Alors que l’été est là et que les vacances arrivent à grands pas, on vous propose de voyager avec le groupe Ladaniva. Destination l’Arménie, en passant les Balkans et la Biélorussie avec une Lada Niva comme moyen de transport. Sur notre route, nous parlerons d’émotions, d’engagement ou encore de spiritualité.
La Face B : Vous êtes un groupe assez reconnu et confirmé avec les festivals Eurosonic, Europavox, Transmusical et la nomination au Inouïs du PDB – Félicitations ! – mais vous restez un jeune groupe, alors pour mieux faire connaissance : comment vous décririez-vous ?
Ladaniva : On est un groupe qui mélange les cultures musicales. Il y a beaucoup d’émotions dans notre musique, de joie de vivre !
LFB : Qu’est-ce qu’on retrouve dans ce mélange musical justement ?
Ladaniva : Il y a une forte influence orientale que Jaklin apporte avec son chant arménien. On va souvent à la Réunion donc il y a beaucoup d’influences de là-bas, comme le maloya, un peu de reggae aussi.
LFB : Est-ce que vous auriez des noms d’artistes à citer comme source d’inspiration ?
Ladaniva : On aime bien le travail de gens qui font une musique hybride entre l’actuel et le traditionnel, comme A-WA. On écoute de la musique vraiment très traditionnelle comme très actuelle.
LFB : C’est assez beau car on ressent pleins d’influences dans votre musique, comme celle d’un autre musicien d’origine arménienne qu’on aime beaucoup : Michel Legrand avec votre titre Tatikis. Avec cette mélodie, les violons, la mélancolie et la douceur de la nostalgie.
Ladaniva : Ce n’est pas la première fois qu’on ne le dit ! (rires) On nous a fait écouter un morceau qui ressemblait beaucoup, mais on n’a pas fait exprès.
LFB : Pour revenir aux influences premières, on vous a entendu reprendre Komitas, qui était un grand musicien et prêtre arménien. Est-ce qu’au fond, la musique est une forme de spiritualité ?
Louis : Si c’est sûr. Je suis vraiment touché par les musiques contemplatives, ou adressées au divin. Quand on était en Arménie, on s’est retrouvé dans une messe avec un chœur de femmes, qui se tenait dans un monastère. On a tous vécu un moment extraordinaire. C’était trop beau ! Puis, je pense que dans notre répertoire, il y a aussi cet aspect avec des musiques où on essaye d’être bien fin, de prendre le temps, alors que d’autres sont plus festives. Sur internet, c’est surtout ces dernières qui ont le plus de visibilité.
Jaklin : En faisant le kabaré à la Réunion (qui est une fête où l’on joue de la musique transe) ça m’est arrivé d’être complètement ivre de musique. C’est mon lien entre la spiritualité et la musique. Ou, comme disait Louis, les musiques dans les églises t’emportent sur une autre planète.
LFB : Une des chansons qui a pu vous faire connaître c’est Malika en duo avec Voyou. Du moins pour la nouvelle scène française.
Ladaniva : Pour le coup, ce n’est pas celle qui a le plus de vues. Avant ce titre, nos vues françaises représentaient un pourcent. Et puis on commençait déjà a avoir quelques médias français mais, c’est vrai qu’il y a plus de médias ou de pros qui nous ont connus en France avec cette chanson.
LFB : Je trouve que cette chanson fait un joli pont avec la question présente. Car il me semble que Malika est un peu un sorcière ou une chamane.
Jaklin : C’est le portrait d’une femme qu’on a rencontré à la Réunion qui vit dans une cabane avec des chats qui se baladent et pleins de plantes. Elle cuisine parfois des herbes. Elle fait aussi du surf et n’a pas peur des requins, c’est ce que je dis dans la chanson.
LFB : Tous vos titres sont en langues étrangères sauf Pourquoi t’as fait ça ? Justement, pour reprendre le titre, pourquoi vous avez fait ça – d’écrire en français ?
Louis : J’avais envie de m’essayer à l’écriture d’une chanson et je n’étais capable qu’en français.
LFB : C’est vrai que pour ceux qui veulent comprendre les paroles il y a quelque chose de frustrant dans le fait de ne pas les comprendre. Pourtant, on arrive à percevoir le sens avec la musique. Est-ce que vous pensez que la musique est un langage universel ?
Jaklin : J’avoue écouter beaucoup de musique sans faire attention aux paroles. Pour moi, la voix, les mélodies, la musique derrière peuvent me donner des émotions sans comprendre les paroles. Mais je reconnais que parfois, on a envie de comprendre. Du coup, j’essaye de traduire et d’expliquer le sens des chansons pendant les concerts. On fait toujours des sous-titres sous nos vidéos, j’ai même écrit le texte en alphabet latin pour pouvoir lire et chanter plus facilement.
Ladaniva
LFB : Le hasard fait parfois bien les choses sur cette question. Je pense au titre Oror qui en arménien signifie berceuse alors qu’en anglais ou en français on pense au mot horreur qui semble logique quand on connaît le sens de la chanson. Est-ce que vous nous l’expliquez ?
Jaklin : Je trouve que c’est le meilleur nom de morceau car il est universel. C’est un bon lien entre le sens en français et en arménien. Louis avait composé la musique en automne-hiver, au moment du conflit au Haut-Karabakh. Je sentais que je devais écrire quelque chose sur cette musique, car je la trouvais puissante. Donc, j’ai écrit le texte par rapport à mes ressentis : de la colère, de l’injustice et de l’impuissance.
