À tout juste 28 ans, Uèle Lamore a déjà eu plusieurs vie dans le monde de la musique. Chef d’orchestre, compositrice de musiques de films, elle est revenue à ses premier amour en février avec Loom, un premier album qui explore les territoires de l’imaginaire entre l’épique et l’onirique. On a eu le plaisir de rencontre la musicienne au moment de la sortie du disque pour revenir longuement sur sa création, mais aussi pour parler featuring, documentaires biologiques, skate et mangas. Rencontre avec une artiste pour qui la musique doit être ouverte à tous.
La Face B : La première question que je pose toujours aux gens, c’est comment ça va ?
Uèle Lamore : Ça va. Je suis un peu fatigué parce que le plombier est arrivé très tôt ce matin, je ne savais pas qu’il allait venir. Du coup, il m’a un peu tiré de mon sommeil. Mais ça va (rire)
La Face B : J’ai fait un peu de recherche et j’ai remarqué que ton album était annoncé depuis deux ans…
Uèle Lamore : Oui. Déjà il y a eu le COVID, ce qui a décalé toutes les sorties, et puis, mon label a fait le choix de vraiment attendre, que “ce soit fini” plutôt que de le lancer entre deux confinements.
La Face B : Du coup tu te sens comment alors qu’il vient de sortir ?
Uèle Lamore : Franchement, c’est cool.Ça fait 2 ans qu’il était annoncé, mais après, il a complètement changé l’année dernière qu’on est vraiment passé dans la phase d’enregistrement. On a fait un gros chantier et c’est devenu vraiment quelque chose d’autre, mais après? Quand à la sortie, ça devient juste une date presque parmi tant d’autres. La deuxième de la vie du disque, ça va être quand on va commencer à le jouer live et à tourner avec. Donc je suis plus en mode “ok ça c’est bon, maintenant on peut passer à autre chose”.
LFB : Donc l’album a beaucoup évolué dans le temps ?
Uèle Lamore : Ouais, ouais, de ouf. En fait, j’avais fait une première version qui était très ambiant, très expérimentale, électro minimaliste… tous ces mots intellectuels qui veulent un peu rien dire (rires).
Du coup il était un peu resté mon disque dur et après j’ai eu une proposition de signature. Et en réécoutant ce que j’avais fait pour me rappeler un peu, j’ai réalisé que je n’aimais pas du tout.
Je pense que quand je l’avais fait j’étais un peu dans un monde chelou, donc j’ai décidé de tout tirer et je suis reparti sur de nouvelles bases avec un projet dont j’avais vraiment envie et sur lequel tu peux projeter sur le longue période.
LFB : Du coup c’est quelque chose qui te représente maintenant à l’instant T ?
Uèle Lamore : Non, je ne pense pas en vrai. Je pense que c’était des aspects, de presque de mon héritage musical que j’assumais peut être moins … Tout ce qui était rock, le côté guitaristique.
Quand j’ai décidé de le retravailler, je me suis dit que j’allais le faire à fond. Je ne me suis pas posé de questions et j’ai juste fait des choses que j’entends et qui me plaisent. Je vais juste le faire et advienne que pourra.
LFB : J’aime beaucoup étudier les titres d’album. Le tien s’appelle Loom, c’est un métier à tisser en anglais. Du coup, je me demandais si tu voyais la musique comme une matière malléable ?
Uèle Lamore : Oui, grave. Je trouve que c’est super cool comme idée. En fait moi, j’aime bien dans la musique tout ce qui est très texturisé, où tu sens la densité.
Par dense, ça ne veut pas dire qu’il y ait beaucoup, beaucoup d’instruments, beaucoup de paroles pour que ça soit fort en volume, mais juste que tu pénètres un truc quoi, ça j’aime bien.
LFB : Au départ tu as un fil et c’est à travers ce que tu en fais que ça devient une œuvre. Et là, finalement, j’ai l’impression que ta musique, c’est un peu une idée, une émotion, une note. Et à partir de ça, tu tisses quelque chose.
Uèle Lamore : C’est l’idée d’avoir un métier à tisser, que chaque fil raconte son histoire. Tu commences avec un morceau, tu développes une idée et puis après, ça s’agrandit et ça devient quelque chose d’autre.
Le truc qui était important pour moi, c’était de faire de la musique qui soit accessible et compréhensible par les gens, mais qui, en même temps, propose des choses différentes. Où tu comprends les références mais qui t’amène autre par en même temps.
