La Houle vient de dévoiler La Chute, un album sinueux, mouvant et introspectif à l’image de la mer qu’il affectionne tant. On avait eu le plaisir de rencontrer Simon plus tôt cette année lors de son passage au Crossroads Festival. L’occasion de revenir avec lui sur toutes les particularités de son projet, entre les différentes facettes musicales, le chant en français et l’évolution intime de ses paroles.
La Face B : Salut Simon, comment vas-tu ? Qu’est ce que ça te fait de jouer à la maison ?
La Houle : C’est cool de revenir ici, on est à côté de La Cave aux Poètes et c’est vrai que quand j’étais étudiant à Lille il y a très longtemps, j’ai vu mes premiers concerts, j’ai eu la première tournée de Mac DeMarco, des concerts comme Halo Maud aussi donc c’est super chouette de revenir dans le coin, où pas très loin.
Avec mon groupe d’ado on avait fait des résidences, des petits accompagnements pour les jeunes artistes et tout donc c’est trop bien de revenir ici avec ce projet là.
LFB : J’ai l’impression que La Houle pourrait parler d’un monstre à deux visages. Tu as un côté shoegaze pop et un côté plus ambiant sur les différentes choses que tu as sorties . Est ce que c’est important pour toi de ne pas avoir à choisir entre ces deux entités et surtout est-ce que tu penses à les séparer à un moment, à changer de nom pour les différencier ?
La Houle : J’y ai pensé. Le projet d’ambiant est arrivé un peu de but en blanc. C’est une musique qui fait partie de la grande famille de la musique atmosphérique, psychédélique et noise parce que dans l’ambient on peut y retrouver du drone, des choses comme ça. C’est une musique que j’écoutais aussi parmi les autres musiques qui m’influencent, surtout dans la partie pop.
Ce projet là est arrivé car on était en plein confinement. J’avais acheté du nouveau matériel que je n’avais pas encore eu le temps d’utiliser et je n’avais pas l’envie de composer des chansons avec des textes etc… donc ça a été un peu un laboratoire d’expérimentations.
Ensuite, comme tout le monde, le confinement à été une grosse phase introspective ou des choses ressortent du passé. Moi j’ai fait le confinement vraiment tout seul donc dans une solitude profonde. Quand on a rien à se fixer au niveau de l’esprit, on se retrouve dans un genre de vide, il y a des choses qui reviennent et notamment mon grand père qui est décédé deux ans auparavant. J’ai redécouvert, via ma grand mère qui m’envoyait des photos en faisant du tri dans sa maison, des toiles de mon grand-père et je lui disais « mais attends je me souviens de ce tableau là » et je me suis dit : tiens j’ai des choses, est-ce que je n’essayerais pas d’utiliser un peu les tableaux de mon grand père, qui sont des peintures marine et dans un style un peu impressionniste. Il y avait cet univers qui collait plutôt bien et c’est un bel hommage.
Il y a un label Onto Records qui, quand j’ai commencé à sortir ça un peu au compte-goutte avec des titres, des visuels etc… et que je présentais aussi mon grand père dans ma démarche artistique, a dit « c’est génial, on te sort une cassette avec un bel objet et avec un dépliant » où on pourra retrouver certaines œuvres de mon grand-père. Tout s’est fait très rapidement et il n’y a pas eu de la réflexion, enfin il y a une réflexion derrière mais qui est venue dans la spontanéité.
Aujourd’hui je me rends compte que c’est quelque chose qui me fait vraiment du bien, c’est un peu un genre d’échappatoire où je ne me mets pas du tout la pression. C’est aussi un laboratoire où je commence à réfléchir au prochain disque plus pop chanson et pourquoi pas réutiliser ce que j’ai appris avec l’ambient. Peut-être que ces deux facettes là vont se confondre et en même temps j’aime l’idée d’avoir ce petit laboratoire.
