Pas besoin de titrer cette chronique avec plus de mots que le nom de l’artiste et celle du projet. Khali c’est surement une des têtes les plus intéressantes qui est en train de se développer dans la scène rap francophone et son album Laïla le confirme. Entre quête de la réussite et plongée au plus profond de ces émotions, le bordelais propose un projet personnel très intense.
Si Le Tournesol, son précédent EP, laissait entrevoir la sensibilité et l’univers musical oscillant entre des lignes de basses (808) percutantes et des mélodies aériennes de Khali, Laïla et le travail qui a été fait en amont assoit ces caractéristiques. Particulièrement bien peaufinées, ces dernières balisent les onze titres plongeant directement l’auditeur dans les émotions intenses du jeune artiste.
Un step a été passé par rapport à son premier projet et cela sonne comme une volonté de la part du bordelais qui commence le morceau Bienvenue avec cette phase :
Bienvenue, le tournesol est muerto mec mais j’ai toujours mal à l’estomac
Khali – Bienvenue
Raconter ses émotions, c’est une des fonctions premières de la musique. Si certains décident de le faire en surface, d’autres n’ont pas peur de se livrer intimement sur leurs disques. Dès Couleurs, Khali montre clairement qu’il fait partie de la seconde école, se questionnant lui-même sur sa manière de se livrer en musique : « Khali c’est quoi cette voix que tu prends quand tu nous exprimes ta douleur ?« . Alors certes nombres de grands albums ont été écrits dans les moments les plus sombres de leurs auteurs, mais ce n’est pas à glorifier loin de là. Si se confronter à eux-mêmes et surtout à leurs démons à pu créer de la musique aussi prenante c’est surement parce qu’ils ont su mettre des mots sur des maux souvent inexplicables. La musique permet cette universalité et Laïla ne déroge pas à la règle. En racontant un patchwork de moments difficile qu’il a pu vivre, Khali permet à tout un chacun de se sortir accompagné et compris dans la difficulté.
Dès cette introduction, on ressent que la douleur et les démons de l’artiste vont être omniprésent dans le projet mais également, à l’instar de la couverture qu’une partie colorée viendra contraster le tableau grisonnant. Ce faisceau de lumière est alimenté par la dalle et l’envie de réussir qui suit Khali depuis « l’époque des stickers Panini« . Bref, une introduction qui prend directement aux tripes et annonce la/les couleur(s) du projet.
Empreint de sincérité et de profondeur, Khali va chercher toutes les émotions le composant, invitant son public à l’accompagner dans un patchwork de moments de vie composant la personne qu’il est actuellement. C’est comme ça qu’il arrive à installer une réelle empathie pour son vécu raconté en véhiculant une palette d’émotions impressionnantes. Il est difficile de rester indifférent à l’écoute du projet surtout au vue du travail d’équipe minutieux se cachant derrière ces onze titres leur donnant une cohérence musicale aidant le projet à être digeste en installant une réelle ambiance. Celle-ci vient appuyer la dualité présente sur la cover réalisée par l’artiste Antonio J. Ainscough. Effectivement, tout au long du projet, l’artiste va naviguer entre des instrumentales plus lumineuses comme sur D&G ou sur l’unique collaboration du projet avec Chanceko, Sirènes mais aussi d’autres plus sombres comme sur La Toile.
La connexion avec le rappeur du 77 apporte un peu de légèreté non négligeable au projet. Elle s’envolera vite en laissant la place à l’interlude, Tire, laissant Khali finir le projet en solitaire. Cette interlude est symptomatique d’une autre dualité présente tout au long de Laïla, celle qui parasite ses émotions. En effet, en se livrant sur ses états d’âmes, il montre aussi qu’il n’arrive pas toujours à se positionner sur ce qu’il ressent, laissant s’entrechoquer des émotions à l’opposée les unes des autres.
J’te déteste
Je t’aime, du coup j’pense à te jeter
T’es une personne si incroyable
Khali – Tire (Interlude)
Plus que de relater sa douleur, Khali l’a vomi, l’expulse comme l’appuye certains ad-libs. Une manière de montrer que c’est derrière lui et qu’il entrevoit petit à petit un rayon d’espoir au travers de sa musique et de ceux qui l’a font vivre. Imprégné de ses démons, il semble les avoir assimiler pour devenir la meilleure version de lui-même.
Que ce soit les relations amoureuses, ses origines marocaines, son arrivé en France, sa famille, chaque thème est abordé avec profondeur et finesse sur des instrumentales ancrant encore plus toute la sensibilité étalée par l’artiste qui nous plonge dans toutes ses années qui l’ont forgé à faire ce disque.
Sans avoir donné une seule interview, il a réussi à doubler ses audiences, prouvant que l’authenticité et la recherche de qualité primeront toujours sur une promo calibrée dans les médias.
Le noir du désespoir vire progressivement vers le vert de l’espoir à l’écoute de l’album. Les leçons et traumas du passé ont été assimilés et ont construit la personne qui vient de livrer Laïla, une des sorties les plus intéressantes que le rap francophone a pondu cette année. Entre les déceptions du passé et son envie de réussir, Khali se rapproche doucement mais surement de la seconde option, en espérant pour lui que le deuil de ses démons a été fait sur cette première pierre angulaire d’une carrière qui ne fait que de commencer. La parole est laissée à l’intéressé pour clôturer :
On n’a pas le choix mec, bien sûr qu’on est bon
Bien sûr qu’on est pas si con qu’ça même si on en a l’air
Ça fait 20 ans que j’suis condamné à vivre une vie morose, à voir des gens pas nets
Khali – Bonbon