Providence, l’élégante pop de Chevalrex au firmament

On n’aura de cesse de le répéter : il est nécessaire d’avoir le regard et les oreilles orientées vers le label Vietnam. En toute indépendance, le label français offre à chaque sortie une pièce d’orfèvrerie pop rock. Des objets uniques et souvent très personnels comme on en fait que trop peu aujourd’hui. Cette tradition n’est pas prête de s’arrêter, preuve en est avec Providence, quatrième album du héraut pop, Chevalrex. Un album qui porte bien son nom tant il se présente comme un événement marquant pour nous comme pour lui.

Chez Chevalrex, la pochette d’un album a toujours une importance particulière. Elle est tout à la fois un guide, une ouverture et un faisceau d’indices sur ce qu’il va nous attendre par la suite. Si l’on prolongeait un peu, on pourrait même dire qu’elle est la première chanson de chaque album. Un morceau silencieux que l’on observe en douceur avant de poser le sillon sur la platine et de laisser la musique remplir le vide du temps qui passe.

Cette pochette en dit d’ailleurs beaucoup sur ce que Providence va nous apporter à partir du moment où l’on passe au delà de son côté carte postale fortement assumé. Ici, contrairement aux précédents épisodes, il n’est pas question d’ombres, pas question d’œuvre d’art ou de représentation picturale de notre héros, cette pochette s’ancre dans le réel, elle fige le temps, un instant dans le vrai qui indique l’élan créatif qui a participé à la création de ce quatrième album, dont l’ossature a été créé sous le ciel de La Guadeloupe.

Surtout, elle fait apparaitre en arrière plan, une seconde personne, sans doute celle qui, de part ses actes ou sa présence donne son nom à l’album. La providence, c’est un événement ou une personne qui constitue un bouleversement, qui arrive à point nommé pour sauver une situation ou quelqu’un. Providence prend ses racines dans l’amour. Si celui-ci avançait parfois caché dans les précédents albums de Chevalrex, il devient désormais une ligne de fuite essentielle de l’oeuvre de Rémy Poncet.
L’amour apparait de manière nette dans Au Crépuscule, languissante ouverture sensuelle et cotonneuse, qui revient nous caresser les oreilles dans Désirade.

Les deux morceaux sont des miroirs, on y retrouve des idées, des pensées presque identiques, mais tournées de telle manière que le propos évolue de manière assez nette. Le soleil est toujours présent mais on passe ainsi du jour qui se lève à la nuit qui arrive, des doutes à l’acceptation, de la colère à l’apaisement faisant de Providence une aventure en 12 titres comme une tempête qui alterne chants d’oiseaux et coups de tonnerre.

On est ainsi embarqué dès Providence dans l’univers qui nous semble si familier mais qui pourtant se transforme au fur et à mesure. Ce n’est pas un hasard si Chevalrex emploie le terme de métamorphose et d’inconnu dans ce titre. Si tout est en mouvement dans sa musique, ce morceau ouvre une nouvelle voie : sa musique est toujours portée par une écriture abstraite qui permettra aux auditeurs de ce projet eux-mêmes dans ces histoires, on sent une volonté toute autre qui prend le pas.

Celle de s’autoriser, enfin, à être le personnage principal de ses morceaux, à écrire sur soi pour mieux parler de l’universel. Providence se transforme ainsi d’une chanson d’amour simple à un vrai travail sur soi, profond et plein de recul, multipliant les points de vue pour raconter une rencontre qui change tout et qui sauve d’un chemin qui semblait tout tracé.

Et ce n’est pas Tant de Fois qui nous fera dire le contraire. Cavalcade musicale qui emporte tout sur son passage, le morceau se veut clairement cryptique, multipliant les allusions comme pour mieux nous perdre et se cacher dans la fureur. Pourtant, on sent ici et là ce besoin de se raconter dans le chaos, des éclairs de clarté qui nous frappent d’autant plus. C’est la vie qui éblouit au milieu des cordes et des guitares, qui ralentit pour mieux repartir et nous assommer.

Comme un contrepied parfait, La tombe de Jim continue ces jeux masqués, offrant une phrase à la fois lourde de sens autant qu’un résumé de Providence ; « la musique au fond me donne une ultime option de la matière pour des années« . Le morceau, beaucoup plus aérien et doux semble être un dialogue parfait entre Chevalrex et lui-même. Un dialogue à la fois sur sa condition d’artiste et sur ce que cela implique de sacrifices, de doutes et d’aventures… Bien sûr, de manière plus prosaïque, le morceau pourrait être vu comme un travail sur le deuil, la perte et l’acceptation.

Ophélie et sa suite enchaîne, parfaitement placé en milieu d’album comme pour faire une sorte de bascule. Le morceau nous offre en deux temps, une réflexion sur le dépaysement, autant que sur le temps qui passe mais qui une nouvelle fois casse un mur invisible, puisque Chevalrex semble s’adresser directement à son auditeur. La fuite n’est jamais très loin, elle qui depuis toujours semble nourrir la musique de Rémy.

Monarchie et ses vagues synthétiques laisse exploser au grand jour toute la mélancolie de Chevalrex. Le morceau est enlevé et puissant. Surtout il parle d’un temps qui n’existe plus, de souvenir d’enfance et d’histoires familiales dont il faut se débarrasser. Une nouvelle étape vers Désirade qu’il est d’ailleurs impossible de détacher de L’endroit d’où je parle, suite directe qui permet à la colère du premier de se noyer dans la douceur du second morceau. Chevalrex trempe encore sa plume dans ses souvenirs mais de manière plus tendre, comme s’il se libérait peu à peu des rancœurs pour voir ces instants tels qu’ils sont : des esquisses qui lentement s’effacent pour que l’on n’en garde que le meilleur.

Cette idée de morceau fonctionnant en duo s’applique aussi pour Dis à ton mec et Une rose est une rose. Si la première a tout de la ritournelle de chanson française sur l’amour un peu anachronique et porté par une mélodie de l’ordre de la valse, elle trouve tout son intérêt grâce à la seconde. Seul réel duo de l’album, partagé avec l’excellent Thousand, une rose est une rose est un duo parfait, saupoudré d’une romance homo-érotique qui se nourrit autant de la musique de l’un et de l’autre pour nous offrir une jolie fleur ambiguë et entrainante qui au fil des écoutes est devenue notre petite pépite de l’album.

Vous l’aurez compris, si Providence est un album qui se veut dans sa construction hyper accessible et semble être au premier abord le parfait bonbon pop pour tous les amateurs de chanson française indé, il révèle toutes ses saveurs et sa profondeur au fil de l’écoute. Chevalrex y parle de deuil, d’amour et surtout beaucoup de lui-même.
Providence peut être vu comme un album somme qui clôture une décennie ou presque. Une porte qui se ferme, autant qu’une autre qui s’ouvre pour l’un des artisans les plus classieux et passionnant de la scène musicale française.