Le groupe de french pop La Femme revient avec un troisième album appelé « Paradigmes ». Avec un lot de morceaux qui explore des univers différents, rock psyché, pop sucrée, ballade turbulente, les songwriters au look mi dandy mi bandit nous embarquent une fois de plus dans une traversée musicale hors normes. Après une interview accordée à La Face B, regardons de plus près les 15 Paradigmes.
Déjà 11 ans que les musiciens déjantés de La Femme sillonnent les routes. À l’origine du groupe, il y a Sacha Got et Marlon Magnée car il s’agit avant tout d’un duo. C’est eux qui composent en studio, ils sont les inventeurs concepteurs des thématiques loufoques qui vont former une esthétique éclectique empruntée aussi bien au western, qu’à la plage hawaïenne (Psycho Berlin, 2013) avec des aspects gothiques (Mystère, 2016). Accompagnés d’autres musiciens et de chanteuses sur scène, la structure est mouvante. On oublierait presque que Clara Luciani avait fait partie du groupe au début et a laissé sa place à Clémence Quélénnec qui prend désormais son chemin en solo. Deux disques d’or ont couronné les précédents albums alors ce nouveau venu intrigue.
Paradigmes regroupe tous les styles visités dans les précédents albums. Faussement foutraque, il extirpe le meilleur de leur savoir-faire pour proposer une déambulation de 55 minutes avec 15 titres. Certains passages pourraient figurer dans un train fantôme (Le sang de mon prochain), servir d’ambiance dans une maison hantée jusqu’à prendre des airs de bande originale d’un film de Tarantino. Je vous emmène dans le détail de cet opus ubuesque.
L’album s’ouvre avec un premier morceau typique de La Femme : des voix chorales féminines qui nous plongent dans un opéra aussi attirant qu’inquiétant. Au-delà de la guitare et des synthés habituels, on y entend des cuivres comme le trombone qui va épingler quelques morceaux. Je vous plante le décor : imaginez-vous à califourchon sur un cheval pour une balade au trot, le visage baigné par les rayons de soleil (Cool Colorado). Comme une scène d’action dans un western spaghetti qui annonce la gloire des héros, lâcher de chevaux n’a pas besoin de mots pour vous transporter. Proche d’une transpiration dû à une montée d’acides, les notes vont gonfler votre confiance.
L’écoute du titre Foutre le bordel engage une belle montée d’adrénaline avec une poussée d’ensauvagement. On pourrait en venir à se faire remarquer dans une rue où l’on marche seul. Vérifiez qu’il n’y a rien à saccager autour de vous si vous avez du mal à rester sage. La Femme empêche de marcher tête baissée, plus rien ne vous accable et vous pétez un câble en silence. Dans son ensemble, Paradigmes est une invitation à un carnaval avec un rassemblement de dérangés inoffensifs. Le titre Disconnexion ferait passer le sérieux de la philosophie pour une pesanteur grotesque. Sacha Got part dans une logorrhée de concepts qui se termine par un son de banjos pour aller au paroxysme de l’absurdité. Quand vous écouterez les réflexions profondes de certains, vous penserez à cette musique qui rendrait tout penseur plein de certitudes savantes en un crétin imbus de lui-même.
Les références aux voyages sont nombreuses (Nouvelle – Orléans, Pasadena) et c’est consubstantiel à l’histoire du groupe, pas simplement pour les tournées (plus de 100 dates aux US) mais aussi pour la composition. Los Angeles pour l’un, l’Andalousie pour l’autre, pas étonnant que Marlon Magnée nous offre une chanson écrite en anglais, interprétée volontairement avec un accent frenchy prononcé (Foreigner).
La vision du monde selon La femme c’est avant tout de l’étrange avec une drôle bizarrerie confortable. Comme mettre une paire de chaussettes dépariée, porter une coupe de cheveux mulet avec des bouclettes, dire des grossièretés avec un calme impérial. La cohérence est le dernier de leurs soucis. Leur paradigme est un consensus autour de la différence assumée. Divine créature explique comment une ombre peut vivre, comment l’homme à l’état de bête reste tout de même un homme. Le côté sombre de chacun doit se révéler et s’offrir. A l’image de l’être humain, on y trouvera des défauts dans cet album. Je suis passé à côté du morceau Mon ami par exemple. Pas vraiment mémorable, un peu gênant presque, la production musicale reste correcte, mais ni le texte ni la mélodie sont accrocheurs.
On continue l’exploration dans Le jardin. Ce titre avec des paroles espagnoles renforce l’esprit du voyage et notamment l’attachement du guitariste/chanteur Sacha pour l’Espagne. Véritable ballade mélancolique, ne vous fiez pas à la légèreté apparente, il suffit de quelques secondes pour que la vie soit qualifiée de pute. La fin de l’album prend une tournure lancinante avec Va qui laisse résonner une inspiration passablement orientale. Il se termine avec Tu t’en lasses où revient le thème de l’impatience (sans grande surprise). Toujours avec un air traînant et entraînant, Une trompette laisse échapper ses notes tel des sanglots dans la nuit.
Sous tous les aspects, ce nouvel album propose des paradigmes intéressants. C’est une suggestion de visions originales et des points de vue sur un horizon trouble. Avec des défauts qui font aussi ses qualités, il est difficile d’analyser ce nouveau bijou auditif avec probité. L’esprit du groupe est une manifestation perpétuelle du second degré. Paradigmes est un révélateur : pas de déguisement, c’est le costume du talent.