Is 4 Lovers : La déflagration sentimentale de Death From Above 1979

Parfois, les rencontres avec des artistes méritent d’être racontées. Ce qui a mis Death From Above 1979 sur notre chemin a tout du hasard heureux : un voyage scolaire en Angleterre en 2005, une pochette d’album emblématique et la perspective d’écouter un remix (forcément monstrueux) par un de nos groupes favori de l’époque et voilà que You’re A Woman, I’m A Machine finissait dans nos sacs. 10 ans à poncer cet album encore et encore en rêvant à un retour du duo canadien, puis le miracle se produisit : d’abord avec The Physical World en 2014 puis Outrage! Is Now en 2017.
Nous voilà rendu en 2021, une époque où on aurait bien besoin d’un savant dosage de brutalité et de tendresse. Cela tombe bien, Jesse F. Keeler et Sebastien Grainger sont de retour avec Is 4 Lovers, sans doute leur meilleur album depuis leur retour.

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Comme un doux sentiment de familiarité. Lorsque l’on lance l’écoute de Is 4 Lovers, on a la sensation première de retrouver des vieux copains là ou on les avait laissé. Une batterie sauvage, des éléments synthétiques, un chant furieux et un son de basse distordu et violent qui nous fait bouger les dents du fond. En à peine quelques secondes, on en est certains et le ravissement est total : Death From Above 1979 est définitivement de retour.
Et puis au fil de l’écoute, certains éléments nous frappent sans qu’on s’y attendent : le son se fait moins crado, plus produit et affirmé, la batterie joue plus de la retenue, la façon de chanter de Grainger se fait ici et la plus douce, presque sensuelle. Des petits bouleversements qui noyés dans la masse ne dénotent pas forcément dans l’identité propre au groupe mais force est de constater une chose : ils ont grandi et nous aussi.

La folie et la brutalité sont donc plus contenues, plus recentrées et au fond c’est sans doute le plus grand point fort de ce nouvel album : ici l’énergie sert les chansons, elle n’est plus un fleuve en débordement, elle est condensée pour le meilleur et offrir une sorte de somme bénéfique de tous les points fort des précédents efforts de Death From Above 1979.

Puisqu’il est question ici de romance, on pourrait démarrer par un poncif : une histoire d’amour se construit souvent à deux. En tout cas c’est désormais le cas pour Death From Above 1979 puisque Is 4 Lovers est le premier album dont la création a été exécutée uniquement par Keeler et Grainger. Un petit détail qui prend pourtant toute son importance : les dix titres qui composent ce nouvel album sont donc totalement le fruit des deux têtes pensantes.

Aucun grain de sable, aucune pensée extérieure n’est venue pervertir leur travail, ce qui leur permet sans doute d’assumer totalement cet album et de lui offrir une somme d’influences et de réflexions aussi diverses que complémentaires, que ce soit les pulsations stoner de Free Animal, d’insérer des sonorités 8-bits sur Glass Homes, de s’offrir une « ballade » un poil schizophrénique (Mean Streets) ou tout simplement de créer un petit tube sonique au refrain aussi bête qu’entêtant avec One + One.
Tout ici est parfaitement assumé et donc parfaitement exécuté, conférant à cet album, un sentiment d’unicité et de fluidité comme rarement on en aura entendu chez le duo. Une parfaite continuité de ce qu’ils nous avaient offert jusqu’ici.

Car oui, comme toujours avec les canadiens, cette nouvelle fournée de titres est une déflagration sonore qui en laissera plus d’un sur le carreau. Dès les premières notes de Modern Guy, on est emporté dans un déferlement de sonorités brutales et bruyantes mais qui n’oublient jamais le plus important : être mélodieuses et nous faire danser. À ce titre des morceaux comme One + One, Totally Wiped Out ou Love Letter feront, dans des genres très différents, bouger les plus réfractaires d’entre vous. Et même si dans son dernier tiers, l’album tend à baisser le rythme, on est jamais à l’abri d’une bonne surprise comment le prouve l’étrangement scindée Mean Streets, ou la superbe No War qui nous offre un final en forme d’orage grondant, comme si le groupe ne pouvait pas nous quitter sans nous mettre une dernière fois sous tension, offrant à cette clôture un sentiment aussi doux que dérangeant, comme si le groupe quittait la scène en laissant ses instruments collés aux enceintes pour nous martyriser une dernière fois les oreilles avant que un vide, bien plus assourdissant au final, ne se créé.

Aux niveaux des thématiques, l’album se sépare en deux parties distinctes : l’amour.
Celui-ci semble être un point d’ancrage, un point de sauvetage pour le duo face aux affres de la société moderne et passée. Car tout Is 4 Lovers réside dans cette idée : regarder le passé pour le changer, ne pas reproduire les mêmes erreurs et se libérer de cage qu’on nous impose depuis des années.

On y trouvera ainsi des chansons d’amour assez directes que ce soit One + One, qui nous parle de relation de couple, de désir et de paternité, des thèmes assez simplistes et revus mais qui semblent être pervertis et rénovés grâce à la musicalité folle du duo, de la même manière que le sera Love Letter.
L’époque est aussi propice à une grande remise en question et Death From Above 1979 n’y échappera pas : avec ses morceaux Modern Guy et Mean Streets, le duo fait face à la masculinité toxique, la place et l’image de l’homme dans la société moderne, le tout étant parfaitement résumée dans une rime tout sauf sibyline : You can change the world if you change you.

D’un autre côté on trouve No War et Glass Homes, deux morceaux à la fois poétiques et politiques, qui appellent au changement mais aussi à la compréhension du monde qui nous entoure. Il en sera aussi question dans Totally Wiped Out, morceau qui dissèque les addictions modernes crées par internet, à savoir l’hyperconnectivité et la relation malsaine qu’on peut entretenir avec le porno.

Enfin, en son milieu l’album vibre d’une petite particularité : N.Y.C Power Elite Part I & II. Les deux morceaux semblent être une sorte de conte moral en deux parties, jouant comme une sorte de miroir entre présent et futur et nous présenter l’existence chaotique d’une élite qui ne vit que pour multiplier les zéros et finit par être rattrapée par la vacuitié de sa propre existence. À la fois étrange et fort a-propos, les morceaux semblent faire le liant entre les deux parties de l’album.

Vous l’aurez compris, avec Is 4 Lovers, Death From Above 1979 prouvent une nouvelle fois qu’ils en ont sévèrement sous les pédales, que ce soit celle d’effets, de batterie ou tout simplement de l’énergie. Ce quatrième album est sans doute le plus maîtrisé que ce soit dans sa production où son écriture et prouve une nouvelle fois que si le groupe n’a jamais réussi à se caser dans les genres et les époques, il continue malgré tout à créer une mythologie et une œuvre qui ne ressemble qu’à lui et à nous embarquer encore et toujours dans leurs aventures.