Il y a un an sortait le premier EP de MONA, ode aux enfants tristes d’internet, bien nommé sad girls club. Cinq titres narrant une morosité rêveuse sous forme de synth wave dansante. Depuis, une place parmi les artistes lauréat.e.s de La Grande Party, un court-métrage et de nouveaux instruments sont venus renforcer le projet d’Ambre, autrefois chanteuse et interprète, désormais productrice et compositrice. Rencontre à l’occasion d’une release party tardive au Point Éphémère, où la réunion d’ami.e.s musicien.ne.s et la projection en avant-première des clips accompagnant l’EP ont composé cette grande fête consolatoire et stellaire.
La Face B : Il y a six mois, tu jouais pour la première fois sous le nom de mõna ici-même, au Point Éphémère, dans le cadre de la Grande Party. Était-ce important pour toi de faire ta release party dans cette salle ?
MONA : C’est cool pour la symbolique de le refaire ici, mais c’est aussi une question de circonstances, selon notre organisation et nos contacts. Je suis contente de le faire là. On se regardait tout à l’heure avec César, mon claviériste qui est là depuis le début, en se disant « Il y a six mois, on était là et on commençait tout juste ». On avait des bandes sons et tout (rires), maintenant on a des instruments.
LFB : D’ailleurs, il y a une batteuse maintenant avec vous, Maywenn. Est-ce la première fois ce soir que vous jouez ensemble ? Et qu’est-ce qui a motivé cette décision de continuer avec une batterie et plus seulement avec une machine ?
MONA : On a déjà joué ensemble à la Prairie du Canal cet été, mais c’était un open air. Là, on joue dans une salle ! J’ai toujours eu envie d’avoir mon projet et de collaborer avec des gens, de ne pas être solo. Ça permet de dé-stresser. L’idée était de faire rentrer le plus d’instruments live possible. On le fait petit à petit, ça met du temps. Là, Maywenn n’est pas encore à la batterie acoustique mais au SPD, elle le sera plus tard. On essaye de faire rentrer pas mal de synthés, qu’il y ait de moins en moins de choses qui sortent de l’ordinateur. Le but, c’est de faire le plus d’acoustique possible.
LFB : À terme, tu voudrais rajouter d’autres instruments sur scène ?
MONA : Une guitare, j’aimerais bien. Du coup, j’essaie de m’y mettre un peu, mais je galère (rires).
LFB : Tu ne joues pas d’instrument sur scène ?
MONA : Je fais un peu de claviers, mais pas trop sur scène. À la base, je ne suis pas une instrumentiste, je compose en MAO. J’aimerais bien faire un peu de clavier, un peu de guitare… Mais j’aime bien aussi me concentrer sur le chant. Je me considère plus chanteuse, compositrice et productrice qu’instrumentiste. Je suis autodidacte, je n’ai pas fait le conservatoire… En tout cas, je n’ai pas la technique. Ce qui ne veut pas dire que je ne peux pas l’être à l’avenir !
LFB : Tu pratiques le chant depuis longtemps ?
MONA : J’ai toujours un peu chanté. Genre dans ma salle de bain, et à quelques concerts de lycée avec une guitare sèche, tu vois (rires). Mais à un moment donné, je me suis dit que j’aimais trop ça et qu’il fallait que j’essaye. Donc, j’ai commencé à chanter dans un groupe de post-punk en 2018, qui s’appelle TV Cult. Au bout d’un mois avec eux, j’étais déjà sur scène, du coup j’ai appris sur le tas. C’est pareil pour la MAO. Il y a quelques trucs techniques que j’aimerais mieux gérer. La voix, quand tu chantes depuis longtemps, tu connais ton timbre et tu vois un peu ce que tu veux faire, mais trouver des mélodies, tenir un souffle… C’est carrément autre chose. Ça s’apprend, mais j’apprends en pratiquant.
LFB : Est-ce que tu composais avec TV Cult ?
MONA : Non, je n’étais qu’interprète. Du coup, au bout de quelques mois, j’ai eu envie de faire autre chose. C’était une expérience très chouette, j’ai fait plusieurs salles à Paris, on m’a mise sur scène direct… Ça m’a permis d’apprendre plein de choses, de découvrir la scène indépendante aussi, au sein de laquelle j’ai travaillé avec mon label Blue End Records ensuite. Vraiment, c’était trop bien. Mais il y a un moment où j’ai eu envie d’écrire et de composer. Limite, le point de départ c’était « J’ai envie de m’exprimer » (rires). Ça fait un peu enfant pourri gâté, mais c’est vrai. La musique est devenue un moyen d’expression, cela a pris de plus en plus de place et c’est devenu ma vie. Le fait de passer des journées entières devant Ableton et de ne pas voir le temps passer, j’adore.
