Dans ce premier épisode, Greg Novan vient nous parler de Finally Feel, extrait de son EP « Doorsteps », paru cette année. Il évoque la genèse de cette chanson, entre révélation et insomnie, mais aussi sa vision de la mélancolie dans la musique et son processus d’écriture (différent de celui de Georges Simenon).
Ecoutez l’EP Doorsteps et le titre Finally Feel de Greg Novan. Pour suivre ses actualités musicales sur Instagram, c’est par ici ! Retrouvez le podcast sur Deezer et sur Apple Podcast.
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INTERVIEW
CRAFT : Salut Greg ! Tu es là pour nous parler de ta chanson Finally Feel, sur ton EP « Doorsteps » !
CRAFT : Avec grand plaisir ! Pour commencer, peux-tu nous parler de la première fois où tu as eu l’idée de cette chanson ?
GREG NOVAN : Exactement, déjà merci beaucoup de m’inviter !
GN : J’étais dans mon lit – dans mes draps roses – et je venais d’écouter Shadow Days, sur l’album « Born and Raised » de John Mayer. Dans ce morceau, il est dans une véritable quête de lui-même : il explique qu’il a enfin le droit de dire des choses très profondes. A un moment, il dit « But it’s nice to make some love that I can finally feel » (ndlr : « ça fait du bien de faire de l’amour que je peux enfin ressentir »). J’ai entendu « finally feel » et je me suis dit que le double « F » était une répétition plutôt cool. Et surtout, que « enfin ressentir », wow, c’était le nom de la chanson parfaite. Donc je me suis dit, « il faut écrire une chanson qui s’appelle Finally Feel – le titre est plein de lui-même, il veut déjà dire beaucoup de choses. A partir du moment où le morceau s’appelle comme ça, et où j’arrive à écrire des jolies paroles et une belle mélodie, il se passera quelque chose. »
CRAFT : Une fois que tu as cette première impulsion, cette idée de titre, comment tu avances ?
GN : Je me souviens qu’à ce moment-là je faisais pas mal de sport. J’écoute souvent des morceaux assez mélancoliques pour faire du sport, ce qui peut être un peu étonnant, mais je puise souvent dans des choses mélancoliques pour en tirer de l’énergie… Et j’écoutais un morceau de Bon Iver, qui s’appelle Re : stacks. C’est d’une puissance émotionnelle et évocatrice absolument exceptionnelle. Mais je me suis aussi dit qu’il fallait oser aller aussi loin dans la mélancolie et l’introspection. C’est sublime, mais il faut oser le faire.
CRAFT : Tu penses qu’il y a une certaine retenue dans la mélancolie – que les gens n’ont pas trop envie de verser dans le pathos ?
GN : Bien sûr, et ça se comprend très bien d’ailleurs. C’est OK de ne pas vouloir dire qu’on n’est pas à la cool, qu’on est hyper angoissé. Mais c’est aussi OK de le dire. Sur ce morceau-là, j’ai trouvé que Bon Iver était particulièrement bon et juste. Et je me suis dit que j’avais moi aussi envie d’essayer de faire un morceau aussi sincère et mélancolique. Je me souviens très bien, en courant, en écoutant ça, m’être dit « bon, y a quelque chose à puiser là-dedans. » Concrètement, je n’estime pas avoir fait quelque chose d’aussi sublime que lui, mais je crois qu’on est allés dans le même espace. D’ailleurs, les paroles de Bon Iver sont beaucoup plus abstraites et poétiques que les miennes, qui sont assez simples, assez directes. Mais ce morceau a été une inspiration assez évidente ; en tout cas, pour la première section du morceau.
CRAFT : Ca, c’est en termes de thématique. En termes de musicalité, tu t’es aussi inspiré de Bon Iver ?
GN : Alors, indirectement. Je sais qu’il aime beaucoup les accordages de guitare un peu particuliers, on l’entend sur beaucoup de ses chansons. Et je suis à peu près certain qu’il est fan de Nick Drake, comme moi. Si vous ne le connaissez pas, Nick Drake est un auteur-compositeur anglais du tout début des années 70, qui est mort, tragiquement à 26… c’est-à-dire mon âge en fait ! Concrètement, il y a de nombreuses de similitudes avec son morceau : dans le rythme ternaire de la guitare, ou encore le son, très rond, très proche, une voix assez ‘devant’, un peu soufflée aussi. Je me suis énormément inspiré de lui, et j’assume totalement. C’est un mec qui était tellement inspirant, qui est mort tellement jeune, qui était un tel joyau de musicalité, de vie et de créativité, que je préfère m’inspirer mille fois de Nick Drake que de n’importe qui d’autre. Pour moi, tous les chanteurs de folk un peu sensibles et mélancoliques ont essayé de faire ce qu’il a fait – mais il l’a mieux fait, au tout début des 70s… D’ailleurs, tu sais, à la fin de Grey’s Anatomy, il y a toujours un morceau un peu…
CRAFT : … triste
GN : Voilà, tristounet. C’est le moment où le sens de l’épisode émerge. Pour moi, le meilleur morceau de ce type-là, c’est-à-dire révélateur de beauté et d’un certain mystère, c’est Place to Be de Nick Drake.
