Une conversation avec Fils Cara

Si 2020 aura été chaotique à bien des égards, elle aura vu l’explosition aux yeux du monde d’un artiste qui nous aura bouleversé. Avec Volume et ensuite Fictions, Fils Cara se sera imposé comme l’un des auteurs et artistes les plus importants de ces derniers mois. Alors que 2020 touchait à sa fin, on a eu le plaisir de longument converser avec Marc. L’occasion de parler notamment de l’évolution entre Volume et Fictions, de l’importance du pluriel, du besoin d’avoir un personnage pour créer une oeuvre, d’échecs, de col roulé et de Johnny Depp.

Crédit : P.E Testard

La Face B : Salut Marc, comment vas tu? 

Fils Cara : Eh bah écoute, je suis en pleine forme. Je suis en pleine forme, je dirais même que je me sens comme un pape. Non pas celui de la pop, mais celui de mes émotions. Là en ce moment je suis en train de gérer tout ça, de manage comme disent les anglais, en essayant de prendre soin de moi et puis de faire surtout beaucoup de musique parce que c’est ça qui me sauve, de lire un peu de livres et de voir des films. Comme tu m’as dit tout à l’heure, je pense qu’on est dans la même situation. Et puis fumer beaucoup de clopes, mais ça c’est mon vice (rires)

LFB : La première « vraie » question est un peu bête : Comment on se sent quand on sort ses deux premiers projets en 2020, qui est juste la pire année pour ça? 

F.C : Ouais (rires). Bah c’est intéressant cette question. Moi j’ai l’impression de me sentir, artistiquement en tous cas, très aligné avec cette époque, c’est à dire que c’est une époque qui est quand même propice à l’expérimentation, à la recherche, et au regard de son paysage intérieur. J’essaie dans cette fourmilière un peu intense de trouver mon idéal, mes justes paroles et surtout mon paysage intérieur.

Donc je me sens quand-même chanceux, finalement ça parait assez paradoxal mais je me sens chanceux de pouvoir poser les bases d’un projet qui par la suite sera amené à devenir grand dans ces moments qui semblent complexes. Se fonder dans l’adversité c’est aussi à l’image de ma vie, c’est quelque chose que je connais finalement. Je me sens privilégié.

LFB : Il y a eu Volume et plus récemment Fictions, j’aimerais te parler de l’évolution entre les deux. J’ai l’impression que cette évolution elle tient en une lettre: le S à la fin de Fictions. Volume est au singulier alors que Fictions est au pluriel, est-ce que c’est une idée qui te convient? 

F.C : Ça me convient tout à fait. À l’intérieur de Volume il y avait une sorte de concentration de tout ce que j’étais en tant que personnalité adolescente, alors que dans Fictions il y a toute cette réalité plurielle, d’où le S. De que j’ai vécu en arrivant à Paris en décidant réellement de devenir auteur et de partir à la recherche des trésors du langage sans pelle et sans pioche mais avec ma bite et mon couteau. La réalité plurielle c’est peut être ce qui définit le mieux Fictions, et donc de fait l’hybridité de toutes mes recherches, de tout ce que j’ai été chercher dans la pop, dans le rock anglais, dans le rap US, et bien ailleurs.

LFB : J’ai l’impression que Volume est un projet adolescent dans ce qu’il pouvait y avoir de brutal et de condensé de personne alors que Fictions est, pour moi, un projet qui est un peu la multiplicité d’un adulte en formation. D’une personne qui se cherche.

F.C : C’est ça, tout à fait. Je pense que premièrement tu as assez raison, même si sur Volume c’est nuançable parce que moi je trouve après un peu de recul qu’il a quand même dans la musicalité, des recherches de couleurs et d’harmonies qui sont différentes de ce que je pouvais faire jusqu’à ce moment là.

Il ne faut pas oublier qu’avant Volume j’avais sorti deux EPs sous le nom de Clé, dans la nature sans label. Ça participait à une recherche, une expérimentation. Néanmoins toutes les fragilités qu’il y a dans Volume j’ai essayé de les gommer dans Fictions, non pas par la virtuosité ou par cette idée de se poser devant la feuille et se dire « je suis le meilleur », mais plutôt par l’entourage.

Je travaillais avec Osha jusqu’à Volume, qui était et est toujours mon meilleur ami d’enfance, avec qui j’ai appris à faire des morceaux à 12 ans. On trainait dans la même voiture avec lui et Zed Yun Pavarotti, on était tous les 3 et on écoutait beaucoup de musique. Quand je suis arrivé sur Fictions, le fait de décider de séparer professionnellement nos carrières avec Osha (bien qu’on reste évidemment très amis et que c’est mon frère) et ce changement d’entourage a permis d’arrêter de répéter des schémas et des habitudes prises quand on était ado. J’avais plus envie de répéter ces schémas, et l’entourage a vraiment permis de gommer ces imperfections.

Mon petit frère Francis est revenu au centre du projet, au piano. Je me suis entouré d’une équipe de malade avec Simon Gaspard le songwriter de La Belle Vie, Louis Gabriel Gonzales qui vient plutôt du rock et qui a fait la réal de Fictions et qui travaille avec Lomepal, et Felower évidemment, un grand génie de la musique électronique et une très bon harmoniste. C’est par l’entourage que je suis passé de Volume à Fictions et que j’ai plus établi ma direction musicale, ma couleur et surtout ce que j’avais envie de raconter par la musique.  

LFB : On parle de pluriel et de toutes ces collaborations qui marchent. Sur les prods est-ce que t’as joué le rôle de chef d’orchestre? Ce que je trouve intéressant c’est que c’est à la fois hyper varié et hyper cohérent, on a du mal à voir si c’est un travail collectif ou non.

F.C : Ça c’est très intéressant parce qu’en fait c’est le cas. Au sens propre, j’ai composé quasiment la totalité des morceaux de Fictions. Ça pouvait démarrer d’un piano-voix, par exemple New York Times, enfin non ça c’était plutôt en guitare-voix. Hurricane j’ai fait toute la ligne de voix sur un beat un peu moisi et ensuite Francis a harmonisé tout le reste.

Donc en fait,les chansons en soi elles viennent d’une impulsion mélodique et d’une impulsion évidemment écrite de ma part. Ensuite, quand on a commencé à travailler sur les prods au sens de production et d’instrumental, évidemment je devais m’entourer parce que je n’ai ni la puissance intellectuelle ni la puissance technique de faire ce qu’on a fait dans Fictions seul.
Donc je pense que j’ai su choisir les bonnes personnes. Jouer le rôle de chef d’orchestre, oui dans une moindre mesure parce que évidemment je n’ai pas écrit toutes les parties de tout le monde.Je n’ai pas juste « utilisé » des musiciens. J’ai évidemment participé à la force vive de tous mes gars qui venaient d’univers différents en disant « tiens, ça serait bien que toi tu bosses sur telle chanson, toi sur celle là… ».

