CORPS : « Malgré les claques que l’on se prend, on finit toujours par retomber dans l’amour »

Auparavant entouré d’une aura mystérieuse, CORPS a passé un cap avec son premier album CARNIVORE. Un album dans lequel il dissèque aussi bien l’amour que l’humanité, alternant entre la claque et la caresse. On a eu plaisir à la rencontrer à nouveau pour parler de l’évolution du projet, de live et surtout d’amour.

crédit : Inès Ziouane

LFB : Salut CORPS. La dernière fois qu’on a discuté, tu parlais d’un second EP avant d’aller à l’album et je me demandais en quoi les dix-huit derniers mois avaient bouleversé tes plans ?

CORPS : Je me suis dit que le format de l’EP, je l’avais déjà utilisée A CORPS… J’avais un peu plus de choses à raconter, un peu plus de matière et donc l’album était un format qui me convenait bien parce que c’est plus long, forcément. Il y a plus moyen de s’exprimer et je voulais vraiment faire comme une sorte d’histoire. Ça me paraissait plus cohérent d’avoir un long format pour m’exprimer.

LFB : Du coup, tu avais à ce moment-là sorti SUR L’AUTOROUTE, qui semblait un peu sur la même lignée que le premier EP. Finalement, ce qui n’est pas du tout le cas avec CARNIVORE en fait.

CORPS : Oui justement. Quand je pensais à l’EP à l’époque de SUR L’AUTOROUTE, je me suis rendu compte que ce morceau allait faire la transition entre les deux sorties.

LFB : Et puis finalement non ?

CORPS : Et puis finalement non. Enfin si, il a fait la transition intermédiaire disons. Parce que finalement SUR L’AUTOROUTE est un peu différent du premier EP et il est un peu différent aussi de l’album. Il y a cette idée de chemin, d’avancer dans la vie… cet espèce de chemin sur un bord d’autoroute pour aller je ne sais où. SUR L’AUTOROUTE, c’est un morceau que j’ai écris en fin de soirée, en rentrant sur la rocade et voilà, c’était peut être que j’étais en train d’aller vers cet album. Et finalement, j’y suis allé.

LFB : Juste avant de sortir le premier single de l’album, tu as sorti une reprise de Joe Dassin. Cette reprise EST hyper intéressante parce que je trouve que, que ce soit dans l’esthétique, dans les couleurs et même dans la thématique de la chanson et la façon dont tu la reprends, il y a un peu tous les indices de ce que va être CARNIVORE.

CORPS : L’exercice de la reprise, c’est un truc que je n’avais jamais fait. Je n’y tenais pas forcément. C’est plus que j’aime beaucoup ce morceau en fait. C’est un morceau que j’ai écouté à une époque où ça m’arrivait de le mettre dix fois à la suite. Il y a un côté dramatique et je trouvais qu’il correspondait vraiment au thème de mon album. Donc c’est une sortie de chanson d’amour mais aussi un peu dramatique dans la mélodie, l’interprétation. C’était un peu une bouteille lancée à la mer, enfin une sorte d’indice sur ce qu’allait être le thème de l’album.

LFB : Même dans le visuel, au-delà de la thématique de l’amour, tu retrouves le rouge, le noir, la bouche, l’interprétation très théâtralisée. Il y avait vraiment tout un tas de petits cailloux qui semblaient faits pour amener vers CARNIVORE.

CORPS : Ouais c’est totalement ça. Une sorte de petite introduction et autant au niveau du visuel que de la musique. Après, l’interprétation peut être un peu différente des autres morceaux de l’album mais on pourrait la rapprocher d’INGENUE sur la façon de chanter un peu. Je me suis dit pourquoi pas essayer ça.

LFB : Donc on en vient INGENUE. Si je te dis que pour moi, ce morceau que tu as choisi comme premier single et premier clip, c’est complètement une fausse route vers de l’album, est-ce que c’est quelque chose avec laquelle tu es d’accord ?