Louise : Jaklin était assez dévastée, pour ses proches en Arménie. Mais, on voulait continuer à aller de l’avant. Sortir un titre festif à ce moment-là était impossible.
Jaklin : C’était un besoin, je ne pouvais pas avancer sans sortir cette chanson. On avait besoin de marquer cette période dans notre chemin de groupe.
LFB : Il y a un sentiment entre l’action et l’impuissance. Est-ce que si vous avez la possibilité, vous continuez à agir pour la cause arménienne ? Par exemple avec des collectes de dons.
Ladaniva : On a déjà fait ça, avec des fondations qui organisaient des concerts en ligne. Il y a quelque temps, on jouait un concert pour les orphelins en Arménie. Depuis le début, on est sur toutes les manifestations des Arméniens pour reconnaître le Haut-Karabakh. On se sent redevable de la communauté arménienne car c’est eux la base de notre visibilité.
Jaklin : J’ai grandi dans la communauté arménienne à Lille où je dansais et chantais. J’y est passée beaucoup de temps.
LFB : Même musicalement, le titre est marquant car il y a très peu de musique urbaine dans votre identité musicale.
Ladaniva : On se cherche encore musicalement. On essaye de savoir où on se place musicalement entre la tradition et la modernité. Mais, on écoute et on aime bien des artistes urbains, de trap. Simplement, on ne veut pas se perdre non plus dans une infinité de courants musicaux.
Louis : Dans ce morceau, le rythme n’est pas du tout du registre de la trap. Il est en six temps, alors que la trap est plus rapide. On a repris un rythme traditionnel arménien et on a mis des sonorités urbaines dessus. On est allés plus loin que certains artistes qui peuvent faire de la musique trap en rajoutant des instruments orientaux, comme des violons.
LFB : Comme on parlait un peu de hasards tout à l’heure. Il se trouve que parmi les inouïs du Printemps de Bourges, il y a Vikken ayant aussi des origines arméniennes et qui a fait une composition qui s’appelle Aghet (qui porte le nom d’une des appellations arméniennes du génocide : « catastrophe »). Pensez-vous que c’est l’un des rôles de la musique : dénoncer pour ne pas oublier et se souvenir ?
Jaklin : Je trouve que la musique est tellement large, tu peux exprimer tout ce que tu veux. Si tu as envie de t’engager ou de dénoncer quelque chose, tu le fais. Mais tu peux aussi rester dans quelque chose de léger, de féerique. Ca dépend des artistes, ce n’est pas une obligation.
Louis : Ce qu’on aime avant tout, c’est la musique, on n’est pas des politiciens, des historiens. Même si on est qu’au début du projet et que la petite notoriété qu’on commence à avoir est récente, on se rend compte que quand tu as une visibilité, tu peux avoir une influence.
Jaklin : Les gens veulent savoir les positions que tu prends dans ta vie : politique, même sexuelle.
Louis : Malgré nous, il y a quelque chose de politique, d’idéologique dans nos chansons. Quand on présente nos clips, on parle tout de suite du métissage avec l’Arménie. Alors que parfois Jaklin prend des poses qui ne sont pas convenables pour la tradition. C’est là qu’on se rend compte qu’on peut avoir un poids idéologique car des gens peuvent nous faire des reproches. Même si notre musique est bien reçue, avec de nombreux commentaires positifs, on a eu des critiques sur des sonorités trop arabisantes, des tenues qui ne seraient pas convenables.
Jaklin : « On voit trop les seins, on voit trop les jambes. » Ca reste un petit pourcentage.
LFB : Sur ce côté idéologique, on peut penser à l’Eurovision car il y a souvent un côté un peu politique à ce concours. Vous deviez y participer, pourquoi ce revirement ?
Louis : On n’était pas contre l’idée de le faire pour l’Arménie. C’est vraiment sur une mésentente artistique que l’on ne l’a pas fait.
Jaklin : Puis, il y avait des hésitations avec le conflit. C’était difficile pour l’Arménie mais au dernier moment, les organisateurs ont décidé de participer quand même. Or, nous n’étions pas d’accord car les chansons étaient très pop.
Louis : Pourtant, ça partait d’une de nos compositions. Ils nous avaient proposé des compositeurs mais on a refusé, car on voulait défendre nos morceaux. Au final, ils nous ont quand même proposé des arrangeurs pour remanier le morceau, le rendre plus pop.
Jaklin : Juste au denier moment, on venait de faire notre test PCR pour partir et ils nous ont posé un ultimatum : soit on faisait l’arrangement proposé soit on ne faisait pas l’Eurovision. On a décidé de ne pas le faire. Ils nous ont toute de même demander de retravailler ensemble l’année prochaine, on verra.
LFB : Avant de se quitter, qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite ?
Louis : Tout ce qui nous arrive est super cool, on n’en attendait pas autant. On est content de tout ce qui se passe.
Jaklin : Et on a beaucoup de concerts cet été, on enchaîne.
Louis : Cet automne, on va se mettre à travailler sur un album. Car on a pas mal de mélodies, de morceaux en cours. Pour essayer de sortir le disque au printemps prochain.
Illustration : Camille Scali