Un premier EP est toujours une étape importante, surtout quand on le porte depuis quelques temps. Charlie Pâle a récemment dévoilé le sien, Je vais où?. On a eu le plaisir de le rencontrer récemment pour en parler, revenant aussi sur l’évolution musicale et personnelle d’un artiste dont on n’a pas fini d’entendre parler.
La Face B : Salut Charlie, comment ça va ?
Charlie Pâle : Ça va très bien. Je suis très content d’être là.
LFB : Puisque c’est ton premier EP,on va faire connaissance. Qui es-tu Charlie ?
Charlie Pâle : Je suis Charlie Pâle, j’ai 25 ans. Ça fait maintenant déjà trois ans que je développe mon projet qui va sortir le 7 avril. Ça fait trois ans qu’on bosse dessus et on est en train de le peaufiner.
LFB : Est-ce que tu as l’impression que la période des deux dernières années a été bénéfique au projet ? Dans le sens où tu as pu affiner ce que tu voulais faire, ce que tu n’aurais peut-être pas pu faire autrement.
Charlie Pâle : Au départ, ça a été un vrai coup dur, parce que ça a vraiment stoppé le projet. Ça a été hyper bénéfique avec du recul parce que c’est dans cette période-là que j’ai commencé à transitionner et que j’ai compris qui j’étais. Du coup, je peux encore plus développer mon projet, c’est encore plus vrai et maintenant, c’est vraiment moi. C’est enregistré avec une nouvelle voix et c’était hyper important pour moi. Je me sens beaucoup plus libre, beaucoup plus fort et épanoui.
LFB : Ce que je trouve intéressant à l’écoute des titres, c’est qu’il y a deux chemins qui se mélangent, l’impression que les morceaux sont comme une quête, avec un chemin vers toi, mais aussi un chemin vers les autres. Ces deux idées-là se mélangent dans le premier morceau que tu as sorti.
Charlie Pâle : Bien sûr, déjà parce que quand j’ai écrit ces morceaux il y a à peu près 3 ans, j’étais très perdu, je ne savais pas où j’allais, je ne savais pas qui j’étais, j’étais vraiment en pleine construction au final. Et le fait d’être maintenant plus à l’aise avec moi-même, de savoir un peu plus qui je suis et où je vais, ça me permet d’être plus ouvert sur le monde extérieur, d’être plus épanoui et de mieux accueillir le monde qui m’entoure.
LFB : Tu me diras si je me trompe, mais beaucoup de tes morceaux se jouent comme des dialogues dans l’écriture. Tu t’adresses à l’autre ou tu prends le point de vue d’une personne, parfois tu personnifies des choses dont tu veux te débarrasser pour pouvoir avancer. Comment avais-tu envisagé cette écriture-là ?
Charlie Pâle : C’est comme si je prenais un peu de recul et que je m’adressais à moi-même. C’est toujours un message que je m’adresse avant tout et ça devient au final un dialogue universel.
LFB : Dans un morceau comme Parasite, j’ai vraiment l’impression que tu transformes quelque chose que tu as en toi en quelque chose que tu peux nommer, afin que tu puisses le mettre derrière toi.
Charlie Pâle : Cette chanson est particulière. Je suis tombé malade à 16 ans, j’étais déscolarisé et je suis resté chez moi, presque alité. J’ai perdu tous mes amis et je me suis vraiment retrouvé très seul. C’est à ce moment là que j’ai appris la guitare, et je l’ai fait pour écrire mes premières chansons, pour évacuer ce que je ressentais et pouvoir me décharger de toutes ces émotions négatives. Quelques années plus tard, j’ai trouvé ça important de pouvoir mettre des mots sur ce que j’avais vécu, de me dire que j’avais réussi à m’en sortir et que ça m’a vraiment rendu plus fort. Je me suis dit avec du recul que grâce à ça, je suis devenu qui je suis et donc avec du recul, c’est cool.
LFB : Cette idée de catharsis est très présente. Le fait de réécouter tes chansons, de les réinterpréter, est-ce que ça te permet de ne pas revenir sur ce que tu as vécu, où au contraire de voir le chemin que tu as parcouru depuis la création des chansons ?
Charlie Pâle : Ça me permet de voir le chemin parcouru. Je les réécoute et je les réinterprete différemment, ce qui est super important. Après, ça fait partie de mon passé, ça fait partie de moi, mais ça ne me replongera jamais dans une mauvaise période. Ça m’aide vraiment à me sentir plus fort et à me dire : OK, tu as fait un long chemin, tu en es là aujourd’hui et tu peux en être fier.