CORPS : Totalement. C’était un peu pour prendre à contrepied les gens et leur dire « regardez, maintenant je fais de la pop ». Il est très pop ce morceau, il est très positif aussi. Il parle de l’amour dans un aspect très positif et pour moi c’est la fin, c’est l’amour positif, l’amour entier.
C’est ce qui correspond plus à mon état d’aujourd’hui, je voulais le mettre au début. Effectivement, il y a cette idée de fausse piste qui est intéressante d’utiliser. De toute façon, dans cet album, il y a tellement de styles différents que je ne pouvais pas rester dans un seul et même style musical. Ça me paraissait plus cohérent de le mettre en premier.

LFB : Est-ce que ça te faisait marrer finalement d’introduire un album comme un conte de fée alors qu’au final, tu nous fais basculer dans un film d’horreur ?

CORPS : Ouais c’est totalement ça. Il y a du second degré aussi dans l’album. Et le jeu de piste, je trouve ça marrant, de bousculer un peu les gens et de leur montrer que c’est ça maintenant et qu’en fait, c’est pas vraiment ça quoi. Ça veut dire qu’il y a tellement de lectures différentes de l’album que n’importe quel morceau que j’aurais mis en premier aurait été différent du reste quoi qu’il arrive. Parce que chaque morceau est quand même assez différente.

LFB : C’était vraiment acté dans le morceau aussi parce que les dernières 30 secondes, tu sens un peu ce basculement et ce changement de ton.

CORPS : Ouais, il y a un côté downtempo à la fin. Tout part un peu en couilles. Ça se ralentit, il y a les voix qui deviennent caverneuses un peu. Ça amorce un peu la suite de l’album.

LFB : Avec ce premier titre et le clip, ça a été un peu l’officialisation de la « tête de CORPS ». Comment tu l’as envisagé cette étape là ? Parce que ce n’était pas quelque chose finalement que tu avais prévu ou que tu te voyais faire. Qu’est-ce qui a fait la bascule sur l’idée de personnifier ce projet ?

CORPS : En fait, l’album est tellement personnel que je ne me voyais pas me cacher derrière des visuels tout comme je l’avais fait dans le premier EP qui était plus abstrait, plus poétique.
Là je me suis dit que c’était évident qu’il fallait qu’on voit ma tête. La voix est tellement présente aussi par rapport à ce que j’avais fait auparavant que c’était essentiel d’avoir un visage.

Et puis dans le premier EP, je jouais beaucoup aussi avec le fait qu’on ne savait pas si on était plusieurs. Je voulais entretenir un peu ce mystère. Là, c’était évident qu’il fallait que ce soit moi, ma tête et voilà. La voix était tellement présente que je me sentais obligé. Et puis en plus, il y avait eu des photos de concerts entre temps donc voilà, je ne suis pas Daft Punk, je ne voulais pas passer mon temps à essayer de me cacher derrière un masque. Ça me paraissait évident de me montrer.

LFB : Tu parles de l’omniprésence de la voix dans l’album et dans la musique. Je trouve que ça amène à un truc qui est pour moi très important dans l’album : le côté théâtral. La façon dont tu chantes est une des principales évolutions par rapport à ce que tu avais fait auparavant.

CORPS : Oui, effectivement. Comme il y a énormément de textes sur cet album, je pense que j’articule plus aussi. Il y a un côté théâtral aussi évident parce que je parle de situations qui peuvent être… Il y a un côté mise en scène, ça c’est clair. Et il passe aussi dans la voix. Il y a différentes façons de chanter que j’utilise aussi dans l’album, en fonction des morceaux, des thèmes… Il y a du rap, du rock, de la chanson française. Le fil conducteur, c’est la voix qui reste la même parce que c’est ma voix grave qu’on peut reconnaître mais j’utilise différentes façons de m’exprimer.

LFB : Par exemple, un titre comme MORT qui clôture l’album, je pense que c’est un truc que tu ne peux pas chanter au premier degré. Tu sens qu’il y a un décalage qui est obligatoire pour que l’émotion et que le morceau puisse atteindre la personne qui l’écoute.

