Bertrand Burgalat : « C’est comme si ces chansons existaient déjà et qu’il fallait gratter les pierres pour enlever tout ce que les cache. »

A l’occasion de la sortie du dernier album de Bertrand Burgalat Rêve Capital, nous avons décidé de mélanger l’imaginaire et le réel en invitant le musicien à boire un verre. Mais pas n’importe où, près du pianocktail de Boris Vian.

LFB : Bonjour Bertrand Burgalat, comment allez-vous ?
Bertrand Burgalat : Très bien, très bien !

LFB : On vous connaît comme le fondateur du label Tricatel; comme producteur, musicien pour vous et aussi pour les autres ou le cinéma. Mais avec vos propres mots, qui êtes-vous Bertrand Burgalat ?
BB : Je dirais que je suis un musicien qui essaye de faire de la musique par tous les moyens. C’est-à-dire à travers les albums des autres, en travaillant sur des commandes et en faisant mes propres albums de temps en temps.

LFB : Alors, c’est vrai que c’est vous l’Homme Idéal ?
BB : Ah non pas du tout ! (Rires) Il faut parfois se méfier de l’idéalisme.

LFB : Est-ce que vous pouvez nous parler un peu de ce titre, qui fait partie du nouvel album ?
BB : C’est un titre écrit par Laurent Chalumeau. Quand il me l’a envoyé, ça m’a tout de suite inspiré. Car c’est le genre de texte qu’on a envie de mettre en musique sans savoir qui va l’interpréter. De toute façon, je trouve qu’un texte doit être intéressant quelque soit l’interprète. Quand je lis le texte écrit par quelqu’un d’autre, je ne me demande pas si ça me correspond ou non. Ça doit aller au-delà de la personne. L’Homme idéal est un texte qui est fin, avec beaucoup d’humour.

LFB : Justement, il y a de l’ironie mais peut-être aussi une goutte de critique ?
BB : Oui, bien sûr, mais ce n’est pas non plus de l’imprécation. Chalumeau sait doser ses effets. Ces questions-là existent depuis longtemps. Je trouve que c’est bien de prendre un peu de champ par rapport à l’époque de ce point de vue là.

« Je pense qu’une chanson nous permet de dire ce qu’on n’arrive pas à dire. »

Bertrand Burgalat

LFB : Comme on parle de l’époque, il y a certains titres qui font la critique du capitalisme. On pense à Rêve Capital, ou à E Pericoloso Sporgersi avec ses allusions aux grandes villes et leurs KFC. Dénoncer au travers des textes est-il nécessaire pour vous ?
BB : Oui et non. Dénoncer non, je n’aime pas ce mot. En même temps, j’essaye de parler de l’époque dans laquelle on vit sans être trop frontal. Faire un disque d’indignation peut être très prétentieux, méprisant ou donneur de leçons, ce qui n’est pas forcément souhaitable. Même vis-à-vis de moi-même, je me méfie de faire des chansons d’imprécation, des chevaliers blancs.

LFB : Ne pas faire de politique en fin de compte.
BB : Pourquoi pas. Je pense que si on veut faire de la politique, on fait de la politique. En plus, j’ai la chance d’être impliqué dans la vie politique avec une association assez virulente, qui se frite avec les structures officielles. Tout ce que j’ai à dire : je le dis, sans avoir besoin de faire une chanson. Sur le diabète, j’ai fait un essai, j’y consacre beaucoup de temps. Et à travers le diabète, on peut parler de société. Je pense qu’une chanson nous permet de dire ce qu’on n’arrive pas à dire, dans un texte, dans un mail, dans une tribune, dans une conversation au téléphone. D’exprimer ce que ne l’on n’arrive pas à dire autrement. Par exemple, j’ai vu un documentaire sur la country musique qui expliquait que Dolly Parton étouffait avec un mari un peu pygmalion dont elle ne pouvait pas se séparer, alors elle a écrit une chanson pour le quitter. (Rires) Avec une chanson, elle est parvenue à lui dire toute ce qu’elle n’arrivait pas à lui dire normalement.