LFB : Ce qui est intéressant, c’est que même si les textes sont remplis de doutes et ont une part un peu sombre, les productions qui vont avec les morceaux ont ce côté lumineux, un peu entertainement, qui reste malgré tout.
Charlie Pâle : Oui, c’est important, parce que malgré la présence de passages sombres et de paroles pas toujours gaies, il y a tout de même un message d’espoir que j’avais envie aussi de laisser transparaître.
LFB : Cet EP, c’est aussi une rencontre avec Raphaël d’Hervez. Est-ce que tu peux nous parler de votre relation et de l’influence qu’il a eue sur toi et sur cet EP?
Charlie Pâle : Quand j’ai rencontré Raphaël, je venais de gagner un tremplin avec Action Logement. Ça m’a permis d’obtenir une aide à l’autoproduction de la Sacem. Avec cette aide-là, je n’ai pas voulu aller voir n’importe qui. J’ai cherché pendant un an et j’ai fait la rencontre de Raphaël. Cette rencontre a été un coup de foudre autant amical que professionnel.
Dès le premier jour de notre rencontre, on a enregistré un titre, et ça ne s’est plus arrêté depuis. Maintenant, c’est un titre une journée. On n’a même plus besoin de se parler, on sait ce qu’on veut. On marche un peu en télépathie et c’est super chouette. Il a très vite su où je voulais aller.
Je pars d’un projet guitare voix parce que je ne savais pas faire autre chose, c’était mon seul moyen de m’accompagner. Quand j’ai rencontré Raphaël, j’ai eu l’opportunité de m’essayer à produire la musique que j’ai toujours voulu faire. Il l’a très bien compris et il m’a vraiment poussé là-dessus, il m’a permis de dépasser mes limites et de me dire que oui, ce que je faisais, c’était possible. Même dans les productions, tout ça a été très valorisant pour moi, et c’est encore très valorisant de travailler avec lui.
LFB : Le côté un peu synthétique de la musique, ça vient de lui ou c’est quelque chose dont tu avais envie et qu’il t’a permis d’explorer ?
Charlie Pâle : Je pense que j’en avais envie et qu’il m’a permis de l’explorer. Comme je le disais, on était vraiment sur la même longueur d’ondes, on a été très complémentaires.
LFB : Ce qui est intéressant avec le côté synthétique, c’est que ça permet, je trouve, de mettre ta voix plus en avant. Est-ce que c’est important pour toi de trouver l’équilibre entre ta voix et la prod, entre le sens et le son ?
Charlie Pâle : C’est important que les deux s’entremêlent et que les deux arrivent à trouver leur place et qu’un équilibre se fasse.
LFB : C’est ce qu’on retrouve par exemple chez Terrenoire, il y a ce côté très produit mais qui en fait est là pour pouvoir laisser la voix exprimer toutes les émotions.
Charlie Pâle : Oui, il ne faut pas noyer le propos sous peine de noyer ce que j’ai envie de dire. Ma voix est là pour sublimer ce que je dis et je trouve qu’on l’a assez bien fait. Terrenoire fait partie des artistes qui m’ont beaucoup inspiré dans ce sens.
LFB : Est-ce que cet EP te donne envie de casser ta bulle, comme tu le dis dans un de tes morceaux ?
Charlie Pâle : Oui parce qu’au final, j’ai écrit mes titres il y a 3 ans, lorsque j’étais dans une période de doute et de construction, et ça me permet vraiment, du coup, de fermer une porte pour passer à la suite. C’était vraiment important pour moi, une étape à passer pour clôturer tout ça.
LFB : Comment tu envisages la suite?
Charlie Pâle : Jusqu’à présent, je n’étais pas dans le présent, j’étais toujours soit dans le passé, soit dans le futur, mais jamais vraiment là. Maintenant, je vois que la route s’éclaire devant moi, je suis plus épanoui et je ne suis plus en période de doute. Je suis plus amené à être attiré vers l’avenir qu’être accroché au passé comme ça a pu être le cas jusqu’à présent.
LFB : Avec la sortie de l’EP qui arrive, est-ce que ça ne te force pas justement à être plus dans le présent et à profiter de l’instant ?
Charlie Pâle : Je ne profite jamais de l’instant présent, jamais. Je suis dans l’instant présent car tu es obligé de l’être un petit peu, quand même, mais je suis quelqu’un de très angoissé. Dans ma tête, je me balade toujours dans les années à venir. Je ne suis jamais vraiment là.
LFB : Ça se ressent dans ta musique avec ce côté fortement mélancolique. Est-ce que tu n’as pas envie, justement, d’apprendre à profiter ?