Finalement on s’est retrouvés assez vites à 5 en résidence. Le premier morceau qu’on a fait c’était Derniers dans le monde. Ensuite je leur ai apporté New York Times et Hurricane que j’avais écrit un peu avant en novembre 2019. Donc finalement, en studio, on s’est retrouvés à 5 assez souvent. Pour la phase finale de l’écriture du projet et de la fixation des morceaux on était à Pantin au studio Mastoïd chez Perceval tous ensemble à travailler d’arrache pied pendant quatre-cinq jours. Voilà, c’est ça l’histoire.

LFB : J’avais une dernière question sur le singulier et sur Volume, car « singulier » je le prenais aussi dans l’autre sens. Celui de ta personne. Je me demandais si l’accueil de Volume et le fait de voir que les gens étaient prêts à accepter et accueillir Fils Cara c’était quelque chose qui t’avait « rassuré » quand t’es parti sur Fictions?

F.C : Alors oui, absolument. Il faut savoir que les chansons de Fictions ont été relativement composées après la sortie de Volume pour la plupart. Il y a quelques morceaux quand même qui ont été écrits avant, genre Hurricane ou Derniers dans le monde, mais c’était vraiment très peu avant la sortie de Volume.

L’avantage que j’avais et que j’ai toujours, c’est que je suis un groupe qui se défend plutôt pas mal en live. Avec Francis, on est bien dedans depuis un moment, et on a eu la chance de faire une bonne vingtaine de dates avant que Volume ne sorte. Déjà. Donc en fait, je savais l’accueil que ça pouvait avoir en live, et j’ai pu travailler mes chansons jusqu’au dernier moment et jusqu’au moment où je me suis dit que pour Fictions, j’avais envie de faire de la musique pour le live.
Évidemment, émotionnellement, l’accueil fait toujours du bien, et de sortir son premier projet sur un label aussi. J’en ai parlé avec des copains qui sont sur les starting-blocks comme moi, de P.R2B à Terrenoire, de Zed Yun Pavarotti à La Belle Vie… Et ils sont plutôt du même avis. Et là quand je vois que le copain Martin Luminet vient de sortir son premier morceau, que Ian Caulfield va sortir son premier EP, ça me fait beaucoup de bien et je me dis qu’ils doivent être dans le même sentiment.

Tout ça pour dire que la singularité qu’il y avait dans Volume, je savais que j’allais continuer à l’exploiter puisque c’est évidemment une grande partie de ma personnalité, cette espèce d’écriture spleenétique adolescente etc. Mais je savais que dans Fictions j’avais envie au moins de faire un ou deux morceaux avec lesquels j’allais pouvoir m’amuser en live. Ça a donné Concorde et ça a donné Sous ma peau, qui sont finalement des chansons plus ouvertes et qui vont chercher des couleurs qui sont plus live. C’était ça l’idée. 

LFB : Il y avait une envie de polir un peu la chose? Sous ma peau, pour moi, c’est un morceau qui ressort beaucoup parce que tu sens que c’est un morceau qui a été fait comme une porte ouverte pour que les gens puissent découvrir Fils Cara de la manière la plus simple possible.

F.C : Alors ça c’est absolument vrai. Je ne l’ai pas fabriqué comme ça, c’est à dire que je pense pas comme un entrepreneur, malheureusement ou heureusement pour moi, je ne sais pas.
Je pense plutôt comme un copain, tu vois. J’ai envie d’être pote avec tous les gens qui m’écoutent. Pas en tant que Marc, moi même, car évidemment il faut se protéger, mais Fils Cara je pense que c’est un mec relativement bon, relativement joyful, et relativement wholesome comme disent les anglais. Il a ce truc de ne pas montrer le dispositif et de ne pas montrer qu’il a trimé pour en arriver là. Juste : OK, la musique est cool, elle sort, c’est une chanson d’amour, voilà.

D’ailleurs c’est exactement la même dynamique qu’on a eu avec Hugo (Pillard) pour faire le clip, c’est à dire qu’on voulait un clip simple. Nous on avait nos références derrière, il y avait Dogma de Lars Von Trier, tous les trucs caméra porté… Mais finalement, on a fait un clip simple avec une narration extrêmement simple, un couple qui s’aime et puis moi derrière qui fait mes petits playbacks.
Sous ma peau c’était une porte ouverte mais qui arrivait très tardivement dans le projet, c’est l’avant dernier morceau que j’ai écrit de Fictions, le dernier c’était Film sans budget.

Entre temps j’avais écrit d’autres morceaux qui ne sont finalement pas entrés dans Fictions, notamment un morceau qui s’appelle Cristal que je sortirai peut être un jour. Deux-trois autres morceaux comme ça.
Je me suis dit: « putain, il manque quand même ce morceau là qui va statuer de ma personnalité actuelle » parce qu’on est en perpétuel mouvement quand on a la vingtaine et j’avais besoin de trouver ce morceau là, et ça a été Sous ma peau. C’était vraiment libérateur, je l’ai écrit en deux heures sur une boucle de chords que m’avait envoyé Louis Gabriel. Une fois qu’on l’a produit on s’est aperçus que c’est vraiment un morceau important. 

LFB : Pour Fictions, c’est le titre de l’EP qui est venu en premier? J’ai l’impression que le titre caractérise et influence tout ce qu’on va écouter dans l’EP.

F.C : C’est marrant que tu dises ça, le titre je l’ai eu au milieu de la fabrication. J’avais Hurricane, New York Times, Derniers dans le monde et je crois qu’on commençait à faire Petit pan. Je me suis dit « putain, que ce soit le deuxième couplet d’Hurricane, que ce soit New York Times, que ce soit même ce que je raconte dans Petit pan, le mec qui essaie de vaincre la mort, le voyou qui se fera jamais attraper »… Fictions m’est venu hyper naturellement.
(Jorge Luis) Borges est un de mes auteurs préférés et il a écrit un recueil de nouvelles qui s’appelle Fictions. Lui de son côté ça porte bien son nom, mais je me suis dit que j’allais rendre cet hommage là et ce sera un double hommage parce que j’ai toujours l’impression que dans la vie on participe à des fictions, on se fait des films H24. Ça tombait sous le sens que tous ces morceaux soient réunis sous le nom de Fictions. Donc finalement le titre a influencé la fin de l’EP, mais le début de l’EP a influencé le titre. 

