Avec Hors-Saison, Alexia Gredy nous offre un bel album pop sur l’amour. Il y est question de sentiments bruts, d’instincts parfois primaires et d’une rencontre entre la force et la tendresse. On a eu le plaisir de rencontrer l’artiste pour parler de cet album, de timidité, de temps qui passe, de cinéma et de littérature. Retour sur cet échange.
La Face B : Salut Alexia, comment ça va ?
Alexia Gredy : Ça va très bien, surtout depuis que l’album est sorti. Il a été décalé avec le COVID donc je suis trop contente qu’il soit sorti.
LFB : Pour moi un titre d’album a toujours une importance particulière, je me demandais donc ce que t’évoquait Hors Saison ?
Alexia Gredy : Pour moi l’expression évoque quelque chose d’intime, d’intérieur. Un retour à un état de nature intérieure, comme des pulsions, des instincts … Des choses très brutes qu’on a en nous. Au fil des chansons je me suis rendu compte que lorsqu’on est amoureux, qu’on parle d’une relation ou de sentiments forts, tout le reste autour disparaît. Comme si la seule temporalité existante était celle des sentiments. En ce sens, je trouvais que Hors Saison correspondait bien à l’album .
LFB : Donc cet album était un moyen de parler des « vertiges de l’amour » ?
Alexia Gredy : Exactement. Pouvoir évoquer tous ces sentiments qui nous réveillent, les choses que l’on ressent et pas forcément uniquement amoureux. Quand on est quelqu’un de très timide, comme moi je le suis, tout contact avec une autre personne a quelque chose d’assez bouleversant par moment. J’avais envie d’évoquer toutes ces choses là, des ratés, des moments à côté … Toutes ces petites choses qui font notre rapport à l’autre, notre contact au monde final.
LFB : Ce que j’ai ressenti à l’écoute de l’album c’est que chaque morceau traite d’une sensation et d’une émotion différente. Comme des petits courts métrages.
Alexia Gredy : Oui c’est ce que j’ai essayé de faire et qui m’a pris le plus de temps. De choisir les chansons, de garder ce qui n’était pas une redite d’une autre et de garder chaque couleur, chaque ressenti. C’est quelque chose d’hyper important ce qu’on ressent, nos émotions, et j’avais vraiment envie de parler de ces nuances là… aimer des choses et en même temps les détester. Il peut y avoir des sentiments qui frottent comme ça et c’est de ça que je voulais parler.
LFB : Et commencer l’album par Vertigo, c’était un peu cette idée de plonger là dedans ?
Alexia Gredy : Oui. D’être embarqué dans ce manège qu’on ne peut pas vraiment arrêter. Je l’ai vraiment écrite comme une déclaration d’amour aux sensations fortes, dans ce qu’elles ont d’agréable et de désagréable. Des choses qu’on ne contrôle pas… l’amour tourbillon.
LFB : À l’écoute de l’album, je trouve que tu traites l’amour et les sentiments à la fois comme une pulsion physique autant que comme quelque chose d’extrêmement réfléchi.
Alexia Gredy : C’est ça. Il y a toujours un mélange des deux ; ce qu’on ressent, et qu’on ne peut pas contrôler, et ce qu’on intellectualise … Il y a une sorte de combat entre les deux, parfois il y une alchimie, quelque chose qui fonctionne, et parfois non. Ces instincts, ces pulsions, c’était nécessaire pour moi d’en parler, mais dans ce qu’ils ont de maladroit, d’incontrôlé et de subits.
LFB : Il y a une vraie recherche des mots dans les chansons, entre la brutalité et quelque chose de plus rentré. Il y a un vrai jeu entre la pudeur et l’impudeur je trouve.
Alexia Gredy : Ça me fait plaisir que tu l’aies entendu. J’ai essayé avec des mots simples de pouvoir parler de ces choses-là , de ne pas essayer de les lisser ou de garder quelque chose de joli. Je voulais parler avec franchise de certaines choses qui sont parfois désagréables, avec parfois des mots un peu violents sans que ce le soit vraiment. Mais quand on est timide, quand on est introverti, il y a une violence dans les sentiments et c’était important pour moi d’en parler.
LFB : Exprimer dans la musique ce que tu n’exprimes pas forcément dans la vie.
Alexia Gredy : Exactement oui.
