Une conversation, perdue et retrouvée, avec ALIAS

Si vous nous connaissez un peu, vous savez que chez La Face B on a une petite spécialité : oublier des interviews. On les laisse de côté et, avec notre mémoire de poisson rouge, on passe à autre chose avant de les retrouver et de vouloir les sortir. On avait rencontré Emmanuel Alias lors de sa première tournée française cet hiver. Alors qu’il s’apprête à dévoiler un nouvel album et à venir enflammer l’automne français, l’occasion était finalement idéale pour faire définitivement connaissance avec ce rocker au grand cœur.

La Face B : Comment ça va ?

Alias : Un peu fatigué mais bien, la tournée se passe très bien et l’ambiance est très cool. C’est un peu fatiguant d’enchaîner des concerts, on a eu trois jours de repos à Lille qui nous ont fait du bien, mais qui n’étaient pas tant des jours de repos, à cause de Paco, qui nous a fait sortir tous les soirs jusqu’à 4 heures.

LFB : Comment as-tu vécu tes premières dates françaises ?

Alias : Très bien, vraiment surpris. En allant à la première date à Tours, on n’avait pas répété depuis un mois et on était un peu stressé de se retrouver pour cette première date en France, ensemble. Les gars étaient décalés parce qu’ils étaient arrivés la veille, on ne savait pas si la tournée allait continuer à cause du Covid, mais on a finalement décidé de le faire coûte que coûte. Et puis, on arrive dans cette salle qui était très cool, le monde était super sympa et le son allait bien. Mais on avait peur qu’il n’y ait personne. Il y avait un groupe du coin qui était très cool, et sur toutes les scènes qu’on a partagées les musiciens étaient cool, le son était cool, c’était très chouette.

LFB : Tu vis désormais au Québec mais tu es Français. Est-ce qu’il n’y a pas quelque chose d’étrange à venir ici, conquérir la France ? Parce que finalement, les gens te considèrent comme un Québécois.

Alias : Oui, c’était bizarre puisqu’au début, en radio ils disaient « un artiste montréalais « ,mais je pense que c’est juste pour dire que j’habite à Montréal aujourd’hui. C’est quand même bizarre et cool, c’est pour ça que je respecte vraiment énormément le Québec, c’est cool de dire que tu pars de France, parce que j’ai eu des groupes en France : on a fait des tremplins de merde type le Gibus ou l’Empire Emergenza à l’applaudimètre et ça n’a jamais vraiment marché. Même en envoyant des mails et en contactant les maisons de disques, ça n’a jamais décollé.

Finalement, il a fallu partir au Québec, où la culture est très différente, même si on parle la même langue. Là-bas, il y a énormément de spots où faire de la musique, se représenter et faire des rencontres. Même professionnellement, les gens écoutent. Si ils ont un retour négatif à faire ils le font, on va te répondre.

Pour répondre à ta question, le fait de revenir en tant que Français mais qui habite le Québec, je trouve ça quand même cool ; que ce soit les Québécois qui m’aient donné l’opportunité de revenir ici.

LFB : Ouais, finalement il a fallu que tu partes pour pouvoir jouer chez toi.

Alias : Oui c’est ça, parce qu’ils ont aussi parié sur le projet alors qu’en France, on ne pariait pas sur eux à l’époque, c’était autre chose, j’étais plus jeune, mais tout de même.

LFB : On a été les premiers à parler de ta musique en France car on avait eu l’exclu sur tes deux premiers titres. Je trouve que sur tes premiers morceaux il y avait une idée de transformation qui était importante dans les thématiques et dans l’imagerie qu’il y avait autour, notamment sur King ou même Wolfman. Je me demandais si Alias, à la base, était un moyen pour toi de revenir à une espèce d’état animal et presque quelque chose de primaire dans ce que tu voulais faire au niveau de la musique ?

Alias : En fait, c’est drôle parce que oui, un peu. J’ai toujours voulu faire de la musique, et même si je dis toujours que je fais de la pop, je m’efforce en vain d’essayer de faire du garage, de l’expérimental, de faire des morceaux de 8 minutes et des solos de guitare de 6 minutes sur un morceaux qui en durent 10, mais ça passerait moins en radio, ça serait moins playlisté.

