En fin d’année dernière, nous sommes partis à la rencontre de Yelle afin qu’elle puisse nous livrer ses émotions à quelques heures de monter sur la scène rochelaise de La Sirène pour la dernière date de la tournée de l’album L’Ère du Verseau. Nouveau chapitre pour un heureux événement, Julie Budet se confie à La Face B sur ses mélanges d’émotions, sur l’adaptabilité qu’elle et son groupe ont dû faire face afin d’assurer cette tournée mais aussi sur la création de cet album et l’importance de s’entourer afin d’oser essayer de nouvelles choses.
LFB: Comment vas-tu?
Yelle: Je suis entre deux eaux. C’est-à-dire que je suis très contente de jouer ce soir. Le fait de ne pas avoir joué pendant trois semaines, je me suis rendu compte que ça m’avait beaucoup manqué. Je suis un peu triste parce que c’est la dernière date de la tournée et je ne sais pas quand est-ce que l’on remontera sur scène. En même temps, hyper contente car je suis enceinte et que l’année prochaine va être une année particulière. Je suis vraiment triste et joie.
Ce sont les deux énergies qui m’arrivent au même moment. Je ne sais pas trop encore comme gérer ça. Je laisse les choses venir mais il y a des moments où j’ai des gros coups de mous et d’autres où je suis un peu euphorique.
LFB: Comment as-tu vécu ton tout premier concert « post-covid », celui du retour aux lives?
Yelle: Honnêtement, nous avions la grosse pression. On a fait une résidence ici, à La Sirène, il y a un peu plus d’un an puisque c’était en octobre. Notre premier concert que l’on a pu faire c’était le festival des Inrocks, à Paris. Ça devait être en mai ou juin. On jouait avec Chilly Gonzales, qui est un artiste que l’on apprécie beaucoup. On jouait à l’Olympia pour la première fois.
Ça faisait beaucoup de choses. Retour sur scène, Olympia, Chilly Gonzales, plus la pression de retrouver les gens, de jouer un live que l’on avait jamais joué devant personne. C’est-à-dire qu’on l’a joué ici, à La Rochelle, devant l’équipe technique, quinze personnes. Nous étions en résidence au moment de l’annonce du deuxième confinement. La sortie de résidence qui devait avoir lieu s’est transformée en public de quinze personnes et tu rentres chez toi! C’était super-chelou et donc revenir devant des gens alors que l’on n’avait pas joué depuis très longtemps, c’était particulier. Il y a eu des petites coquilles mais je pense qu’on était si heureux. C’était une grosse explosion! Tout de suite les gens se sont levés et c’était parti!
« On a dû s’adapter à chaque instant. »
LFB: As-tu réussi à retrouver tes habitudes que tu avais, avant cette période-là?
Yelle: Pas complètement. Par exemple, généralement après les concerts je vais voir les gens. Je fais une heure, une heure et demie de photos, de dédicaces. C’est un moment que j’aime vraiment partager avec le public. Je n’ai pas pu le faire ça. Je l’ai fait quelques fois uniquement.
C’est quelque chose qui me manque. Après, je suis un peu flippé d’être malade. On a tellement annulé de dates que je n’ai pas envie d’annuler cette tournée. J’ai voulu faire le plus attention possible. Depuis quelques jours, c’est la débandade totale! Tu te retrouves malgré tout dans des situations où tu retrouves des gens. C’est super particulier de faire cette tournée, dans ces conditions-là.
LFB: Tu as énormément plus de paramètres à prendre en compte, de choses à penser en amont.
Yelle: Exactement! Même en tant que spectateur ce n’est plus la même démarche. Tu vas voir un concert, il faut vraiment avoir envie d’y aller! Parce que, si tu n’es pas vacciné, il faut penser au test. Tout ça, ça demande une implication qui n’est pas aussi simple que d’habitude.
LFB: Comment appréhendes-tu ton dernier concert de la tournée ce soir?
Yelle: Je suis sereine et j’ai eu le temps de me reposer ces derniers jours. Je suis en forme, ça va être assez émouvant même si ce ne sont pas mes adieux à la scène /rires./ Je suis contente parce que c’est la fin de quelque chose mais c’est aussi le début d’une autre. Cette tournée, elle redémarrera peut-être sous une forme un peu différente. Cet album il est sorti à un moment tellement étrange. On a dû s’adapter à chaque instant.
On est prêt à le remodeler et à le faire vivre encore. C’est vrai que c’est assez frustrant de se dire que l’on n’a fait que quelques dates cet été, une tournée d’automne et basta. On ne va pas aux États-Unis, on ne va pas en Espagne, en Europe, au Canada… C’est super dur mais pour ce soir, je suis plutôt contente. J’avais hâte d’être à ce concert et je n’avais surtout pas envie de l’annuler. J’étais en mode protection complète. Bouclier anti-covid et je voulais être en forme pour pouvoir le faire!
