Bon Enfant : « Moins subtil, plus in your face »

À l’été 2020, La Face B faisait connaissance, un peu sur le tard, avec le groupe québécois Bon Enfant et est tout de suite tombé sous le charme. La troupe menée par Daphné Brissette (Canailles) et Guillaume Chiasson (Ponctuation), complétée par Alex Burger (lui-même), Étienne Côté (LUMIÈRE) et Mélissa Fortin, faisait paraître Diorama en Europe en novembre dernier; sorte de suite logique à leur album homonyme, mais plus mottée. On est allé prendre un très bon café dans la cuisine de Daphné, Guillaume et Henri (leur chat) pour parler de la France, de rock québ et d’amour.

Crédit : Camille Gladu Drrouin

La Face B: Diorama est sorti la semaine dernière en Europe, notamment en France. Qu’est-ce que la France représente pour vous?

Daphné Brissette : Selon moi c’est une opportunité, mais en même temps, je ne suis pas pressée d’y aller, ça va super bien au Québec. J’y suis allée souvent avec Canailles, c’est un peu hit or miss; il faut vraiment avoir la bonne équipe et le réseau qui correspond à l’atmosphère du groupe pour que les spectacles fonctionnent bien. 

Guillaume Chiasson : C’est quand même trippant (ndlr : excitant) d’aller jouer en France. Il y a plus de gens, plus d’opportunités de spectacles sur un territoire plus petit. On a été invité à faire quelques spectacles en France au printemps prochain, ce sera notre première incursion avec Bon Enfant. On n’a pas vraiment d’attente, on verra si le feu prend.

D.B : Tu sais, le Québec c’est un peu limité. Il n’y a pas beaucoup de villes où on peut se produire, donc ajouter le territoire français peut aussi allonger le cycle d’un album.

LFB : Vous avez déjà tourné la France avec vos précédents projets, avez-vous remarqué une différence entre le public français et québécois?

G.C : Pour ma part, avec mes groupes plus « champ gauche », j’ai remarqué que le public français est plus curieux et intergénérationnel. On voit rarement ça au Québec. En général, les gens qui assistent à nos spectacles sont de notre tranche d’âge, alors qu’en France, il n’est pas rare de croiser des gens de l’âge de mes parents.. J’ai l’impression que la culture est plus importante pour eux. La France a un bassin de population plus grand donc il y a forcément plus de curieux.

D.B : J’ai l’impression que les Français prennent beaucoup plus le risque d’aller voir un concert, sans savoir s’ils vont aimer ça ou pas. Au Québec, les gens ont beaucoup moins tendance à se déplacer pour voir quelque chose qu’ils ne sont pas sûrs d’aimer.

LFB : Vous êtes entrés dans la « scène québécoise » en 2019 et on vous a immédiatement posé l’étiquette de groupe rock québ. C’est quoi du rock québ selon vous? 

G.C : Je crois qu’un des aspects du rock québ est d’assumer les paroles et la façon de les interpréter; avec l’accent québécois et les expressions qui viennent avec. C’est un langage moins soutenu, plus familier.

D.B : C’était surtout le cas pour notre premier album, mais sur Diorama, ce ne l’est pas systématiquement. Il y a des moments où ça ne fonctionnait pas de chanter avec un gros accent. Par exemple, pour la chanson Porcelaine, c’est un peu plus soigné; je me retiens un peu plus et ça fonctionne mieux. C’est drôle, j’ai récemment écouté notre premier disque et par moment la manière dont je chante me dérange. Ma voix et mon accent n’ont pas tant changé en fait, c’est plutôt ma manière de chanter qui a évolué, c’est un changement subtil, je crois.

G.C : À mon avis, l’âge d’or du rock québ ou de l’originalité québécoise se trouve dans les années ‘70, notamment à cause du contexte social, c’est surtout de cette époque que l’on s’inspire.

D.B : Après l’échec référendaire en 1980, j’ai l’impression que la culture québécoise, celle qui s’identifie au vernaculaire québécois, s’est éteinte. Il y a une forme de cynisme qui est apparue dans ces années-là, les sujets et la manière de les traiter étaient plus sombres par rapport à la précédente décennie. 

G.C : En même temps, au-delà des clichés, le rock québ, c’est du rock fait par des Québécois. Corridor et Jesuslesfilles font du rock québ, la différence est que leurs influences se retrouvent davantage dans la culture anglo-saxonne. Depuis quelques années, il y a un courant de groupes qui puisent dans le rock québ des années ‘70, je pense à Chocolat ou Comment Debord. J’ai l’impression que l’on veut se rapporter à un moment où l’art était effervescent et plus lumineux au Québec. 