LFB : Est-ce à partir de ce moment-là que tu as conscientisé l’écriture de cet EP ?
MONA : Je pense que ça a pris deux ans, mais ce n’était pas conscient. Avant de sortir cet EP, j’en avais deux autres prêts, mais je n’étais pas contente du format final. Pas aboutis, trop concepts… J’étais fière d’être arrivée jusqu’au bout, mais je n’avais pas envie de présenter ça. Il faut aussi apprendre à se dire que son projet ne sortira pas, je l’ai appris à cette occasion. Ce sont toutes les années précédentes qui m’ont amenée à ce que je compose là. Tout nous sert. C’est arrivé entre les deux confinements, en novembre 2020. Je ne me suis pas dit, « tiens je vais faire un EP », j’ai juste composé cinq chansons dans un laps de temps assez court, parce qu’à ce moment-là je composais beaucoup, très vite, j’étais tout le temps devant mon ordinateur et je ne m’arrêtais pas. Donc elles sont toutes sorties d’un seul coup : par exemple, j’ai composé This World et Middle le même jour. C’était pendant cette période post-confinement où on était tous.tes en introspection. Moi je vivais seule avec mes chats, donc la musique m’a vraiment aidée (rires). Puis, j’ai envoyé ce travail assez vite à Corentin, mon ingénieur du son, parce que j’avais besoin de quelqu’un qui me canaliserait et m’aiderait à trouver un fil rouge.
LFB : Oui, c’est dur d’être seul.e face à son œuvre, sans distance.
MONA : Un projet solo, tu n’es jamais vraiment solo, mais au début t’es solo quand même. Tu ne sais pas où tu vas, il y a trop de possibilités. Il m’a beaucoup aidée, il est arrivé pile au bon moment.
LFB : D’où t’est venu ce son cold, synth wave ?
MONA : J’écoute plein de trucs très différents de ce que je fais. Je ne sais pas trop comment c’est arrivé. Il y a eu un moment où j’étais en galère intérieure, parce que j’aimais bien ce que je faisais, mais ce n’était pas exactement ce que j’avais envie de faire. Il y a une différence entre ce que j’écoute et ce que je peux aimer dans certaines productions, et ce qu’il se passe quand je me retrouve devant Ableton. Et je ne m’attendais pas à ce fossé entre les deux ! J’avais envie de tout refaire tout le temps, de repartir à zéro, de m’entraîner et de ne jamais rien sortir. Et puis, je me suis dit que c’était ce que je composais, qu’il y avait plein de raisons à cela, donc qu’il fallait le garder. Après, cela vient de ma mère qui écoutait beaucoup de rock, de trucs anglais, mon père aussi… Et j’ai commencé à apprendre Ableton avec quelqu’un qui faisait pas mal de new wave, de synth wave, cold wave… Tout en ayant une façon un peu rap de construire les morceaux, donc un peu pop. Maintenant, mes nouveaux morceaux s’inscrivent moins dans cette structure, mais dans cet EP précisément, cela s’entend beaucoup.
LFB : Tu as écrit ces chansons pendant le confinement, dans la solitude d’une chambre-refuge, en réaction à des expériences vécues. C’est très personnel. Comment conçois-tu le partage de cette intimité au monde ?
MONA : Pour moi, comme pour plein de monde, la musique est une thérapie. Tu es seul.e devant ton ordinateur, tu déverses tout. Je crois très fort que ce qui est personnel devient universel. Même si je parle d’émotions très personnelles, j’espère que je ne suis pas seule — et je ne pense pas, quand je parle avec mes ami.e.s ! C’est aussi pour cela que l’EP s’appelle sad girls club. Et j’en parle aussi frontalement car au début je ne pensais pas que d’autres gens allaient l’écouter. En live, c’est pareil. J’ai beaucoup travaillé avec César, mon claviériste, pour faire la transition entre l’EP home studio et l’EP live. Ça se traduit par le fait de beaucoup parler au public, de ne pas trop réfléchir à ce que je suis en train de faire et de juste le vivre.
LFB : Pour moi, le « sad girls club », c’est une communauté et un groupe d’entraide. C’est venu une fois que tu as composé l’EP ou c’était conceptualisé auparavant ?
MONA : C’est en train de le devenir ! Au début, c’était un titre d’EP. Mais avec déjà la volonté de s’entraider, de ne pas être seul.e et de se lâcher, être heureux.se et danser ensemble. Avec cette soirée et la projection des clips, cela devient vraiment un club. Avec Marion, ma co-organisatrice, on est vraiment en train d’assumer cette idée, avec la pensée que ce soit inclusif. Ce n’est pas parce que ça s’appelle le sad girls club qu’il n’y a que des meufs tristes ! Toustes celleux qui sont tristes, venez faire la fête (rires). J’étais contente d’arriver avec ça en premier titre.