C’est une musique que j’aime beaucoup et qui fait le lien avec la musique que je joue aussi en groupe, c’est-à-dire que sur scène j’utilise aussi des lecteurs cassettes, dans l’ambient j’utilise les mêmes reverb que j’utilise sur ma guitare donc il y a un lien logique pour moi, qui peut être un peu particulier car on se dit « ce sont deux projets, c’est bizarre, on ne s’y retrouve pas forcément » et en même temps il y a des gens qui ont fait ça avant moi et sans me comparer à ce mec là, Brian Eno a fait des albums post punk puis est parti sur de l’ambiant. On est cette génération où, de part toutes ces influences et tout ce patrimoine musical, on brasse tout et il n’y a plus de codes, plus de règles et j’ai envie de dépasser ça.
LFB : Tu t’apprêtes à dévoiler La Chute et je trouve que l’album se nourrit de ces deux parties-là. Quelle évolution vois-tu avec le premier album chanté ?
La Houle : L’évolution, c’est déjà que c’est un album beaucoup plus personnel par rapport à Première Vague et quand on a commencé en binôme en Angleterre avec Jeff. Il y avait ce coté groupe, je sortais d’Eagles Gift avec une musique très psychédélique donc j’avais envie de rester dans des choses très contemplatives et oniriques dans les textes, quelque chose de très planant et presque métaphysique sans dire de gros mots.
Par contre, celui-là a été fait un peu dans la douleur car ça n’allait plus du tout avec mon binôme. J’ai vécu des moments très compliqués à Londres parce que c’est une ville où on est constamment en mode survie et en même temps je vivais des choses pas facile : mon grand père est tombé malade, j’ai eu une rupture amoureuse etc… J’étais vraiment dans une noirceur et j’avais envie d’exprimer et de sortir ça.
C’est donc un album beaucoup plus noir, beaucoup plus introspectif et beaucoup plus personnel en tant que tel. Ce n’est pas évident parce qu’on a tendance à se mettre des filtres et à être un peu pudique et moi qui suis pudique et un peu timide je me suis dit « assume ce qui t’es arrivé, ça va te faire du bien pour dépasser tout ça ».
LFB : C’est ce que j’allais te dire, je trouve que les thématiques des morceaux sur La Chute sont souvent très sombres si on se focalise sur ce que tu racontes. Est-ce qu’aujourd’hui tu te considères comme un garçon heureux ?
La Houle : Oui, avec le temps on grandit, on apprend de la vie et des expériences et pour moi la vie c’est juste une succession d’expériences. J’ai dépassé cette période là, on reste humainement avec des bagages toute notre vie mais on apprend à vivre avec, à se dépasser et parfois à les transcender. Je pense que je suis heureux la plupart du temps.
LFB : C’est un album où tu as évacué pas mal de choses à travers la musique. Est-ce que, quand tu rejoues ces chansons-là , ce n’est pas parfois un peu compliqué, au niveau de l’émotion qu’elles dégagent ? Parce qu’il y a des morceaux très lourds au niveau de l’interprétation, au niveau de l’émotion qu’il faut mettre dedans pour les jouer sur scène.
La Houle : Oui, c’est marrant que tu parles de ça parce que dernièrement on a fait des résidences, on a répété des morceaux et j’ai vécu un été très intense émotionnellement. C’est comme si tout ce que je mettais dans cet album là par rapport à des expériences que j’ai pu vivre cet été par exemple sont ressorties d’un coup et il y a eu comme un genre de miroir et du coup j’ai été rempli d’émotions et je le suis encore.
J’ai très hâte de sortir cet album pour sortir une bonne fois pour toute cette période là, ces morceaux, ces sentiment etc… En même temps, quand je les joue, il y a des choses qui peuvent revenir car c’est un album très introspectif. Mais en même temps j’avais vraiment envie de les sortir et de pas en avoir honte et je me dis que ça peut peut-être parler à des gens, de dire que ce n’est pas grave si on n’est pas tout le temps bien et de ne pas avoir ni honte ni se cacher.
On est dans une société où on se met beaucoup de filtres pour bien paraître en société mais parfois ce n’est pas grave de dire que ça ne va pas, de pleurer, de ne pas être bien et ça libère d’une certaine manière.
LFB : La musique que tu fais est souvent associée au côté anglo-saxon et à l’anglais, est-ce que tu peux nous parler de ton rapport à l’écriture en français et pourquoi c’est important pour toi d’écrire ces morceaux-là en français ?