LFB : L’album commence avec une introduction et se termine avec Warm Blood qui est pour moi une vraie conclusion. Est ce que c’était quelque chose que tu as recherché dans la création de l’album, de raconter une histoire ?
Uèle Amore : Oui, c’était hyper important pour moi. Je pense qu’aujourd’hui, on distingue deux écoles : D’un côté, tu as l’album rempli de singles et où tu espères que l’un d’eux va faire beaucoup de streaming ou beaucoup de play radio. Et on a l’autre école où c’est plus une continuité de la track 1 à la track 12… Et moi, je voulais vraiment un truc ou une qui doit s’écouter dans sa totalité. Idéalement, que ça soit vraiment un album qui raconte une histoire complète.
Je pense que ça vient du fait que moi, j’écoute des disques comme ça.J’écoute tous les morceaux pas juste le single et puis après bye bye tu vois ?
Et puis, je pense qu’il y a des gens qui écoutent de la musique comme ça aussi.
LFB : Justement, ça a été compliqué pour toi de sortir des titres qui ressortent pour présenter l’album ?
Uèle Lamore : Non pas vraiment, parce que parce que l’avantage, c’était que quand même, il y avait des titres avec la voix qui étaient un peu “une évidence” comme singles, parce que peut être plus accessible, qui donnent une porte d’entrée plus facile au reste que du contenu du disque.
Il y a un morceau qui s’appelle Dominance, c’est sûr que ça ne va pas être un single tu vois (rires). Ça peut être en signature, car je pense que ces gens là ou là.
Donc c’était un choix assez facile et je pense que c’est aussi quelque chose que j’ai voulu faire dans la manière dont j’ai construit le disque, c’est d’avoir des morceaux qui soient plus accessibles et qui soit, comme je viens de le dire, une porte d’entrée au reste du projet de l’album.
LFB : Moi, ce que j’ai bien aimé dans l’album et c’est un truc dont j’avais parlé avec Gaspard Augé, c’est que c’est un album qui est majoritairement instrumental et je me demandais si c’était important pour toi de laisser place à l’imagination de l’auditeur dans l’écoute ?
Uèle Lamore : Ouais, grave. Je voulais des morceaux qui soient ouverts d’interprétations. Il y a des titres qui évoquent des images à tout le monde mais avec des sens différents et quand tu écoutes le morceau, c’est à toi de dire de quoi ça parle et que ça t’amène quelque part d’autre. Et c’est pour ça que les morceaux instrumentaux, il y a beaucoup d’attention qui est apportée au sound-design, pour que ce soit le plus immersif possible.
LFB : Et justement, toi, quand tu composes, de quoi est-ce que tu pars, qu’est ce qui te donne l’idée d’une chanson?
Uèle Lamore : En fait, j’essaye toujours de me projeter dans une histoire parce que moi, je suis quelqu’un de très visuel.
Ce que je dis toujours, c’est que je m’imagine un clip et avec le morceau je fais limite le scoring de ce clip. J’ai un rapport super fort avec l’image et les clips et j’essaie vraiment de raconter quelque chose.
LFB : Ce que j’ai aussi trouvé cool sur l’album c’est que j’ai l’impression qu’il y avait des idées de paysages aussi au niveau des sons et de la manière dont ils sont employés, avec des zones géographiques assez claires.
Uèle Lamore : Oui, oui, oui, oui, oui, carrément. il y a des sons où c’est clairement de la jungle amazonienne d’autres ou c’est plus le froid, plus proche l’eau… Peut être parce que j’ai eu cette volonté de créer un univers onirique qui n’existe pas forcément. Donc tu représentes les différents éléments démographiques de cet endroit. Et puis, je suis passionné de biologie et de géologie, j’adore. Je peux passer des heures sur les documentaires National Geographic, je kiffe. Il faut vraiment pas me lancer là dessus (rires)
LFB : Et du coup est-ce que des fois ça te surprend que les gens aient une image totalement différente de ta chanson ?
Uèle Lamore :Je pense que si ça m’arrive, ça me ferait plaisir parce que je me dirais que c’est exactement ce que je veux qu’il se passe avec le disque.
Je trouve que c’est intéressant parce que tu sais, quand tu fais de la compo ou de la prod, c’est quand même un process très narcissique et autocentrée. Et je pense que c’est cool quand tu le montres à d’autres personnes et que tu fais “ah en fait, c’est ce que ça veut dire dans la tête de quelqu’un d’autres”. Je pense que c’est bien, c’est très bien même.
