Il y a des groupes qui naissent dans des périodes assez étranges. Groupe monté pour jouer sur scène, Serpent en est privé depuis pas mal de temps. Malgré tout, le groupe a quand même dévoilé Time For A Rethink, une première prise de parole en forme de manifeste musical. Alors qu’on s’apprête,enfin,à les retrouver sur scène, on a discuté avec Matthieu, chanteur et leader de Serpent.
La Face B : Hello Mathieu, comment ça va ?
Serpent : Bah plutôt pas mal. Je vais bien. En fait je suis content parce que j’ai fait un concert figure toi (rires) et même pas clandestinement. J’ai été invité par le festival Nouvelles Scènes à Niort et ils organisent là des concerts dans des collèges ou des écoles primaires (interview réalisée début avril ndlr). Du coup ils m’ont invité à jouer et j’ai joué devant deux classes.
LFB: Pour moi Serpent est un groupe qui a été lancé pour faire du live. Et je me demandais comment vous viviez le confinement
Serpent : comme tout le monde, c’est un coup dur pour tous les artistes. Pour la société de manière générale et tous ceux qui ne peuvent pas travailler, et même pour ceux qui peuvent travailler de toute façon c’est dur.
Je n’ai pas de vrai avis sur cette question, j’espère qu’on va pouvoir à un moment de réorganiser des évènements même avec certaines règles.
De voir des gens, d’échanger à nouveau. Effectivement c’est vrai que Serpent est un projet pensé pour le live et ce rapport là au public. C’est un vrai problème pour nous et comme pour beaucoup de gens et on va faire avec. C’est comme ça.
LFB : Vous avez sorti votre premier EP Time For A Rethink. Le nom de Serpent est venu tout de suite ou ce sont les premières chansons qui l’ont influencé ?
Serpent: il est venu spontanément. J’avais eu cette idée, je trouvais que ça nous correspondait bien.
On avait envie d’un nom qui soit juste un mot mais un mot qui définisse en un coup de pinceau l’énergie et l’identité du groupe. L’idée est d’avoir un nom qui puisse aussi être compris par des étrangers. On est vite tombés d’accord sur ce nom, ça nous a pris 10 secondes.
LFB : Si je te demande ça, c’est que je trouve que le nom correspond parfaitement à votre musique. Un truc à la fois sinueux, dangereux, physique.
Serpent : C’est ça, physique. Déjà dans l’ADN du groupe il y avait cette notion de faire un truc avec une énergie vitale, une musique physique, avec une part d’animalité. On ne voulait pas de numérique. Il n’y a que des instruments joués.
Mais comme l’être humain c’est un animal on a poussé ce questionnement là si loin que finalement on en est arrivé à parler de l’animal le plus primaire et binaire d’entrer tous qui est le serpent. Le reptile au sang froid qui n’a pas de sentiments, qui réagit sur un mode binaire. Je suis agressé, je contre-attaque. J’ai faim , je me nourris. Et en fait la musique de Serpent ressemble à ça.
LFB : Tu parlais d’ordinateur. Je me demandais si à l’heure où on faire danser les gens c’est principalement devenu un truc d’ordinateur, est-ce qu’il y avait une sorte de défi, une envie particulière d’un truc organique, chaleureux et humain ?
Serpent : C’est marrant ce que tu dis, on ne l’avait pas concrétisé comme tu l’as formulé mais c’est ça. Aujourd’hui la musique qui fait danser les êtres humains est jouées par des machines. C’est assez étrange. Je ne sais pas ce que ça dit de nous mais c’est particulier ! Nous on voulait faire une musique qui soit dansante mais jouée par des humains, qui ait cette vitalité, qui impacte les corps plus que leurs cerveaux.
C’est intéressant de reprendre le pouvoir sur les machines. C’est de la résistance des maquisards humains contre les robots, comme dans Terminator 2 ! Enfin nous c’est ce qu’on propose…
LFB : Comment est ce que vous travaillez la composition des morceaux ?
Serpent: À l’instinct, à l’intuition, de manière très binaire aussi. On essaye quelque chose dans une salle de répétition. On essaye, ça nous plaît, on garde, ça ne nous plaît pas, on jette. Et puis c’est tout. C’est la manière la plus simple de composer mais à mon avis c’est celle dont on n’aurait pas dû s’éloigner.
