Voilà bientôt un quart de siècle écoulé depuis la sortie de Beautiful Freak, premier album du groupe californien. Bientôt vingt-cinq hivers que le groupe nous embarque dans sa croisière du spleen, et nous fait ressentir les vibrations des premiers jours, les cicatrices des nuits pluvieuses. De nombreux moments passés en boule dans le canapé, guidé par la voix éraillée du leader Mark Oliver Everett, curieux mélange entre Droopy et Calimero saveur rock’n roll. Une voix signature que l’on reconnaît au premier coup d’oreille, qui transpire une douce mélancolie familière. Aujourd’hui, on se penche sur la dernière oeuvre du groupe : Earth to Dora.
La couverture de ce treizième album semble être un avertissement : “Si vous êtes d’humeur joviale, si vous avez la joie de vivre et que votre vie amoureuse et sociale bat son plein, passez votre chemin”. Quel est le visuel ? Un clown triste et fatigué, au sourire vitreux, sur un fond rouge-orangé abîmé, qui nous rappelle la teinte d’anciens opus du groupe. Que chacun prenne son plaid, s’enfonce son fauteuil, et s’assure d’avoir un mur couleur unie à fixer pendant l’écoute. À moins que ce clown, au bout du rouleau de premier abord, ne soit qu’un leurre…
Earth To Dora est à suivre comme une histoire. Un récit qui commence curieusement très bien. Que ce soit pour Anything For Boo, Are We Alright Again ou encore Earth to Dora, le groupe ne semble vouloir nous partager qu’une bouffée positive d’air frais. Une ambiance pop gonflée de bonnes énergies, cuisinée à la sauce classique Eels. “Are we alright again ? Yeah, I think we’re alright” fredonne le chanteur, dont le sourire est quasiment audible depuis nos enceintes. Tout a l’air de baigner de son côté, le clown blanc a laissé la place à un Monsieur Heureux (la boule jaune oui). Tout semble avoir changé, notre Pierrot est amoureux, dévoué, et atteint d’une bonne humeur contagieuse. Adieu mine grisâtre, bye bye le cafard. Même si l’on retrouve une construction pop folk déjà connu du groupe, la recette continue de fonctionner; et pour une fois donne envie de s’évader sous un ciel sans nuage.
Mais toute bonne histoire ne peut durer éternellement apparemment. Ce visage déconfit au nez rouge n’est pas un leurre. A peine avons-nous eu le temps de rêvasser que Dark and Dramatic nous ramène déjà dans la dure réalité de Mark Everett. Les doutes s’installent, les différences se font sentir; c’est tout en gardant un rythme tranquille, accompagné de doux pincés de guitare, tel une berceuse, que Eels nous plante les pieds dans un sol boueux.
Départ pour une jolie descente en enfer, le bateau des larmes continue sa route avec le morceau suivant : Are you Fucking Your Ex. Un morceau gonflé à bloc d’incertitudes et de confiance en perdition. Musicalement, toujours pas de grosse surprise; la formule reste la même, ne cherchant pas à nous déstabiliser, mais à nous garder avec elle dans son ambiance torturée.
Troisième partie du conte de fée… roulement de tambours : Les regrets. Que ce soit avec Of Unsent Letters ou bien I Got Hurt, attention à toi âme sensible, ta boîte de mouchoir ne suffira peut-être pas face à ce Hadouken d’émotions. C’est triste, tout paraît sans issue, le changement c’est pas pour maintenant. Les violons commencent à faire leur apparition, au cas où. Cette tête de clown a toute sa place sur cette jaquette. “There were times I didn’t think that I’d see the sun rise. And that was fine by me” lâche Mr.E; à éviter le dimanche sous la douche. Mais on a toujours envie de continuer à écouter cet album, étrangement apaisant par ces mélodies, et sa manière franche de nous parler. On se complait dans ces airs tristounets, à fixer le plafond et penser aux soucis du quotidien; ou juste fixer le plafond sans songer à rien.
Malgré tout, on ressent un message positif qui veut émaner de cet opus. Restez jusqu’au bout, le final Baby Let’s Make it Real et Waking up est un dernier coup de marteau pop qui vient enfoncer définitivement le clou de cette histoire dramatique. Un dernier coup qui respire l’espoir, la volonté de se relever et d’aimer. Le passé est le passé, il y a des hauts et des bas et c’est ainsi. Une belle conclusion, qui donne envie de prendre la voiture, les cheveux au vent, et foncer droit devant; ouais comme dans les films.
Earth to Dora est un album qui arrive à pic en ce confinement. Un défilé de chansons, où certes Eels ne s’aventure pas trop loin de ses habitudes, mais arrive toujours à capter nos émotions avec simplicité. Ici on parle de la vie, des déceptions, des coups durs, mais aussi des belles choses. Un bon opus qui sait donner le sourire et faire monter les larmes. Le tout mené avec brio par la voix unique de Mark Oliver Everett.