LFB : On parlait d’instant suspendu tout à l’heure, mais il y a un autre élément important dans l’album, c’est celui du temps qui passe. Dans la façon dont tu écris, il prend une vraie place dans la manière dont il s’installe et perturbe les sentiments.
Alexia Gredy : Moi j’ai lu pas mal de poésie et quand on lit un peu Baudelaire ou d’autres poètes romantiques, pas romantique au sens mièvre mais dans le sens de s’inventer des histoires… Le temps qui passe c’est quelque chose qu’on ne contrôle pas donc c’est vraiment une notion qui va jouer avec nos relations, qui est là malgré lui et j’aime bien cette notion parce qu’elle change tout. Quand on repense à quelque chose qu’on a aimé, on réalise qu’on l’aime un peu moins avec le temps ou au contraire une chose qu’on a pas aimé reste ancrée en nous. Et ça, il n’y a que le temps qui nous le fait réaliser.
LFB : Est-ce que comme Gaspar Noé, tu penses que le temps détruit tout ?
Alexia Gredy : Je ne sais pas si il détruit tout mais il change notre rapport aux choses et au monde. On n’est pas la même personne aujourd’hui que demain parce que le temps va impliquer d’autres rencontres qui vont nous nourrir ou qui vont parfois nous faire du mal aussi du coup on évolue tous comme ça en fonction des jours qui passent, en fonction des années. Ça change tout en fait. Je parle de ça dans Hors Saison justement, comment on habite avec notre histoire et avec les choses qu’on a vécu avant.
LFB : Pour rester sur cette idée de cinéma, il y a pour moi une vraie importance du cinéma et de la littérature dans ta façon dans ta façon d’écrire. En quoi est-ce que ça t’influence ?
Alexia Gredy : Je pense que ça nous nourrit. Quand on écrit des chansons ,on s’inspire de sa vie et on s’ inspire aussi des choses qu’on a observé, des films qu’on a vu parce que c’est des choses qui nous marquent . Parfois moi je me rappelle très bien d’avoir lu ce roman à tel moment et de toutes les impressions qui me sont restées, comme d’avoir vu un film qui m’a marqué et c’est quelque chose qui au fond fait partie de ma vie. Donc finalement, quand on écrit des chansons je pense qu’on peut pas faire sans être influencé par tout ce qu’on a vu, que ce soit de la fiction ou de la littérature.
LFB : Est -ce qu’il y a des personnes qui d’un point de vue visuel t’ont influencée ? J’ai beaucoup pensé à Lynch sur Vertigo, le côté un peu fantasmé…
Alexia Gredy : Lynch beaucoup. Cet univers où le réel rencontre l’imaginaire, il y a quelque chose de l’ordre du rêve, du fantasme … c’est pour moi des thèmes qui sont importants parce que ça fait partie de nous. Surtout, j’ai essayé de garder sur cet album des chansons qui sont venues un peu comme ça, d’un seul jet et pour moi c’est un peu de l’ordre de l’inconscient. L’inconscient c’est tout ça c’est tout ce qu’on s’imagine, quand on rêve, on mélange sa vie, des petits moments auxquels on n’a pas du tout tout prêter attention dans la journée et finalement qui se retrouve en mêler dans tout ça et ça c’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup je trouve que c’est très fort.
Après il y a Wim Wenders, Paul Thomas Anderson… plein de films qui sont importants pour moi.
LFB : Ce qu’il y a d’intéressant sur l’album quand on l’écoute, c’est que les impressions des paroles « contaminent » aussi la composition et la production. Du coup je me demandais qui influence quoi ?
Alexia Gredy : Les chansons quand elles naissent , elles viennent avec les paroles et la musique. Vraiment, l’air la mélodie de tout ça vient ensemble parce que pour moi c’est vraiment intimement lié, le rythme de la voix induit un rythme musical ou l’inverse, donc tout ça vient d’un bloc.
Après pour tous les arrangements j’ai passé beaucoup de temps avec Benjamin Lebeau et Alexis Delong pour la plupart des chansons, il y a aussi deux autres chansons qui sont arrangées par Stan Neff et Paul Prier, je cite tout le monde car souvent on n’en cite qu’un et je trouve ça dommage.
Je voulais que la musique mette vraiment en exergue tous ces sentiments comme dans un film. On a une bande originale où par exemple on ne montre pas la même façon un moment de suspens qu’un autre moment.
