Gloria vient de sortir Sabbat Matters, un album gorgé d’inspirations 60’s sous forme d’invitation au Sabbat, ces fêtes de sorcièr.e.s joyeuses, ou encore un repos de l’âme… Le groupe lyonnais fondé par Kid Victrola porté par les voix de ses trois chanteuses nous enchantent et nous transportent et nous avons voulu leur poser quelques questions sur les chansons qui composent l’album… On a parlé de psychédélisme, de sorcières et de ces fêtes qui rassemblent et qui nous manquent…
LFB : Comment ça va ?
Gloria : Ça va bien !
LFB : Pour ceux qui ne vous connaitraient pas, qui est Gloria ?
(Alexis)Kid Victrola : Gloria est un groupe de rock psyché/ sixties de Lyon , avec la particularité d’avoir trois chanteuses lead qui chantent en harmonie, à la manière des girl group…
« J’aimerais bien faire un disque de reprises de Nirvana avec un son sixties girl group, par exemple… »
LFB : Vos influences sont tournées vers la musique 60’s, vers le Motown et les groupes de filles de l’époque et le psychédélisme et vers les 90’s. Il y a un côté « Summer of Love » à la Jefferson Airplane, mais en plus sombre… Est-ce que vous pouvez nous parler de votre style et de vos influences ?
Kid Victrola (Gloria) : Moi je suis obsédé par le rock anglais sixties depuis que je suis tout petit (Stones/Small Faces/Pretty Things / Kinks etc…) et parallèlement à la musique que je faisais avec mes potes (plutôt orienté noise rock à la Sonic Youth) je cultivais mon petit jardin mental en décortiquant les sons sixties et leurs productions un peu seul dans mon coin. Petit à petit je me suis équipé, j’ai expérimenté et au final, Gloria c’est plus ma vision de ce qu’est le rock sixties, dans ma tête. C’est le rock sixties tel que je l’ai entendu.
Je me sens un peu comme un music fan, un rat de disquaires, qui se serait mis à vouloir faire des disques, pour rendre ce qu’il aurait ingurgité.
Le fait de me plonger dans le monde de la musique passée et des vinyles m’a fait découvrir toutes les musiques du 20ème siècle, au-delà du rock (soul, blues, country, gospel, jazz, free, musiques traditionnelles du monde entier, BO de films, musique de library etc…)
Je suis également fan de girl groups et d’harmonies vocales, autant dans la pop que dans la musique traditionnelle, et du coup l’idée de base de Gloria était de faire chanter des voix de femmes en harmonie sur un son plutôt rock fin soixante. Rien de révolutionnaire, mais on l’a fait à notre manière…
Mais là ou les 45 tours sixties sont souvent des morceaux courts, très denses, très pop et à la fois très chargés, moi j’ai plutôt collé inconsciemment une manière de faire très 90’s, avec des morceaux plutôt longs et répétitifs… tout en voulant garder ce côté dense.
J’aimerais bien faire un disque de reprises de Nirvana avec un son sixties girl group, par exemple…
On écoute tous des choses très différentes dans le groupe… Ça va du hip-hop à la musique baroque en passant par le blues cajun et le chant des oiseaux.t
Le trip sixties c’est vraiment ma patte, et du coup les autres enfilent ce costume. Mais au fond, sans la prod, ça reste juste des pop songs….
LFB : La pochette de l’album est mystérieuse. Il s’agit d’une illustration réalisée par Nicole Claveloux, une figure de l’illustration psychédélique underground des sixties. Comment l’avez-vous choisie ? A-t-elle une/des signification/s particulière/s ?
Tout est dit sur l’excellent blog Néoprisme qui a fait une interview en rapport à la pochette : ici.
« Dans l’idée de Sabbat j’aimais le rassemblement, et puis le fait que ça puisse être un moment ou tout le monde puisse avoir sa place. »
LFB : Votre musique est enchanteresse et Sabbat Matters, le titre de votre album, fait référence aux fêtes païennes des sorcièr.es ou au repos… Que représente le Sabbat pour vous ? / Est-ce qu’il y a une construction particulière à l’album en fonction de ce thème ?
