En mars dernier, nous avons rencontré Melody Prochet alias Melody’s Echo Chamber. De retour après quatre ans d’absence et avec un album qui justifie amplement cette attente, Emotional Eternal est d’une lumière semblable à celle de son auteure. C’est donc à l’occasion de cette sortie que nous en avons profité pour échanger sur l’importance du partage, de l’ouverture à l’autre, de ses collaborations renouvelées avec Reine Fiske et Fedrik Swahn ou encore de sa candeur presque réputée. Retour sur cet échange.
La Face B : Ton troisième album, Emotional Eternal, sortira le 29 avril prochain (interview réalisée le 10 mars dernier, ndlr). L’appréhension face à la sortie de ce dernier est-elle similaire à celle des précédents ?
Melody’s Echo Chamber : C’est intéressant comme question. Je dirais que c’est très différent, je pense que dans le deuxième il y avait cette notion de devoir me prouver beaucoup de choses à moi et peut-être à l’extérieur de moi. Cette fois, c’était beaucoup plus apaisé, c’est plus agréable et il n’y a plus cette notion où il faut que je prouve des choses.
LFB : Il y a un peu plus d’un mois, tu faisais donc ton grand retour et révélais le single radieux qu’est Looking Backward. Ce morceau était-il selon toi celui qui représentait le mieux ce nouveau chapitre ?
MEC : C’est une bonne question aussi. C’est difficile de répresenter un album entier avec un seul morceau car ils font tous partie d’un tout. C’était un choix assez évident car c’était le plus lumineux et j’avais envie d’un message positif comme première approche du disque, c’était le choix de tout label.
LFB : Selon moi, il y a une quiétude omniprésente commune aux huit morceaux de ce disque. Ces titres ont-ils été composés dans une ambiance similaire ?
MEC : Tout à fait. (rires) J’ai trouvé un petit bout de terre dans les Alpes-de-Haute-Provence, la maison est dans des champs de lavande et d’olivier, il y a un troupeau de moutons, des chevaux, c’est calme, assez magique, c’est un autre monde mais qui existe vraiment et où je peux vraiment bien m’enraciner dans la terre, ce qui n’était pas le cas avant. J’ai fait l’expérience avec une première échappée belle en Australie où c’était très dépaysant et où il y avait cette notion de sel, de chaleur, de mer, d’horizon infini, ça m’avait beaucoup inspiré. Ensuite, je suis allée à Paris et je n’ai pas trouvé l’inspiration et j’ai après trouvé l’opposé en Suède avec des températures qui atteignaient les -20 degrés en plein hiver, avec des forêts, la pureté de la neige, des paysages assez grandioses et épiques. C’est rigolo car cette fois-ci j’ai trouvé mon autre monde près de mes origines dans le sud de la France et c’est assez intéressant pour moi de ne pas être allée ailleurs, c’est un peu introspectif.
LFB : La simplicité semble également avoir été le fil conducteur à suivre lors de la composition de cet album. Dire adieu à la complexité adoptée sur Bon Voyage a-t-il été bénéfique sur le plan créatif ?
MEC : J’ai de nouveau travaillé avec Reine et Swahn et on en a tiré beaucoup de leçons de cette première rencontre car c’était une première approche entre nous, on ne se connaissait pas, j’ai déménagé du jour au lendemain en Suède après notre rencontre au festival Levitation à Angers. Après ça, on a tiré beaucoup de conclusions de cette première collaboration qui était effectivement un peu moins naturelle, un peu en force par moment et en même temps un délirium fabuleux car on s’est beaucoup amusés, c’est un très bon souvenir. Dans le nouvel album, tout s’est fait naturellement, il y a une vraie structure car j’ai pu y aller que trois fois et en plus en étant mère, j’ai eu des toutes petites vignettes de temps pour créer et donc ça m’a fait un bien fou d’avoir des bordures, un cadre pour ne pas errer dans des rêveries car c’est un processus sans fin pour moi de créer sans limites.
LFB : Est-ce qu’il y a sur ce disque des imperfections dont tu es consciente mais qui selon toi lui attribue davantage de beauté ?