J’ai voulu prendre le temps de réfléchir à tous ces arrangements, d’essayer de trouver vraiment l’humeur de chaque chanson et c’est vrai qu’on a passé beaucoup de temps en studio en pré-production a essayer de choses comme ça et à voir où se trouvait le climax du morceau, où on pouvait faire arriver des cordes, qu’est-ce qui faisait en fait rendre vivent toutes ces sensations dont je parle. C’est vrai que ça a été un long travail mais hyper intéressant mais au bout d’un moment on devient un peu fou quand même. (rires)
LFB : Je trouve qu’il y a un vrai contraste entre la fragilité de la voix et la composition, avec un vrai travail sur les sons de batterie et de basse tout au long de l’album. Et au final, la « fragilité » de la voix devient une force et ramène à la force évocatrice de ce que tu racontes.
Alexia Gredy : Je suis contente que tu l’aies vu comme ça. J’ai vraiment essayé de travailler les contrastes, c’était le truc le plus important. Dans ce que je te disais, les nuances tout n’est pas agréable ou désagréable. J’avais envie que ce soit vraiment un chaud-froid quelque chose qui se rencontre et qui est a priori complètement pas fait pour aller ensemble et en fait c’est ça que je trouve intéressant, qui réveille.
Il y a un vrai travail sur la voix. Je l’ai parfois doublée mécaniquement, qui donne parfois quelque chose de très froid et parfois garder quelque chose de très chaud, de murmuré à l’oreille avec ce rapport à une instrumentation très riche, très dense et parfois rien du tout ; il y avait vraiment tout cet aspect là qui m’intéressait. Je n’avais pas envie de me dire« je fais une petite chanson d’amour alors je fais une chanson folk ». Il n’y avait pas cette simplicité, j’ai vraiment essayé de mettre en danger la voix, un peu comme dans la vie, on essaie de se mettre en danger d’aller plus loin et de se pousser. C’était un peu ça l’idée.
LFB : C’est pour ça que tu es allée chercher Alexis et Benjamin ? Dans leur background, il y a aussi cette idée de contraste, de faire des choses à la fois très électronique mais toujours très organique dans le fond, de très humain.
Alexia Gredy : Complètement. Ça a été une rencontre très très importante parce que j’avais essayé de travailler avec des réalisateurs avant, ce qui m’a pris beaucoup de temps et ça ne marchait pas vraiment parce qu’il y avait quelque chose de la perception… Moi j’ai l’air très sage comme ça et on essayait toujours de faire quelque chose de très sage.
Eux, ils ont pris les chansons sans a priori. Quand on s’est rencontré, tout de suite on a travaillé sur la chanson qui s’appelle balader dans les roses. J’avais un synthé détuné avec lequel j’avais fait la démo et tout le monde m’avait dit « il faut les enlever, ça marche pas du tout, il faut penser à autre chose … » et en fait ils ont pris la piste de synthé détuné, on l’a passé dans des pédales … on était en train de se rencontrer, on parlait et en fait le son était là. Je me suis dit tout de suite que ça allait marcher parce qu’on s’entend. Je me suis rendu compte en en faisant qu’on ne peut pas faire de la musique avec tout le monde. Il faut trouver vraiment les personnes qui ont envie de mettre en valeur vos maladresses, les choses que les autres n’aiment pas forcément … En fait c’est pas la musique c’est des relations et finalement la boucle était bouclée.
LFB : C’était important pour toi de trouver les gens qui laissent exprimer ce que tu es à l’intérieur, au-delà des apparences.
Alexia Gredy : Exactement. Souvent on te dit, on va produire ton disque et tes chansons guitare/piano-voix on va les emmener dans cette direction. En fait ça ne me correspondait pas parce que généralement c’est des choses où on est un peu exclu du processus, alors que là ce n’était pas du tout le cas, on était ensemble en studio et on essayait beaucoup de choses. Il n’y avait pas de hiérarchies, c’était des idées qu’on partageait à trois, un vrai échange et ça,ça ne se trouve pas tous les jours, donc c’était chouette.
LFB : Si je te dis que pour moi, tu as fait un album qui va à l’encontre des « standards » de la chanson actuelle, est-ce que c’est quelque chose qui te parle ?