LFB : Est-ce que c’est aussi prendre de la hauteur ?
BB : Il faut aussi arriver à voir dans l’époque ce qui a de marquant, tout en faisant attention à ce qu’elle ne marque pas trop la chanson. Il faut arriver à filtrer l’époque. mais que le propos reste valide. Il y a des chansons qui restent, qui gardent des éléments d’époque que plus personne ne connaît. Quand Antoine dans Les élucubrations dit “Mettre Johnny à Medrano” plus personne ne sait qu’il y avait un cirque Medrano là où il y a le supermarché Casino en face de la Cigale ! (Rires) C’est des références qu’on a oubliées. Ou quand Dutronc parle de Catherine Langeais dans Et moi, et moi, et moi, c’était une speakerine de la télévision. On l’a oublié mais on n’a pas oublié la chanson.

« Faites bien attention à vos rêves ! Car vous risquez de les réaliser. »

Bertrand Burgalat

LFB : Aussi, quand je disais prendre de la hauteur je pensais au titre Du haut du 33ème étage.
BB : C’est marrant car vous avez choisi que l’on se retrouve à Levallois et celui qui a écrit ce poème est un ami d’enfance qui était Levalloisien. La chanson évoque le Concorde Lafayette qui nous fascinait. J’avais toujours rêvé d’en faire une chanson… C’est un titre vraiment Levalloisien !

LFB : C’est beau car je pensais que ce titre était sur le confinement. Donc il y a l’aspect intemporel qu’on évoquait.
BB : Tous les textes ont été écrits avant le confinement mais beaucoup paraissent prémonitoires. On aurait presque l’impression qu’ils ont été écrits pendant la période : Parallèles, Sans accolades, Vous êtes ici. Je pense que si on avait voulu faire un album sur le confinement, ça serait ce dont on avait parlé juste avant : très lourd. On risquerait d’être sentencieux. Ça montre qu’il y avait quelque chose de sous-jacent, déjà présent avant le covid. Je suis très heureux de cela, car c’est un album qui correspond très bien à cette époque alors qu’il a été fait un peu avant.

LFB : Est-ce que cette période de crise a été un moteur, un déclencheur de l’album ?
BB : Non. J’ai commencé à l’écrire il y a au moins deux ans. Puis pendant le confinement j’étais très occupé mais aussi moins déstabilisé car je ne faisais plus de concerts depuis longtemps. Ca a était beaucoup plus compliqué pour les artistes du label, comme Catastrophe et Chassol, qui avaient des dates de prévues.

LFB : Justement en parlant de Catastrophe, il y a plusieurs membres qui ont participer à la réalisation de cet album. Est-ce que c’est important pour vous de collaborer avec différents artistes ?
BB : Il y a Blandine et Pierre, Mathilde aussi qui a fait les voix, Carol qui a fait du montage vidéo, Bastien de la batterie sur certains morceaux, seul Paco n’a pas participé à l’album… J’aime les deux, il y a un côté très solitaire dans ce que je fais mais aussi très collectif. Quand il s’agit d’écrire un morceau, je travaille longtemps seul et en même temps, je travaille aussi avec les auteurs. En dehors de moi, il y a six auteurs sur l’album. C’est un grand plaisir. Puis, pour enregistrer, c’est un travail collectif et joyeux en studio. J’adore ça !

LFB : Même s’il y a plusieurs auteurs, l’album est bien travaillé puisqu’on ressent un fil conducteur.
BB : Chaque titre existe en lui-même mais complète les autres textes. L’idée c’est quand même de faire un album qui ait une cohérence, qui soit la photographie d’un certain moment. Je pense que cet album n’aurait pas été fait pareil dix ans avant ou dix ans après. Je voudrais qu’il soit le plus intemporel possible mais quand même temps il témoigne du moment où il a été fait.

LFB : Un peu à l’instar du titre de cet album « Rêve Capital » : où il y a le rêve qui est intemporel et capital qui est très lié à notre période.
BB : C’est un titre qui est ambigu et pour moi, c’est important. Ce que l’auteur a en tête ou ce que j’en pense, si l’auditeur entend autre chose, ça me va très bien. Je trouve qu’on ne doit pas trop donner le mode d’emploi d’une chanson. Parfois on est très surpris. J’ai fait des chansons très tristes qui n’étaient pas du tout perçues comme telle et vice versa. Ces malentendus ne sont pas des malentendus. Ca m’a frappé sur la chanson Rêve Capital qui est un texte et un clip de Blandine. J’avais certaines images en tête et si j’avais fait le clip il y aurait eu des images prévisibles de villes futuristes assez oppressantes, des images de science fiction. Mais ce qu’a fait Blandine est très différent. C’est beaucoup mieux car elle a réussi à faire à ne pas fermer la porte des interprétations. Chacun peut avoir ses propres images sur le clip et sur le texte.