CRAFT : Pour revenir à la façon dont tu as écrit cette chanson – est-ce qu’il y a eu des moments où tu as senti un breakthrough ; où tu as senti que tu tenais quelque-chose ?
GN : C’est un morceau qui s’est écrit de façon relativement lente… je l’ai écrit en plusieurs fois en fait, et ça ne m’étonnerait pas que ça puisse s’entendre si on le sait. Je me souviens d’avoir eu cette première phrase : « I just can’t relate / to all the faces I see » (ndlr : « Je n’arrive pas à m’identifier à tous ces visages que je vois »), qui est un appel au secours, une sorte de « mince… je vois plein de gens mais… »
CRAFT : … « je me sens seul. »
GN : « Je me sens seul », voilà. C’est une phrase de profonde solitude je pense. Et à ce moment-là, je me suis dit que j’avais vraiment quelque chose à dire. Ça c’était le premier moment. A ce stade, il n’y a aucune poésie, aucune rime, mais un truc sincère.
CRAFT : Il y a le feeling quoi.
GN : C’est ça, il y a le feeling. Deuxième moment : je fais une énorme nuit blanche. Là, j’écris frénétiquement.
CRAFT : Shakespeare, la nuit à la bougie quoi.
GN : Mais exactement ! Je venais de regarder un film sur un écrivain, et je me suis dit « mais moi aussi là, qu’est-ce que j’attends pour écrire ! Dépêche-toi ! Brûle un peu au lieu de … (cri de frustration) »
CRAFT : Ce qu’on retrouve dans la chanson finalement !
GN : Mais oui ! Ce désir de vie énorme ! J’étais en train de regarder ça avec mes parents pendant le confinement, et ils m’ont vu sortir, ils ont tout de suite compris que j’allais écrire une chanson… Ensuite, je suis allé marcher jusqu’à 10h du matin, et ça c’était le deuxième moment.
CRAFT : Et c’était quoi ce deuxième breakthrough – ce flot de paroles qui t’est venu ?
GN : Oui, il y avait quelque chose de très intense. C’est un souffle de vie que j’ai envie de retrouver à chaque fois que j’écris une chanson. Ce n’est pas le cas !
CRAFT : Tu dirais que l’écriture de ce morceau a été assez unique ?
GN : Assez unique oui. Il y a eu beaucoup de vérité… On ne peut pas dire « c’est mon morceau préféré », d’ailleurs ce n’est pas forcément le morceau que je préfère, mais je sais que c’est un morceau où j’ai eu l’impression d’accéder à une certaine vérité, pour parler de manière très pompeuse. J’ai l’impression d’avoir été dans un arrière-monde, dont j’ai pu rapporter certains éléments.
CRAFT : J’imagine que ce n’est pas toujours le désir – tu n’as pas toujours envie d’accéder à ce lieu, cloîtré par essence, et d’en rapporter quelque chose aux mortels, pour te rejoindre dans le pompeux !
GN : Soyons pompeux !
CRAFT : Allez, on y va ! Mais ce n’est pas toujours le désir, donc – comme tu disais, il y a d’autres chansons qui sont plus légères, plus dans le spectacle. Comment équilibres-tu ces deux parties dans ton songwriting ? Est-ce que tu cherches à le faire, d’ailleurs ?
GN : Je crois que je ne projette rien. Je ne me dis pas : « Ah, alors avec tel morceau, je veux dire tel truc. » Les sentiments que je veux livrer au travers des chansons sont déjà présents, dans les suites d’accords, les rythmes… Donc il n’y a pas de désir avant de composer.
CRAFT : En termes de structure, il y a quelque chose d’assez intéressant dans ce morceau. Tu as deux parties : toute une partie résolument folk, et puis on passe dans une partie plus produite, plus pop. J’imagine que tu as d’autres puits d’influences ?