Alexia Gredy : Si tu dis que ça va à l’encontre, c’est que c’est quelque chose de personnel et de différent donc ça ne peut qu’être un compliment. Après je n’ai pas cherché particulièrement à « aller à l’encontre », j’ai essayé de me faire plaisir. J’avais passé tellement de temps à chercher la bonne équipe, la bonne alchimie que j’avais presque renoncé. Donc je ne me suis plus du tout posé la question de comment l’album serait perçu, quand on s’est rencontré, on s’est amusé et j’ai emmené l’album au bout.
LFB : Ce qui m’a beaucoup plus c’est qu’on sent que les influences de l’album sont des choses qui te représentent vraiment, que ce soit les cordes, les touches électroniques ou l’utilisation d’une basse post-punk .
Alexia Gredy : Ça me fait très plaisir car c’est vraiment ça. Cette basse qui est sur drôle d’idée, c’est une chanson sur le désir et j’avais envie de cette urgence. J’ai beaucoup écouté les Cure quand j’étais adolescente et il y avait quelque chose de l’ordre du plaisir. Avec l’histoire que j’ai, avec les références que j’ai, où est ce que j’ai envie d’emmener ces chansons.
LFB : J’ai une question qui m’intéresse beaucoup … Je me demandais quelle était l’influence de ta région d’origine sur ta musique ? Je trouve qu’il y a quelque chose de très mélancolique et parfois un peu froid.
Alexia Gredy : Je comprends ta question. (rires) C’est vrai que quand je lis les chroniques on cite souvent ma région d’origine et je me suis posé la question de savoir si c’était cet élément là qui me décrivait particulièrement. En quoi c’est caractéristique de ma personne d’être née à cet endroit de France. Et du coup je n’arrive pas à me rendre compte de ce que ça pourrait induire sur ma musique. Mais quand tu dis que les gens du nord il y a quelque chose d’assez froid, c’est vrai que dans les chansons j’essaie d’avoir un regard d’observatrice, un peu en retrait, car c’est quelque chose que j’aime bien.
Par exemple un peu plus souvent, on a tourné le clip dans une fête foraine où on a laissé tourner une caméra et il se passe ce qui se passe. J’adore ce regard car aujourd’hui j’ai l’impression qu’il faut que ça bouge beaucoup, qu’il y ait plein de mouvements de caméras … Et j’avais justement envie de montrer une photographie d’un moment sur trois minutes, et quand on prend le temps de la regarder, il se passe plein de trucs et on n’est pas distrait par les mouvements et ça c’était important pour moi car je trouve ça fascinant ce regard d’observateur.
Est ce que ça vient du nord ? Je ne sais pas, mais moi j’aime bien (rires).
LFB : Au-delà de ça, il y a quelque chose dans les rapports humains, avec des sentiments très rentrés, de la timidité …
Alexia Gredy : Une pudeur oui. Peut être que ça vient de là oui. Cette pudeur je sais que je l’ai et j’essaie de me battre un peu contre car ce qui est chouette c’est de pouvoir partager ces sentiments.
LFB : Je voudrais revenir sur la pochette d’album est un hommage aux pochettes d’albums japonais. Et je me demandais si tu avais gardé un morceau bonus au cas où il sortirait là-bas ? (rires)
Alexia Gredy : Non mais je suis en train d’en réécrire d’autres. Je n’arrivais plus trop à écrire des chansons et là ça revient donc je suis trop contente, j’en profite. En fait j’adore les pochettes japonaises car je les trouve trop belles, il y a quelque chose d’incroyable dans l’esthétique du bandeau. J’aimerais bien pouvoir un jour faire un bandeau amovible, rajouter les logos, en faire une réinterprétation. Et j’aimais cette idée de double pochette, entre la nuit et le jour, que l’on puisse choisir sa facette de perception.
LFB : Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter avec cet album ?
Alexia Gredy : De pouvoir le jour, de le faire vivre. Voyager aussi avec, ça serait trop bien.
LFB : Est-ce que tu as des coups de cœur récents à partager avec nous ?
Alexia Gredy : En ce moment j’écoute beaucoup l’album de Jacques. Le dernier film que j’ai vu, c’est Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson, qui est vraiment sur la rencontre et le sentiment amoureux, que j’ai adoré.
Et le dernier livre que j’ai lu c’est Les impatients de Maria Pourchet que j’avais découvert avec Feu, son dernier roman. Elle a une écriture qui m’a bouleversé, assez dense et rapide, il y a quelque chose de très urgent dans sa façon de parler des gens avec beaucoup d’humour. Une écriture très vive mais pas du tout méchante et c’est très beau.