Alias, pour moi, c’est plus un moyen de me camoufler. Mes histoires sont à chaque fois complètement inventées, mais elles ressemblent à des expériences que j’ai vécues, donc c’est juste un sentiment que je déguise avec une personne, une histoire… Je m’amuse vraiment à mettre ça dans l’album, plein de personnes différentes, et j’explore des univers musicaux différents également. Quand je m’efforce à faire jouer du violon, du psyché, du garage, j’ai tout de suite envie de refaire quelque chose de plus calme. Pour moi, Alias c’est plus une manière de me travestir comme je le souhaite, plutôt que de me mettre vraiment à nu et de dire ce que j’ai sur le cœur.

LFB : Ce nom là, comme tu dis, représente complètement ta musique dans le sens où tu fais des choses hyper universelles, mais tu te caches pour raconter des histoires de tout le monde, en prenant la première personne. Finalement, tu es un peu masqué dans la foule.

Alias : Ce n’était pas du tout calculé, c’est juste qu’à la base j’avais vraiment cette envie de réunir toutes mes idées, parce que j’ai eu plusieurs projets jamais vraiment aboutis, comme J’ai Peur des Crabes ou Yom, un projet qui n’est jamais sorti. On a, avec JB, le pianiste du groupe, fait de la country ensemble, on a essayé de monter des chansons, mais ça n’a jamais marché.

Finalement, j’ai toujours voulu faire du rock et avec Alias, je me suis dis « je vais l’assumer, puis utiliser mon nom pour voir ce que ça va donner ». Mais ce n’était pas un lien vraiment avec le fait de se déguiser, que ce soit un alias, qu’il y ait un jeu de mot, un truc pensé. C’est juste que ça s’est enchaîné comme ça.

LFB : Puisque tu en parles un peu, est-ce que tu as l’impression d’avoir créé un personnage pour ce projet là ? Parce qu’il y a une forte mise en avant de ta personne, que ce soit dans les clips ou sur la pochette, mais qui ne te représente pas forcément.

Alias : J’aime bien étudier les dessins de petites comptines, des histoires d’un même personnage qui se travestit à travers des humeurs, des émotions. Il y a quand même un lien, un point de départ, ce n’est pas inventé à 100%. Par exemple, The Wolf Man, c’est parce que j’adore les films d’horreur. I Won’t Go to Heaven, c’est parti d’influences de l’artiste DX Studio. Et il y a ce côté un peu ridicule, le mariage seul, le gars qui psychote tout seul. J’aime en général les choses assez explosives, que ce soit dans la chanson ou même dans les images. Mais toutes les chansons utilisées, ce n’était pas vraiment prévu. Je les ai composées pendant la période de Covid, c’est des personnages différents.

LFB : Avant de sortir ton premier long format, tu as sorti plusieurs singles avec des couleurs musicales très, très différentes. Est-ce tu avais ce besoin d’expérimenter, de déblayer un peu tes influences pour aller trouver le son qui représente Alias?

Alias : Non, je pense qu’en général je ne me pose jamais vraiment la question de qu’est ce que je dois expérimenter, c’est plus en rapport avec ce que j’ai envie de créer sur le moment. J’étudie jamais vraiment à l’avance. Ou alors, quand je fais ça, ça ne marche jamais.

Ça peut partir d’un truc tout con, ça peut partir d’une pédale de guitare que j’ai achetée, je branche quelque chose là dessus, je commence quelque chose et « ok, c’est cool » et il se passe qu’il est 9 heures du matin, puis boum d’un coup, il est 18h, il y a une chanson et c’est ça.

LFB : Le fait qu’il y ait sur l’EP un bloc sonore, un son un peu commun, c’est parce que tu as eu envie de recentrer, que ce soit quelque chose de complètement inédit par rapport à ce que tu avais fait avant, ou est-ce que c’est parce que tu les avais peut être créé au même moment ces morceaux-là ?

Alias : Je pense que c’est vraiment ça. Je pense que c’est juste parce que je les ai créés au même moment, que c’était dans la même pièce et que c’était surtout dans la période un peu de « je m’en fous » parce qu’on avait déjà créé un album tous ensemble. On est partis dans un studio qui s’appelle Le Tone Bender. On avait créé tout un album qui était beaucoup plus introspectif, où je parlais plus de peines d’amour, de problèmes de famille, et finalement je voulais pas vendre ça sur scène, ce n’était pas l’énergie que je voulais donner aux gens. J’avais le cul entre deux chaises et puis il y a eu le premier confinement.

