À 29 ans seulement, il a joué avec Pete Doherty et Mick Taylor. Ses amis le surnomment le roi de Pigalle, mais les frontières de son royaume s’étendent bien au-delà des second-hand shop où il a ses quartiers… D’aphorismes en hymnes rock irrésistibles, l’âme de Thomas Baignères se trimballe par delà les genres préétablis pour nous embarquer dans une traversée du siècle à vive allure. Rencontre.
La Face B : À quoi ressemblait l’enfance de Thomas Baignères ?
Thomas Baignères : Alors, j’ai beaucoup vécu entre Paris et Genève… J’ai fait pas mal d’allers-retours avec finalement peu de stabilité et beaucoup de déménagements. Il faut le dire aussi, j’étais un enfant extrêmement anxieux… Je faisais des colères tout le temps, mais pas des colères de rage. Elles découlaient plutôt de mon incapacité à mettre en mots ce que je ressentais, à une privation de liberté d’expression. Donc l’enfance n’était pas toujours facile pour moi. Et puis il y a eu ce moment, où ma mère m’a proposé de prendre des cours de guitare ou des cours de basket.
La Face B : Tu dirais du coup que l’enfance a été un terreau pour ton expression artistique, quelque chose qui l’a nourrie ?
Thomas Baignères : Pas vraiment, c’est le début d’une action artistique, il est vrai, mais ça ne va pas plus loin – même si évidemment l’enfance forge les caractères.
La Face B : Poésie, musique, traduction… Artiste polymorphe, tu t’essaies à différents médiums. Originellement, comment l’écriture s’est-elle imposée à toi comme moyen d’expression ?
Thomas Baignères : Je voyais ma sœur écrire des scénario de cinéma, sur un grand papier blanc avec un feutre noir – j’adorais la regarder faire ça. Je me suis donc dit que j’allais l’imiter, et j’ai commencé à tenir ce que j’appelais un « journal de la vie », et dont j’écrivais une page par jour. Et c’était réellement une page entière, il fallait que le point final achève le récit en bas, à droite, c’était vraiment une discipline ! Avec cette écriture au feutre noir, c’était donc d’abord la forme qui primait, plus que le fond. Mais ce journal de la vie se voulait – même si j’en ignorais encore tout – philosophique ! J’ai ensuite dévié vers les aphorismes, puis la poésie, le théâtre, et c’est alors que j’ai commencé à m’intéresser d’avantage au fond.
La Face B : Une question me vient en t’écoutant… Dirais-tu que c’est cette discipline très stricte, à laquelle tu t’es astreint des années durant, qui t’a guidé dans ta démarche artistique pour aboutir à cette grande exigence qu’on ressent dans tes morceaux ?
Thomas Baignères : C’est vrai que malgré l’apparence d’un certain bordel, d’un certain foutoir, j’aime les choses très structurées. En plus de cette discipline de la page finie, je m’astreignais aussi à un exercice très strict de listes de choses à faire : c’était la partie de l’enfance la moins marrante, car ces listes m’obsédaient.
La Face B : Pourtant Gasoline, c’est très libre.. ?
Thomas Baignères : Alors, en apparence oui, mais en vérité, c’est extrêmement bien structuré ! Avec Théo (NDLR : Gosselin), on a tous les deux ce côté où on aime les choses très cadrées, très efficaces ; et c’est pourquoi il est important pour moi de collaborer en musique, avec des gens qui me font prendre des libertés que je ne prendrais pas moi-même. Pour moi, une chanson c’est vraiment couplet-refrain, couplet-refrain, pont-refrain, avec certains automatismes, parfois trop présents et qui ne laissent pas suffisamment de place à la liberté. Collaborer me permet de m’en extraire pour partir sur cette autre voie.
La Face B : Je vois… À propos de collaboration, tu pourrais me parler de ta rencontre avec Pete (NDLR : Doherty). Il est sympa ?
