2021 est certainement l’année de Jaromil Sabor. Loin de son intimiste « The Sound Inside » du début d’année, le compositeur bordelais renoue avec l’essence même de la pop. Secret et légèrement confidentiel, il a toujours démontré une déconcertante facilité à l’heure de livrer des compositions enivrantes. Pour varier les plaisirs, Mount Vision donne une image bien plus nuancée et bigarrée de l’artiste. Cet été, un voyage inespéré s’ouvre à nous…dès l’ouverture du disque.
Depuis bientôt une dizaine d’années, en bon Don Quichotte de la recherche d’une aventure musicale insolite, Jaromil Sabor porte la force de l’imagination et la tendresse d’une créativité qui se moquent bien des tendances et des insipides modes. Gravitant à Bordeaux, nulle doute que Loik Maille, au centre de ce projet, vient grossir les rangs d’une scène bordelaise influencée par la tradition pop. Dernièrement, Arthur Satan pourrait en être également son fer de lance. La capitale girondine livre ici tous ses beaux atouts.
Si nous connaissons son point de départ, qu’en est-il réellement de ses différents périples musicaux?
Pour comprendre tout ce chemin parcouru, Jaromil Sabor, lui-même, restitue de soyeux comptes-rendus. Surfant sur de nombreux styles toujours en suivant le même cahier des charges, il aime le travail artisanal. Au-delà de l’aspect purement lo-fi, c’est aussi à l’intimité de sa quête que le compositeur a toujours voulu goûter. Si à ses débuts, dans « Marmelade Sculpture », son univers poétique se tournait volontiers vers le folk, il a su progressivement et patiemment diversifier son jeu. S’était-il mis en tête d’explorer toutes les facettes possibles de la pop?
Dans III, il délaisse la quiétude pour des compositions bien plus électriques. Sur Second Science, il se laisse aller à des saillis « nineties ». Dès les premiers mois de 2021, avec The Sun Inside, Jaromil Sabor propose une réflexion tout aussi spontanée que folk, une sorte de retour aux fondamentaux nécessaire avant d’aboutir pendant cet été à une œuvre magistrale dont sa conception s’est étirée sur trois ans.
L’ambiance estivale nous incite, plus que jamais, à savourer ce disque lumineux. La pochette participe de cette chaleur retrouvée. Tout est alors réuni pour que Mount Vision soit le climax de l’aventure.
Avant les premier pas, l’auditeur découvre un tarot divinatoire en ouvrant la pochette. Le voyage sera-t-il aidé par des forces mystérieuses? Ce cadeau original précipite l’idée que sa musique peut être constamment interprétée selon les cartes trouvées…ou nos propres sensations.
Dès les premières mesures de On my mind, on devine aisément que la route va être délicieusement sinueuse. L’histoire s’installe avec ce titre accrocheur. Les références et les nuances « sixties » sont cette fois-ci utilisées pour décrire un relief plaisant et coloré. Jaromil Sabor en a fait son single de référence et l’a mis en images en reprenant des scènes du film Le Baron de Crac de Karel Zeman.
On ne peut s’empêcher de voir derrière cet hommage au cinéaste, l’étrange feuille de route de Mount Vision. Les séquences initiales du clip évoquent un voyage vers la lune. Le vol, proche de la vision de Méliès, inscrit le mouvement dans ce récit fantasmé. Sur place, dans un monde alternant entre des nuances bleuâtres et un horizons obscur, la caméra se perd dans un paysage accidenté.
Le personnage principal, symbolisant certainement notre compositeur, est un cosmonaute qui découvre un nouveau monde. Son regard est froid. Fountain Heart ou Lucky Stone pourraient parfaitement l’accompagner alors qu’il passe nonchalamment à côtés des cratères. Le lointain spatial ou plus symboliquement l’abime des sentiments sont retranscrits avec légèreté et subtilité.
L’explorateur fait la rencontre de personnages fantasques et originaux comme autant de réalités que Jaromil Sabor épouse en mélodies sucrées et entêtantes. L’explorateur passe devant un gramophone et le remet en route. Les mélodies éclatent.
Ruin of Wawes prolonge la finesse du premier single. Par la suite, Wizard of Rain et Red Sun prouvent que les compositions pop ne sont plus un mystère.
La fin de la vidéo met en lumière des scènes plus absurdes. Des pégases trainent un bateau qui atterrit non loin d’un palais du Moyen-Orient. Nous pénétrons dans cette sublime demeure.
Au bout des différents couloirs, un sultan s’ennuie en jouant avec une grappe de raisins. Au fond, une belle danseuse tente d’attirer son attention. Soudain l’homme fait tomber le fruit et la femme accompagne ce même mouvement de chute. Jaromil Sabor n’a jamais caché ses intentions psychédéliques qui se devinent ici et là pendant l’écoute du disque. Dans son esprit, cette dernière étape du clip donne libre court au concept de rêve. L’acte de composition est important mais il n’est rien sans la force et la vigueur de l’évasion. Let My Drinks Come True ou Sailin’ on the Piper Maru l’attestent.
Mount Vision est ainsi un récit constitué de plusieurs pièces courtes. Voilà peut-être un juste et vibrant récit pop. On comprend mieux la pochette et ses tons chaleureux. On comprend mieux le tarot et la magie de l’insondable. On comprend mieux les envolées mélodiques et cette douce frénésie. On comprend mieux le clip et son voyage. On se comprend mieux.
Le disque s’achève tendrement avec Jasmine Harverst. A l’instar du chevalier errant, Jaromil Sabor oscille entre naïveté et spleen. Oui, cet pop a plusieurs tons et nuances. Les moulins à vent sont bien loin. La route continue.