On a trop réfléchi, au risque de ne pas me faire que des copains je trouve que la musique pop est devenue un peu chiante, redondante, un peu comme quand quelqu’un te parle à une soirée mais que tu ne vois pas où il veut en venir. Je suis quelqu’un de cérébral, trop cérébral, et quand je réfléchis trop ça me paralyse, donc pour remédier à ça j’ai toujours essayé de faire une musique qui soit à partager, ça me tient éveillé. Et tous les membres du groupe partagent cette vision.
Il faut que la musique soit jouissive, qu’elle frappe fort. Car quand les musiciens veulent avoir l’air intelligent ils ont l’air bête.
LFB : Je t’avais beaucoup suivi avec Lescop et je demandais si dans Serpent il n’y avait pas une envie de se réinventer, de revenir à un projet collectif, porté par tout le monde et pas uniquement le frontman.
Serpent : C’est une question qui me concerne personnellement mais effectivement je commençais à m’ennuyer un peu en solo. Même en fait, mon avatar Lescop m’ennuyait un peu aussi et c’est aussi pour ça que j’ai complètement changé mon entourage, de personnes avec qui je travaille par rapport à l’équipe qui était autour de moi pour les deux premiers albums.
C’est passé par un groupe, ça c’est fait comme ça.
Et aujourd’hui je travaille avec les meilleures personnes avec qui je pouvais travailler. Je connaissais Adrian Edeline parce qu’on avait joué ensemble pour un concert. On s’est connu comme ça et c’était un copain de mon batteur, Wendy. Je lui ai dit que je voulais monter un groupe avec toi et Wendy et c’était parti. Quentin et Martin se sont joints au projet, comme ça de manière très simple et dès la première répète on avait des choses.
LFB : Est-ce qu’il y a pas un truc pour toi de revitalisant de travailler avec toi qui ne sont pas de la même génération de toi et donc pas la même énergie et façon de voir les choses ?
Serpent : Oui c’est certain. Quand je parlais d’ennui, les gens de ma génération m’ennuyaient sérieusement, j’étais un peu énervé après les artistes de ma génération et ça me rendait irascible, mais aujourd’hui c’est fini, je me suis réconcilié avec eux. Je trouve que musicalement la génération qui a entre 20 et 30 ans en ce moment est vraiment intéressante, pleine de vitalité, parce qu’elle n’a pas de complexe par rapport à son héritage. Il y a moins de déférence et ils ont moins le sentiment de devoir prêter allégeance à Kurt Cobain, ou je ne sais quelle icône foireuse. Les genres musicaux sont poreux pour eux. Ils ne se posent pas les problèmes de « crédibilité » que je me posais à leur âge. Ils écoute aussi bien Joy Divison que Beyonce et je trouve que c’est beaucoup plus cool, beaucoup plus intelligent. Ils vont vite, et c’est bien.
LFB : Si la musique de Serpent est une musique qui appelle plus à l’action qu’à la réflexion, est ce qu’il n’y avait pas une certaine ironie à l’appeler Time For A Rethink ? (rires)
Serpent : Tu es plus intelligent que nous parce qu’on ne s’est pas posé la question concrètement… est ce que réapprendre à penser, ce ne serait pas penser moins pour penser mieux ? Et surtout moins réagir, moins commenter, se taire, prendre le temps de la réflexion…. mais au son d’une musique assourdissante ! C’est ça notre « Time For a Rethink »….
LFB : Et laisser place justement, au côté instinctif de l’humain …
Serpent : On se perd dans cette époque du commentaire, de l’émotionnel permanent. Les êtres humains essaient toujours de rationaliser mais en vrai ils ne communiquent plus qu’avec leur émotions, leurs réactions. Le serpent est un animal à la fois plus con et plus intelligent que nous.
LFB : Malgré tout,les chansons gardent un vrai thème. C’était nécessaire de ne pas supprimer le fond pour la forme ? Trouver quelque chose de dansant en disant quelque chose de la société.
Serpent: Tu ne peux pas t’auto-commenter. C’est une erreur de penser qu’on peut le faire sans se tromper.
Mais si tu me demandes, vraiment je pense que la forme c’est plus important que le fond.
Le fond c’est à toi de le cultiver avant, mais il ne faut pas emmerder les gens avec ça.
