Il y a un an jour pour jour, on se réveillait doucement encore enfermé dans quelques vapeurs d’alcool. La veille, on était au Pop-Up du Label pour la fête de sortie de Volume, la première pierre posée de l’édifice Fils Cara, esthète musical qui parle avec ses mots autant qu’avec ses mains. Si 2020 a été catastrophique à bien des égards, elle a permis la mise en lumière de cet artiste unique qui a décidé de dompter le temps, revenant rapidement avec un second EP à la fois cohérent et différent : Fictions. Alors que 2021 s’élève doucement, le voilà de retour dans l’ombre pour Concorde, ouverture imposante et véritable manne thématique d’un EP grandiose qui s’offre, sous la caméra de Hugo Pillard, un clip à sa hauteur.
La vie n’est pas un film. C’est certains et si c’était le cas, ça serait trop facile. Pourtant, il arrive des moments où l’on se crée un masque, parfois plusieurs, où l’on se cache, où l’on joue et arrive l’instant les masques collent, l’image se brouille et la ligne qu’on avait tracé entre le réel et l’imagé se fait plus poreuse, plus flou et par extension plus étrange.
La vie se fait alors Fictions, monde étrange où le vrai, le faux, le tangible et le rêve se mélangent.
Marc est un artiste, Fils Cara est son personnage, son « habit de scène ». Il y a sans doute des lignes de croisement entre les deux mais souvent ce qui vaut pour l’un ne vaut pas pour l’autre et inversement. Si il est certains que la plume qui voit la naissance des morceaux de Fils Cara se trempe dans la réalité et dans certains souvenirs, elle est déformée par l’envie de « plus », la volonté de créer un projet, une expérience en dehors de soi même si forcément accroché au vrai. Cette expression presque schizophrénique forme une sorte de dualité étrange et c’est, du moins dans notre esprit, le point de départ de Concorde et par extension Fictions.
Car contrairement à beaucoup d’artiste, Fils Cara prend l’idée de l’EP et sa tracking-list très au sérieux, au point d’y ajouter des Crédits, anecdotiques pour certains mais qui prennent tout leur sens et leur importance lorsqu’on regarde l’ensemble comme un tout global et défini.
Concorde est donc, sans mauvais jeu de mot, un décollage. Une ouverture nette de l’album et,comme dit précédemment, une présentation très claire des tenants et aboutissants qui vont être mis en exergue dans les sept titres qui la succèdent. En axant son écriture en majorité sur le tu, Fils Cara passe autant à travers le regard de l’autre qu’à travers le regard de Marc.
S’y joue une idée de fantasmes et de différences, une sorte d’introduction labyrinthique de deux minutes vingt, fondation solide d’un château de carte qui pourrait se briser à la moindre erreur.
Ce sentiment est renforcé par le changement subtil, lorsque le je revient, par touche, notre esprit est si troublé qu’on a du mal à savoir qui nous parle et de quel côté de la ligne on se trouve tant tout est fait pour nous désorienté.
Il est question de masques, de possession, mais aussi du Comic Con, rendez vous annuel des fans de super héros qui permet à certains de devenir quelqu’un d’autre l’espace de quelques jours, ou d’Emily Dickinson, poétesse majeure si proche de ses écrits qui se demandera si ses vers sont vivants, si ils existent à travers elle.
Cette introduction, se joue aussi d’un point de vue musical : Concorde est une lente montée, en puissance, en frénésie et forcément en tension. Le titre grimpe dans une course folle, mais pourtant se refuse au spectaculaire, coupe à l’instant même où d’autres auraient lancé l’explosion. Fils Cara joue avec nous, avec nos attentes coupant le rythme pour faire ralentir autant nos battements de cœurs que son flow qui pourrait en faire trop mais se stoppe au bon moment.
Concorde est donc un jeu à plusieurs face : un jeu de dupe, un jeu de masques et un jeu d’ombre. Et c’est à ce moment qu’entre en scène Hugo Pillard.
Il fallait à ce titre, une vidéo à son image : à la fois claire et mystérieuse, brumeuse mais malgré tout palpable. En transformant littéralement Fils Cara en ombre, Hugo prend le parti de le transformer en être indéfinissable, jouant à plein régime cette idée de personne multiple, qui peut devenir qui elle veut en se cachant dans les recoins sombres.
L’idée du décollage est aussi forcément présente, avec cette image de concorde qui prend son envol. Pourtant là aussi, tout se brouille, la caméra avançant, se figeant par moment sur la partie supérieure du corps et rendant les images qui défilent presque indéfinissable par moment. Une sorte de frénésie lumineuse commence alors à vivre en arrière plan, amplifiée par les mouvements du corps, de plus en plus énergiques, de plus en plus forts, comme emporté par le rythme, par le besoin d’exprimer tout ce que les mots veulent dire et exprimer. Car si les mots peuvent nous trahir, si l’on peut se mettre des masques, le corps lui ne ment jamais.
Au final tout concorde et c’est merveilleux.