Une autre caractéristique du rock québ de ces années-là était que l’on assumait les « grosses voix ». Autant les hommes (Claude Dubois, Gerry Boulet) que les femmes (Marjo, Diane Dufresne) chantaient avec des grosses voix. Avec Daphné au chant, il était évident que l’on puise dans cet aspect-là aussi.

D.B :  Les grosses voix pop au final, il y a quelque chose de particulier là-dedans. Il n’y en a pratiquement plus dans notre paysage musical.

LFB : J’ai aussi cette impression que toutes les chanteuses contemporaines ont la même voix…

D.B : J’ai de la misère à les différencier, c’est fou quand même! Chanter « gros » vient avec une sorte de liberté que j’aime beaucoup, c’est très libérateur, c’est une sensation particulière.

LFB : On peut lire dans votre communiqué que Diorama est « moins tie-dye, plus motté ». Pour que les Français comprennent, pouvez-vous m’expliquer c’est quoi être motté? Est-ce qu’il y a un équivalent à ce terme québécois en français?

D.B : C’est difficile à définir puisque nos référents culturels sont tellement différents. Je pense que motté a quelque chose à voir avec le mot motard, mais plus « québécois ». J’ai déjà vu des motards français, à chaque fois ça m’a fait rire; on dirait qu’il y a quelque chose de pas très convaincant.

G.C : Je peine à trouver un exemple dans la culture française qui pourrait aider à expliquer c’est quoi être motté. J’ai des images en tête : manteau de cuir, table de pool, mullet, dive bar

D.B : Par rapport à la musique, je dirais que c’est plus glam, plus éclaté, plus libre. On est allés dans le too much et c’était vraiment cool.

G.C : C’est comme plus évident, moins subtil, plus in your face que le premier album, volontairement. Tout est plus souligné; quand il y a de la guitare, c’est de la grosse guitare, quand ça chante, ça chante fort. Je crois que c’est ça qu’on veut dire par « plus motté ».

LFB : Vous dites que c’était volontaire, donc c’était planifié au moment de la composition que ce serait plus motté?

G.C : Il y a certains éléments que je voulais essayer avec Daphné sur le premier album, mais elle n’était pas encore prête à ça. Depuis le début, je voulais l’entendre chanter rock, plus fort. Il y a des idées qui n’ont pas passé à ce moment-là…

D.B : À un certain moment, nous avons eu un trip Vangelis. C’est quand même too much de penser qu’on peut ajouter cette dimension à nos chansons. La chanson Porcelaine était une autre sorte de défi; c’est difficile de faire une chanson disco sans tomber dans le quétaine (ndlr : mauvais goût.)

LFB : Il y a quelque chose dans votre musique qui fait que c’est souvent…

D.B : Sur la ligne oui [rires] mais j’aime ça. La ligne entre le bon et le mauvais goût peut être très mince en effet.

G.C : On le savait d’emblée que ça pourrait vite basculer du côté du mauvais goût et c’est pour ça que nous avons fait appel à Emmanuel Ethier à la réalisation. Nous savions qu’il comprendrait la dynamique et qu’il pourrait faire en sorte qu’on ne tombe pas là-dedans.

D.B : Il a fait du gros travail, il a vraiment amené ça là où on voulait. On a pris des risques et je crois que ça a été bénéfique.

G.C : Des fois, être quétaine, c’est de ne pas prendre de risque. Si tu n’oses pas, ça peut devenir ennuyant. Certains groupes font la même chose depuis le début de leur carrière et ça fonctionne bien alors que d’autres non. Pour notre part, on essaye de jouer avec ça, on prend le risque de se planter.

D.B : Il y avait une chanson qui ne fonctionnait pas, on aurait dit Takin’ Care Of Business de Bachman-Turner Overdrive. C’était nul, il a fallu qu’on la modifie et qu’on la réenregistre. Au final, le groupe c’est juste du gros fun, des fois on exagère et ce n’est pas trop grave, tant qu’on a du fun.

LFB : Parlant de prendre des risques, faire les choses différemment, j’ai l’impression qu’à notre époque, les groupes sont plus réticents à exploiter plusieurs genres au sein d’un même projet. Ils font 2 ou 3 albums dans la même veine puis ils se séparent et forment un autre groupe qui sonne différemment, ce qui n’était pas forcément le cas avant…

G.C : C’est vrai que c’est rendu plutôt rare, j’irais même plus loin en disant qu’avant, des groupes comme les Wings faisaient des albums plus éclectiques; on pouvait y entendre des chansons blues, disco, ou glam dans un même disque. Pour Bon Enfant, c’est un peu un point de référence, on fait un peu n’importe quoi, on peut se le permettre, car la voix de Daphné est le liant dans tout ça.