Je lis beaucoup, quand les musées sont ouverts je vais à des expos, je vais à toutes sortes de spectacles, j’imagine que ça nourrit le fond de ce que j’écris, bon très bien. Mais ça ne doit pas se voir, c’est vulgaire, impudique.
C’est l’apparence qui compte, la beauté, l’efficacité. Parce que sinon ça ne donne envie à personne. Quand les artistes veulent que leur oeuvre ait l’air profonde c’est parce qu’en fait c’est une coquille vide.
Une bonne chanson, un bon film, une bonne performance d’acteur ou de musicien Il faut que ça ait l’air facile. Même si ça ne l’est pas. C’est pour ça que je dis que plus les artistes veulent avoir l’air intelligent et plus ils ont l’air bête.
LFB : Un morceau comme Love/Hate reste un morceau qui en dit beaucoup sur la société dans laquelle on vit.
Serpent: Oui ! il y a mensonge ! Love hate est une chanson qui parle de mensonge. Tu vas écouter une chanson à la radio ça parle d’amour, mais juste après le flash info ne te parle que de guerre, de pandémie, de violence, et de haine. Mais q uelle arnaque ! Je ne suis pas contre l’amour bien au contraire, mais cette injonction permanente à aimer ça m’énerve. Tout le monde n’a que ce mot là à la bouche mais c’est une fraude. « You talk, talk, talk about love, but all you dream’s about hate » c’est ce que dit la chanson.
LFB: On sent la volonté de ne pas faire quelque chose de consensuel
Serpent: Ah non. Si ça pouvait faire consensus ça m’arrangerait (rires)
LFB : Pourquoi l’envie de chanter en anglais avec Serpent.
Serpent : C’est venu comme ça. J’ai demandé aux gars s’ ils étaient ok. L’anglais est une langue qui se prête bien à la musique de serpent. Elle est plus directe, une langue moins littéraire et plus élastique.
Elle me permet la liberté dont j’ai besoin pour Serpent.
En français je suis trop intelligent, alors qu’en anglais, comme je le maitrise moins, je vais direct à l’essentiel.
LFB : tu peux rester aussi imagé et poétique en français qu’en anglais
Serpent : Je me suis demandé si je n’étais pas un imposteur puis finalement avec le temps je me suis dit que c’était plus pertinent en ce qui concerne Serpent. On n’y réfléchit pas à deux fois, pas trop longtemps. Et puis même si je suis un imposteur après tout pourquoi pas ?
Je me suis un peu auto-saoulé et ennuyé dans ce rôle de « littéraire » que m’avait fait prendre mon personnage Lescop. J’avais l’envie de mettre un coup de pied au cul à tout ça.
LFB : L’anglais ça te permet de t’amuser avec ta voix non ? Tu prends des directions différentes.
Serpent : Le fait de changer de langue, ça te fait approcher le chant d’une autre manière. Avec Serpent il y a des morceaux où je vais chercher des notes un peu plus hautes. C’est plus difficile de chanter le français haut, je ne sais pas pourquoi, ça ne marche pas aussi bien.
C’est une histoire de fréquences j’imagine. Un jour j’en parlais avec Jeanne Added et elle m’a dit : « quand tu chantes en français ce qui compte c’est les consonnes, en anglais c’est les voyelles », et franchement je serais incapable d’expliquer pourquoi mais je pense qu’elle a raison.
A l’époque on m’avait demandé une version anglaise de la forêt. J’avais essayé à l’époque et ce n’était pas bien. Le chant en anglais à cette fréquence là ça ne marchait pas. C’est très mystérieux les langues pour le chant.
LFB: Ce qui est marrant c’est que finalement la chanson se retrouve dans des séries américaines maintenant.
Serpent : Oui c’est intéressant et ils l’ont gardé en français. Comme quoi…
LFB : On emploie beaucoup ce mot pour le rap, mais est ce que Serpent ne fait pas de la musique urbaine ?
Serpent : Oui c’est de la musique urbaine,ce n’est pas ce qu’on appelle de la « pop urbaine » mais elle vient bien des villes, du béton. Le fait de vivre entassés dans des villes polluées c’est le thème principal des chansons de Serpent.
LFB : Par exemple Waiting in the park, le dernier morceau, est hyper sombre. J’avais lu qu’il parlait des junkies près de votre studio d’ enregistrement.