La Houle : L’écriture en français est venue très tard, j’ai toujours chanté en anglais dans mes autres projets et indirectement je me suis rendu compte qu’il y avait un manque de singularité dans la manière de chanter. On essaye de prendre un accent, une posture par rapport à des chanteurs qui nous ont influencé par le passé, ça a été Ian Curtis et Jim Morrison pour moi, donc même si on digère un petit peu tout ça, on prend une posture qui ne nous va peut-être pas forcément.
Le fait d’écrire en français m’a complètement mis face à moi-même et m’a permis de me dire que j’ai aussi ma voix qui est différente quand je vais chanter en français. Donc il y a vraiment quelque chose de plus personnel dans l’écriture, on peut dire plus de choses, on est complètement à poil entre guillemets.
Dans mon rapport à l’écriture, il y avait un genre de dépassement et en même temps un vrai travail pour essayer de trouver un style. Quand j’écris, je passe par beaucoup de chemins, je n’ai pas envie d’être frontal et j’ai envie de laisser un genre de perspective différente que les gens peuvent s’approprier et réinterpréter. Je pense que j’ai trouvé ma sauce, qui va sûrement évoluer avec le temps.
LFB : Tous les thèmes dont tu parles dans tes chansons sont mis en relation avec le champ lexical maritime, peux-tu nous parler du rapport que tu entretiens avec la mer ?
La Houle : Je suis né à Boulogne-sur-Mer et je pense que quand on naît au bord de la mer on a toujours ce besoin d’y retourner. C’est un élément qui fait partie de nous, comme un genre de présence qui nous fait du bien, qui est là et qui sera toujours là.
Et en même temps, la mer est un élément qui vit en permanence. Quand j’étais en recherche de mon projet pour La Houle, j’étais en convalescence chez mes grands-parents pour une opération du genoux et le seul moment où je sortais c’était pour faire des balades sur le bord de mer en béquilles avec ma grand-mère et Jeff qui m’accompagnait de temps en temps. Ça faisait longtemps que je n’étais pas retourné chez moi et je me suis rendu compte que la mer peut avoir plusieurs formes, elle peut être très calme ou très douce et parfois très violente et dangereuse mais il y a toujours un son, un bruit et je trouvais que ça faisait vraiment référence avec ce que j’avais envie d’apporter au niveau de mes sonorités c’est-à-dire aussi bien des morceaux très violents, prenants, parfois très torturés qui partent dans tous les sens et en même temps des choses très aérées et douces mais avec toujours un fond de bruit. Ça faisait sens.
LFB : Je trouve que sur La Chute tu as réussi à éviter un écueil qui pourrait aller avec le genre de musique que tu fais. Je trouve que c’est un album très varié au niveau des ambiance. Est-ce que c’est important pour toi d’offrir quelque chose qui s’explore et qui soit sinueux, qui ne soit pas monocorde et très droit ?
La Houle : Je ne sais pas. D’un côté il y a des choses qui se sont faites spontanément dans un genre de logique par rapport au texte et en même temps j’aime les albums variés où tu peux passer par plein de phases. J’aime bien aussi l’idée que ça évolue en permanence et que le projet soit complètement mouvant parce que ça me permet de continuer et de ne pas m’emmerder. Comme c’est un projet solo, je le vois comme quelque chose qui peut évoluer dans plein de styles en gardant ce noyaux un peu noisy.
LFB : L’Égaré.e ressort sur l’album avec son côté plus lumineux, est ce que tu pourrais nous parler de ce morceau ? Puis nous dire si tu as des morceaux que tu trouves importants ?
La Houle : C’est une ballade très douce, un peu noisy avec de petites boîtes à rythme. Elle parle d’un amour qui pourrait se faire mais qui ne se fera pas parce qu’on se met des barrières et que quelque chose nous bloque. Je l’ai écrite en écriture inclusive dans le sens où je parle d’une personne mais aussi de moi-même qui me suis égaré aussi dedans. On voit constamment les choses par rapport à notre propre spectre et parfois on se met des œillères, des fantasmes et ça parle un peu de tout ça, de la peur de l’inconnu, de souffrir si on va plus loin, la peur de mourir d’une certaine manière.
