Avec un premier EP à paraître le 29 novembre prochain, Fine Lame, groupe hybride entre rock et spoken word emmené par l’auteur de théâtre, chanteur et musicien Raphaël Sarlin-Joly, fait une entrée fracassante sur le devant de la scène francophone. Un premier clip que nous vous présentions dimanche nous introduisait à une force déclamatoire à laquelle nous n’étions pas préparés, et une énergie sombre qui se déploiera sur scène, au Truskel, le 29 octobre prochain. Nous avions rencontré deux de ses membres durant l’été, dans une tentative d’approcher leur univers singulier, entre noirceur assumée, déclamations sulfureuses et fulgurances : autant d’éclats dans la nuit…
La Face B : Comment est né Fine Lame ? Pouvez-vous remonter à l’origine du groupe ?
Fine Lame – Raphaël Sarlin-Joly : Alors, on s’est rencontrés sur un spectacle, Canto Transsibérien, que j’avais écrit et auquel Mathias avait contribué. C’était déjà une forme entre le théâtre, la poésie et la musique. En partant de ce format de concert narratif, on s’est dit que cette alliance-là marchait bien, et nous avons décidé d’en faire un groupe de musique.
La Face B : Raphaël tu es donc issu du théâtre, avec un parcours déjà très établi dans ce milieu. Quels ponts fais-tu entre ces deux univers ? Dans quelle mesure cela t’a-t-il influencé dans la co-composition des morceaux ?
Avec le Canto Transsibérien, ça a pris un format récit ; ça prend désormais la forme de morceaux avec Fine Lame. Évidemment, ça m’influence moi dans ma façon de dire les textes, de déclamer, qu’on pourrait prendre pour théâtrale au sens fort du terme, c’est-à-dire avec une attention aiguë à la façon de faire exister la chair du verbe.
La Face B : Avec des arrangements riches et complexes, des textes travaillés à la poésie enlevée et des influences jazz, vous vous placez volontairement dans un segment musical particulièrement exigeant. Un peu à rebrousse-poil de beaucoup de choses qui se font en ce moment, à vrai dire… C’est un refus total de compromis ?
Fine Lame – Mathias Bourre : Oui. Personnellement, je ne sais pas faire autrement en termes de création que de faire un truc vrai.
Fine Lame – Raphaël : De mon côté, partant d’un parcours poétique, cela va de soi. Nous avons effectivement l’habitude de travailler des formes exigeantes, avec une volonté de pousser loin les choses. C’est aussi une adéquation nécessaire avec le propos du groupe.
La Face B : Votre musique comporte de nombreuses références, historiques, musicales… Pouvez-vous m’en dire plus sur ce qui nourrit votre processus créatif ?
Fine Lame – Mathias : Déjà, ce processus arrive avec les textes. Et c’est un peu un mystère…
Fine Lame – Mathias : C’est ça : la musique se construit autour des textes par définition, après il y a du travail de co-composition, de co-arrangement au sein du groupe, les choses se font assez naturellement, finalement. Il n’y a pas trop de frottements.
La Face B : Est-ce une musique particulièrement située dans une époque ? Quels thèmes vous tiennent particulièrement à cœur ?
Fine Lame – Raphaël : Au sens intempestif du terme, oui. Pour ce qui est des thèmes, la mélancolie contemporaine, le désenchantement historique, dans un sens – aujourd’hui, on est même désenchantés de notre désenchantement… La difficulté à projeter un futur désirable, toutes les failles de l’histoire qui viennent résonner face à nos cassures et nos brisures intimes.
Fine Lame – Mathias : La désillusion amoureuse, aussi…
Fine Lame – Raphaël : Toutes les désillusions, en fait…
Fine Lame – Mathias : Et puis, y a une colère, une révolte aussi !
Fine Lame – Raphaël : Tout, à fait, une rage même, mais elle provient de la désillusion. C’est une posture révoltée face au destin, face à l’impossibilité de vivre, face à l’impossibilité d’être, face à la vie qui n’est pas la vie – tout ce qui est étriqué, tous les endroits où l’on se sent engoncé, à l’étroit… C’est vraiment un cri de révolte face à tous les enfermements personnels, et dans une époque qui entrave, justement, beaucoup – c’est très en butte face à ce phénomène-là.
La Face B : Votre EP (NDLR : que La Face B a eu l’occasion de découvrir en avant-première) a une tonalité plutôt sombre. Quelles sont les couleurs que vous souhaitiez lui donner ? Est-il le fruit de ces deux années compliquées que nous venons de traverser ?