Amy (Gloria): Je pense que l’album a un aspect spirituel / magique / sorcellerie mais pour ma part ce n’était pas un but. J’ai compris très tardivement qu’Alexis traitait un sujet féministe devenu important. J’ai initialement repoussé l’idée d’être une sorcière et maintenant je l’embrasse car j’ai vu que ça représente la femme sauvage, dans son état la plus naturel et puissant. Ce qui a fait peur pendant les siècles car ça ne rentrait pas dans idéales du patriarcat.
Marilou : Pour moi le Sabbat c’est une grande fête donnée en l’honneur de la vie et de tous les aspects de la vie. Une fête où l’on n’a pas peur de rentrer dans le lard de la vie, dans son vif, et d’aller triturer sa matière polymorphe!! Donc c’est un lieu où la vie danse avec la mort et l’embrasse parce qu’elle en a pas peur, elle sait que grâce à elle, elle est plus forte.
Et les sorcières en sont les maîtresses de cérémonie car les sorcières sont juste des femmes qui ont le courage et la sagesse de regarder la vie en face!!… Donc oui, toutes les femmes ont en elles une sorcière (ou une femme sauvage pour reprendre Clara Pinkola Estes et son fameux bouquin que cite Amy, « Femme qui court avec les loups »!!).
Kid Victrola : De mon côté l’idée du Sabbat m’est venue en analysant comme nos modes de vie changeaient avec le numérique, les écrans. Ecran étymologiquement, ça veut dire pare-feu, protection. Il manque le danger et la richesse d’aller vers les autres, de croiser des mondes qui nous sont étrangers, tous caressés dans le sens du poil que nous sommes par nos algorithmes personnalisés.
Pour moi il n’y a pas de plus beau moment que la grande joie d’un concert d’été dans la campagne.
Donc dans l’idée de Sabbat j’aimais le rassemblement, et puis le fait que ça puisse être un moment ou tout le monde puisse avoir sa place.
Toutes ces idées sont venues avant le covid, et depuis, ça a pris un sens autrement plus tangible ce besoin de rassemblement !
Mais en fait, c’était une idée de base, une tonalité générale…Certains titres, du coup ont été influencés par cet état d’esprit (Sabbat Matters, Holy Water, Skeletons, Global Warning) certains ne sont mêmes pas sur l’album, et d’autres titres ne sont pas spécialement reliés à ce thème. Ce n’est pas un concept album. Mais au fond pour moi le rock est une joie, une danse, un rassemblement, un repos de l’âme, donc c’est toujours une sorte de Sabbat.
LFB : Les sorcière sont des femmes libérées, des féministes affranchies, il y a un côté mystique aussi, un aspect spirituel, artistique aussi bien que politique… Quel(s) aspect(s) embrassez-vous / défendez-vous ?
Marilou (Gloria) : Oui, les sorcières sont tout ça, ou tout ça en partie. Mais je me méfie, parce que dit comme ça, ça pourrait les faire voir comme des personnes parfaites, des sortes d’images idéales !… Or non !… La sorcière c’est une vraie femme !! Un vrai être humain, qui se bat pour sa liberté, oui, certainement. (Libérée je sais pas, je crois pas que quiconque ne puisse jamais être totalement libre… ; ) Mais tendue vers la libération oui!…
La sorcière est une femme qui met en oeuvre un certain nombre de choses pour se libérer toujours plus, ça c’est sûr, elle a cette sagesse, et ça peut passer par la politique, la spiritualité, l’ésotérisme, le mysticisme, la sexualité, la science, les arts. Mais elle n’est pas forcément TOUT. C’est pas wonder woman!! ; )
D’ailleurs la sorcière est généralement associée à la « laideur ». La sorcière est « laide »!! Aussi bien physiquement que moralement!! La sorcière fornique avec le Devil!! Hé ben moi je trouve que cette image négative qui lui a été conférée pour x et y raisons malveillantes, c’est paradoxalement aussi sa force et sa vérité ! Ben oui, la sorcière ne se soumet pas aux canons! Oui, elle peut avoir les seins qui pendent, une grosse pilosité, et une haleine fétide, et les cheveux hirsutes!… Car oui, elle est indomptable.
Et d’ailleurs, peut-être que ça, toute cette laideur indomptée, c’est de la Beauté en Vérité !! Bon, c’est une histoire de point de vue sans doute !… En tout cas ouais, la sorcière est plein de chose mais ce qui est sûr c’est que c’est pas un ange !… Moi c’est surtout ça qui m’intéresse chez la sorcière!… Cette indomptabilité !! On n’enferme pas les sorcières, elles finissent toujours par briser leur chaînes et s’envoler sur leurs balais !!!