Charlie Pâle : Ce serait cool d’apprendre à profiter. C’est compliqué, parce que je suis beaucoup dans le contrôle, je ne connais pas le lâcher prise… mais j’essaye d’apprendre. Ça m’empêche de profiter de l’instant présent, parce que je suis toujours dans la panique de ce qui va arriver, la peur du futur, et ainsi de suite. De ce fait, je planifie des semaines et des mois en avance. C’est usant mais il y a un côté rassurant aussi.
LFB : Est-ce que cet EP est une naissance et à la fois une renaissance ?
Charlie Pâle : Oui, je dirais plus que c’est une renaissance, une grande renaissance.
LFB : Il est dit dans ta bio que tu as bossé en intérim. Est-ce que c’est important pour toi de garder ce contact avec la réalité?
Charlie Pâle : Je suis indépendant depuis des années, je ne vis plus chez mes parents depuis 5 ou 6 ans maintenant et je bosse en intérim parce que je n’ai pas le choix, il faut que je puisse continuer à manger, payer mon loyer, etc… C’est une obligation de travailler encore à côté en attendant que le projet évolue et que je puisse en vivre.
Le fait de travailler en intérim me pousse à dépasser mes limites, à ne pas me reposer sur mes lauriers, parce que je me dis qu’à tout moment, je peux en rester là. Ça me permet de ne pas trop m’emballer, de prendre mon temps, en me disant que j’en suis encore là. Il y a ce côté : je ne veux pas rester, mais j’y suis encore. Il ne faut pas s’emballer et garder la tête sur ses épaules.
LFB : Tu as un rapport au réel qui est important, ce qui n’est pas le cas chez certains musiciens.
Charlie Pâle : C’est important, parce qu’on ne sait pas ce qui peut arriver demain. Ça fait 5 ans que je travaille en intérim et c’est un travail que je déteste faire et je ne souhaite pas rester là bas.
LFB : La façon dont tu utilises tes réseaux sociaux laisse une grosse porte ouverte sur ton intimité. Comment tu te protèges par rapport à ça ?
Charlie Pâle : Je raconte beaucoup de choses intimes, surtout concernant ma transition. Je parle beaucoup de ma transition vocale, mais il y a beaucoup de choses que je ne dis pas et que je garde pour moi pour me protéger. Il y a des choses que je n’ai pas besoin ni envie de dévoiler.
Pour moi, ce partage est important parce que je construis mon projet et le développe en même temps que j’avance dans ma transition. J’en suis un peu au début de deux choses qui avancent en simultané, et c’est important pour moi de le montrer pour voir l’évolution des deux ensemble.
LFB : Cette transition vocale a t-elle une influence sur ta musique?
Charlie Pâle : Oui, bien sûr. On a du ré-enregistrer les chansons parce que j’ai mué entre temps et que c’était impossible pour moi de sortir l’EP avec mon ancienne voix. Ça me permet aujourd’hui d’aimer encore plus mes chansons, j’ai une façon de poser ma voix différemment, une façon de chanter différente. Je trouve au final que cette voix me va mieux, et que tout me va mieux, puisque c’est vraiment moi.
LFB : Comment imagines-tu le live qui va arriver ? Est-ce que c’est une facette que tu as envie d’explorer ? Est-ce que tu as envie de rencontrer les gens ?
Charlie Pâle : Depuis ma transition j’ai fait la première partie de Ben Mazué à Nantes et de Hervé à Bordeaux. C’était avec la nouvelle formule et mon musicien Antonin Pierre qui est au clavier avec les pads. Ça a vraiment permis de voir ce que ça rendait sur scène et c’est hyper cool. J’ai déjà un super accueil du public, c’est vraiment très prometteur et ça me met en confiance pour la suite.
LFB : Qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour l’avenir ?
Charlie Pâle : Faire plein de concerts, parce que j’ai vraiment hâte de défendre mon projet sur scène… Que mon EP soit bien accueilli aussi, c’est super important, surtout pour un premier, et j’ai hâte de voir l’accueil que vont me faire les gens.
Pour voir plus loin, on peut me souhaiter de gagner la Victoire de la musique en Révélation masculine de l’année. C’est ce qui serait très, très important pour moi, c’est un peu mon but ultime actuellement.
LFB : Est–ce que tu as des coups de coeurs récents ?
Charlie Pâle : En musique j’ai un coup de coeur pour Achile. Roxane aussi qui est un super coup de cœur. Le dernier album de Terrenoire que j’ai vraiment kiffé. Il y a Fredz, mais aussi Fauve, que je n’arrête pas d’écouter depuis 2014… et Justin Bieber aussi dont je suis très fan.