Fine Lame – Raphaël : C’est le fruit de beaucoup plus que ça. C’est le même principe que le volcan, c’est-à-dire qu’à force d’être sous pression, encarcanné, il y a une explosion qui surgit – c’est à ce moment-là que l’EP survient, et c’est pour ça qu’il porte en lui beaucoup d’urgence, dans les textes aussi. Il est donc le fruit, effectivement, de la période étouffante qu’on vient de traverser, mais aussi d’une maturation ; il y a le double processus d’une décantation de temps long, et d’une éruptivité du temps court.
La Face B : La musique, c’est donc aussi une catharsis, pour vous ?
Fine Lame – Mathias : Pour moi oui, clairement. De toutes façons dans le jazz – même si Fine Lame n’en est pas vraiment, il y a quelques inflexions, et un rapport à l’improvisation – y a un truc de transe, de sortie de soi. Et dans la poésie c’est pareil.
Fine Lame – Raphaël : Je souscris totalement, il y a un truc chamanique dans ce qu’on fait – une dimension incantatoire, voire imprécatoire, qui vient du cérémonial – c’est quelque chose que j’explore beaucoup, la parole mise en voix, la cérémonie sacrée…
La Face B : Vous n’avez pas peur de la réception de morceaux particulièrement intenses comme le double titre Nous tournons dans la nuit… et sommes dévorés par le feu ?
Fine Lame – Raphaël : Si ça peut réveiller quelque chose chez les gens, voir réveiller les gens, au contraire, c’est très bien ! La positivité de l’époque a quelque chose d’un lénifiant anathème qui occulte pas mal d’enjeux de la difficulté de vivre. Il y a quelque chose de la joie retrouvée dans nos morceaux – mais c’est une joie grave, qui est issue tout à la fois du jour et des ténèbres, une posture de lucidité, de clairvoyance.
Ce qui nous est peut-être un peu plus propre en tant que groupe, c’est une façon de concevoir l’existence comme une lutte, comme un ardent combat, et si ça détonne dans une époque faite de slogans faciles, alors : tant mieux !
La Face B : Quel est votre rapport à la scène ?
Fine Lame – Raphaël : Il est essentiel. C’est avant tout là qu’est le moment de vérité, le moment de révélation d’une part, et le moment où les choses adviennent véritablement d’autre part. C’est aussi là où l’on se révèle réellement en tant que groupe, dans ce moment de partage, de communion.
Fine Lame – Mathias : Il y a ce rapport à la transe aussi, ce moment qui touche à la sortie de corps, dans une dimension cérémoniale.
Fine Lame – Raphaël : Il y a aussi cette idée d’une énergie brute qui prend, du rock en fait, et qui permet de délaisser le côté analytique des textes pour se laisser prendre par l’onde de choc de ce qui est en train de se passer sur scène.
La Face B : Pourquoi ce choix de proposer une écriture dans deux langues, le français et l’anglais ?
Fine Lame – Raphaël : Le français m’est très important, et ça a été une reconquête d’identité personnelle, le fait de réapprendre à écrire poétiquement en français – ce qui tranche d’ailleurs dans le paysage rock actuel où on a peu à peu perdu le français, et plus encore le français déclamatoire. Pour les morceaux en anglais, ils découlent de mes influences anglo-saxonnes avec des songwriters comme Leonard Cohen ou Bob Dylan – qu’on reprend d’ailleurs, dans le set – ou encore Patti Smith, et aussi Nick Cave pour sa manière de faire de la musique très sombre et très joyeuse en même temps… Toutes ces influences-là innervent le français, mais elles se font parfois tellement présentes qu’elles reconvoquent le besoin d’écrire en anglais – qui est une langue avec laquelle j’ai vraiment un rapport très fort, puisque je parlais à une époque plus facilement anglais que français. Ça permet un autre rapport sonore au mot.
La Face B : Un featuring souhaité avec..?
Fine Lame – Raphaël : Léo Ferré. Lou Reed. (Rires) Ou Thiéfaine.
La Face B : Une scène que vous voudriez absolument faire ?
Fine Lame – Mathias : La Coopérative de Mai, à Clermont ! Je trouve qu’ils ont un super sound system.
Fine Lame – Raphaël : Le rêve, c’est l’Élysée Montmartre, et le Transbordeur à Lyon !
La Face B : Et sinon, les projets pour l’année 2022 ?
Fine Lame – Raphaël : Déjà, la sortie de l’EP – un objet de 5 titres majoritairement en français, qui est prêt et qui paraîtra le 29 novembre. Avec un clip qui l’accompagne (NDLR : paru la semaine passée).. Et puis, on a aussi deux nouveaux morceaux qu’on vient de finaliser : Renverse le soleil sur la table, et Vivre comme on éclaterait.
Fine Lame – Mathias : Et pour la suite, continuer de créer…