LFB : Il y’a quand même des ambiances hyper cinématographiques dans l’EP avec l’utilisation des cordes, des trucs un peu lyriques, l’utilisation de ta voix… Donc quand tu vois Fictions, tu te dis que la musique colle avec le titre, ce qui n’est pas forcément toujours le cas 

F.C : Je suis assez d’accord avec toi. Mais c’est bien aussi. Il y a des albums de Metallica qui ne portent pas des noms de malédictions tu vois (rires). T’as un album d’Agnes Obel qui s’appelle Philharmonics, et finalement c’est un album de piano-voix. Ça je trouve que c’est le summum du titre d’album. Tu imagines tout un orchestre extraordinaire car c’est une compositrice de génie, mais c’est du piano-voix. Elle s’en justifie comme ça en interview d’ailleurs : « le piano, c’est le philharmonique du pauvre ». Je trouve que c’est grandiose comme réponse. Fictions c’est peut être un peu ça, le côté musique de film, de la pop orchestrale du pauvre parce qu’on n’est pas les Beatles, parce qu’on n’a pas un mois de studio, parce qu’on n’a pas des cordes… On a que nos petits ordis mais finalement ça fonctionne bien. 

LFB : Pour rester sur cette idée de Fictions, j’ai l’impression que personne ne te pose la question alors qu’elle me semble assez évidente: quelle différence tu fais entre Marc et Fils Cara? 

F.C : Ah bah ça c’est la question la plus intéressante qu’on m’aie jamais posée (rires) 

LFB : Pour tout le monde, Marc et Fils Cara c’est la même chose, mais pour moi ça l’est pas. Je me demande quelle démarcation tu mets là.

F.C : Mec, moi je suis complètement de ton côté. Marc et Fils Cara ça n’a rien à voir. Effectivement, il peut y avoir des dégradés, des recoupages, des choses qui se partagent entre ma personnalité de Marc et celle de Fils Cara, sauf que comme je le disais la semaine dernière à L’Humanité, Fils Cara il n’a jamais bossé à l’usine. Fils Cara il n’a jamais galéré nul part.

Fils Cara c’est juste un mec qui fait de la musique, c’est un artiste, et c’est un gars qui se présente au monde avec toute la personnalité de ses chansons et avec toutes les histoires qu’elles racontent. Donc loin de moi l’idée de parler de moi à la troisième personne, c’est évidemment moi qui écrit ces chansons, je les défends et je les assume.
Néanmoins, la personnalité de Fils Cara c’est bien autre chose et il n’a pas les mêmes aspirations que moi (Marc) non plus.

Je pense que Fils Cara aspire à être une pop-star, à être un gars qui a envie de s’amuser et jouer en groupe et faire des tournées, mais ce n’est pas du tout celui qui se présente devant ma meuf. Ce n’est pas du tout celui qui fait un câlin à ma mère. Je pense que c’est fondamental de garder ça à l’esprit. Qu’à un moment donné, même quand on est sur Instagram, même quand on est en interview, il faut se calmer avec la performance de soi même.
Là évidemment avec toi je peux quand même m’ouvrir parce que à côté du fait que tu m’interviewes et que tu sois un média, on s’est quand même plutôt parlé et on est potes, mais voilà. Je te réponds aux questions à moitié avec Fils Cara et à moitié avec Marc. Je suis quand même dans la performance. Si on était au Trabendo un soir sur la terrasse je ne te parlerai pas de la même manière. 

LFB : Justement, ce qui est intéressant, c’est que pour moi Fils Cara c’est un miroir déformant. Il y a des notions de ta réalité dedans, mais elles sont distordues. C’est de la pudeur ? Une démarcation voulue?

F.C : C’est tout à fait un miroir déformant. Ce n’est pas de la pudeur, ce n’est pas non plus une démarcation, moi je dirais que ça vient du langage lui-même et de la musique elle-même.
Je prends souvent l’exemple de Lennon quand il écrit Help! avec les Beatles. Lui anecdotiquement dans sa vie à ce moment là il avait besoin qu’on l’aide parce que c’était la Beatles Mania, qu’il n’en pouvait plus. Les gens se tapaient au concert, il y avait 60 000 personnes et il en avait ras le cul, sauf qu’il en a fait une chanson, la plus universelle qui soit. Et je pense que ce truc sera encore écouté dans 100 ans.

Moi, j’essaie de travailler mes chansons comme ça: c’est la limite du langage lui même qui ne permet pas de dire ce que j’ai à dire moi en tant que Marc. Tu veux savoir ce que j’ai à dire en tant que Marc, faut me regarder dans les yeux et faut me parler quand je suis un peu saoul à 3h du mat.
Fils Cara, ce qu’il pense, c’est ce qu’il dit sur scène et pas plus tu vois. Le langage lui même crée ça, on ne peut pas aller à la limite de soi même, on ne peut pas embrasser la foule, on ne peut pas faire un câlin à une personne en particulier dans le public. On est obligé de s’adresser à la totalité des gens qui sont présents. Même si c’est une personne, ça reste une foule.
La chanson, ça se partage, et la chanson ce n’est pas noble. Ça ne dit pas grand chose. Alors que moi en tant que Marc, j’ai beaucoup de chose à dire dans la vie, j’ai mes positions politiques, j’ai des gens à représenter, je sais ce que j’ai à faire, j’ai de l’argent à gagner… Si je peux le faire par l’intermédiaire d’un personnage qui en plus m’est, et est plutôt sympathique j’ai l’impression, c’est très bien. 

LFB : Est-ce que tu te sens comme un acteur quand tu chantes et que tu es sur scène? 

F.C : Plutôt, ouais. Plutôt. Quand je suis sur scène, je ne réfléchis pas trop, je suis dans le jus, mais là il faudrait peut être faire appel à la théorie théâtrale. C’est à dire la méthode Actors Studio ou la méthode Brecht de la distanciation. Moi je suis plus un mec de la distanciation. J’arrive sur scène, je dis les mots que j’ai à dire. C’est un peu ce que disait Gérard Depardieu à Cyril Hanouna. Des fois, juste dire les mots, sans les interpréter, sans forcément les penser, c’est intéressant. Néanmoins, on est toujours borderline. Quand on écrit des chansons intimes, quand on écrit des chansons sur des histoires qui se sont passées… Ça m’est déjà arrivé. J’étais au Chantier des Francos il y a quelques mois, et j’ai pleuré en plein milieu d’une répèt’ parce que c’était impossible de chanter la chanson, je voyais le visage de la personne dont je parlais dans mes mains.

C’est hardcore ce que peut procurer comme état de transe le fait de se mettre dans les conditions pour jouer un rôle. Des fois ça peut être encore plus violent pour soi-même en tant que personne. Donc voilà, c’est quand même des états qu’il faut préparer et auxquels il faut faire attention. Ça m’arrive à des moments de sauter complètement le réel et de redevenir Marc mais dans ces moments là on le sent. On le sent et moi je trouve que dans ces moments là je suis moins bon. Donc je préfère être un peu dans la performance et l’acting et me dire « voilà, je suis là pour dire les mots et pour les faire ressentir » et ça m’empêche pas d’être un bon interprète. Je pense que les bons interprètes, quid Raphaël Herrarias de Terrenoire, ou bien les Bagarre, ou Flore de L’Impératrice sont des personnes extraordinaires parce qu’ils arrivent à être à la fois dans la performance et dans la fragilité de  « on ne sait jamais si on va passer le step et voir la vraie personne en face de nous ». J’essaie de m’inscrire dans cette ligne là.