CORPS : Oui c’est ça. Sur le morceau MORT, pour le coup, il y a plusieurs voix qui sont un peu sur-jouées, qui ne sont pas lyriques mais un peu théâtrales. On pourrait presque parler d’une comédie dramatique, plus dramatique que comédie. Mais il y a encore une fois cet aspect, je voulais aussi ne pas désacraliser, mais… Il y a une lourdeur, un côté très pesant dans l’album. Et je crois que c’est bien aussi, en utilisant un peu de second degré, d’atténuer un peu ça. Parce que je ne voulais pas non plus rentrer dans le pathos et dire « regardez, ça ne va pas bien ».
Je voulais aussi qu’on puisse l’interpréter d’une manière un peu plus « légère ».

LFB : Ouais, limite ça fait entre le mec bourré qui gueule en bas de la rue ou de l’opéra rapé un peu. Un truc trop intense pour être réaliste en fait.Tu multiplies les ambiances et tu multiplies aussi les points de vue et les interprétations en fait. C’est-à-dire que sur chaque morceau, ça peut être le même personnage comme ça peut être une personne différente. Et ça se ressent dans la façon dont c’est chanté.

CORPS : J’incarne plusieurs personnages. c’est quasiment toujours à la première personne parce que je pense que c’est bien d’assumer aussi, de te mettre dans la peau de personnages. Après c’est pas pour autant que tout ce que je dis me représente.

Par exemple, dans le morceau DÉFONCÉ, je parle à la première personne mais ça concerne énormément de personnes différentes justement. Je trouve ça intéressant de personnifier toutes ces actions, ces faits divers négatifs aussi et de les assumer à la première personne. Parce que je suis un Homme et je parle de l’Homme dans tout ce qu’il a de pire, souvent, et je trouvais ça important de le dire à la première personne et de pas dénoncer des choses en disant « lui il a fait ci, c’est mal ». Je m’inclus dedans parce qu’on est des humains et je parle de l’humain dans ce qu’il a de pire parfois.

LFB : Ce qui est intéressant, c’est que tu ne recherches pas le manichéisme. C’est-à-dire que les thèmes que tu emploies et qui sont dans l’album, que ce soit l’amour, la dépression d’une personne qui n’a pas vécu sa vie et qui se retrouve à 50 ballets avec 3 gosses, une femme et un break et qui ne sait pas quoi foutre. Tout ça, tu refuses justement de dire que soit tout est blanc, soit tout est noir. Tu vas dans la zone grise en disant, en moins extrême, qu’on peut tous se reconnaître.

CORPS : Ça correspond aussi un peu à ma personnalité aussi. Je pense que j’ai tendance à toujours peser le pour et le contre et à voir de l’obscurité partout mais aussi de la lumière. Tout n’est jamais tout noir ou tout blanc.

LFB : Tout ça va de pair avec une évolution de ton écriture. Avant, tu utilisais vachement les mots de manière très hachée, poétique les répétitions qu’on retrouve aussi sur DÉFONCÉ, sur COEUR… Mais je trouve que tu as beaucoup plus de morceaux qui sont structurés, avec plus de story-telling en fait.

CORPS : Globalement, je suis allé dans des structures plus simples aussi. Avant, il y avait moins de couplets/refrains. Il pouvait y avoir 5/6 passages différents dans mes morceaux. Là, j’ai essayé d’utiliser des structures plus simples et surtout de simplifier aussi mon écriture dans quelque chose de beaucoup plus frontal. Même avec l’utilisation de mots moins « savants », d’aller plus droit au but et de simplifier cette écriture pour qu’elle puisse être compréhensible par tout le monde. Moins poétique mais plus frontal, plus agressive. L’album s’appelle CARNIVORE et chaque titre, il y a qu’un seul mot, je voulais vraiment quelque chose de très direct. Même la pochette, c’est rouge, c’est noir, c’est une grosse bouche avec des dents. C’est direct quoi.

