En un album sorti en 2018, ils ont été propulsés en nouveaux icones de la scène punk. Viagra Boys arriva tel un boulet de canon avec Street Worms, marqué notamment par un sens de drama absolu, et le phrasé coulant de Sebastian Murphy. L’addictif Sports est dorénavant un hymne à l’absurde et au chaos qui rythma nos nuits de décadence. Il faudra une pandémie pour ralentir le marathon des concerts du groupe, et donner naissance au fantastique Welfare Jazz, titre qui se réfère aux aides bien généreuses fournies par le gouvernement suédois pour les musiciens de …. jazz. Il représente aussi à la perfection le nouvel état d’esprit de Sebastian. Après une période de chaos et d’autodestruction, le leader du groupe s’autocritique avec beaucoup de dérision. Il met en scène sa renaissance dans un album à l’ambiance chaotique qui mêle tous les genres de façon ultra jouissive.
Un bordel organisé. La pochette représente à merveille l’état d’esprit des musiciens en cette période de rédemption. Sur fond blanc s’entassent titre de l’album et nom du groupe peinturlurés en nuances de rouges. Des doigts nerveux tracent les lettrages comme une revendication.
Welfare Jazz débute en beauté avec Ain’t Nice, aussi premier single sorti. Dans un clip déluré filmé en plan séquence, Sebastian sème le chaos dans une rue bien ordinaire. Vol de bière en terrasse, fugue en trottinette, baston piteuse avant de finir en black-out, il met en scène sa déchéance avec ironie. Alors qu’il scande à quel point il est un mauvais garçon, il repousse sa campagne et déclare son amour à la drogue. Point de départ idéal à cet album introspectif, Ain’t Nice rassure sur le fait que le groupe n’a pas perdu une goutte de sa fougue. Apparaît dès le premier titre le saxophone qui marquera l’album tout le long, s’offrant même un petit solo sur Cold Play.
Sur fond de blues nerveux, Toad est une déclaration d’amour teintée de rupture. Quand une volonté d’indépendance, de ne pas vouloir rentrer dans les codes fait prendre deux routes différentes, le crapaud s’éloigne de la blanche colombe. Nerveux et dramatique à souhait.
Après la rupture vient les regrets et les doutes. Alors que Sebastian s’époumone pour reconquérir une confiance, il promet de regagner la lumière et s’entache de promesses qu’il doute pouvoir tenir. La lumière d’Into The Sun contraste avec la profonde mélancolie et déchirure qui se dégage du morceau. Une pureté instrumentale afin de mettre les graves cassés de la voix en déraillement crée un morceau d’une réelle beauté. Une structure qui rappellera notamment I Feel Alive et son piano très blues pour célébrer son abstinence et les plaisirs sans substances illicites.
Rupture totale avec les claviers synth pop eighties de Creatures. Danse mélancolique dans les tréfonds des égouts d’où surgissent les plus humbles, privés de leur humanités et réduit au recel. Contraste absolu avec le clip où l’on s’immerge dans un mode de vie royal à l’opulence indécente. Mais qui témoigne d’un vide impossible à combler… Vrai surprise, ce morceau est l’un des plus réussis de l’album avec ses airs vindicatifs et son saxophone à bout de souffle.
Le groupe ne perd pas de vue le bon gros punk qui tache avec 6 shooter, mais le réinvente de façon totalement géniale. Le saxo revient troubler la ligne de basse et marquer les temps forts dans un morceau qui a des airs de jam pendant que Sebastian Murphy se met en pause. Pied de nez à ce qu’on attend d’eux, ils cassent les codes toujours avec autodérision.
Cette folie aux frontières de l’absurde se poursuit se le délire psychédélique Secret Canine Agent qui replace le leader du groupe en punk à chiens.
Girls & Boys est sans aucun doute le morceau qui marquera le plus les fans de la première heure et de l’excellent Sports. Conservant cette structure ultra saccadée, alternant mots scandés et bruitages délirants, il donne une furieuse envie de corps en sueurs déchainés et de bière collante sur les parquets. Assurément, il s’agira de la piste dancefloor de l’album.
Ne niant pas sa culture américaine, Sebastian signe un final hommage au blues et la country. To the Country signe sa rédemption, son besoin de se retrouver au vert entouré de choses simples. Ballade teintée pourtant d’accords mineurs comme s’il doutait lui-même de sa capacité à se contenter de cette simplicité et de tenir ces promesses creuses…
Un sentiment qui se perpétue dans l’incroyable reprise de In Spite of Ourselves de John Prine. Dans un duo diabolique avec la reine du punk Amy Taylor, ils transforment la tendre déclaration d’amour aux imperfections de l’autre en un réglage de comptes déprimant. Ils semblent emprisonnés dans cette situation anxiogène, résignés à être malheureux, mais à deux.
Déclamé telle un récit de rédemption, cet album est autant teinté d’espoirs que d’abandons. On ne le cachera pas, c’est une vraie surprise. Viagra Boys s’aventure sur des terrains qu’on ne leur connaissait pas, et sait d’avance qu’ils vont déstabiliser avec certains de leurs choix. Pourtant, ils démontrent ainsi avec brio l’étendue de leur palette, de leurs possibilités et surtout de leur talent. Teinté de blues américain notamment lors des poèmes déclamés avec des voix qui sentent bon les tréfonds des Etats-Unis, mais aussi de jazz, de cold wave et de synth pop, c’est un tour de force musicale qui refuse de se ranger dans une case. Et au final il n’y a rien de plus punk.