Thomas Baignères : Alors sympa c’est pas le terme ! Je dirais plutôt foncièrement gentil – même si rongé par tous les démons qu’on lui connaît… Mais sympa ça le réduirait à quelque chose de peu profond alors qu’il l’est, viscéralement… Notre rencontre, c’était à une terrasse de café dans le Marais. J’étais avec mon ami Victor (le guitariste le mon premier groupe LeSpark), et Pete prenait des photos de nous. On a commencé à discuter, on lui a fait écouter notre musique et il nous a dit : « écoutez, je vais visiter un endroit ce soir, ça s’appelle Le Tigre et demain, je fais un concert là-bas. Si vous voulez, vous venez jouer avec moi. » C’est comme ça qu’on s’est retrouvés à faire la première partie et à jouer ensemble ! C’est ce que je raconte dans la préface de la traduction que j’ai fait de son bouquin…
La Face B : Incroyable… Tu as donc navigué au gré de multiples collaborations, et pas des moindres, depuis tes débuts sur la scène rock… Pour finalement lancer ce nouveau projet, en 2019 : Gasoline, qui est-ce ?
Thomas Baignères : Alors, Gasoline, c’est moi et Théo Gosselin, qui à peu près au même moment que le lancement de mon projet solo m’a proposé qu’on monte un groupe – groupe qui s’est rapidement, après la première répète, transformé en duo car on voulait vraiment aller droit au but… Théo, c’est un mec que j’ai un peu toujours connu au gré d’amis communs, toujours sur le routes, en vadrouille… La première fois que je l’ai vu, c’était à l’anniversaire de sa copine Maud Chalard – qui a d’ailleurs réalisé la couverture de « The Orange Album »… Ils étaient tous nus, dans une maison à Amiens en train de jouer de l’harmonica, vraiment dans un truc néo-hippie comme on voit souvent dans les photos de Théo. On se rencontre là. Un peu plus tard, je devais aller jouer à Londres avec mon autre groupe Flare Voyant, et Théo est venu, avec mon pote Thibault Lévêque ! On est tous partis en bus, et c’est là qu’on a vraiment commencé à parler et à devenir amis. C’est à ce moment-là aussi qu’il m’a dit : « si un jour j’ai un studio de répétition, j’aimerais bien qu’on fasse quelque chose ensemble ». Ce jour est arrivé, et c’est comme ça qu’est né Gasoline.
La Face B : D’accord… Sur des titres de ton projet solo comme « Alors tu m’aimes », une poésie francophone teintée d’accents yé-yé s’est imposée… Avec Gasoline, tu renoues avec l’anglais et les racines-mêmes du rock. Ce sont ces deux années enfermé qui ont mûri ce besoin d’exutoire, quelque chose de très libre, très énergique ?
Thomas Baignères : Alors non, car les deux projets avaient été enregistrés avant ; en revanche ce que le confinement m’a apporté, c’est un rapprochement artistique intense avec Théo. On a beaucoup composé, écrit à distance : on s’envoyait constamment des mémos vocaux, et je dirais que ça a été extrêmement positif sur le plan de l’émulation créative… Auparavant, c’était plutôt moi qui écrivait les textes, mais Théo s’est mis à écrire pas mal aussi, et on travaillait comme ça en ping-pong, nourrissant véritablement l’aspect collaboratif de la chose.
La Face B : Et ce parti-pris de livrer quelque chose de résolument rock, c’était dans l’idée de retrouver le live, les concerts ? On sent que ce sont des chansons faites pour vivre sur scène.
Thomas Baignères : Oui. L’album a été enregistré en trois jours de prises batterie-guitare, les voix quatre jours après, ça a duré une semaine en tout…
La Face B : Et ça fonctionne… Autre question, sur le public : je me demandais aussi, comment se défait-on de l’émulation autour de son travail pour rester dans une création libre ?
Thomas Baignères : Alors déjà, y a-t-il vraiment attente, dans la mesure où je ne suis pas connu ? Ou bien seulement dans le microcosme parisien… Bien sûr, il faut toujours faire attention à ce que les gens vont penser et en même temps non, car quand on suit une trajectoire qui est naturelle pour soi, on a pas le choix : ils aiment ou ils aiment pas. On ne fait pas pour le public – il faut qu’il sente en revanche qu’on ne le trahit pas, qu’il y a une pure vérité. C’est pour ces raisons que le public aime un artiste, et qu’il est fidèle, selon moi.