C’était important en plus de terminer ici à La Sirène. Fermer cette boucle et puis on est tellement bien accueillis à chaque fois. C’est vraiment un plaisir d’y revenir. On est ravis que la dernière date ait lieu ici.
LFB: Tu partages la scène ce soir avec Joanna. As-tu des artistes en tête, notamment issus de la nouvelle scène, avec qui tu aimerais bien travailler ou en tout cas qui t’inspirent?
Yelle: C’est vrai que Joanna, on se côtoie depuis quelques années. On l’a suit depuis un moment. Ça a toujours été assez évident de l’inviter en première partie. Après, on s’est retrouvé à avoir le même tourneur donc ça facilite les choses. Dès le départ, on a senti qu’il y avait quelque chose de particulier chez elle.
Elle a une énergie et un univers chouette à proposer. C’est cool de la voir s’affirmer, grandir, sortir son album. Je suis toujours ravie!
Il y a une autre artiste que l’on apprécie beaucoup et avec qui on a tourné un petit peu cet automne, c’est Kalika, qui a ouvert sur quelques dates. Elle me touche beaucoup aussi. Elle a cette espèce de fraîcheur et presque de naïveté. En même temps, c’est une personne pleine d’énergie. Elle est hyper cash, elle y va! J’aime bien sa façon de faire, le fait qu’elle puisse naviguer entre les choses qu’elle propose.
En tout cas, ce que j’ai pu voir sur scène et ce que j’ai pu écouter. Elle a des choses très différentes. Même dans les morceaux qui vont arriver. C’est riche et varié. Elle peut aller dans des directions bien différentes. Je pense qu’elle a réellement une carte à jouer.
« On a cœur de faire ce qu’il nous plaît (…) et de travailler avec des gens qui nous plaisent. »
LFB: En te posant cette question, je pense à vos pochettes d’albums et même à vos scénographies… Quelle place apportes-tu et donnes-tu à l’image dans le projet de Yelle?
Yelle: C’est hyper important. Depuis le tout début, ça l’a toujours été. Certainement, pas aussi que la musique car elle vient d’abord. On ne pense pas à la l’image puis la musique. C’est vraiment la musique first puis, l’image. Cependant, l’image vient vite. Il y a des idées de clips rapidement, des envies, des lignes qui se dessinent. Nous avons toujours eu cette envie d’avoir une idée assez forte sur chaque album. Que ça puisse aussi bousculer un petit peu les gens. Sur l‘Ère du Verseau, nous avons eu envie d’aller vers quelque chose vers lequel nous ne sommes jamais vraiment allés et de surprendre le public. Que ce soit par le visuel de l’album ou par les clips que l’on a pu faire. Assumer quelque chose d’un peu plus sombre, assumer une autre facette que l’on n’avait pas réellement explorée.
Nous étions restés dans quelque chose de très coloré et très pop sur les trois premiers albums. Finalement, c’est chouette de pouvoir se dire qu’il y a encore beaucoup de possibilités. On n’a jamais vraiment eu peur de prendre une autre direction et de se dire que ça allait bousculer les gens. Il y en a qui n’aimeront pas, ça c’est certain mais ce n’est pas grave. Nous ne sommes pas à. la recherche de plaire à tout prix. On a cœur de faire ce qu’il nous plaît en premier et de travailler avec des gens qui nous plaisent.
Ça a été le cas avec Marcin Kempski qui a fait les photos de la pochette de l’album ou même avec Loïc Prigent pour le clip de Je t’aime encore et Giant sur les autres. Le styliste, aussi, Pierre-Alexis Hermet avec qui nous avons collaboré. Je pense qu’il y a eu des rencontres assez importantes sur cet album qui ont aussi fait que nous étions à l’aise d’aller vers cette direction.
LFB: Au moment de réaliser ce dernier disque L’Ère du Verseau en studio, l’avez-vous pensé pour le live ou ce sont des moments de résidence comme vous avez pu en faire à La Sirène, qui vous ont permis de le modeler?
Yelle: Au moment où on l’écrit, on n’a pas vraiment d’idée. Ensuite, lorsqu’il est terminé et qu’il y a un ensemble, là, ça commence à se dessiner un peu. C’est marrant, on a eu envie, à un moment, d’avoir un quatrième musicien sur scène. On ne savait pas trop comment l’articuler. On a eu des touches avec des gens et ça ne s’est pas fait pour des questions d’agenda. Finalement, cette formule nous allait bien et nous correspondait. Continuons d’assumer ce live très électronique et très percussion comme nous avons pu le faire par le passé. En même temps, nous avions envie de quelque chose d’un peu plus théâtral. Avec des tableaux, des choses plus marquées.