LFB : Finalement, la brutalité que tu pouvais avoir dans le son auparavant, tu la retrouves dans les mots, sur des chansons qui sont un peu plus downtempo, le texte fait ressortir le contraste. Je pense à BEAU par exemple.

CORPS : Oui, il y a plus d’histoire effectivement aussi. Par exemple, BEAU ou CRASH, c’est vraiment des histoires. BEAU, ça parle du monde du travail en fait, que les gens qui sont enfermés dans des bureaux, je me demande s’ils ne sont pas un peu masochistes et je parle aussi un peu du patronat, du patriarcat aussi et de cet aspect sadique aussi que certains hommes ou certains patrons peuvent avoir. Je parle aussi de pervers narcissique ou de gens qui ont une emprise psychologique, psychique sur certaines personnes. Je me place en espèce de gourou manipulateur dans ce morceau.

LFB : En sous-entendant aux gens qu’il faut accepter leur propre peur anormalité alors que c’est juste un moyen pour lui de penser qu’il est comme tout le monde en fait.

CORPS : Oui, il y a ce côté là. Il y a ce côté aussi pas mouton mais il y a un côté où on est tous d’une certaine manière enfermés dans un système, que ce soit politique ou un système du salarié, c’est même valable je pense dans certains groupe d’un point de vue de l’amitié, de l’amour. On a tous été manipulés plus ou moins un jour et j’en parle dans ce morceau.

LFB : Pour revenir au thème « central » de l’album, est-ce que tu penses que l’amour est un sentiment carnivore ?

CORPS : Oui parce que des fois, on se fait avaler. J’en parle dans le morceau CARNIVORE justement. Si j’ai utilisé ce terme c’était déjà pour de la provoc’. Parce qu’aujourd’hui, l’homme carnivore est mal vu dans le sens premier du terme. Alors moi, je n’en parle pas forcément. Je parle aussi beaucoup de la société de consommation, etc. Pour moi, ça représente aussi être avalé par quelqu’un, manger quelqu’un dans le sens plus figuré, plus abstrait. Et ouais, des fois, on se fait un peu avaler dans une relation. Il y a aussi l’aspect charnel : avaler quelqu’un, être en quelqu’un, se faire avaler par quelqu’un. Il y a aussi l’aspect sexuel que peut vouloir dire ce terme.

LFB : Ça rejoint ce qu’on disait tout à l’heure par rapport à la pochette de l’album. Parce que finalement l’humain est un produit de consommation comme un autre désormais. Pour moi, la pochette je la vois comme ça.

CORPS : Il y a différents aspects dans cette pochette. Il y a un film plastique qui recouvre la bouche. Donc il y a ce côté produit. Il y a aussi ce côté enfermé derrière un plastique, ce côté un peu prisonnier. Il y a le côté la bouche ouverte comme ça, agressive. Et il y a le côté viande aussi. La viande sous un blister quoi.

LFB : Justement, ça rejoint finalement toutes les thématiques que tu traites dans l’album. Ce que je disais dans la chronique, c’est-à-dire que l’amour c’est un peu l’émotion la plus facile à traiter dans une chanson mais la plus compliquée à traiter correctement.

CORPS : Oui c’est un terme où il n’y a quasiment pas un seul artiste qui ne fait pas de chanson d’amour. C’est un thème totalement universel. Après, oui il y a des thématiques souvent où c’est l’amour platonique, la rupture. Moi j’ai essayé de creuser un peu dans tout ce qui peut y avoir de collatéral aussi. Et puis d’aller un peu dans les bas-fonds de l’amour, et pas me contenter de dire je t’aime ou je ne t’aime plus.

LFB : C’est ça. Je trouve que la façon dont tu le traites, ça élargit le spectre par rapport à ce que beaucoup de personnes ont pu faire récemment. On reste sur cette idée de manichéisme, c’est je vais, tout va bien ou je ne vais pas bien, je pleure. Alors que toi, c’est un peu plus sinueux.