LFB : C’est vrai qu’il y a la notion d’équilibre dans les chansons, qui sont ancrées dans la réalité et en même temps très légères, métaphysiques. Comment est-ce qu’on pourrait interpréter ce rêve capital ?
BB : Je me rends compte avec la sortie de l’album qu’une grande partie de l’énergie que je mets dans le studio est ce qui altère ce rêve. Quand on fait des rêves la nuit on entend une musique qui n’existe pas, qu’on imagine. J’entends des trucs merveilleux mais qui disparaissent en me réveillant. Et je me dis que si je les ai entendus, c’est qu’elles sont là, qu’elles existent. Pour moi le travail de la musique, c’est comme si ces chansons existaient déjà et qu’il fallait gratter les pierres pour enlever tout ce que les caches. Souvent je me demande, quel est le morceau que je voudrais faire. C’est aussi ce que je dis quand je travaille. Par exemple avec Catastrophe je leur demande fréquemment leurs intentions, pour comprendre ce qu’ils essayent d’exprimer et savoir s’ils ne sont pas en train de se tendre un piège. Je pense qu’on se met souvent des barrières mais comme partout dans la vie. Le travail en studio sert aussi à essayer de les faire reculer.

LFB : Est-ce que vous avez d’autres projets en ce moment ?
BB : Je me suis tellement débattu pour que les choses sortent donc j’ai l’impression d’avoir enfin une prise sur les choses. J’ai des projets de musique de films avec Marc Fitoussi (avec qui j’avais travaillé sur le film Les apparences) avec Elise Girard et Benoît Forgeard. Puis, il y a les articles que j’écris pour Technikart, mon engagement sur le diabète et sûrement un projet sur Khomeiny en France.

LFB : En attendant la concrétisation de ces projets, quelle réalisation de rêves pouvons-nous vous souhaiter ?

BB : Je ne pense pas avoir un vie rêvée car j’ai eu pas mal de galères. Mais je me rend compte aujourd’hui que la vie que je mène et celle que je rêvais gosse. Car je fais de la musique. Puis aussi, quand j’avais 6-7 ans j’imaginais l’an 2000 et je me disais que je ressemblerai à Jean-Pierre, l’acteur dans Ma sorcière bien aimée et ma femme ressemble à Ma sorcière bien-aimée, et ma belle-mère à la belle-mère de Ma sorcière bien aimée. (Rires) Donc j’aurais du faire attention à certains rêves. C’est là que nos rêves se réalisent mais ils se réalisent à des moments où ils n’ont plus d’importances. Je ne parle pas de celui la, mais d’autres. Souvent, ça fini par se réaliser mais il faudrait que ça se réalise quand c’est important. Je parle de beaucoup de choses, même dans la société. J’essaye de faire avancer les choses au niveau du diabète. Je suis sûr qu’on peut y arriver mais il ne faudrait pas qu’il y ait trop de morts d’ici là.

LFB : Mis à part ce combat – car il y a toujours une urgence en politique – c’est comme si dès qu’on oubliait le rêve ou dès qu’il devient évident : il se réalise.
BB : Oui, faites bien attention à vos rêves ! (Rires) car vous risquez de les réaliser. Il y a un super film que je vous conseille: : Bedazzled, en français Fantasme, de Stanley Donen. C’est une version swinging London de Faust. Le personnage principal rencontre le diable qui lui donne la réalisation de sept vœux, mais à chaque fois le diable les corrompt. Par exemple, il veut être un pop star alors il chante une chanson : Love me et les filles sont dingues de lui mais après le diable chante Leave me alone et les filles sont encore plus dingue de lui. Tout ‘est comme ça, à chaque fois le diable réalise son rêve et le rend impossible.

Pour que votre rêve capital se réalise, il suffit d’écouter le nouvel album de Bertrand Burgalat :

Photos : Céline Non que vous pouvez retrouvez sur Instagram et Facebook.

Merci à l’hôtel Boris V, pour leur accueil.