Il y a près d’une semaine, l’iconique Pablo Padovani alias Moodoïd sortait Primadonna vol.1, premier EP aux couleurs et émotions multiples, réalisé en compagnie de ces femmes qui l’inspirent depuis toujours et avec lesquelles l’alchimie semble totale. C’est donc à l’occasion de cette sortie que nous sommes allés à sa rencontre pour parler femme puissante, de son envie d’être un artiste de divertissement mais aussi de son obsession pour la romance. Retour sur cet échange.
La Face B : Après la sortie du fascinant et intense Cité Champagne en 2018, te voilà de retour avec un EP du nom de PrimaDonna, premier volume d’une série de chansons conçues avec des femmes qui t’inspirent. Quelles sont les raisons qui t’ont poussé à la création de ce disque concept ?
Moodoid : Pour Cité Champagne, j’ai été amené à faire une collaboration avec une artiste japonaise, Wednesday Campanella, pour une chanson qui s’appelle Langage dont on a fait un clip au Japon. Cette expérience a été révélatrice pour moi car même si j’avais toujours travaillé avec des femmes musiciennes ou avec des chanteuses qui m’accompagnent en live, c’était la première fois qu’il y avait une collaboration avec une artiste qui vient d’un univers très différent, où l’on créait quelque chose ensemble. J’ai également fait une chanson où j’ai chanté en japonais sur son disque, je suis allé au Japon pour jouer avec elle aussi. Beaucoup de trucs se sont passés, c’était très excitant, un vrai bain d’air frais. Et au moment où j’ai commencé à écrire mes nouvelles chansons, tout de suite il y avait cette idée d’avoir des voix de filles un peu partout et je me suis dit « pourquoi ne pas refaire cette expérience que je venais de vivre pour toutes les chansons en fait ? ». Je voulais faire un projet qui me permette de rencontrer des chanteuses qui vivent un peu partout dans le monde, que j’aime beaucoup et avec qui je n’ai pas vraiment beaucoup d’occasions de faire des choses. Et donc voilà, c’est comme ça que l’idée a germé.
LFB : Pourquoi avoir décidé de séparer cette sortie en deux volumes ? Plutôt que de tout simplement opter pour la version long format d’un album ?
Moodoïd : Ce n’était pas un désir particulier, c’est surtout dû au Covid. En fait, il y a eu deux raisons, la première étant que vu que ce sont des collaborations, on a commencé à produire la musique d’une manière peu conventionnelle car même s’il y avait l’idée d’aller en studio, d’enregistrer tout l’album et le mixer, tout s’est finalement fait de manière séparée, les chansons avançaient chacune de leur côté, de manière un peu autonome. Il y a en a une qui a été enregistrée en Allemagne, une autre aux Etats-Unis quand je suis allé là-bas, chaque chanson a commencé à avoir sa vie, son expérience. Puis est venue la deuxième raison avec le Covid où on s’est dit avec le label qu’il fallait mieux sortir des chansons régulièrement et les regrouper ensuite plutôt que de sortir un full album qui ne pourrait pas être défendu en live étant donné qu’il n’y a pas de concerts et que les choses s’éteignent plus rapidement.
LFB : Du fait que tu travailles qu’avec des femmes depuis plusieurs années, penses-tu que cela t’a permis d’ouvrir davantage le spectre de tes émotions ?
Moodoïd : Complètement oui. J’ai commencé Moodoïd il y a dix ans et quand j’ai voulu faire ce groupe qu’avec des filles c’était parce que je n’avais eu que des groupes avec des garçons où il y avait souvent une fille toute seule, notamment avec Melody’s Echo Chamber dont j’étais le guitariste. Quand on est parti en tournée, je la regardais et je me disais « mais qu’est-ce qu’elle est en train de vivre cette femme toute seule avec huit gars dans un van à voyager tous les jours ?« . Quand on a fini cette tournée, je suis rentré à Paris en me disant qu’il fallait que je fasse la même chose pour connaître ce truc et c’est comme ça que j’ai eu un groupe de filles, une équipe technique de filles avec une ingé son, une ingé lumière. J’étais donc le seul garçon avec ce crew féminin et ça m’a plongé dans une partie de ma personnalité qui je pense n’est pas la même, dans le sens où je me comporte de manière très différente lorsque je suis avec des garçons. Ca m’a mis dans une position de singularité et d’expérience où j’étais dans un environnement féminin à chanter des chansons qui parlent d’amour et ça m’a fait découvrir une nouvelle partie de ma sensibilité, ce qui était très important pour le projet Moodoïd.
LFB : Dans tes deux premiers albums, tu tenais le rôle du personnage principal. Ici, avec PrimaDonna, ce sont les femmes qui sont au premier plan. Leur donner la parole, c’était primordial pour toi ?