GN : En l’occurrence, les autres influences sont très claires : les trois premiers albums de Coldplay, et surtout, non pas mon morceau préféré, mais le morceau qui illustre le mieux ce dont je veux parler, le morceau Fix You. Dans le clip, on voit Chris Martin qui court – on l’imagine tout à fait en pleine nuit blanche, en train de comprendre plein de choses, avec ce sens qui émerge enfin ! A la fin de Finally Feel, je voulais reprendre ce sentiment de « rédemption », ce truc de « wow on a enfin atteint… quelque chose quoi ! » J’entends parfois chez Coldplay une quête de spiritualité, qui monte rejoindre une sorte d’ailleurs. Pour la deuxième influence, je reviens à mon cher Johnny boy… un morceau de John Mayer qui s’appelle War of my life. Dans ce morceau, il y a une vraie quête, et il a une belle sincérité là-dessus. Bon, une sincérité à l’américaine hein !
CRAFT : Une sincérité un peu Disney !
GN : Complètement Disney. Une sincérité avec des « yeeeeaaahh yeaaaah »
CRAFT : C’est une sincérité qui a tendance à être littérale – ce qui n’est absolument pas un mal, personnellement j’adore. Il exprime vraiment « je suis triste parce que, et voici ce qui m’est arrivé, parce que… »
GN : Et c’est cool aussi !
CRAFT : Carrément ! Et ça, c’est une inspiration pour les paroles notamment ?
GN : Je dirais pas mal pour les paroles oui. Il dit « I’m in the war of my life / At the door of my life / Out of time » (ndlr : « je suis dans la guerre de ma vie / à la porte de ma vie / à court de temps »).
CRAFT : Il a une bonne maîtrise des mots et de la musicalité des mots. C’est ce dont tu parlais justement quand tu relevais « Finally feel ».
GN : Effectivement. John Mayer c’est un gars qui fait débat. Tous les guitaristes le trouvent fabuleux, pas mal d’autres personnes disent qu’il est insupportable avec sa voix de canard… Moi, tous mes potes me disent « mais arrête d’écouter ce mec, on n’en peut plus ! » C’est un vrai phénomène. Moi, j’assume totalement que ce genre de morceau me plaît. En plus la production est très Fleetwood Mac, il y a quelque chose d’un peu pop-rock, du Laurel Canyon des années 70… et ça me plaît beaucoup. D’ailleurs, ce morceau m’a sorti de quelques passes un peu difficiles…
CRAFT : Pour la transition entre les deux parties de la chanson, est-ce que tu avais un arrangement précis en tête ?
GN : Oui, c’était sûr qu’il fallait une sauce pour lier les deux parties. Souvent, la sauce que j’aime c’est : soit une guitare slide, soit un élément pas trop défini. En l’occurrence, on a une espèce de son de guitare créé avec une pédale de reverb, qui pourrait aussi être un larsen… Ca fait une bonne transition. A la base, j’imaginais un lead de batterie, mais finalement sur une version studio, c’était un peu trop brutal (rires). Du coup, on laisse cette idée pour le live, et en studio, on laisse ce son de guitare. Ensuite, moi je joue du piano, on met plusieurs voix… On s’est fait plaisir là-dessus. J’ai laissé mon guitariste faire des parties un peu Coldplay à la fin, qui ressemblent beaucoup à Fix You. On aime beaucoup jouer cette chanson en live tous ensemble, c’est un vrai moment de communion et de partage. C’était important pour moi d’avoir cette dernière partie, parce qu’à la fin de la première section, j’en voulais encore. Je me disais « c’est pas mal, mais il manque quelque chose ». En fait, globalement la composition de ce morceau a été un peu problématique… j’ai eu quinze versions. Finalement, je suis content de la version studio, mais ça n’a pas été évident, et je me réserve en live le droit de rallonger les refrains, et de suivre une sorte de flot. Pour moi, quand on arrive à une espèce de vérité ou de justesse en musique, on plane. Qu’il y ait quatre ou cinq mesures sur le refrain, en fait on s’en fiche. Et ce qui est fabuleux, c’est d’arriver à avoir cette liberté avec d’autres musiciens. Honnêtement, quand on arrive à ça …
CRAFT : … bingo.
GN : Bingo. Quand j’aurai ça avec mon groupe, et je sais qu’on aura cette communion, ce sera incroyable. Et je pense qu’on pourra l’avoir sur un morceau comme Finally Feel.
CRAFT : Actuellement, tu es dans une grande phase d’écriture pour le prochain projet ?
GN : Complètement, en ce moment j’écris beaucoup.
CRAFT : A quoi ça ressemble au quotidien ? Tu t’assieds tous les jours à ton bureau, tu écris dans la rue, tu as des tonnes de démos sur ton portable ?