Toi ce Moi est un morceau très personnel où je me parle un peu à moi-même qui. Elle parle du doute, du fait de ne pas savoir où on va, où on est, de ne pas savoir si on est bien dans le monde dans lequel on vit et qu’au final il y a un genre de lâcher prise ou je dis à la fin qu’on s’en fout de nous même, des autres etc… et on revient dans un genre d’instant présent où on est tous ensemble et plus dans notre tête.
Il y a aussi Sans Appel qui est un genre de petite épopée qu’on adore jouer en live, avec les gars on ressent des petites sensations à chaque fois qu’on la joue. Elle parle du moment où il y a un problème. Qui doit partir, qui doit tenir la barre, elle parle aussi bien d’un aspect relationnel avec quelqu’un mais aussi bien d’une société où on essaye de garder des bases mais où petit à petit on se déconnecte et on se désengage du monde dans lequel on peut vivre.
LFB : Ton album a un côté très pop, est-ce-que c’était important pour toi d’allier ce côté pop et accessible à des expérimentations et que penses-tu de la pop musique en 2021 ?
La Houle : Je viens de cette musique là de base, j’ai commencé ado en écoutant The Strokes, ensuite j’ai découvert The Horrors et là je me suis dis qu’on pouvait faire de la musique en format pop avec des choses très expérimentales ou des styles qui ne sont pas issus de cette musique là à la base. Que ce soit le krautrock, le shoegaze, le post punk c’est la musique que j’aime et le fait de chanter en français lui donne un format pop. Mine de rien, le fait de chanter en français structure les morceaux différemment. On laisse plus de place pour la voix, même si on essaye de trouver un équilibre et que je n’aime pas forcément quand la voix est trop en front même si j’en reviens de ça et que je me décomplexe.
Dans la pop musique d’aujourd’hui, il y a aussi bien des choses qui reste très propre à la pop française, à la variété française, mais en même temps on se décloisonne, on mélange tout et on essaye de faire des choses vraiment intéressantes, on se décomplexe et c’est super.
Je pense à Nerlov qui est un collègue angevin. Sa musique est super riche et je ne sais pas s’ il a vu son disque comme une entité mais on passe par plein de sonorités et de textures et je ressens aussi ses influences que j’ai pu connaître dans son ancien groupe Vedette. Il y a un genre de décomplexion par rapport à la musique francophone la plus française et aussi par rapport à nos styles, par rapport à nos pointures de l’écriture, je pense à Gainsbourg et Bashung.
Avant on se disait que si ce n’est pas un super niveau, un truc pseudo intellectuel ça ne va pas marcher. On se décomplexe de tout ça. Je disais récemment qu’aujourd’hui j’aime autant écouter Françoise Hardy que Can, qu’on fait partie d’un tout et que c’est chouette.
LFB : As-tu des recommandations, des coups de cœur que tu as eu récemment à partager avec nous ?
La Houle : En disque je vais prendre le dernier album que j’ai écouté, c’est le dernier album de Suuns qui est très bien. J’ai découvert il y a quelques mois le projet solo du chanteur Ben Shemie et on sent que son projet solo a déteint sur sa musique.
Ensuite j’aime beaucoup « I Am the Center » c’est une compilation de musiques new age donc on est aussi bien sur de l’ambient que des musiques qui sont autour d’une sorte de spiritualité qui va des années 1950 à 1990, c’est super intéressant, très doux et très bien dans les moments ou il faut se reposer et mettre sa tête de côté.
Il y a le dernier bouquin d’Adrien Durand, Je n’aime que la musique triste qui est un petit livre intéressant pour ceux qui gravitent dans la musique ou dans l’industrie musicale, on s’y retrouve pas mal.
Il fait du bien car on parle d’expériences personnelles et on est dans un monde qui se déconstruit encore une fois par rapport à ça.
Puis un bouquin de poésies que je relis en ce moment de René Daumal, Le Contre Ciel, qui est un genre de poète torturé mais anti surréaliste qui crache sur Breton et sur tout le monde mais il avait sa patte en même temps et je prends vraiment plaisir à le relire.