Moodoïd : En tout cas, tous les duos que l’on entend sur ce premier volume, ne sont que des vraies histoires humaines, ça ne vient pas du tout d’un arrangement de label qui aurait pu se dire « tiens, on va faire collaborer ces deux artistes ensemble« . Ce sont des filles que j’ai rencontré en voyage, avec qui j’ai vécu des choses avant, qui sont des amies parfois ou des rencontres avec qui il y a eu un début d’aventure. C’était important pour moi qu’il y ait cet aspect de collaboration qui soit mis en valeur car j’avais vraiment envie que ces chansons soient autant leurs chansons que les miennes. J’ai toujours partagé mes parties de chant avec des filles et là c’était l’occasion de le faire d’une autre manière en allant chercher des filles qui avaient elles mêmes des carrières, des univers très forts, en leur donnant une sorte de carte blanche au sein des chansons, ça leur permettait de mettre en valeur leur propre travail et pour moi d’appuyer sur quelque chose qui compte depuis très longtemps.
LFB : Tu dis être plus sincère vis-à-vis des sentiments que tu ressens et que tu souhaites exprimer dans tes chansons lorsque tu es entouré de femmes. Crois-tu que l’exercice serait plus difficile voire impossible si tu étais uniquement entouré d’énergies masculines ?
Moodoïd : Je ne sais pas si c’est pour tout le monde pareil mais moi en tout cas je remarque que je peux avoir un aspect assez caméléon. Quand je suis avec des garçons, mon tempérament est très différent alors que lorsque je suis avec des filles, j’ai accès en moi-même à une part d’intimité à laquelle je ne peux pas avoir accès si je suis avec des garçons. Là on a fait une semaine de répétitions avec les filles (Halo Maud, Michelle Blades et Zoé Hoch, ndlr) et ça m’a mis dans un esprit différent, c’est bête mais par exemple quand elles vont venir en studio, tout sera bien installé, bien rangé, le frigo sera un peu rempli etc. Ca me met dans un truc de concentration très différent car je suis plus exigeant avec moi-même aussi.
LFB : Tu en es conscient en tout cas.
Moodoïd : Oui, j’en ai complètement conscience ! Si j’étais avec des garçons, ça pourrait être totalement différent, le studio serait peut-être dégueulasse, avec juste des bières dans le frigo. (rires)
LFB : Depuis toujours, la thématique de l’amour occupe une place importante au sein de tes morceaux. Comment définirais-tu ton rapport avec cette dernière ? Est-ce qu’il est plutôt obsessionnel ou essentiel ?
Moodoïd : L’idée de base de Moodoïd, c’est l’émotion étrange, avec que des chansons liées à des moments de deepness, d’émotions très fortes. Et pour répondre à ta question, je dirais que c’est surtout quelque chose de vital car pour moi la romance, l’amour, c’est quelque chose qui prend de la place dans ma vie, qui me fait ressentir énormément de choses et que je trouve universelle. Je constate autour de moi que beaucoup de gens ressentent ces mêmes choses-là, c’est un thème infini et extrêmement touchant. J’adore écouter les gens parler de leurs histoires et c’est obsessionnel quelque part, c’est un sujet qui ne me lasse pas.
LFB : Les chansons de Cité Champagne et le Monde MÖÖ font référence à tes propres moments de vie, tes souvenirs. PrimaDonna fait honneur aux femmes de ton existence, les célèbre. Est-ce qu’on pourrait alors définir ta discographie comme le carnet de bord de ta vie ?
Moodoïd : C’est juste. Il faut savoir que je suis quelqu’un d’assez spontané, j’ai une personnalité où je fais les choses et réfléchis qu’après coup (rires) et du coup parfois je réécoute des chansons de Moodoïd et je me dis que si tu écoutes toutes mes chansons tu peux savoir beaucoup de choses sur moi. Par exemple, j’ai envie de dire aux gens avec qui j’ai des histoires dans la vraie vie que s’ils écoutent mes chansons, ils pourraient répondre à la plupart des questions qu’ils se posent. (rires) Il y a un truc un peu journal intime, carnet de bord et pour moi Moodoïd c’est un peu la machine à fantasmes car vu que je fais un peu de tout, les clips, l’image, le son, c’est un truc où j’ai carte blanche, où je peux me défouler artistiquement parlant, faire naitre des collaborations avec des gens que j’admire, il y a un truc assez complet.
LFB : Dans ton morceau Puissance Femme, Stéphanie Lange incarne la force, elle en est le moteur central, la plus puissante des femmes. Mais pour toi, qu’est-ce qu’une femme puissante ?
Moodoïd : Pour moi, chez une femme puissante il y a quelque chose de romantique, de divin et c’est pour ça que dans cette chansons je parle des princesses Apsaras, des sortes de divinités indiennes. Quand je suis tombé amoureux, j’ai eu l’impression d’être complètement dominé par une femme et la chanson parlait vraiment de cette émotion que j’ai ressenti par rapport à cette fille. Il y a un peu un truc où une femme puissante c’est une femme qui a un univers et qui raconte quelque chose. Les femmes dont je suis le plus admiratif sont les femmes qui ont réussi à faire cet espèce de bain d’émotions, à créer quelque chose qui soit total. Et selon moi, c’est quelque chose que les femmes arrivent à mieux faire que les garçons. Il y a un truc qui est plus pointu, c’est impressionnant.