MEC :Oui, mon dieu ! (rires) Il y a des choses que j’aurais aimé perfectionner mais je m’en suis quand même accomodée, c’est un vrai travail que je fais sur moi. Autant le premier disque, j’en suis contente à 8000%, il y a quelque chose où c’est vraiment abouti, je ne changerai pas une note, rien. Autant là oui, je pourrais encore travailler des choses mais en même temps je trouve ça intéressant aussi d’embrasser ces imperfections et de ne pas chercher à tout contrôler à tout prix, il y a un juste milieu. Là ça va, c’est acceptable et j’en suis contente.
LFB : Comme c’était le cas avec Bon Voyage, tu as une nouvelle fois composé cet album avec tes amis Fredrik Swahn et Reine Fiske. Qu’est-ce qui t’a poussé à renouveler ces collaborations ?
MEC :C’est une profonde amitié, je leur dois beaucoup. Ce n’est pas de la loyauté, c’était une envie de se retrouver car c’est un vrai bonheur de travailler avec eux donc ça s’est fait naturellement car c’est partagé. Après Bon Voyage, j’ai eu besoin de beaucoup de silence et depuis, je n’écoute plus de musique, il n’y a que mon partenaire qui écoute beaucoup de musique méditative ou des groupes d’ambient donc c’est vraiment de la musique avec beaucoup d’espace de rêverie pour l’auditeur et il y a une petite graine qui s’est plantée en moi. Je suis en train de tendre vers des paysages plus silencieux, ce qui s’entend un peu sur ce disque, j’ai un peu déssaturé de moi, il y a plus d’authencité et c’est plus direct. Je vais encore élaborer vers ça car ça m’intéresse beaucoup.
LFB : Il y a quelques années, tu disais ne pas réussir à travailler seule car il te manquait cette magie propre au travail collectif et au partage. Qu’en est-il aujourd’hui ?
MEC :Tout à fait et encore plus profondément. L’ouverture à l’autre a été encore plus grande ici, dans le sens où j’ai été contrainte, du fait de ce qu’il s’est passé en 2020, de leur laisser plus de place car en Suède ils n’étaient pas confinés et avaient donc accès au studio. Ça a été une heureuse surprise et je pense notamment à Joséphine Rodsin que je ne connaissais pas et que Swahn a ramené pour faire les cordes, je devais être là pour faire la session et guider mais j’ai juste envoyé ma petite idée d’arrangement violon et elle a complètement transcendé la chose alors que je ne m’y attendais pas. C’est intéressant d’avoir cet échange, de créer quelque chose à plusieurs. Quand je travaille seule, ça reprend cette idée de structure, je n’arrive pas à me limiter et du coup je peux y aller sans fin, je n’arrive pas à finir seule, ça m’intéresse moins, c’est un gouffre.
LFB : Dès tes débuts, tu t’es définie comme une artiste hypersensible. Au fil du temps, cette hypersensibilité s’est-elle plutôt révélée être un handicap ou une qualité pour toi ?
MEC : Ce qui est intéressant, c’est ce travail d’acceptation de soi, de s’accomoder de qui on est au bout d’un certain temps, de bricoler avec ses propres poésies, ses défauts et ses qualités. C’est un peu le parcours à suivre à partir de trente ans, du moins j’espère que c’est le cas pour la plupart des gens car c’est important d’apprendre un peu à se connaître. Je bricole avec tout ça et c’est pour cela que l’ouverture aux autres est intéressante et par exemple, avec Reine et Swahn, ce qui est assez magique c’est qu’on a vraiment développé une complémentarité triangulaire, c’est étrange mais joli. Avec cette hypersensibilité, je me suis rendue compte qu’habiter en ville c’était une catastrophe pour moi, je m’en suis rendue compte assez tardivement mais c’est trop polluant pour les personnalités hypersensibles, c’est assez violent même. Le fait d’habiter dans un endroit paisible et de nature, ça a été incroyable à quel point ça a changé ma vie.
LFB : Comme cela a déjà pu être le cas dans le passé, les textes de cet album sont ici assez personnels et introspectifs, la seule nuance étant que j’ai l’impression que c’est totalement assumé alors que ce n’était peut-être que partiel avant. Est-ce qu’il y a une raison particulière à cela ?