LFB : Et justement, le fait d’utiliser le moins de voix possible,est-ce que ça coupe un peu ce narcissisme ?
Uèle Lamore : Tu sais si, j’avais su que ça serait aussi cool de bosser avec des gens… Le titre avec Gracy Hopkins c’était acté depuis longtemps, mais celui avec Cherise, avec Silly Boy Blue ou celui où je suis au vocoder, je n’y avais pas fait vraiment complètement pensé avant de refaire le process d’enregistrement
Et si j’avais su que ça allait être tellement cool et que les gens, surtout, allaient vouloir le faire, parce que je n’osais pas demander, j’avais peur de me prendre des vents j’en aurais fait plus.
Je pense que le prochain disque que je vais faire, je ferais plus de feats avec des voix. Pour moi, ça a vraiment été une super expérience, avec les trois de le faire et j’ai vraiment kiffé.
Surtout que je leur ai donné carte blanche. Vu que c’est des artistes que j’aime, que j’aime ce qu’ils font, je leur ai donné la prod, expliquait en 5 minutes de quoi ça parlait et je les ai laissé faire. Donc si je fais le deuxième disque, et j’espère que ça se fera rapidement, je ferais plus de feats.
LFB : Du coup, ça coupe bien le côté narcissique avec cet échange.
Uèle Lamore : J’ai parlé de narcissisme, mais je pense que c’est plus solitaire. Il y a un moment où quand tu fais ton album, tu as besoin de commencer à avoir d’autres personnes. Et ça fait tellement une bouffée d’air frais. Quand tu vois les chanteurs arriver. ça fait du bien. Tu peux un peu souffler et la pression n’est plus vraiment sur toi. (rires)
LFB : Surtout là, tu as vraiment choisi des personnalités assez fortes pour les featurings.
Uèle Lamore : Ce sont des grosses personnalités artistiques qui ont vraiment un timbre de voix reconnaissable et vraiment une patte chacun à leur manière. En vrai, ça se fait assez naturellement, c’était une évidence.
Je suis hyper fan des disques de Massive Attack, où les premiers disques de Gorillaz où il y avait ça, en fait, des gens hyper différents à chaque fois. Mais ce qui fait que tout est cohérent, c’est la musique qui tient le truc. Et moi, c’est ce genre de musique que j’aime.
LFB : On en a un peu parlé tout à l’heure, mais est ce que c’était important pour toi de faire une musique à la fois pointu et en même temps hyper accessible ?
Uèle Lamore : C’est hyper important pour moi car j’ai un peu de mal avec les gens qui font de la musique ultra pointu où il n’y aura qu’un petit groupe de gens qui vont l’apprécier. Pour moi la musique c’est un truc qui doit être partagé et ça fait du bien dans le paysage musical actuel, et il y a d’autres artistes qui le font très bien, de proposer ce genre de musique. Que ce soit différent et pas du réchauffé des années 80.
La Face B: Et justement, je me demandais si c’est ton passage à Berkeley qui t’avait guidé dans cette idée de faire une proposition et de ne pas prendre les auditeurs pour des cons ?
Uèle Lamore : Il y a Berkeley oui et après, j’ai fait une autre école de musique avant, en guitares. Je pense que qu’avoir la chance d’étudier te permet d’avoir le bagage technique pour mettre en application des idées un peu abstraites que tu peux avoir en tête.
Et puis surtout aussi, ça te permet de pouvoir faire des choses de manière assez autonome, parce que tu sais faire beaucoup de choses … En fait, c’est juste un bagage technique et intellectuel qui va te permettre de débloquer un peu tes idées.
Et puis aussi, le truc, c’est que quand tu vas à des écoles comme ça, je crois qu’ils ont un taux de 70% d’étrangers, donc tu te retrouves exposée à des gens, des cultures musicale, des manières de faire, des manières de travailler, de réfléchir en musique qui sont tellement différentes que l’avantage, c’est que ça te décomplexe vachement.
Parce que quand tu arrives, si tu vois les gens qui travaillent un peu tous de la même manière qu’ils font mes disques comme ça, comme ça, et tu dis c’est pas grave, je ne fais pas ça comme ça, mais au final, le disque il va être pressé. Tu vas le faire, juste pas comme les autres (rires)
LFB : Tu apprends la liberté au final. Parce que si tu fais le conservatoire ou des choses comme ça, c’est des trucs qui peuvent se structurer mais aussi bloquer complètement, en fait.