J’ai dit à Paco « on ne va peut-être pas le sortir, je vais m’amuser » et au bout d’un mois je l’ai rappelé pour lui dire que j’avais un nouvel album. Je lui ai fait écouter des chansons, je ne sais pas s’il y a un lien avec le côté uniforme de l’EP ,mais c’était sans me mettre de pression. C’était avec les mêmes outils, un peu toujours dans les mêmes horaires, vu qu’on n’avait plus rien à faire. Tu te lèves juste le matin, tu fais de la musique, tu bois des coups le soir… C’est peut être ça qui fait qu’il y a un son homogène.

LFB : Ce qu’il y a d’intéressant c’est que par rapport aux morceaux précédents qui étaient un peu plus rock, cet EP est beaucoup plus pop et psychédélique, et il y a quelque chose qui va aussi être un peu onirique dans les paroles.

Alias : Il y a aussi une part de stratégie avec le label où on étudie ça, on se dit que ce serait peut-être intéressant de sortir en premier ce morceau-là, parce que c’est un format qui va convenir. Suivant la période de l’année dans laquelle tu es, les gens sont plus propices à écouter ça. Ça peut être playlistable plus facilement. Le deuxième morceau, on peut aller dans ce côté un peu plus mélo. On arrive en hiver, puis ce serait cool d’avoir un featuring pour le troisième single qui va annoncer la sortie de l’EP… C’est aussi un peu stratégique, mais je n’avais pas défini les singles avant. J’avais vraiment pioché, à part les deux premiers, King et Lady Friends, qu’on a sortis en autoproduction. On les a grillés dès le début parce qu’on avait envie de les sortir, peu importe ce qui arrivait. Après, c’était plus une décision collective avec le label.

LFB : Si on reparle un peu des thématiques de tes morceaux, je trouve qu’il y a, dans la façon dont tu écris, un besoin de distordre la réalité. Que tu parles d’amour ou qu’il y ait des sentiments plus violents, je trouve qu’il y a toujours un espèce de voile de fantasme que tu passes sur les paroles. C’est peut être une espèce de pudeur. Comment écris-tu ?

Alias : Lady Friends, par exemple, ça parle d’un marin qui navigue tout seul et qui n’est vraiment pas du tout sociable, mais qui a quand même besoin de revenir dans la ville faire la fête une fois par mois pour faire ce qu’il a à faire. Parfois tu fais la fête souvent, et d’un coup tu as envie de te retrouver seul ou tu as envie de te retrouver seul souvent, mais une fois de temps en temps tu as envie de faire la fête et tu as besoin de sortir, sinon c’est déprimant. Donc en fait le camouflage, c’est marrant, mais le départ de la chanson, c’est ça.

Puis c’est la seule chanson où je me suis vraiment posé en me disant que j’allais écrire des paroles. C’était juste avant qu’on soit confinés, je suis allé dans un café-bar qui s’appelle Le Darling et j’ai vraiment fait mes recherches. J’ai fait le bon élève, je suis allé vérifier les termes de matelot, par exemple je ne savais pas comment dire lever les voiles en anglais alors j’ai fait beaucoup de recherches.

J’ai une amie qui m’aide beaucoup parce que très souvent je crée la musique avant les paroles. Quand je crée la musique et que je sais pas où je m’en vais, très souvent, j’enregistre un chant qui ne veut rien dire du tout. J’envoie ça ma pote et elle me dit ce qu’elle voit comme histoire, je prends ces idées et je les mets à ma sauce.

LFB : Est-ce que le fait d’écrire en termes de personnages, ça te libère un peu de ce que les gens vont penser ? Je trouve qu’il y a beaucoup de cynisme, il y a parfois de la violence et du coup, ce que ça permet de t’autoriser ce que tu veux ?

Alias : Oui, totalement. On a fait un concert du premier album qu’on avait enregistré, le fameux au Tone Bender. C’était dans un studio de photo qui s’appelle le studio Bonjouar, c’etait un événement assez privé, on avait fait venir plein d’amis. C’était en hiver. Il faisait vraiment froid et en faisant ce concert, qui parlait vraiment d’événements de manière très concrète, très explicite, je me suis dis que ça ne me convenait pas. J’adore mentir, j’adore faire des blagues, j’adore ça, ils n’en peuvent plus dans le groupe de blagues que je fais tout le temps mais j’aime bien faire le con et m’amuser.

Donc c’est vrai que j’adore le fait de me cacher derrière des personnages et des histoires, de dire « oui, je suis fou, je n’irai pas au paradis » ou juste de dire que j’ai tué quelqu’un et jouer ce personnage-là sur scène.