MEC : C’est bien que tu le perçoives comme ça. Il y a une sorte de maturation, avec l’âge on cherche à grandir et s’élever spirituellement aussi. Il y a vraiment une notion de détachement géographique, physiologique aussi et en devenant mère on n’est plus auto-centrés du tout, on ne peut pas et c’est une leçon d’humilité incroyable. D’ailleurs, je travaille cette notion car je trouve cela intéressant. J’ai repris des études d’art thérapie et je travaille en maison de retraite, je me régale car ce sont des gens très simples qui travaillent en EHPAD avec des personnes âgées qui sont dans un détachement de plein de choses, des choses qui nous paraissent essentielles alors qu’eux sont complètement dans un autre monde. Ils ont beaucoup de choses à nous apprendre dans leur façon de vivre et en même temps ils sont complètement délaissés et c’est quelque chose qui me passionne, même de faire un peu de musico-thérapie, d’expérimenter des choses avec eux c’est intéressant. Tout ça me permet de me détacher du monde de la musique car ce qui m’attire par-dessus tout, c’est la poésie que ce soit dans l’écriture ou dans des choses non artistiques.
LFB : Les années passent mais il subsite malgré tout, à travers l’ensemble de ta discographie, cet émerveillement quelque peu juvénile. Je voudrais alors savoir ce qui chez toi permet à cet émerveillement de continuer à exister sous cette forme ?
MEC : Je suis un peu candide. (rires) Je ne parlerais pas de naïveté car je l’ai perdue quand même mais la candeur est là, ce disque traite de choses d’adultes mais encore à travers un regard enfantin avec cet émerveillement que je porte envers la nature, la terre etc. Il n’y a plus les petits lutins dans la forêt comme dans Bon Voyage (rires) mais il y a des baleines, des dauphins, des cèdres, des pins… Peut-être que les choix de vie que j’ai fait par rapport à mes enfants que j’avais envie de voir grandir dans la terre ont influencé tout ça.
LFB : Tes rêves ont-ils joué un rôle particulier ici ?
MEC : Je dirais que ce sont plus mes absences que mes rêves de nuit. Ça m’arrive de m’absenter, d’être en errance et je crois que ma créativité vient d’un débordement émotionnel que je transforme de manière un peu cathartique, ça ressemble plus à des expériences spirituelles, pas ésotériques mais c’est plus de l’ordre de la purification, sortir les émotions de soi et en créer quelque chose. Avec les rêves de nuit, je n’y trouve pas d’inspiration contrairement aux rêveries.
LFB : Alma, morceau qui clôt cet album, est définit comme un hymne à la maternité. Ta maternité a-t-elle, d’une quelconque manière, impactée ton art ?
MEC : Bien sûr ! D’ailleurs, ça a été le déclencheur car cette chanson a été le premier morceau qui est sorti, nous avons été séparés pendant une nuit quand elle avait un an, c’était la première fois ce qui a créé un vide et un débordement émotionnel assez intense chez moi. La seule manière familière de gérer ça, a été de reprendre mon ordinateur et de faire de la musique. C’est un peu un papillon pour moi ce morceau, un petit poème pour elle, une ode à la vie, il est très simple et sans prétention. C’est ce moment un peu clé qui a déclenché la spirale de la musique, la mécanique et je dis d’ailleurs dans le morceau « Is this something everybody should know ? », je me suis demandée si je devais garder ça pour moi ou si je devais le partager mais je l’ai fait avec mon label et mes collègues.
LFB : Ca fait déjà plusieurs années que tu n’as pas donné de concert. Est-ce qu’une tournée est prévue pour la sortie d’Emotional Eternal ?
MEC : Non, ce n’est pas prévu. L’equilibrium que j’ai trouvé dans le sud, en studio, je n’ai pas imaginé comment le faire de manière sereine sur scène, ça me déclenche trop d’anxiété et ça m’énerve. C’est un dialogue que j’ai encore beaucoup et je n’arrive pas à tourner la page bien qu’on ait de superbes opportunités et j’en suis très reconnaissante car les gens ont envie de me voir, d’écouter la musique, de partager etc.
© Crédit photos : Diane Sagnier