LFB : Puisqu’on parle de performance, j’aimerais parler de ce qui est le centre de la musique de Fils Cara : ta voix. Je trouve qu’il y a une vraie évolution sur l’utilisation et les intentions de ta voix entre Volume et Fictions. Sur Volume, je trouve que sur beaucoup de chansons tu démarrais de manière hyper agressive alors que sur Fictions tu nuances un peu. Donc quand l’agressivité débarque, elle a plus d’impact. Tu as travaillé tes intentions et ta manière de chanter? Ce n’est plus vraiment du rap sans vouloir te vexer.

F.C : Non, tu as tout à fait raison. Pour moi, actuellement, je me situe autre part que dans le rap. Mais aussi autre part que la pop. Je ne sais pas trop où je suis. Une fois que j’ai fini d’enregistrer Volume, une fois qu’on avait fini de mixer et masteriser, je me suis ré-écouté et je me suis dit « Bon, mec. C’est bien gentil mais t’as envie de devenir chanteur, t’as envie de devenir ce gars là qui fait passer les émotions au maximum, donc bouge toi le fion. Va prendre des cours de chant, réfléchis un peu à tes intentions ».

Finalement, j’ai pris des cours de chant seulement 2 mois, avec une femme extraordinaire qui s’appelle Géraldine Allouche qui est la professeure de Lomepal aussi. Elle m’a donné des tips mais après j’ai fait un peu le cancre, je n’y suis pas trop retourné. Mais toujours dans ma tête il y avait ce truc de « il faut faire très attention à ce que tu veux dire et à comment tu veux le faire passer ». C’est une évidence ce que je te dis, tous les chanteurs font ça.

Après il y a eu toute l’aventure Chantier des Francos qui sert à ça : t’amener à travailler les choses en profondeur, sur la respiration, sur le chant… J’ai rencontré des gens formidables, des profs de chants, de corps/danse, le tout pour amener la performance au bon endroit. Je trouve que je m’en suis plutôt pas mal sorti puisqu’après il y a tout ce vocabulaire des mains qui est rentré en jeu. Ça peut faire aussi un sujet de question.

Mais tout ça vient de la voix, en me libérant et en me disant « tu peux le faire, t’es préparé à chanter des grands intervalles, t’es préparé à être juste même si t’as pas de micro ». Ça a été l’aventure Francofolies de cette année. J’ai chanté en acapella pendant 5 jours d’affilé. Il fallait quand même se préparer sans micro. Et le fait d’abandonner l’auto-tune, non par choix mais par nécessité puisque quand t’as pas de micro forcément t’as pas d’auto-tune, m’a complètement rematricé la manière dont j’allais chanter.

Je me suis rendu compte que quand moi je passais par l’auto-tune, ce qui n’est pas forcément le cas de tout le monde comme mon pote Zed Yun Pavarotti qui le maitrise très bien et a beaucoup d’intention de jeu et d’interprétation dans l’auto-tune, j’avais direct envie de rentrer dedans et de l’utiliser comme un effet à fond tu vois.
Je me cachais un peu derrière ça, je me disais que si la note était juste et que le mot était juste aussi, ça allait bien aller. Sauf que j’avais oublié le troisième paramètre, qui est la vélocité tout simplement. Donc voilà, tout ce qui est interprétation et intention, ça a été un chemin psychanalytique de me dire « Qu’est ce que t’as envie de faire? Est-ce que t’as envie d’être Marc et en mode écorché vif sur scène ou est-ce que t’as envie d’être Fils Cara et de prétendre à faire des shows et à devenir un performer? » 

LFB : Je voudrais te parler des thèmes de Fictions. Il y a une évidence qui m’est apparue à force d’écouter l’EP et qui m’est pas forcément venue dès le départ : pour moi l’idée directrice qui apparait dans Fictions c’est qu’il faut accepter d’où l’on vient pour savoir où l’on va. J’ai l’impression que beaucoup de titres dans l’EP parlent de ça. Je trouve que venir d’un milieu populaire se ressent énormément dans ta musique et ce que tu chantes. 

F.C : Carrément. Déjà ça me touche, merci beaucoup. Je peux répondre directement là dessus sur le fait que c’est hyper bon que ça se ressente parce que ça fait partie des sujets que j’avais envie de développer en tant qu’auteur. Néanmoins, ce n’est pas ce qui me définit. C’est ça que veut dire Fictions aussi au fond, dans l’ordre des choses, et c’est pour ça que mon premier album sera complètement différent.
Les origines sociales ne sont pas ce qui nous définissent, et ça c’est un truc dont je me suis rendu compte justement à la sortie de Volume en me disant « T’es un écorché vif, tu viens de faire ton projet, t’es content, et alors qu’est-ce qui va se passer après? Qu’est-ce que tu vas avoir à dire à part de parler de toi et de ta gueule et de ta famille? ».

Et ça c’est une chose que beaucoup d’artistes, j’ai l’impression, ont complètement compris bien avant moi ou alors ne l’ont pas encore compris. C’est un sujet qui polarise les artistes, c’est à dire de quoi on parle quand on est censé être un personnage et que les gens sont censés s’identifier à nous. On le sait, les plus grandes popstars et rockstars sont des gens auxquels on s’identifie au maximum même s’ils n’ont pas du tout les mêmes styles de vie que nous et qu’ils ne viennent pas des mêmes endroits. Donc Fictions raconte qu’il faut savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va, ta phrase était très bonne, c’est ça que ça raconte.
Et je rajoute que là d’où on vient n’est pas ce qui nous définit. C’est nous qui le choisissons. C’est un projet très existentialiste finalement, et très ouvert au fait de se dire « ma personnalité, c’est moi qui la fabrique. Si j’ai le temps évidemment et si j’ai le choix, je peux le faire ». C’est un projet plein d’espoir sur le fait de sortir de sa condition, non pas par le gain d’argent même si c’est quand même un but pour chacun d’entre nous mais par l’épanouissement de sa personnalité et par le fait de trouver sa place dans ce monde. En ce moment je me sens bien et je me sens aligné pour toutes les raisons que je viens de t’évoquer.