Uèle Lamore : Est ce que c’est vraiment la liberté? En fait, je pense que ça m’a appris à avoir confiance en moi et de ne pas avoir peur de créer, de rater aussi. Parce que c’est des endroits vraiment durs, c’est la piscine aux requins (rires).
Tu te prends tellement de claques qu’au final tu t’en fous, tu n’as plus rien à perdre et tu te dis que tu vas faire un disque où tu vas être à fond dans tous les délires … Et voilà (rires)
LFB : Dans Loom il y a aussi cette volonté de surprendre, cette volonté d’inattendu, que ce soit dans les structures ou dans les changements et que je trouve très beau et qui au fond, force à maintenir l’attention.
Uèle Lamore : Ca je pense que c’est un truc qui m’est venu sur le tard, quand j’ai étudié le classique à Berkeley. Le classique et le jazz ont changé ma vision des structures. Un morceau ce n’est pas forcément A-B A-B, ça peut aussi être A-B-C-D-E-F-G … que pendant deux mesures tu peux faire un truc et revenir dessus. Je dis souvent à mes potes qui ne sont pas dans la musique classique d’y jeter un œil car tu apprends des choses vachement intéressantes à appliquer dans la musique contemporaine.
LFB : Cet album là, comment tu le vois en live ?
Uèle Amore : Depuis le début. Je ne raconte pas le bras de fer, frère (rires)
Je voulais vraiment avoir un vrai groupe. Moi à la base c’est ma culture le groupe, et puis cela faisait 6-7 que je ne voyais que 2/3 personnes en live et ça me manque trop les groupes. Et puis je voulais qu’il y aie l’objet album et l’objet live, que ce soit deux expériences différentes, que tu ne viennes pas écouter le disque sur des grosses enceintes.
Du coup je leur ai dit que je voulais un groupe avec guitares, synthés, basse-batterie et qu’il y ait un côté plus rock qui soit mis en avant et que ça tabasse beaucoup plus. Donc ouais, ça va être cool (rires).
LFB : J’ai des questions à te poser qui sont en dehors de la musique. Dans tes clips, tu apparais deux fois avec un skateboard. Je voulais que tu me parles de ce que cela représente pour toi.
Uèle Lamore : En fait, moi la culture skate ça a été hyper important pour moi. J’ai grandi en banlieue et ensuite je suis arrivé à Paris. Et quand je suis arrivé à Paris, j’ai eu beaucoup de mal à m’intégrer et à avoir un groupe de potes. Et le premier groupe de potes hyper soudé que j’ai eu c’était les skaters de Bastille et République. On se retrouvait le samedi à 10h avec nos planches de skate, on ne savait pas ce qu’on allait faire mais c’était trop bien. Et quand tu as fait du skate une fois dans ta vie, ça restera toujours en toi. On se reconnaît (rires).
LFB : L’autre élément important pour toi. J’aimerais bien que tu me parles de ton manga préféré.
Uèle Lamore : Mon manga préféré c’est Hunter X Hunter. Et c’est peut être un des seuls mangas où l’animé arrive clairement à la cheville du manga. La musique c’est une dinguerie.
J’adore tout le concept du nen, comment c’est foutu, c’est hyper intelligent. Et puis le mec prend grave son temps et ça c’est cool. Parce que ses histoires sont hyper bien construites, il n’y a rien de superflu. Je ne sais pas comment il fait car les mangakas ont une pression de malade … Et là y’a le nouvel arc, j’attends que ça sorte putain ! (rires)
Hunter x Hunter, je trouve que c’est un shōnen qui n’en est pas vraiment un parce que déjà, le personnage principal, est ce que c’est vraiment Gon ? À débattre, ça dépend de la période où tu en es … bref (rires)
LFB : Pour finir, est ce que tu nous parler de tes coups de cœur récents ?
Uèle Lamore : Ouais, il y a un film que j’ai adoré. C’était The Green Knight qui est sorti. Il n’est jamais sorti au cinéma et il est incroyable sur scène.
Quand tu regardes un film sur ton ordi, tu fais tout le temps des pauses sur ton téléphone, sur n’importe quoi. Et là, je n’ai pas mis sur pause une seule fois, ça m’a donné envie de m’acheter un vidéo projecteur et de le remater.
Deuxième coup de cœur musique, c’est Fontaines D.C, j’adore les deux premiers singles qui sont sortis de l’album à venir, pour moi c’est le renouveau de la musique irlandaise. Ils gardent leur identité en était beaucoup plus musical. Ça tue, j’adore et mes voisins connaissent par coeur, ils sont obligés (rires).