. Il prouve aussi que derrière les idoles, derrière les artistes que l’on met parfois sur un piédestal, restent des humains qui vivent de doutes et de contrastes à la recherche de réponses et d’illumination. Generations est tout ça à la fois, et sans doute bien plus. Une histoire humaine tout simplement.