LFB : Si je te parlais de ça, c’est parce qu’on te parle souvent de Saint-Étienne en parallèle à la scène qui y existe actuellement. D’une certaine manière je me sens proche de toi dans le sens où je viens du nord de la France, et tout comme Saint-Étienne c’est un territoire qui a été ravagé par la mine et l’industrialisation. Naître à Saint-Étienne et naître à Hénin Beaumont c’est limite naître les pieds dans la merde, dans des endroits qui sont presque des sables mouvants.
C’est un autre truc que je trouve qui ressort de l’EP, ce côté un peu « revanche » de se dire « je me suis sorti du piège qu’on m’a tendu quand je suis né ». Occulter cette naissance et s’en extraire. 

F.C : Carrément. Carrément. Tout à fait. En fait, je ferais une autre métaphore que « les 2 pieds dans la merde » parce que de manière assez binaire je le conçois comme le milieu paysan plutôt que le monde ouvrier. Mais tu m’arrêtes si je dis de la merde hein. Je dirais plutôt une image plus générique, genre « Naître à Saint-Étienne, ou naître où tu es né, c’est commencer une partie d’échecs sans la dame ».
Tu as toujours les moyens de t’en sortir par ton intelligence, par ton flegme, par ta patience, et surtout par le travail. Finalement, gagner une partie d’échecs sans dame c’est tout à fait possible mais il faut vraiment réfléchir et travailler alors que ceux qui commencent avec les blancs, la dame et le pion en E4 seront au top pour la partie et vont sûrement la gagner. Je pense que c’est plutôt cette métaphore que je ferais.

Pour aller peut être un peu plus loin sur le fait d’être né à Saint-Étienne, moi je ne me suis pas rendu compte tout de suite que c’était ça la vie, puisque j’ai quand même eu la chance que Cara,ma mère, aie été hyper protectrice et m’aie montré du mieux qu’elle pouvait qu’il y avait quand même de la culture, que c’était possible de regarder des films et de lire des livres. Elle ne m’a jamais empêché de lire Harry Potter, elle ne m’a jamais empêché d’aller au ciné quand je voulais y aller tu vois, donc c’était cool. Là j’ai eu beaucoup de chance.
Après ma culture effectivement je me la suis faite moi même à l’adolescence quand j’ai commencé à découvrir la littérature et tout, et à partir de là j’ai commencé à apprendre à penser, mais c’est vrai que cen’est pas évident tout de suite d’apprendre à penser quand tu es né dans ces trucs là.

Quand tu fais partie d’un milieu universitaire ou tes parents sont aisés et de CSP+, c’est plus facile de penser rapidement. Là je vais pas être très politiquement correct, mais j’ai des potes qui sont restés au stade de racisme et de sexisme. Certaines personnes dans le milieu parisien ne s’en rendent pas compte, pour eux c’est d’une évidence absolue qu’on doit pas être raciste et sexiste. Pour moi ce n’est pas d’une évidence absolue, je me sens privilégié d’avoir réussi à ouvrir les yeux un jour dans ma vie sur ces situations et d’y penser. Par cet intermédiaire là je pourrais répondre à ta question en disant qu’il y a quand même beaucoup de part de réflexions entre amis, parce que les amis c’est tout ce qui importe quand tu es dans ces milieux là, et le fait de parler des heures et des heures dans une voiture ça vaut toutes les universités du monde. Là je peux rendre cet hommage à mon petit frère Francis en premier, à Osha, à Zed Yun Pavarotti, à Karim et tous mes potes de Saint-É parce qu’on a passé des heures à se déconstruire sans savoir que le mot déconstruction existait, à l’arrière d’une bagnole en fumant du shit. C’est quand même un grand hommage que je dois leur rendre aujourd’hui.

LFB : Pour revenir à ces deux lignes directrices, ça amène quelque chose qui est je trouve hyper intéressant : la non-prétention de la culture. Tu fais rimer Emily Dickinson avec Comic-Con. Je trouve ça hyper intéressant que dans la culture, pour toi, tout est au même niveau.

F.C : Absolument. Moi je ne suis pas du tout relativiste. Je ne dis pas que tout se vaut parce qu’évidemment Mozart et Niska, pour moi ce n’est pas la même chose. Mais parce que ça fait partie de secteurs différents et d’époques différentes, je ne dis pas du tout que Niska n’a pas sa part du gâteau dans l’évolution de la musique en Europe. Mais je suis plutôt post-moderne dans l’approche: pour moi, il n’y a pas de hiérarchie.

Ce n’est pas évident parce que même pour moi c’est une pensée qui est en train de se faire, je suis pas non plus Monsieur Brilliant, mais j’essaie de me dire que tout ne se vaut pas, des choses sont plus importantes que d’autres et ont plus d’impact à l’échelle de l’histoire, sauf que ce n’est pas pour ça que ça a une plus grande valeur intellectuelle. Ça a une plus grande valeur culturelle je pense, mais je sépare la valeur culturelle et intellectuelle. Il y a des gens à qui Niska a peut être sauvé la vie, je n’en sais rien. Des gens qui se disent « J’ai écouté ce son, franchement j’avais envie de me buter, mais tu m’as donné envie de commencer la boxe et de rider toute une nuit pour réfléchir à mes gamberges ».

Et peut être Mozart n’aura aucun effet sur cette personne. Ou inversement! Tout ça pour dire qu’il y a un ordre des choses culturel, mais intellectuellement toutes les oeuvres qui sont des oeuvres de l’esprit et qui sont assez travaillées, je les respecte. Après je parle pas des personnes qui les font, évidemment y’a des enfoirés. Je sais pas si j’ai répondu correctement, je me suis emporté un peu (rires)

LFB : Est-ce que pour toi c’est important de créer des œuvres? Des projets qui soient complets de A à Z? À une époque où justement les gens écoutent des chansons de manière séparée, j’ai l’impression que sur tes EPs et surtout Fictions il y a un vrai déroulement, un vrai condensé, ce qui est plutôt rare pour des EPs.

F.C : De ouf. En fait, si tu veux, moi c’est très simple: c’est un peu prétentieux mais j’ai envie qu’à la fin de ma vie, même si ce n’est qu’une personne, qu’on se dise « ce mec a fabriqué une œuvre. »
Une ouvre au sens d’une œuvre littéraire. Si tu arrives en fin de vie et que tu sors toute ton œuvre complète dans la Pléiade, quand t’es un littérateur, c’est extraordinaire. T’es du niveau de Proust, de Borges. C’est énorme.

Bon, moi je ne fais que des chansons, ce n’est pas de la grande littérature, on s’en fout, mais j’aimerais fabriquer une œuvre et c’est comme ça que je pense ma vie. Mais Damso pense la même chose, il a envie de fabriquer une œuvre, ça se sent, ça s’entend, il le dit même en interview.
Je ne sais pas s’il le dit comme ça, mais il dit qu’il pense ses projets bien à l’avance et qu’il réfléchit et qu’il se concentre. C’est le cas de mon ami Zed Yun Pavarotti, et c’est le cas d’Agnes Obel par exemple.