CORPS : Ouais, parce que même dans une même chanson, ça peut être un moment dramatique et après je parle de quelque chose de plus sensuel dans le couplet d’après. C’est des vagues. C’est des va et des vient. C’est ça l’amour. C’est des sensations fortes, c’est le bonheur, c’est la tristesse et tout ça peut se passer en une seule journée. C’est pour ça que dans un seul et même morceau, il peut y avoir des aspects positifs comme des aspects négatifs. La lumière ou l’ombre quoi.

LFB : D’ailleurs, cette idée de vague, on la retrouve vachement dans la manière dont la tracklist est agencée. Je trouve que l’album alterne vachement entre un morceau hyper doux / accueillant et un morceau beaucoup plus brutal. Genre la claque et la caresse sur dix ou onze chansons.

CORPS : C’était vraiment volontaire de répartir les intensités. Je ne voulais pas mettre d’un côté toutes les chansons plus douces et de l’autre côté tous les trucs plus violents. Souvent il y a des gens qui font ça dans leurs albums. C’est-à-dire que les 4-5 morceaux les plus entraînants et les plus dansants sont en premier et après on met tout à la fin le reste. Pour moi, il n’y a pas de reste possible. Je voulais pouvoir avoir une histoire à raconter, un cheminement et c’est ça, c’est des claques. Et on se relève et on tombe quoi. Il y a ce côté là : je me suis fait mal mais je me relève quand même. C’est de ça dont je parle aussi dans cet album. Malgré les claques qu’on se prend, on finit toujours par y retomber. C’est un peu le thème de Coeur.

LFB : Finalement, dans sa structure, ça fait un peu penser à Irréversible de Noé. Lui a fait l’inverse, il est parti sur l’horreur qui te rend le basculement vers l’amour à la fin beaucoup plus douloureux. Et toi, tu fais pareil. Tu pars sur quelque chose, ton état d’esprit actuel, et tu retournes vers des choses que tu as pu ressentir auparavant.

CORPS : Ouais totalement. Mais je pense qu’on doit avoir certains points communs avec Gaspard Noé. Moi, j’adorerais faire une musique pour un de ses films. Irréversible, c’est un film qui a été improvisé. C’est un film sans scénario à la base. Il y a ce côté avec cette caméra qui te donne envie de vomir pendant tout le long. Il y a des jonctions entre chaque épisodes du film. C’est un film extrêmement dur à regarder.

LFB : Il y a une tagline qui limite pourrait reprendre sur ton album. Le temps détruit tout, c’est un peu…

CORPS : Oui et puis il y a le passage dans le club, le rectum. Je pourrais en avoir fait la musique, là ça aurait été marrant.

LFB : Pour revenir sur la musique, il y a quand même une énorme évolution d’un point de vue sonore je trouve. Avant tu étais sur quelque chose de beaucoup plus minimaliste et très électronique. Et là, il y a des influences un peu plus hip hop, rock…

CORPS : C’est un peu plus orchestré.

LFB : Ouais. Qu’est-ce qui t’a donné envie de « quitter » ça ? C’est un peu un serpent qui fait sa mue mais tu es partie sur quelque chose de plus chaleureux.

CORPS : C’est un peu moins froid sur certains morceaux effectivement. Il y a plusieurs influences aussi. Il y a des influences un peu 70s’, il y a du rap, de l’électro, du rock. J’avais envie de donner une couleur différente à chaque morceau et dans le premier EP, il y avait ce minimalisme parce qu’aussi, il y avait beaucoup de phrases longues et je voulais faire quelque chose de volontairement assez simple.

Là, je voulais aussi exprimer plus de mélodie. Qu’on ait plus d’univers. Effectivement, il y a beaucoup de cordes aussi. Il y a ce côté dramatique des cordes. Il y a une basse. Il y a de la vraie basse sur quasiment tous les morceaux. Je voulais aller un peu plus loin et ne pas faire la même chose. Je ne voulais surtout pas faire un EP bis. Finalement, ça vient de manière assez spontanée et je ne me suis pas dit que j’allais donné une couleur à cet album. A chaque fois que je recommençais un morceau, je partais sur un style différent. Et il y avait l’envie aussi de jouer un peu plus d’instrument et un peu moins de synthé.