D.B : Il y a toujours l’aspect monétaire qui peut expliquer ça, particulièrement au Québec. Le marché est tellement petit que tu ne peux pas tant te permettre de te planter.

LFB : Daphné mentionnait plus tôt Vangelis, on retrouve deux chansons d’inspiration New Age/Ambient (Ôde aux pissenlits, Triangle) sur vos albums. Est-ce qu’il y a des gens qui vous ont dit que c’était leurs chansons préférées?

G.C : Préférées, non, mais on s’en fait souvent parler. Ce sont les chansons à Mélissa (ndlr : la claviériste du groupe.) Sur le premier album, j’avais envie d’une pièce dans cette vibe-là, je lui avais dit d’écouter Plantasia. Elle est ensuite arrivée avec une progression d’accords puis on a créé la mélodie avec le reste du groupe et ça a donné Ôde aux pissenlits. On a voulu répéter l’expérience sur Diorama, mais cette fois-ci, j’ai donné d’autres références à Mélissa et j’ai voulu qu’elle crée la chanson au complet.

D.B : C’est cool parce que ça lui a donné envie de faire un album New-Age complet prochainement, on verra si ça arrive, mais ce serait vraiment bien!

Crédit : Camille Gladu Drrouin

LFB : Vous formez un couple dans la vie de tous les jours, comment ça se passe écrire ensemble?

G.C : On a commencé à écrire le premier album ensemble avant d’être un couple. On s’est rapprochés par après. Je te dirais que durant le confinement, ça nous a vraiment donné quelque chose à faire. On était dans une grosse bulle, tout allait très vite, chose qui est plus rare quand tu composes avec un groupe.

D.B : Au temps du premier album, on écrivait les textes et la musique à deux, souvent séparément. On partageait nos opinions sur le travail de l’autre. Pour Diorama, on s’est un peu plus divisé les tâches. Je me suis surtout occupé des textes alors qu’il s’occupait de la musique.

G.C : Ce que j’aime surtout de ça, c’est que je n’ai aucune gêne à présenter des idées à Daphné. Tu sais, avec un groupe, lorsque tu présentes une idée, ça peut être intimidant, tu ne sais pas trop ce que les autres vont penser, tu te sens plus vulnérable. Avec Daphné, je n’ai pas ce problème; je chante tout croche et je lui joue des trucs et je vois instantanément si ça passe ou ça casse.

D.B : Oui c’est clair, j’enregistre parfois des mélodies vocales sur mon téléphone, c’est le genre d’exercice difficile à partager, mais pas quand t’es en couple. Des fois c’est lui qui chante en faux anglais avec des mots qui n’existent pas ou qui ne font aucun sens.

LFB : Ça ne devient jamais too much? Composer, aller en studio, faire de la tournée, vivre ensemble, etc…

G.C : Pour l’aspect personnel, on n’est jamais tanné de se voir, mais c’est sûr qu’au moment du mixage, on est tous au bout du rouleau, on a la mèche plus courte. Pour moi, c’est comme ça pour tous les albums, mais ça n’a rien à voir avec les gens. Tant qu’un album n’est pas fini, je ne fais que penser à ça, même si je prends des vacances.

D.B : Guillaume ne me dérange presque jamais [rires]. On ne fait pas juste ça non plus, par exemple, il y a des moments où il va au Pantoum à Québec pour produire un album d’un autre artiste. Ça nous donne un petit break.

LFB : Daphné, tu étais aussi en couple avec un musicien de ton précédent projet, est-ce qu’avoir un partenaire amoureux dans le groupe est un moteur créatif pour toi?

D.B : Je n’y avais jamais pensé, mais je pense que oui. Dans un groupe, on est tellement investis… on dirait que c’est encore mieux avec un partenaire avec qui tu es encore plus proche, c’est difficile à expliquer.

LFB : Les textes de Diorama parlent plus d’amour que le précédent…

D.B : Oui, dans les dernières années j’ai vécu plusieurs choses; une séparation avec un partenaire avec qui j’étais depuis sept ans, ensuite Guillaume est entré dans ma vie amoureuse, puis il y a eu la pandémie. À ce moment, nous étions enfermés ensemble 24h/24… Tu sais, on adore sortir, parler avec les gens, ça fait partie du processus créatif, nos histoires et celles des autres. Tout ça alimente nos idées de paroles. Il n’y avait plus ça au moment d’écrire Diorama, donc c’est forcément pour cette raison que ça parle plus d’amour.

LFB : En terminant, complétez la phrase suivante: Le Québec c’est à…

G.C : Nous autres.