Là où les plus grands groupes de l’histoire n’ont peut être pas réfléchi comme ça, par exemple les Beatles ils ont réfléchi par album mais je pense que c’est la nature même de leur génie qui a été de ne pas se dire « on fait une oeuvre ». Donc je ne sais pas si je suis un génie et tant mieux, et pour pallier à ça justement j’essaie de fabriquer quelque chose de cohérent, qui me convient, qui me ressemble, qui est assez statutaire des états dans lesquels je me sens quand je sors les choses.
Là on vient de faire la ré-édition de Fictions, en acoustique, qui va sortir en mars, ça encore une fois je l’ai pensé comme un autre disque: c’est les mêmes chansons, c’est des arrangements différents évidemment mais c’est relativement les mêmes chansons, mais j’ai repensé la tracklist. Tu peux pas refaire la même tracklist, genre « c’est la fête du slip, les mecs, y’a pas de réflexion intellectuelle sur ce qu’est la tracklist ». Pas du tout. Donc voilà.

LFB : Pour moi, un titre qui est la synthèse même de Fictions, c’est Crédits. J’aimerai que tu m’en parles, on repart sur le pluriel mais je trouve que c’est un morceau qui résume complètement Fictions. Ça explique la puissance et l’intérêt du collectif.

F.C : Tu as tout à fait raison, et je dirai même que c’est le titre le plus Fils Cara qui est sorti actuellement, même si c’est assez étrange. C’est à dire qu’en tant que Marc, j’ai cette envie de dédicacer à un moment à la fin du projet « les gens de l’ombre », et je me dis « Vas-y, comment je vais faire pour que ce soit marrant et qu’on n’ait pas non plus l’impression que ce soit Marc qui remercie les gens avec qui il a bossé? » .

J’y ai réfléchi, j’ai dit à Louis-Gabriel de composer un truc au hasard qui pour lui résumait le plus Fictions et les moments qu’on avait vécu ensemble, parce que c’est aussi notre rencontre. Il a rencontré aussi Francis et on est devenus tous très proches, Lucas, Simon Gaspard et nous 3. Je lui ai dit que de mon côté je me démerdais et que je faisais un texte. Il pensait que j’allais faire un morceau au sens propre.

Sauf que pour moi, Crédits c’est une vraie chanson. Ce qui est assez intriguant, c’est que la dernière fois sur Instagram quelqu’un m’a dit « je connais le texte de Crédits par coeur ». Je trouve ça très beau : déjà ça veut dire que tu l’as écouté plusieurs fois, et ça veut dire que moi je pourrais la chanter sur scène. Évidemment j’ai des fans qui sont devenus grincheux et qui m’ont dit « mais comment tu vas faire sur scène, c’est trop bizarre… ». Pour moi c’est un vrai morceau, et le porter au rang de chanson en lui donnant une piste dans un projet pas si long de 8 titres sans être une bonus track après Derniers dans le monde, c’était aussi dans l’idée de faire un pied de nez aux playlists : imagine si un jour il se retrouve en playlist? Ça pourrait être marrant.

C’est un peu l’idée qu’a eu Beck sur son dernier album, faire un morceau dans chaque style de musique pour être sur toutes les playlists. Je trouve que dans la musique on est dans un monde où on s’amuse pas assez avec les concepts. Là franchement, je te le dis, même si demain je dois faire un album en mode popstar avec que des tubes, ce que je suis en train d’essayer de faire, bah dedans il y aura des trucs golris. Pas au sens de Lorenzo, mais au sens de « ah le mec il a pensé à ça, c’est marrant ». Faire des petits traits d’esprit, à un moment donné, ça nous coûte rien: on passe notre vie sur notre ordi ou sur notre feuille de papier, faut faire rire un peu les potes quoi
Quand j’ai fait écouter à ma cousine Nadège, une femme formidable qui est styliste à Paris qui s’est aussi sortie de sa condition, elle était morte de rire. Son mec Max à côté, extraordinaire aussi, il lui dit « mais pourquoi tu rigoles? c’est hyper sacré les crédits » alors qu’en fait pas du tout, ce morceau n’est pas du tout sacré et c’est juste pour se marrer.

Tous les gens présents dedans qui l’écoutent, ça leur fait plaisir et ça les fait marrer. Entendre son nom sur un album, c’est cool. Je dois rendre quand même hommage aux rappeurs que j’ai écouté tout au long de ma vie: en vrai je ne suis pas le premier à faire des crédits. Il y a plein de rappeurs qui font du namedropping de tous leurs potes au milieu ou à la fin des morceaux, c’est un truc très rap en fait. « Dédicace à la zone, dédicace à ma mère, à mon pote »… Finalement, c’est le morceau le plus rap de Fictions en vrai (rires)

LFB : Je voulais te parler de ce qu’il y a autour de la musique. Ma première question, parce qu’elle me fait marrer, tu peux nous parler du col roulé? (rires)

F.C : Ah putain salopard, je savais que t’allais me poser cette question (rires). Alors je t’explique, c’est très simple : à un moment donné, j’étais en école supérieure de cinéma et à côté j’étais charcutier pour payer mes études. C’était à Lyon.  À l’époque je n’étais pas du tout aligné avec moi même, je bouffais tous les livres qui passaient, je pensais que j’allais finir philosophe ou artiste contemporain, que j’étais maudit et que j’allais jamais gagner d’argent…Et j’ai mis un col roulé un jour.
Arnaud Deparis, mon prof d’histoire de l’art qui est devenu un de mes meilleurs amis et qui est dédicacé dans Crédits et dans mon live d’Arte (retenez bien son nom c’est un cinéaste formidable), me dit « Mais Marc, t’as collé? C’est quoi ce col roulé, on dirait Gilles Deleuze ». Ça m’a fait trop marrer.

Je te parle de ça, mais je ne savais même pas que j’allais faire de la musique dans ma vie à ce moment là. Finalement, quand je suis arrivé à Paris et que j’ai commencé à me dire « vas-y, il me faut un truc un peu reconnaissable parce que j’ai pas de face tattoo et je n’ai pas de style particulier comme Parcels, je ne ressemble pas à un Beatles, j’ai juste une gueule de mec du peuple qu’est-ce que je vais faire pour me démarquer vestimentairement?».
Du coup je me suis dis que j’allais mettre mon survêt’ Adidas avec un col roulé, deux choses qui s’agencent le moins au monde. La naissance de l’histoire du col roulé c’est purement anecdotique, c’est le concert à La Boule Noire le 14 novembre 2019, Je l’ai porté là bas avec un fameux collier Vivienne Westwood et je trouvais que c’était un peu la tenue parfaite et qui me correspondait le plus: survêt’ Adidas, Doc Martens qui ressemblent à des Creepers, col roulé noir et collier Vivienne Westwood.
C’était un peu le Fils Cara starter pack. Donc j’ai décidé de pousser la blague encore plus loin et de porter un col roulé h24 jusqu’à la pochette de Fictions pour faire parler les bavards, c’est à dire toi (rires). Tu vois c’est tellement anecdotique qu’aujourd’hui je n’ai pas de col roulé, je m’en branle, et je vais totalement arrêter de porter des cols roulés après la prochaine tournée (rires)

LFB : Si je te demande ça, c’est parce qu’au delà du fait que ce soit un élément assez marquant autour de ta promo, je trouvais ça hyper intéressant dans l’imagerie que ça peut avoir que tu confrontes le col roulé avec la chaîne en or.  Ça ramène deux parties de toi qui sont le côté un peu cérébral et le côté un peu plus « street » et physique. 