GN : Non, je ne suis pas trop comme ça. J’écris en général comme ça me vient. J’ai la chance d’écouter beaucoup de musique et d’avoir des proches avec qui je peux avoir des discussions hyper intéressantes : mon coloc, mes amis, ma copine… j’ai la chance d’avoir des gens autour de moi que je trouve assez éclairés, et ça m’aide. Ça m’aide à écrire, et ça m’aide à avoir des idées. Je suis inspiré par la musique et les discussions que j’ai ; je me force pas à écrire. L’impulsion première est toujours naturelle, c’est toujours une nécessité qui s’impose à moi. Je n’ai pas besoin de m’imposer à elle. Et ça vient toujours d’abord de la musique, même si j’aime bien parler, d’ailleurs tu vois j’aime bien m’écouter parler… (rires) j’aime bien les mots globalement ! Mais ce qui me fascine le plus, c’est la mélodie, qui est encore plus mystérieuse que les mots. Eux, ils ont une racine… on étudie le latin, on comprend d’où ils viennent… Alors, il y a aussi toute une histoire de la musique et de la mélodie mais…
CRAFT : … c’est plus viscéral.
GN : … c’est plus viscéral ouais. La manière dont j’écris est assez naturelle du coup. Je pense que certaines personnes se disent que pour le songwriting, je me repose sur mes facilités. Parce qu’ils ne me voient pas me dire « bon bah aujourd’hui j’écris quatre morceaux ! Je me mets à mon bureau, je me tiens droit, je ferme ma chemise… »
CRAFT : … « à 18h c’est coquillettes ! »
GN : Alors ça par contre je le fais ! Mais je me dis pas « allez j’allume ma pipe, je fais un tour du quartier et puis j’écris deux chansons ! en charentaises ! comme George Simenon ! » Non, c’est très détendu en fait.
CRAFT : Pour revenir à Finally Feel, pourquoi tu as choisi de nous parler de cette chanson ? C’est la dernière de l’EP, elle finit dans cette explosion plus pop…
GN : … instrumentale ouais !
CRAFT : Elle nous amène au bord de quelque chose et hop, c’est fini ! Est-ce que c’était un choix ?
GN : Carrément ! Je voulais terminer l’EP sur quelque chose de fédérateur et d’assez heureux. Au début, le morceau est assez mélancolique, mais pas trop ; ce n’est pas une mélancolie qui nous agresse non plus. A la fin, il y a une sorte de communion entre mon groupe, mes amis, le public et moi. En concert, je fais chanter les gens, et ils reprennent assez naturellement la mélodie ! D’ailleurs je voudrais dire à ce propos que ce petit bout de mélodie a été très inspiré, et quasiment copié, d’un de mes potes. Il me vient de Peter Deaves, un super copain de Paris originaire de Liverpool, qui a sur son morceau Fallen Leaves quelque chose qui y ressemble pas mal. En plus, c’est dans la même tonalité… J’aurais très bien pu changer la tonalité, mais ça m’embêtait tellement pas, j’étais tellement content de reprendre la mélodie d’un de mes potes que j’ai laissée telle quelle. Et Peter, ça ne le dérange pas ! Du coup voilà, je voulais finir sur quelque chose d’heureux ! D’ailleurs, la suite arrive bientôt et j’ai hâte de pouvoir t’en parler !
CRAFT : Et où peut-on suivre tes prochains projets, et tes actus musicales ?
GN : Je suis plutôt actif sur insta, comme beaucoup de personnes dans la musique. On va aussi me voir en concert, je vais sortir d’autres singles, on va faire des sessions live en groupe… et ! Je vais faire, je pense – c’est une exclusivité – un medley entre Flavien Berger et John Mayer.
CRAFT : C’est ambitieux ! Et bien, on a hâte d’écouter !
GN : Ah et j’écris beaucoup en français aussi. J’avoue que ça m’excite pas mal.
CRAFT : Il faudra revenir nous en parler !
GN : Avec plaisir !
CRAFT : De notre côté c’était un plaisir d’échanger avec toi sur cette chanson et sur ta vision de la musique et de l’écriture en général, on te souhaite le meilleur pour la suite, et sans doute à bientôt sur La Face B !
GN : Toi aussi, à bientôt Claire !
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Illustration : Claire Le Gouriellec @verycoolgal // Jingle : Angéline Savelli @delasavelli
On les entend dans ce podcast : Nick Drake – Place to be // Bon Iver – Re:stacks // John Mayer – War of my life // Coldplay – Fix You // Peter Deaves – Fallen Leaves