LFB : Toi qui est très dans la représentation physique, corporelle sur scène. Comment tu l’imagines cet album sur scène ?

CORPS : À la base, on était deux avec Gabriel qui m’a suivi dès le début. Et pour cet album, j’aimerais qu’on soit trois, qu’on ait un bassiste en plus. Et moi, pouvoir plus lâcher l’instrument, m’exprimer plus avec uniquement la voix, pouvoir bouger plus. Même le must serait d’avoir un guitariste et jouer plus pour pouvoir emmener les morceaux un peu plus loin, pouvoir les rallonger, pouvoir improviser peut être aussi de temps en temps. C’est en préparation.

LFB : J’ai des questions un peu en dehors de l’album pour après. J’aimerais bien parler avec toi d’ANTICORPS qui pour moi est juste le gros tube. En savoir un peu plus sur l’histoire de cette chanson qui peut avoir plein de significations et qui en même temps a quelque chose de très « reptilien » parce que ça attaque. L’envoi de dopamine, le truc très jouissif dans son refrain.

CORPS : Pour rien te cacher, je rêvais à la base de le faire avec Rebecca Warrior. Et je lui avais envoyé à l’époque mais elle était très occupée donc on est jamais allé plus loin. Et je n’avais quasiment pas écrit de parole à la base, c’était vraiment… Il y avait le anticorps qui se répétait tout le temps et j’imaginais qu’on racontait plein de saloperies en fait, vraiment que ça soit… C’est un morceau un peu déversoir, on déverse un peu toute la haine. Et puis des insultes gratuites. Je voulais quelque chose qui soit gratuit. J’ai écrit de manière très rapide ce morceau parce qu’en fait c’est des petites phrases mises bout à bout.

Et je me suis rendu compte que ce morceau allait traiter un peu de plein choses. Il allait traiter déjà du culte du corps, de la censure : la censure sur internet, etc. Je me suis fait censurer pas mal de clips. Il y a ce côté là, où on a plus le droit de montrer rien, de montrer son corps sur internet, plus le droit de montrer des tétons, etc. Je voulais parler aussi de la critique que certaines femmes subissent sur internet, beaucoup de femmes surtout, notamment des femmes qui se montrent (des modèles vivants) ou des travailleuses du sexe aussi. Le harcèlement, l’acharnement.

crédit : Inès Ziouane

Mais je voulais aller un peu plus loin et je parle aussi de gens qui sont à la rue, je parle de l’alcoolisme, de gens qui critiquent tout le monde, des haters sur internet. Ça va super loin en fait à ce niveau-là, ça tape un peu sur tout le monde et il y a énormément de second degré aussi. C’est un peu ça les anticorps dont je parle dans ce morceau. C’est tout ce qui ne respecte pas les autres. C’est l’irrespect, le harcèlement de rue, le harcèlement que les enfants peuvent aussi s’infliger les uns avec les autres. C’est un morceau qui parle de harcèlement globalement.

LFB : Pour finir sur l’album et aux vues des thématiques que tu traites, du cynisme de certains morceaux. Est-ce que tu peux comprendre que ta musique puisse rebuter certaines personnes ?

CORPS : Oui totalement. Je l’ai su dès le début dans ce projet, dès qu’on a commencé à faire des concerts parce que je voyais qu’il y avait des gens médusés dans le public. Je l’ai accepté parce qu’il y a un côté un peu exubérant dans ma musique, dans mes textes et dans mon attitude aussi sur scène. On a eu certaines critiques de concerts où on s’est fait allumé. Je ne sais plus ce que c’était le terme à l’époque : bobo parisien qui n’a jamais connu de souffrance ou je ne sais pas quoi.