F.C : Tout à fait. Ce qui m’intéresse beaucoup dans ce que tu dis, c’est que c’est exactement l’espace symbolique que j’avais envie de créer avec ça, même si évidemment comme je n’ai pas envie de montrer le dispositif je ne vais pas l’expliquer. Mais c’est dans le moodboard. T’as percé le secret à jour. Moi ce qui m’intéresse le plus, c’est d’avoir de gros biscoteaux sous un col roulé. C’est pas d’être Gilles Deleuze. La pochette de Fictions, je l’ai nommée « Le couronnement par la chaîne ». Je nesais pas si je t’en ai déjà parlé. Mais en gros, pour moi, le fait qu’il y ait des mains extérieures qui me mettent cette chaine autour du col roulé et qu’on ne sache pas trop où sont mes mains à moi, c’est justement de dire « au lieu d’être couronné, il a été chaînisé ».

Crédit : Andrea Montano

La chaîne évidemment c’est la symbolique de l’usine. Je me sens privilégié, seul quand même parmi des milliards dans le monde à être sorti de ma condition et à avoir évolué vers un autre système, une autre manière de voir le monde et de faire sa vie. Maintenant, si je veux demain j’arrête complètement d’avoir un emploi du temps. Ça c’est cool, le fait de pas pointer… Je sais que j’en fais beaucoup pour la promo, on dit souvent « l’homme au col roulé » ou « le fils d’ouvrier » mais ce n’est pas du tout un choix. Je pense que le monde journalistique a besoin de se faire des idoles et des idoles de l’ancien monde. Je peux participer et être une des dernières figures de cet ancien monde que les millenials ne comprendront bientôt plus. En soi, travailler à l’usine c’est un truc d’ancien. Depuis les années 60, c’est bon on en a ras le cul. Cette société miskiniste, misérabiliste, c’est un peu terminé.
Mais bon, c’est assez drôle. Je me suis perdu dans mes pensées mais c’était pour te dire que le couronnement par la chaîne, le nom de cette image de l’extraordinaire photographe Andrea Montano, contiennent les mains de ma manageuse Valentine qui me mettent la chaine autour du cou pour te dire l’anecdote. Je trouve ça super. 

LFB L’autre partie visuelle dont je voulais te parler c’était les clips que t’as fait avec Hugo (Pillard). C’est un peu tes premier vrai clips et je me demandais si ça avait été une étape importante pour toi? Comment t’as travaillé ça avec Hugo? 

F.C : Effectivement, je l’ai vécu comme mon premier clip. J’ai rencontré Hugo il y a pas si longtemps, via des potes communs évidemment. C’était assez rapidement une très bonne entente d’un point de vue humain et par dessus tout je sentais que ce mec pouvait apporter un angle visuel à Fictions. C’était assez compliqué de faire ça car les morceaux sont déjà en soi visuels. Je ne voulais pas qu’on tombe dans le clip trop produit non plus. Ce qui m’intéressait là dedans justement, c’était de pallier à la très grande teneur cinématographique des chansons par un truc beaucoup plus « cinéma du réel ».

Je crois qu’Hugo c’est vraiment sa spécialité, même s’il sait tout faire. Les clips qu’il a fait pour Pomme sont un très bon aperçu de ça, et les clips qu’il a fait pour Tim Dup aussi. Une fois qu’on s’est posés et qu’on a commencé à écrire, on se voyait tous les jours. C’était très simple puisqu’on est voisins quasiment. On est devenus potes en même temps, c’était une belle histoire. Moi, c’est des clips avec lesquels je voulais être aligné pendant longtemps.
Là, j’ai l’impression que c’est le cas. Je les regarde, je lse trouve très beau, je trouve qu’on a fait un bon voyage. C’était un déclic en binôme, pensé ensemble. Je pense que c’est une belle étape pour moi, d’avoir une équipe à l’image et de ne pas changer de réal tous les 36 secondes. C’est quand même important.

LFB : Que ce soit des tableaux qui avaient été faits pour Volume ou les sessions de la Blogothèque en noir et blanc, il y avait un côté un peu « figé » alors que je trouve que Sous ma peau et Concorde sont des clips qui vivent. Qui débordent. Il te représente bien au final.

F.C : Bien sûr. Je crois que c’est à l’image du passage entre Volume et Fictions. Même dans la pochette, le fait qu’il y ait un mouvement dans celle de Fictions. Celle de Volume, c’était ce visage statutaire avec les yeux fermés. Les clips de Volume représentaient assez bien la continuité visuelle de la pochette. Le passage entre les 2, La Blogothèque, faisait assez bien le pont. Je suis devenu un individu physique avec le temps. En faisant des dates, je me suis mis à bouger, à me rendre compte que j’avais un corps, cette exploitation du corps par la performance et la danse c’est quelque chose que je vais de plus en plus exploiter à l’avenir. Fils Cara va devenir un personnage mouvant, c’est évident. Quelqu’un qui danse, car c’est aussi une célébration. Se retrouver sur scène et ne pas bouger c’est pas viable.

LFB : Tu parles de la scène : est-ce que tu peux me parler de ta relation avec ton frère qui t’accompagne?

F.C : La relation avec Francis, c’est très simple : on se connait depuis qu’il est né puisque c’est mon petit frère. On a  toujours fait de la musique ensemble. Dès qu’il s’est plus impliqué dans la DA à partir de Fictions, qu’il a formé un excellent binôme avec Louis-Gabriel (c’est eux qui ont composé entièrement la sublime prod intemporelle d’Hurricane), c’est là qu’il a commencé à avoir l’autonomie harmonique de Fils Cara.

C’est le truc le plus fondamental : comme le disait Chilly Gonzales il y a pas longtemps dans le documentaire sur les acteurs de Random Access Memory de Daft Punk, l’harmonie c’est quelque chose de souvent négligé dans la pop. C’est vrai que quand on a envie de prétendre à faire un disque de pop, il faut se bouger le fion et se dire que tout a déjà été fait et qu’il faut donc penser l’harmonie par rapport aux chansons et par rapport à ce qu’on a envie de raconter. C’est là où Francis est intervenu et a donné la grande autonomie harmonique, et c’est ce qui fait qu’on s’ennuie pas dans les morceaux de Fictions. La partition. Ce n’est pas le côté cérébral genre Beethoven dont on parle, c’est le côté « chaque note est à sa place, chaque renversement d’accord participe à l’histoire que je raconte avec le texte » et c’est quelque chose qui nait du live.