Dans la vie, je suis un papy, j’ai ma blonde, j’adore regarder des petits films et jouer à la console avec elle, mais je ne me suis pas senti à l’aise de donner ça en live, de dire « la prochaine chanson, ça va parler de ça dans ma vie » puis de l’assumer en concert. Je ne sais pas. Je n’arrivais pas à être aussi honnête. Je préfère m’amuser.

LFB : Il y a un côté très cinématographique dans ton écriture, la façon dont c’est écrit, les lieux, les personnages, qui permet un peu de visualiser ta musique. Je trouve que ça va bien avec un autre côté qu’il y a dans Alias, c’est la grandiloquence et le besoin de faire des choses un peu épiques parfois.

Alias : J’ai un problème à chaque fois avec les build up, j’aime ça. C’est un problème parce qu’il y a beaucoup de structures qui se ressemblent. J’aime ça, commencer tranquillement, d’un coup avoir quelque chose d’un peu plus down puis ensuite, remonter, remonter, remonter, remonter, climax. Ça fait du bien, surtout quand tu le penses pour le live. C’est comme dans un film, je suis un fan de Breaking Bad et au début le gars s’écrase petit à petit et ça fait du bien, le moment où il devient limite diabolique et où il ouvre sa gueule, il lui a enfin mis une droite et dans la musique j’aime bien ça, peut-être trop.

LFB : Il y a peut être un côté musique électronique comme on fait dans le rock, cette montée, ce drop qui vient pour éclater la tête des gens. Tu en parlais un peu, justement, est-ce que tu réfléchis en termes de live aussi quand tu écris ta musique?

Alias : Oui, quand même. Je pense qu’inconsciemment, oui, parce que tu les joues live et tu les penses. Pour le prochain album, j’ai pensé ça avec le groupe dans le sens où je les visualise jouer ces parties-là. Je leur fais souvent écouter mes démos, dès que j’ai quelque chose, je leur envoie et je nous visualise, et ça va plus loin qu’uniquement la façon dont la chanson va être jouée, mais aussi où est-ce qu’elle va être placée dans la setlist.

J’aimerais commencer le prochain concert du prochain album avec cette chanson-là qui est longue, longue, longue avant de démarrer, puis à un moment il y a la drum qui d’un coup, toute seule, part. Donc oui, il y a un peu de ça.

LFB : Tu as fait l’habillage sonore d’un spectacle du Cirque du Soleil, est-ce que tu peux nous en parler ? Comment ça s’est passé et comment en es-tu arrivé à faire cette expérience qui est complètement différente de ce que tu fais avec Alias ?

Alias : C’est complètement différent. Il y a toujours eu deux aspects dans ma vie, il y a la musique que tu fais à la maison, qui te fait du bien et que tu as envie de défendre en live pour des raisons personnelles et il y a un côté un peu moins charmant, mais qui l’est finalement quand tu travailles dans la musique, c’est le fait de faire du corpo. J’ai rencontré la première fois à Montréal Jean-Phi Goncalves, qui est mon ancien boss, qui travaillait chez XS Music, un studio de musique à l’image qui fait des longs métrages, de l’habillage sonore de spectacle comme pour le Cirque du Soleil, des documentaires, des pubs, des habillages sonores de radio… Je suis arrivé là il y a 7 ans. J’ai appris, je me suis nourri un peu de tout ce que Jean-Phi avait à me donner.

Pour la petite anecdote, c’est vraiment drôle, JB qui venait me voir en vacances a débarqué au Québec, et finalement un an plus tard, il travaille avec moi.

Ce qui est cool, c’est que petit à petit j’ai rencontré plein de monde dans l’industrie de l’image, du spectacle, du cinéma. J’ai appris aussi à développer musicalement comment répondre à leurs demandes. Quand j’ai monté ma compagnie avec Paco, il y a des contrats qui, comme celui du Cirque du Soleil, sont venus ici pour travailler avec nous.

Deuxième anecdote, c’est qu’ils nous ont découvert par Jean-Phi Goncalves. C’était vraiment drôle, parce que je connaissais le metteur en scène, car il travaillait avec mon ancien boss. Mais mon ancien boss ne m’avait pas recommandé. C’est la femme du metteur en scène qui est tombée sur un clip d’Alias et lui a dit qu’il devrait peut-être engager ce gars pour le prochain cirque, et le metteur en scène, qui s’appelle Jean-Guy, a dit « regarde, c’est Manu ». Ils ont appelé Paco et ça s’est développé comme ça.

Crédit Photo : David Tabary

Retrouvez notre chronique du premier effort d’ALIAS par ici