Amy : J’aime embrasser mon côté artiste créatrice libérée qui fait face au jugement et des avis externes, en se montrant sur sa plus vraie forme ! Nous formons une belle triade puissante sur scène. Cela se marie bien avec l’idée des sorcières.
LFB : La chanson Sabbat Matters est une invitation au sabbat festive et chaleureuse, aux voix envoutantes et gorgée de guitares fuzz. Est-ce que vous pouvez nous parler du morceau ?
Marilou : Oui c’est un morceau plein de soleil et d’enthousiasme !! Pour moi c’est une ode païenne à la joie dans ce vaste merdier !… Regarder le chaos en face, et malgré tout continuer de danser, de rêver, et de célébrer la vie !!
Amy : J’adore les chants brésiliens et on a cherché les douces dissonances dans les harmonies en puisant notre inspiration de la musique traditionnelle. Je trouve cette chanson très ensoleillée et joyeuse – c’est une de mes préférée et nous avons tellement besoin de fêter et danser ensemble en ce moment.
Kid Victrola : L’enfant illégitime du Quarteto Em Cy et des Stones ?
« Moi j’ai plutôt collé inconsciemment une manière de faire très 90’s, avec des morceaux plutôt longs et répétitifs… tout en voulant garder ce côté dense. »
LFB : La vidéo qui l’accompagne a une inspiration 60’s aussi. On y voit des images de statues de dieux et déesses grecques et une danseuse exécutant une danse traditionnelle indienne représentant le bien et le mal…
Wendy (Gloria) : Oui tout à fait. Nous avons demandé à notre amie Rafia Bon, ma soeur de coeur, danseuse pakistanaise, si elle serait intéressée pour composer une chorégraphie de danse Kathak (danse traditionnelle du nord de l’Inde) sur ce titre, et elle a immédiatement été inspirée.
Elle a créé une chorégraphie tout à fait originale, où elle personnifie le bien et le mal qui travaillent en nous, et les fait danser ensemble, jusqu’à la réunification, l’apaisement. Elle commet un acte très fort dans ce clip : elle prend le Gungru rituel, ce bracelet de clochettes qui s’attache au pied, et se le met autour du cou pour s’étrangler, parce que sa partie sombre le réclame, et puis elle arrête son geste au dernier moment. C’est un acte très fort, jamais encore réalisé dans le kathak, et je suis fière du courage qu’a eu Rafia pour aller jusqu’au bout de sa vision, malgré les règles de cette danse. C’est donc une chorégraphie qui parle de libération, de confronter les extrêmes en nous pour trouver la balance.
Acromath, le bassiste du groupe, avait déjà auparavant monté sur cette chanson des images de temples et de statues antiques, d’oiseaux psychédéliques, créant le décor parfait pour la danse de Rafia. Il ne restait plus à Alexis qu’à assembler les deux, la manière dont nous avions filmé Rafia collant bien à cet univers 60’s.
LFB : Miss Tambourine commence avec des percussions sur lesquels s’ajoute les voix, puis se transforme en abondance de basse, guitares, batterie, fuzz 60’s et a l’air d’avoir été enregistrée live. Le titre en soi rappelle Mr. Tambourine Man de Bob Dylan ou encore La Femme Tambour de Layne Redmond… Est-ce que vous pouvez nous parler de ce morceau ?
Kid Victrola : Le titre en lui-même est évidemment une référence idiote à Mr Tambourine Man, mais la comparaison s’arrête là.
Notre Miss Tambourine est juste une joueuse de tambourin, qui parle de son rôle injustement apprécié au sein de l’orchestre, et des longues heures qu’elle passe a observer les fesses du chanteur alors que personne ne la regarde elle. Un jour elle composera des symphonies pour tambourins…
Il faudrait envoyer ce titre au type qui jouait du tambourin dans Brian Jonestown Massacre, je pense qu’il comprendrait.
LFB : Y-a-t-il un autre morceau de l’album qui vous tient à cœur ou qui a une histoire particulière ?