Dans le passé, nous avions des lives très énergiques avec beaucoup de lumières, des choses qui excitent à fond! Sur ce live, nous avions eu envie de proposer quelque chose qui soit un peu plus posé, plus théâtral. J’ai vraiment cette image-là. J’avais envie de tableaux, réellement. Des choses très marquées, par morceaux, de couleurs particulières. Ce sont des discussions que l’on a eues avec Grand Marnier. Nous avions pré-imaginé les choses, après on les a essayé en étant ici mais on avait quand même déjà bien mis à plat avant d’arriver.
Nous avons du mal, je pense, à être dans la création pure. Arriver avec rien et se dire « on construit tout, de A à Z sur place, » ce serait assez compliqué. On a besoin d’une trame et, ensuite, rajouter des bouts, essayer. On a abandonné des morceaux car dans la setlist ça n’avait pas de sens. Tu as l’impression que c’est cool lorsque tu les écoutes comme ça et puis en fait, quand tu les joues, ce n’est pas du tout la même dynamique. Il y a des choses que l’on a laissées de côté.
« On a appris à accepter cette lenteur et le fait que ça puisse prendre du temps. »
LFB: Il y a eu un certain temps entre l’avant-dernier album et le tout dernier. Avez-vous eu un déclic pour vous dire que c’était le moment de concevoir un nouveau disque?
Yelle: Oui, il y a eu plusieurs déclics. Il y a eu la fin de la tournée Yelle Club Party en 2019. Nous sommes rentrés chez nous, en réécoutant des choses. Finalement on avait un peu de matière de départ. Une période aussi, en avril 2019. Nous sommes partis à Montréal. Nous avions un morceau que l’on avait commencé à distance avec un copain/producteur qui vit là-bas. On avait envie de changer d’air et de passer du temps avec lui pour terminer ce morceau. Ça nous faisait des petites vacances-boulot! On a bossé sur ce morceau du début à la fin.
Puis, on est rentré en se disant que l’on avait finalement plein de bout de morceau un peu partout. Nous étions peut-être au début de quelque chose. On ne savait pas trop. C’était un peu fébrile. Tout l’été qui a suivi, il y a eu des sessions de travail, notamment avec Voyou par exemple, qui est venu bosser à la maison.
Ce sont des choses comme ça qui nous ont fait dire que nous avions ce qu’il fallait, que l’on avait de la matière. Six mois plus tard, nous avions l’album qui était prêt! Je pense qu’on est assez lent mais en même temps, on s’écoute beaucoup dans le sens où nous ne jetons pas les morceaux. On garde tout. Quand on sait que ça peut le faire, on se les garde sous le coude. Puis, il y a un moment où c’est mûr, où c’est prêt. Tu y reviens et d’un coup tu te dis « c’est bon, c’est maintenant! » Mais, ça demande d’être capable de ne pas mettre de trucs à la poubelle. Emancipense, il est passé par tellement de versions différentes et il y a eu moment où l’on s’est dit « mais là, là, c’est bien comme ça! »
Il y en a plusieurs qui ont eu cette vie-là. A contrario, Je t’aime encore, il est arrivé comme ça. En quelques heures, jours, il s’est transformé et il était évident aussi dans le fait de le créer de cette manière-là. Il n’y a pas vraiment de règle mais c’est vrai que l’on a appris à accepter cette lenteur et le fait que ça puisse prendre du temps mais que les choses doivent murir.
LFB: Que souhaites-tu à la Yelle de 2022?
Yelle: /rires/ Je souhaite que tout roule, que tout se passe bien. Que l’on soit inspiré, que cette nouvelle aventure nous inspire et que ça nous donne envie de faire d’autres choses et d’autres morceaux et de revenir plus vite avec de nouvelles choses. Pas forcement un album, peut-être un EP… On est déjà dans une dynamique assez positive. Souvent, les fins de tournées nous ont plombés. On était éreinté et triste que ça se termine. Tu passes par une phase un peu déprime, c’est assez dur. Surtout lorsque ça s’arrête en hiver! Il y a un moment un peu flottant et après si en janvier tu n’arrives pas à repartir, ça peut être compliqué.
Le climat est super-délétère. Entre le Covid, les élections, merci quoi! Ensuite, et c’est certainement le fait d’être enceinte, je me dis qu’il va y avoir une autre phase. Il faut accueillir cette chose positive et je me dis que de tout ce que l’on vit, peut-être que du bien va en sortir…