Ça n’est un secret pour personne, il y a un endroit dans le monde dans lequel le Jazz moderne se démarque et se développe : la Grande-Bretagne, et plus particulièrement l’Angleterre. Londres est devenu depuis quelques années le centre névralgique d’une génération passionnée par la fusion des genres, amenant l’héritage de musiciens comme Miles Davis dans une toute autre dimension. Conor Albert, GoGo Penguin, The Comet is Coming, Yussef Dayes, Nubya Garcia ou encore Alfa Mist, tous ces noms sont associés à une certaine excellence dans un milieu aux apparences extérieures très élitistes. Cependant, un patronyme est apparu ces derniers mois, qualifié de génie dans ce monde rempli d’artistes associés à l’excellence. Ce dernier est Oscar Jerome. Le 23 septembre dernier, le Britannique a sorti son second album, très attendu par les observateurs de cette scène, The Spoon.
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Il est peu surprenant de dire qu’au sein du microcosme du Jazz contemporain, celui qui est qualifié comme étant l’un des musiciens les plus brillants du Royaume-Uni était espéré avec déférence. Avec son premier album, Breathe Deep, Oscar Jerome s’est forgé une réputation d’exemple tangible de l’envie de progrès étendue par la nouvelle génération. The Spoon arrive après deux ans après, né de la pandémie de Covid-19 qui a profondément marqué l’originaire de Norwich. Ce dernier a passé ces mois d’instabilité à osciller entre Berlin et Londres, période pendant laquelle il a pensé, conceptualisé, écrit et arrangé la musique se trouvant sur ce disque.
Ces réflexions comprenaient évidemment un aspect du point de vue pur d’un musicien s’adonnant à l’exercice de la composition, mais aussi sur des sujets bien personnels et introspectifs. Ces longues semaines furent le théâtre de la prise de conscience de certains sentiments de la part de l’artiste britannique. Cette période d’introspection a mené Oscar Jerome a disserter sur des thématiques propres à lui, telles que l’anxiété, la dépression ou encore son évolution personnelle en tant qu’homme. Mais ce dernier traite également de faits moins abstraits, comme les injustices omniprésentes dans la société britannique ainsi que du capitalisme et de ses dérives. Le principal intéressé considère son album comme étant un ‘grand écart émotionnel’ : surfant entre les paroles d’un garçon émotif et triste, celles d’un homme en colère envers ses pairs et un être résolument solidaire, tentant de trouver du positif et de relativiser.
Ce matériel prend la continuité de ce que l’artiste avait déjà montré auparavant, à savoir une musique aux influences premières Jazz, venant se placer entre les frontières. Oscar Jerome est le genre de musicien à divaguer entre différents genres, jusqu’à en dégager un art polymorphe. Ce fait rend les écoutes de ses projets non seulement très intéressantes mais aussi, et surtout, surprenantes. De par l’éclectisme du Britannique, on peut retrouver énormément d’esthétiques différentes, amenant une certaine diversité très plaisante. De plus, l’interprétation des compositions se montre comme étant de très haut niveau.
On retrouve pendant l’écoute de The Spoon des titres très énergiques comme Channel Your Anger, l’un des singles, ou encore Berlin 1. Mais ce second disque propose également des passages plus lents et contemplatifs, comme le labyrinthique morceau éponyme, ou encore Hall of Mirrors. Ces alternances d’énergies sont souvent placées entre de courtes interludes qui confèrent au projet une certaine fluidité, permettant aisément de se retrouver dans ces entrecroisements stylistiques.
Pour ce qui est de l’interprétation, l’originaire de Norwich a su s’entourer de musiciens talentueux, sachant donner vie aux parties parfois complexes écrites pour l’album. C’est en cela que l’on peut notamment retrouver Ayo Salawu à la batterie, Tom Driessler à la basse ou encore Crispin Robinson aux percussions. On note également la participation d’artistes comme Kaidi Akinnibi sur Sweet Isolation, mais aussi Léa Sen sur la piste Hall of Mirrors, précédemment évoquée. On y retrouve un jeu très fin, avec notamment des soli de flûte exécutés avec brio par Gareth Lockrane.
En offrant un projet à la fois pensé comme étant musicalement frais et progressif, Oscar Jerome parvient à également y intégrer une dimension personnelle intéressante et quelque peu libératrice. L’un des grands espoirs du Jazz londonien des prochaines années montre une nouvelle fois tout en style à quel point sa réputation le précède justement. The Spoon signe une nouvelle étape dans la carrière du musicien, semblant lui ouvrir un chemin tout tracé, qui a tout pour lui réserver un futur brillant.