De Berlin à New-York en passant par Paris, Kittin & The Hacker ont apposé leur empreinte aux deux siècles qu’ils ont traversé. Vingt-sept ans après leurs débuts, l’iconique duo, monument de la musique electroclash, revient sur le devant de la scène avec un troisième album, sobrement intitulé Third Album – et une tournée. Electrisés par leurs beats entêtants, souvent surprenants, on s’est entretenu avec eux. Confessions de deux enfants de la techno.
La Face B : Comment vous positionnez-vous vis-à-vis de cette appellation d’electroclash et comment avez-vous vécu l’évolution de cette scène ?
Kittin : On n’a pas choisi hein…
The Hacker : Souvent quand il y a un nouveau mouvement ou courant qui apparaît, ceux qui en sont à l’origine ne s’en revendiquent pas. Venant de nous, ce n’était pas une intention… On nous a dit que ça s’appelait electroclash, ouais, pourquoi pas…
Kittin : Disons que c’est le marqueur d’une époque.
The Hacker : Quand tu fais partie du truc, tu ne t’en rends pas vraiment compte
Kittin : Nous on faisait de la musique avant que le mot n’existe, et on en fait encore après… Ça n’a pas vraiment d’importance, c’est plus pour les gens que c’est important.
La Face B : Votre collaboration, entamée il y a plus de vingt ans à l’aube des années 2000, a créé une lourde attente autour de chacune de vos sorties. Comment s’affranchit-on de cette pression pour rester dans un processus créatif libre ?
Kittin : Alors déjà, on a commencé en 95 mais ce n’est qu’en 2001 que notre musique est arrivée en France. On était déjà en tournée depuis 6 ans en Europe et les français n’avaient pas encore percuté…
Kittin : Et puis, ça fait déjà deux ans qu’on l’a fait cet album, dans notre coin, sans en parler ! La seule pression en fait, c’est de faire quelque chose qui nous plaît, qui demeure actuel tout en restant traditionnel par rapport à la musique qu’on fait et qu’on sait faire – et de la faire de mieux en mieux.
The Hacker : C’est-à-dire qu’on s’en fout un peu, mais pas complètement de ce qui se passe à côté. On est attentifs à ce qui se fait, mais on reste sur notre ligne directrice.
La Face B : Berlin est très présente dans votre œuvre. Comment la ville nourrit-elle votre créativité ?
Kittin : Tout comme dans l’œuvre de Depech Mod, de Bowie… Disons que c’est un passage un peu obligé.
The Hacker : C’est vrai que ça a été une ville assez importante, un des tout premiers live qu’on a fait c’était là-bas, en 97, au Discount.
Kittin : C’était près d’un petit supermarché, près d’Unter den Linden, un genre de Aldi…
The Hacker : On a joué dans un Lidl, en fait !
Kittin : Et le portier, c’était déjà Sven du Berghain !
The Hacker : Sérieusement, ça a été un live très important pour nous, car on a joué devant toute cette scène sans le savoir – que ce soit les gens de Hard Wax ou de Basic Channel, Tresor… Mais j’ai pas le souvenir d’avoir eu le trac. C’était tellement des conditions autres… C’était un autre siècle. On a joué 25 minutes.
The Hacker : Tu te souviens ? On était au niveau du dancefloor, y avait pas de scène, du coup on t’avait mis sur un espèce de plot pour que le public puisse te voir ! On a joué aussi pour l’ouverture du Ostgut, qui est devenu ensuite le Berghain…
Kittin : Et puis j’y ai vécu… On y a nos repères, nos restaus, nos coins… Enfin, on adore y aller, on y a des amis et on travaille toujours avec des gens de Berlin.
La Face B : Pourquoi ce choix de retravailler ensemble 13 ans après votre dernière collaboration ? De quelle façon votre parcours individuel nourrit-il votre œuvre commune ?
The Hacker : Moi c’est quand je commence à m’ennuyer que je l’appelle (rires). C’est que la musique électronique, c’est un truc très solitaire en fait. Quand tu bloques, c’est bien d ‘avoir quelqu’un avec toi qui te donne des nouvelles clefs…
Kittin : On a tout appris ensemble dans des conditions difficiles, sans parler la langue, sur des routes puisqu’il n’y avait pas, comme aujourd’hui, des aéroports partout !
The Hacker : Et puis le métier de DJ était vachement moins encadré qu’aujourd’hui…
Kittin : Ben oui, on avait pas de manager, on avait pas de tourneur, pas d’ingé son… On était tout seul, fallait se débrouiller ! Combien de fois on s’est retrouvés en rase campagne à attendre un chauffeur qui n’arrivait pas, sans portable évidemment… Ca soude, parce qu’il n’y a personne d’autre !
The Hacker : Comme pour notre premier live à New York où Caro dormait chez des amis, on n’arrivait pas à se rejoindre, il était 23h, j’avais pas d’hôtel…
Kittin : Pour la créativité, on s’apporte pile poil ce qu’il nous faut, mais ce qui nous lie le plus, c’est qu’on se marre. On n’arrête pas de rigoler. Donc là on a hâte de repartir… C’est un plus, la musique en fait. On a été dans notre première rave ensemble en 91 ! C’est une histoire de potes, d’amitié, avant d’être un projet musical.
La Face B : Comment avez-vous vécu ces deux dernières années ?
The Hacker : Je suis un peu une feignasse, faut le dire… Donc après une grosse année 2019, j’étais épuisé. Avec l’arrivée du Covid, je me suis dit cool ! Deux mois de vacances ! Quand ces deux mois se sont transformés en deux ans, ça a été beaucoup moins cool… Parce que tu gamberges, que tu te remets en question…
Kittin : Il y a même eu des moments où je me suis dit : on va se reconvertir… Quand ça arrive à une période où t’es un peu au bord du burn-out parce que tu as beaucoup joué, tu te poses la question, de jouer une date de temps en temps en hobby, et d’avoir un autre boulot, où on serait plus souvent chez nous, et d’un peu passer la main… Bon, là c’est mal barré avec cette album (rires).
La Face B : Quels sont vos projets pour 2022?
The Hacker : On répète la semaine prochaine, ensuite, des dates !
Kittin : Jouer nos trucs, voir ce que ça donne (rires). Je me réjouis qu’on reparte tous les deux… On ne s’ennuie jamais, ça va être joyeux – bon, au bout d’un moment, on ne pourra plus se supporter…
Kittin : Non mais ça se passe bien, on est contents ! (Rires)
La Face B : Avez-vous un message à faire passer ?
The Hacker : Les Beatles disaient toujours la même chose à la fin des interviews… Rah, j’ai oublié !
Kittin : Moi je pense à Daniel Craig à qui on demandait toujours qui allait le remplacer, et il répondait : « It’s not my problem ! » Et j’adore cette réponse : big up à Daniel ! C’est la meilleure issue de secours à plein de choses !