Kid Victrola : Ils me tiennent tous à cœur ! Mais par exemple Night Biting est à la base juste une improvisation guitare/batterie entre Josselin le batteur et moi, sur quelques accords. Ensuite les filles ont posés leur voix dessus en improvisant aussi. On a monté un texte qui parle de cul de manière un peu voilée en se marrant. J’aime bien ce morceau pour ça, son côté spontané et filles qui se marrent. En gros ça dit : va doucement mon garçon, ne t’excites pas, pense à moi et garde le meilleur pour la fin…
LFB : Vous êtes nombreux dans le groupe, 6 plus exactement. Comment se passe la composition des morceaux ? Est-ce que l’un d’entre vous écrit le cœur d’un morceau et vous y apportez tous quelque chose ou est-ce que vous composez tous activement ?
Kid victrola : C’est vraiment mes chansons à la base, donc c’est moi qui apporte les morceaux, les mélodies, des idées de textes.
Mais ensuite les filles apportent leur harmonies, des idées d’arrangements et on bosse sur les textes ensemble, car c’est très important pour moi qu’elle valident ce que je leur demande de chanter.
La plupart du temps j’ai une idée en tête, mais je commence à écrire du texte après discussion.
Par exemple sur Holy Water, c’était vraiment juste un thème musical que j’avais et on l’a construit ensemble, j’ai changé la compo pour que ça s’adapte aux chants. Ensuite j’avais une idée de texte un peu vague et antireligieuse, et les filles n’ont pas accroché. Alors on a transformé ça en ode à l’éjaculation féminine. Au final il y a un travail assez collectif sur les textes, et c’est comme ça qu’on les à signés.
LFB : Quand et comment avez-vous enregistré Sabbat Matters ?
Kid Victrola : On l’a enregistré nous même, sur nos vieux PC pourris… Des backing tracks d’un côté, à la maison dans la Drôme des collines à glands et à chênes truffiers, et ensuite des sessions pour les voix chez Marilou dans le Valais suisse, grand vivier de sorcières chaire à bûcher au 16ème siècle.
Je l’ai mixé moi-même. Je comptais me faire aider pour finaliser ça en studio, mais le premier confinement est tombé pile-poil la dessus, donc j’ai tout fait sur un portable au bord du burn out.
Les premières sessions remonte maintenant à quasiment deux ans…
LFB : Comment la crise sanitaire a-t-elle impacté votre approche à la musique ?
Wendy : Au début, bien évidemment, il y a eu ce côté bénéfique d’un arrêt global, d’un arrêt mondial, avec cette idée de fait d’une création pure, sans besoin de rendu de production immédiat, l’art pour l’art en somme. C’était plutôt inspirant, nous permettant de passer tout notre temps à écrire de la musique, lire, voir des films, jouer…
Mais la situation a tout de suite en parallèle été difficile financièrement, car nous avions toutes des boulots à côté qui ont dû cesser. Et aujourd’hui cette perte de perspectives pour l’avenir devient quelque peu angoissante. C’est un peu rageant de voir des gens s’agglutiner dans un magasin de vêtements, jugé essentiel, et qu’on nous interdise encore de donner des concerts en respectant les normes sanitaires. Il y a tout de même une bonne injustice de fond, et j’espère qu’elle ne va pas décourager tous les petits groupes, ceux qui ne sont pas invités à donner des lives sur les chaînes télé. Car c’est ça qui peut effrayer aussi, qu’on aboutisse réellement à un « tout à l’écran », plus de musique live réelle, mais seulement du streaming, ce qui n’aura jamais la chaleur d’un vrai concert, dont nous avons plus que jamais besoin.
LFB : Avez-vous d’autres projets musicaux à venir ?
Wendy : Nous allons bientôt réaliser une captation de Gloria, puisque nous ne pouvons pas donner de concerts. Nous avons envie de défendre cet album, de le jouer!
En parallèle Amy a sorti il y a peu le premier album de son groupe Midnight Cassette, très 60’s dans le son, aux longues réverbes chauffant sa voix, aux textes poétiques, aux arrangements délicats…Et moi je sortirai le 26 mars un premier EP de mes chansons en français, de la pop psyché 70 80’s, avec des textes étranges… sous mon nom : Wendy Martinez.
Alexis lui a monté un trio de blues psychédélique ! The Kid Victrola Feedback Special.
Kid Victrola : Il reste des outtakes de l’album, donc au moment de reprendre les concerts, il y aura peut-être un ou deux singles liés à l’album qui sortiront..
LFB : Merci !