On a été privilégiés de faire une vingtaine de dates avant la sortie de Volume, et 70 dates à peu près en tout depuis que Fils Cara existe, ce qui est énormissime sur 2 ans pour un projet de cette taille. Par cet intermédiaire là, par le fait qu’on se soit découverts chaque soir, qu’on a réarrangé en direct certains morceaux, qu’on a commencé à jouer New York Times et Hurricane bien avant qu’elles soit fixées sur le disque et qu’elles soient réfléchies en tant que prod, ça a donné toute cette couleur formidable. Je lui rend cet hommage. Francis c’est un virtuose, c’est aussi ce qui justifie sa position de profil au piano sur scène, qui bouge pas trop et qui est très flegmatique. C’est ce qui le rend sex symbol (rires)

LFB : Est-ce qu’on peut dire que finalement Fils Cara c’est désormais un projet avec « fils » au pluriel ou pas du tout?

F.C : Moi j’ai envie de dire oui, mais lui dirait non. En fait, il ya deux choix: soit on dit que Fils Cara c’est moi, et ensuite on se démerde. Soit on dit que Fils Cara c’est plusieurs fils, mais ce n’est pas que Francis, c’est tous les gens cités dans Crédits. On est tous les enfants de ce projet, bien évidement Fils Cara peut lui correspondre aussi car c’est aussi le fils de Cara, le nom est bien trouvé. Il n’y a même pas de questions à se poser en fait, on a ce rapport presque gémellaire. On nous demande souvent si on est jumeaux d’ailleurs. Fils Cara c’est lui autant que moi, ça c’est évident. Le propos, c’est moi qui l’insuffle, l’harmonie c’est lui qui l’insuffle. C’est OK, on connait chacun notre place dans ce monde, je ne pourrais pas faire ce qu’il fait et inversement et c’est tant mieux. Je ne peux pas penser ma vie en tant que Marc sans mon frère, et pareil pour ma vie sur scène en tant que Fils Cara. Quand je dis qu’il dirait non, de son côté c’est par humilité, par pudeur. 

LFB : Est-ce que pour toi être cérébral et hypersensible, c’est quelque chose que tu vois comme un atout qui s’apprivoise ou est-ce que c’est quelque chose qui peut te détruire si tu le contrôle pas?

F.C : Les deux, oui. être cérébral et hypersensible, quand c’est névrotique c’est néfaste. Se plonger dans le savoir pour complètement oublier le réel et être sous une couverture, un voile… Ça c’est destructeur. J’ai toujours eu ce rapport dans des moments où je pouvais pas me mouvoir de contrebalancer avec mes mains, par exemple pendant le confinement pour ne citer que ça. Le geste des mains sur scène c’est né de ça. Plus en arrière dans ma vie, quand j’étais très cérébral et que je lisais beaucoup, j’avais toujours besoin d’avoir un travail physique. C’est ça que m’a apporté l’usine, la charcuterie, de faire des sculptures en métal… Il faut toujours trouver le chemin du milieu : je ne suis pas Bob Marley, mais il y a une voie entre le physique et le mental. C’est quelque chose qui est raconté à travers les âges. Ce n’est pas destructeur en soi la sensibilité, au contraire. C’est quelque chose qu’il faut faire fleurir, mais de la bonne manière. Il faut se souvenir que dans sensibilité, il y a le mot « sens »(/sang). 

C’est tout ce qui traverse nos veines, tout ce qui vient à notre cœur. Le cœur c’est le palpitant qui met en mouvement ce corps, cette machine fabuleuse. Il faut se souvenir de jamais rester figé, jamais rester statique : c’est ça qui détruit. Si le cœur envoie son sang dans les veines mais qu’on reste immobile, ça va forcément devenir destructeur. Je suis parti en steak, mais c’était ça un peu l’histoire. Les veines ont des terminaisons, le corps a des terminaisons nerveuses. Si t’es en face de quelqu’un et que tu plies les orteils ou que tu as les poings fermés, tu n’es pas réellement là. Il faut arriver à se détendre, la vie ce n’est pas du cinéma. Il y a des moments violents, mais il faut toujours rester sur ses deux pattes et je pense que l’activité scénique est pour moi l’un des moments les plus aboutis que l’humanité aie inventé pour ne pas rester figé. 

LFB : On arrive à la fin de cette interview et on va terminer avec une note plus légères: quand Fictions est sorti, tu as fait un post sur Instagram ou tu as remercié Johnny Depp. Est-ce qu’on a le droit de raconter cette étrangeté aux lecteurs ? (rires)

F.C : (rires). Alors c’est très simple. Pour tous les abonnés, sachez que le Pape de la Pop ici présent, auteur de ce sublime papier, a un alias dans la vie: c’est Johnny Depp. C’est l’alias que Fils Cara lui donne dans des soirées relativement arrosées et mondaines. L’histoire avec Johnny Depp c’est que c’est un jeu agglutinant, si je puis me permettre, que je conseille à tout le monde de pratiquer. On agglutine des particules de noms entre Johnny et Depp. C’est tout ce que j’avais à dire (rires)

LFB : Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour 2021? 

F.C : On peut me souhaiter que 2021 ce soit le rock. Voilà, c’est juste ça que j’ai à dire (rires) 

LFB : Tu as des coups de cœur récents que tu voudrais partager?

F.C : Carrément. Je veux bien partager Only Lovers Left Alive, un film de Jim Jarmusch qui est extraordinaire. De manière générale, toute sa filmographie l’est . Je voudrais aussi partager le tabac à rouler Pueblo, que j’ai redécouvert récemment et qui est excellent. Troisièmement, je voudrais partager le jeu d’échec, qui revient évidemment à la mode avec cette série extraordinaire sur Netflix. Je n’ai jamais cessé d’y jouer, c’est un jeu ancestral et grandiose qui ressemble plus ou moins à la musique: la musique il n’y a que 12 notes et les échecs 64 cases mais dans les deux cas, des possibilités infinies. Je les vois un peu pareil.
Pour tous les abonnés de La Face B: que qui aie envie de me défier aux échecs vienne. Je suis environ 1500 points Elo. Ce n’est pas énorme, je suis pas un grand maître mais on peut s’amuser. Ensuite et dernièrement, je voudrais partager La Face B, le média sur lequel vous êtes en train de lire cette interview, qui est actuellement je pense le meilleur média. N’en déplaise à TF1.

LFB : On prend le compliment. Merci pour ton temps et cet entretien.

F.C : Merci à toi le Pape.