Carmen Sea, douce errance sur les bords d’une mer déchaînée

Le quatuor parisien Carmen Sea a sorti son premier EP en novembre dernier. Cinq pistes, toutes instrumentales, dans lesquelles l’esprit fini par se laisser porter par le courant, s’égare en introspections pour mieux se retrouver. Un mélange osé -mais habile- entre pléthore de genres. Hiss mêle Rock, Metal, Prog, Néo-Classique, Post-Rock et Math-Rock. Le groupe ne se donne en effet pas d’autre barrière que l’envie d’élaborer un tableau musical grandiose, massif, et ont réussi à le rendre bien plus accessible que ce à quoi on pourrait s’attendre.


On tombe parfois sur des albums qui nous font le même effet qu’une toile monumentale. Les yeux levés vers un paysage immuable qui semble pourtant si « vivant ». On commence par vouloir observer tous les détails, puis à un moment, on finit par se laisser porter par l’ensemble de la composition, de l’espace. Le regard dans le vague, la lumière, les mouvements nous emportent et alors enfin, nous y sommes, à l’intérieur de l’œuvre.

Si le premier EP de Carmen Sea, nommé Hiss, était un tableau, évidemment, ce serait un bord de mer. Une plage immense et sauvage au crépuscule, balayée par des vents orageux, la mer écrasée par de lourds nuages. Hiss peut en effet se concevoir comme une série de tableaux, tous liés par une même esthétique dense et poignante. Cet EP de 5 pistes, entièrement instrumental, est une histoire, un épos narré tour à tour par chaque instrument. Les musiques se succèdent en donnant l’impression de n’être qu’un seul morceau de près d’une demi-heure. Et à vrai dire, Carmen Sea réalise cet exercice avec brio !

Pour commencer, il est intéressant de noter que le line-up n’est pas commun : au trio guitare-basse-batterie vient s’ajouter un violon. Il est indéniable que ce dernier fait bien plus que remplacer la voix, il mute, s’altère, se défigure au moyen d’effets qui par moment le rendent presque méconnaissable. Cette particularité vient réellement parachever le son de Carmen Sea, qui excelle dans le travail sur les textures sonores. Bien que difficile à ranger dans une case, le groupe se rapproche tout de même d’un Post-Rock massif
avec une connivence Math-Rock. On retrouve dans l’EP une complexité incontestable des compositions, l’exemple le plus significatif serait Frames et ses rythmes déstructurés. L’ombre de Godspeed You ! Black Emperor plane sur ce disque, les musiciens prennent leur temps pour construire des ambiances amples et contrastées.

Globalement atmosphérique et contemplatif donc, tout en sinusoïde, Hiss ensorcelle l’auditeur avec un éclectisme subtil. Outre l’aspect bruitiste patent, Carmen Sea nous offre des passages grandioses comme sur Anthems For, alternant avec des passages apaisés, à l’instar de la sublime A Last Call. Nous y trouvons également des influences Electro latentes dans les rythmes et l’effet de boucles de Black Echoes, qui s’oppose au caractère presque Classique de Glow in Space. Le tout baigne dans un nectar Rock Progressif.

Dans l’ensemble, Hiss est un disque riche dans lequel les rythmes et les tonalités ne cessent d’évoluer. Les sons mutent avec beaucoup de dextérité pour emmener l’auditeur dans un voyage intérieur. Le fait qu’il soit entièrement instrumental nous laisse une grande liberté d’interprétation, un rêve conscient en somme. L’utilisation détournée du violon digne de John Cale, tantôt délicat tantôt strident apporte une vraie plus-value au son du groupe. Fort d’une énergie brute et d’une maîtrise formidable, sans jamais tomber dans l’étalement technique, cet EP élève ainsi Carmen Sea au rang des groupes à suivre de prêt.

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