Et j’en joue aussi… C’est un projet que soit les gens adorent, soit ils le détestent. Il y a un côté tranché que je suis obligé d’assumer dans ma musique parce que les textes le veulent aussi. Ouais j’aime bien jouer avec ça parce qu’en fait on ne peut jamais plaire à tout le monde. Ce style de musique que je fais est forcément clivant et ça me plaît aussi parce que je serai incapable de faire quelque chose qui puisse brosser tout le monde dans le sens du poil. Ce n’est pas du tout l’idée de ce projet. L’idée c’est un peu de provoquer les gens et pourquoi pas les faire réfléchir, les interroger et ça passe par les textes, par la musique, par l’attitude et tout ça, je comprends totalement que ça puisse horripiler les gens.

LFB : On parlait de censure tout à l’heure. Ça fait quoi d’avoir des clips que les gens n’ont pas le droit de voir ?

CORPS : C’est un peu rageant parce que je pensais qu’on pourrait, au fil tu temps… La censure, il y en a eu énormément dans le siècle passé et internet a réussi à un moment aussi à… On a eu accès à un contenu qui aurait pu être illégal à l’époque et qui est maintenant disponible partout. Sauf qu’en fait l’avènement des géants d’internet a lissé un peu tout le contenu et justement c’est un vrai retour en arrière à ce niveau-là. Aujourd’hui, la censure est encore pire sur internet. Elle est de pire en pire. C’est-à-dire que maintenant, même le gouvernement veut aussi avoir son mot à dire sur les contenus et la liberté sur internet est bafouée en permanence.

LFB : Ça en dit beaucoup de la société aussi. Du fait qu’on refuse un clip avec des tétons mais qu’on laisse des mecs dans des clips avec des kalachnikovs ou de l’hyper-violence.

CORPS : Bien sur et encore une fois, elle provient un peu du puritanisme américain. Enfin, tous ces grands groupes sont américains. La mondialisation, l’américanisation… Je ne reproche pas vraiment ça parce que la mondialisation a eu des aspects positifs mais ouais je trouve que c’est un peu rageant qu’on ne puisse pas exprimer l’érotisme alors que tout le monde a accès à de la pornographie sur internet. Les enfants y accèdent très très tôt. Je ne suis pas forcément pour, sauf que les faits sont là et tout le monde peut avoir accès à des choses très violentes sur internet. Mais on nous supprime quand même nos clips pour un peu de nudité, des tétons, des choses érotisantes alors qu’on a accès à des choses beaucoup plus violentes, de manière aussi aisée.

LFB : De manière quotidienne aussi. Si tu regardes un peu la télévision, tu passes dix minutes sur une chaine d’info, c’est d’une violence irréelle. Ça, on te l’autorise sous prétexte de la liberté d’expression et il y a vraiment un ambivalence qui est assez phénoménale.

CORPS : Oui, c’est ça. La liberté d’expression à quel prix ? C’est le monopole de certains grands groupes qui imposent leurs propres règles. Et en tant qu’artiste, on est un peu obligé finalement de s’y conformer. Effectivement, tout le monde a aujourd’hui envie d’avoir des vues sur ses clips, d’avoir des streams. C’est ce que je dénonce aussi dans mon album. Dans le morceau DÉFONCÉ, je dis « j’ai oublié de vivre pour tenter d’exister », il y a ce côté là aussi un peu de devoir se façonner dans le moule de la société. C’est à cause de ce genre de choses aussi que la morceau est aussi dans la mode, dans quelque chose de très lisse aussi. On fait un peu tous la même chose parce qu’on a vu que ça marchait, qu’il y avait des streams, etc. Ça manque un peu d’honnêteté, de sincérité, de spontanéité.

LFB : J’ai une dernière question. Est-ce que tu as des coups de coeur récents à partager avec nous ?

CORPS : Le dernier album de Mansfield Tya par exemple. La chanson Ni morte ni connue notamment. J’ai adoré.

Retrouvez notre chronique de CARNIVORE ici

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