Serpent : On répète dans un endroit qui est un peu quartier un peu craignos et on passait tous les jours devant ce parc où les crack-heads attendaient leur dealer et ça nous foutait le bourdon. De croiser tous les jours ces mecs qui étaient en détresse total et … puis même ça dit quelque chose du climat de Paris en ce moment qui n’est pas cool.
Je suis plus vieux que les autres, je viens d’une génération et d’un milieu qui a été très impacté par la drogue, j’ai fini par m’en suis débarrasser, mais il y aussi cette toile de fond, cette gravité dans la ville. La ville on pense à la scène, la boite de nuit, les cafés, la teuf etc … mais aussi il y a des gens dans une détresse et une indigence totale. Donc cette contradiction là est présente aussi dans notre chanson. Si on regarde les chanson pop en ce moment, moi je trouve que c’est un sujet très peu abordé…
LFB : Vous allez continuer à injecter la réalité dans votre musique ?
S: On ne l’a pas intellectualisé mais je pense que c’est là. Enfin en tout cas avec Serpent on essaie de faire une musique qui dit ce qu’on voit et ce qu’on ressent et peu importe la forme que ça prend. Un moment il faut dire les choses je pense même… si c’est en anglais !
LFB : En 2021 faire un groupe avec 5 membres ce n’est pas suicidaire ?
Serpent : Pas suicidaire mais provocateur. Moi je te jure ça me gonfle de plus en plus de voir des gens arriver avec juste un laptop sur scène. Ça m’ennuie et ça me révolte. Même si il y a quelques exceptions…
Et un moment ne pas oublier la musique c’est des gens qui jouent. Je veux dire si demain pour une raison X ou Y on ne pourrait plus se servir d’ordinateur, genre un bug international, un effondrement numérique, et bien on continuerait à faire de la musique et on le ferait avec notre corps et ça il ne faut pas l’oublier.
J’adore les ordinateurs mais il faut avoir conscience qu’il y a des cerveaux, des cœurs, des corps derrière, il ne faut pas oublier ça. C’est terrible de se laisser emprisonner dans des algorithmes et dans Serpent il y a une résistance à ça. On est 5 et on sera peut être encore plus, plus tard.
J’ai vu Crack Cloud sur scène. Ils étaient au moins 12 sur scène, c’était tellement subversif, et ils ont rendu fou les gens à cette soirée ! Il y avait une telle intensité.
LFB : C’est arrant car moi la première fois que j’ai écouté Serpent j’ai pensé à Soulwax et à leur intention sur scène, de faire de la musique hyper organique. Je me demandais tu fais pas mal de DJ set qu’est-ce que ça t’apporte dans ta vision de la musique ?
Serpent : ce que j’adore dans le DJ set c’est que là tu ne peux pas avoir l’air d’essayer d’être intelligent. Je trouve ça cool, moi ça m’éclate de faire danser des gens. J’adore danser, passer des disques, la première fois c’était les filles de la Kidnapping qui m’avaient proposé de le faire, j’étais ultra flippé mais j’ai adoré ça, du coup j’ai continué. Pendant le confinement je faisais des DJ set en live. Pour moi c’est le seul truc qui avait du sens à ce moment là. J’ai reçu tellement de messages cools, des gens qui m’envoyaient des photos d’eux dansant dans le salon, c’était tellement émouvant. J’aime bien cette place du dj qui est là pour faire plaisir au gens et ça ramène à l’essentiel : faire plaisir aux gens. Serpent c’est un peu pareil, on appuie sur « play » dans nos cerveaux reptiliens et on passe nos propres chansons mais en les jouant avec des instruments !
LFB : Qu’est ce qu’on peut souhaiter à Serpent pour le futur ?
Serpent : Là ce qu’on peut nous souhaiter c’est de refaire du live. Moi j’en brûle d’envie. C’est la place de ce groupe d’aller sur scène, on est pensé pour ça donc là j’aimerai tellement refaire des concerts. C’est le plus intéressant à nous souhaiter
LFB : Est ce que tu as des coups de cœur à partager avec nous ?
Serpent : En musique, moi le truc que j’adore c’est Arlo Parks, je la trouve vraiment top, et aussi Silver Synthetic. Mon côté boomer c’est le dernier album de Bruce Springsteen, je suis un gros fan, j’écoute pas mal de vieilleries….
Sinon Squid, Life, Girl Band, toute cette scène là j’aime beaucoup…