LFB : En tant qu’artiste masculin, quel regard portes-tu sur la représentation de la femme dans le secteur musical ?
Moodoïd : En 2013 ou 2012, on a commencé à tourner avec Moodoïd, c’était encore naïf et j’ai commencé à constater l’ampleur des dégâts lors de la première tournée. Quand on arrivait avec six filles en festival, il y avait tellement de remarques misogynes, où l’ingé son ne pouvait ne pas être prise au sérieux car c’était une femme par exemple. Et toutes ces expériences étaient très récurrentes, il y a même eu des concerts où les gens gueulaient des choses affreuses en concert pendant qu’on jouait. Toutes ces expériences font comprendre qu’il y avait un truc qui était bizarre. Ça me donne juste envie qu’il y ait plus de femmes qui fassent de la musique. Je pense aussi qu’il y a un certain déséquilibre, dans le sens où il y a encore trop peu de musiciennes, car j’ai beaucoup essayé de travailler avec des femmes et trouver des musiciennes professionnelles, c’est très compliqué car il y a très peu de femmes qui se partagent le business de la musique. À Paris, il y a cinq batteuses et peu de diversité, ça manque de femmes. Je ne sais pas si c’est dû à un manque d’éducation ou autre chose.
LFB : Si tu devais me citer des icônes féminines qui t’inspirent depuis toujours, quelles seraient-elles et pourquoi ?
Moodoïd : Je dirais Björk que je trouve révolutionnaire, incroyable globalement car elle a fait un univers visuel et sonore qui ressemble à rien d ‘autre, un univers complètement absolu et difficile à cerner. C’est quelqu’un qui me touche beaucoup. Il y a Cindy Sherman aussi qui est quelqu’un que je suivais beaucoup quand j’étais adolescent et qui n’a pas arrêté de me fasciner. Elle a une photographie splendide et quand je retombe sur son travail, je suis très ébahi car j’aime beaucoup le pop art et l’esthétique des années 80.
LFB : À tes débuts, tu disais vouloir faire de Moodoïd, un groupe où la liberté serait omniprésente, dénué de tout carcan, tant sur le fond que la forme. Est-ce quelque chose que tu défends avec toujours autant de détermination aujourd’hui ?
Moodoïd : C’est quelque chose qui a un peu évolué, c’est un projet où je veux toujours une totale liberté et que j’ai d’ailleurs car je fais toujours ce que je veux avec ce truc mais maintenant il y aussi un peu une envie qui n’était pas là à l’époque, celle d’être compris. (rires) Être compris en art, ça s’appelle la pop et j’ai envie d’être un artiste de divertissement, un artiste de pop et pour l’être, il faut savoir faire certains efforts, se plier à certains codes, adopter certaines stratégies pour que les gens puissent être touchés par les choses que tu peux raconter. Maintenant mon envie serait de réussir à trouver un savant mélange entre quelque chose de très personnel, intime, un peu farfelu parfois et lisible.
LFB : Il y a peu, tu dévoilais une superbe captation live filmée pour Arte Concert. On t’y voit entouré de ce fabuleux trio composé de Michelles Blades, Halo Maud et Zoé Hoch. Cette formation te suivra-t-elle sur tes prochains concerts ?
Moodoïd : Oui, je le souhaite de tout cœur en tout cas. On a un peu monté ce groupe pour cette occasion, on a fait que cinq répétitions et ça a tellement été génial, fusionnel entre nous, j’ai ressenti quelque chose que je n’avais pas ressenti depuis longtemps, j’ai vraiment aimé jouer avec les filles, on était tous très excités. Ca serait trop bien de faire une tournée ensemble.
LFB : Et as-tu alors déjà une idée de la façon dont tu souhaiterais faire vivre ces nouveaux morceaux sur scène ?
Moodoïd : J’aime quand c’est brut, en live j’aime faire du rock et c’est aussi ça que j’ai aimé avec la nouvelle formation car je reviens un peu aux origines de ce qui m’a poussé à faire Moodoïd. C’est Maud qui chante toutes les voix de toutes les filles et ça me plaît de proposer quelque chose qui ne soit pas surproduit mais vraiment incarné, au squelette des chansons.
LFB : Enfin, aurais-tu des coups de cœur récents à partager avec nous ?
Moodoïd : Il y a le meilleur d’entre nous, David Numwami, qu’il faut écouter. Il a fait un duo avec Saint DX dont j’ai réalisé le clip et il faut absolument regarder ça quand ça sortira. Il y a Lucie Droga qui était dans Moodoïd qui a sorti son premier livre La vie consommée et qui est alors devenue écrivaine. Il faut écouter Tirzah, je suis trop fan et enfin Erika de Casier, une artiste russe car c’est très beau.