La Face B : Il y a un aspect vocationnel du coup ?
Thomas Baignères : Disons que je réponds à ce qui naturellement sonne juste pour moi. Ça peut créer de la confusion pour les gens qui ont parfois du mal à suivre la raison de la multiplicité de ces projets – d’un côté Gasoline, très rock, de l’autre mon projet solo, très intimiste, pop et chanson française. C’est plutôt là qu’on peut parfois avoir du mal à voir clair dans mon jeu, mais pour moi c’est logique : j’ai commencé par le rock en anglais, et avant ça j’avais l’écriture en français. À un moment, j’ai eu cette envie de faire la jonction. Avec mon premier groupe, LeSpark, on était sur cette ligne-là, un peu melting-pot, mais après un temps, j’ai eu envie de dissocier les deux.
La Face B : À propos d’absence de compromis, parlons mode… Tu es connu pour ton look pointu aux accents délicieusement – résolument – 70’s. Notre lectorat pourra tomber sur toi au rayon vieux cuirs de certaines friperies parisiennes, ou encore derrière le comptoir d’un shop de seconde main en plein cœur de Pigalle – By Flowers… Le vintage, c’est un art de vivre. Mais ça représente quoi exactement pour toi ?
Thomas Baignères : Quand, au début de la 3e, il y a eu ce mouvement des bébés rockers… Je vois mon pote Richard (qui deviendra par la suite le bassiste de mon groupe LeSpark), débarquer avec un jean slim, on trouve ça dingue… À l’époque, c’était la grande mode des jeans Diesel, shalala… Il est moqué et critiqué par des gens qui, un an après, seront tous convertis à ce look ! C’était un effet de mode, lié à la musique, qui est arrivé dans les cours d’école. Je découvre alors le monde de la fripe, intimement lié pour moi au rock… Mon obsession d’alors, c’était de m’habiller comme les Stones.
La Face B : Et ça fait quoi, de par la suite collaborer avec ses idoles, puisque je crois que tu as joué avec un membre des Rolling Stones…
Thomas Baignères : J’ai effectivement joué avec Mick Taylor, qui était le guitariste des Stones de 69 à 74… C’est sûr que c’était sublime, il a essayé la guitare que j’avais acheté justement en référence à celles qu’il utilisait sur scène ! C’était comme une passation de pouvoir, c’était incroyable. Il a aussi emprunté les pédales de Victor, c’était vraiment surréaliste !
La Face B : Bien sûr… Et concernant tes influences du coup, en dehors des Stones…
Thomas Baignères : Il y a le blues aussi, beaucoup… Muddy Waters, John Lee Hooker, dans le rock Chuck Berry, dans les années 60’s, 70’s, Jefferson Airplane, Grateful Dead, j’aime également beaucoup les petites pépites obscures qu’on connaît moins, le yé-yé français, aussi, et puis Christophe, Daniel Darc…
La Face B : Et concernant la mise en images de ta musique, comment cela se passe ?
Thomas Baignères : J’ai la chance d’être très entouré, par des amis presque tous photographes ou réalisateurs…Je travaille main dans la main avec eux. Sur « Alors tu m’aimes », c’était une rencontre avec un réal’ canadien avec qui on a réuni tous les amis, qui sont en couple, ou pas, et qu’on a fait vivre dans tout Paris à travers toutes ces histoires… Pour Gasoline, c’est Théo Gosselin, qui est photographe et réalisateur qui réalise les clips ! Dans l’un d’entre eux, très beau – un hommage à notre ami Hector parti il y a cinq ans… – on a fait jouer Thibault Lévêque, qui avait commencé un road-trip inachevé avec cet ami. Sur les plan, on voit Thubault dans le désert et a joué, jouant comme si il était toujours en présence de son ami disparu… C’est implicite, les gens ne le savent pas…
La Face B : Pour terminer, as-tu un message que tu souhaites faire passer ?
Thomas Baignères : Les chansons que j’écris partent souvent des poèmes que j’écris… Je pense que le message est de fait très implicite. Le dire romprait la magie. Si je racontais de façon explicite ce que je veux dire, ce serait trahir le message… Il faut m’écouter, à cœur ouvert.