LFB : Tu parles aussi des « weird kids » dans la présentation de la soirée : est-ce une manière d’articuler la question de la marginalité dans ta musique ?
MONA : Oui, bien sûr. Il y a un côté pop, mais ce n’est pas non plus le genre à passer dans toutes les radios (rires). Dans ma démarche déjà, je me pose comme étant à côté. Je l’ai toujours été dans ma vie, et il y a un moment où j’ai compris que c’était cool : tu vois les choses différemment, tu as un rapport différent avec les gens, tu comprends plus les gens aussi. Du coup, j’ai encore plus poussé cela. Après, je n’aime pas le côté étendard, mais j’en parle hyper frontalement car je trouve ça très cool de pouvoir ouvrir la discussion là-dessus.
LFB : Cette soirée est aussi l’occasion d’inviter certains de tes ami.e.s musicien.ne.s. Peux-tu nous les présenter ?
MONA : L’idée était de faire une grosse fête de potes, pour remercier tout le monde, car il y a beaucoup de travail derrière et plein de gens qui m’ont aidée. Michèle de Belmont Witch est la première à m’avoir fait jouer sur scène à Paris avec TV Cult. C’était normal de l’inviter, car elle est dans une démarche très incluante, elle organise des ateliers pour les musiciennes, elle a aussi une casquette de programmatrice… Il y a aussi Eva Camp, qui fait le premier DJ set, qui me soutient énormément et est hyper engagée dans la musique. César (000000016), mon claviériste, qui me suit depuis le premier jour. Et puis Chat Perché, qui est aussi dans la Grande Party, dont je me sens proche dans cette idée de la marginalité. Les Zikettes, grâce à qui j’ai sorti l’EP, tiennent également un stand ce soir. Il y a aussi Tanguy qui fait le mapping, et Marion qui a co-réalisé les clips et co-organisé l’événement. Quand tu fais ton petit projet et que plein de gens t’aident de manière directe ou indirecte, cela fait sens de les inviter à une grande fête pour les remercier !
LFB : J’aime beaucoup cette idée de la nébuleuse, de la constellation utilisée dans le graphisme de l’événement. Ce n’est pas juste une planète et ses satellites, c’est une grande réunion de gens qui font tous.tes parti.e.s du même projet.
MONA : C’était l’idée. Je n’aime pas les échelles entre les artistes, la première partie écrite en plus petit sur l’affiche… Tu es là pour faire un concert, il n’y a pas de supériorité.
LFB : Tu projettes tes clips en avant-première ce soir. Peux-tu nous en parler, avant qu’ils soient officiellement en ligne ?
MONA : Quand j’ai sorti l’EP, je n’ai pas du tout fait de clips. Mais je viens du cinéma et j’ai toujours voulu réaliser des court-métrages. Donc j’ai fait des storyboards plus tard, que j’ai présentés à Marion qui était partante pour co-réaliser. On est ensuite parties en Bretagne pour tourner en quelques jours. Mon but, ce serait de clipper tous mes morceaux, de réaliser un court-métrage à chaque fois. Je préfère avoir moins de moyens et raconter une histoire complète que faire un seul clip. L’histoire est celle d’un petit personnage qui s’appelle Mona et qui découvre la réalité en se la prenant en pleine face. Il y a plusieurs phases : la découverte du monde et de sa violence avec This World, les relations interpersonnelles et tout ce que ça peut amener de frustration, de colère et de lâcher prise avec Middle, Rage and Chaos où l’amour et la fin du monde sont mis en parallèle. Vient ensuite Oslo, qui raconte un retour à la nature, dans lequel je me baigne en robe dans une mer à 10 degrés (rires), et enfin Evolve dans le genre found footage avec tous.tes mes potes qui sont là depuis ces deux dernières années.
LFB : En écoutant l’EP, je n’avais pas compris qu’il y avait une narration.
MONA : Elle était un peu là depuis le début, mais effectivement, les clips ont permis de la mettre vraiment en avant. À la base, ce sont des histoires dont le dénominateur commun est la tristesse, mais les clips viennent mettre en forme et expliciter cet univers.
LFB : D’où vient ton nom d’artiste ?
MONA : Au départ, je m’appelais Boy, mais j’ai changé car je trouvais que cela me correspondait mieux. Mona, c’était le nom de ma grand-mère. La première fois que j’ai composé des synthés avec des batteries pas calées (rires), c’était au Caire avec elle. Elle était super sympa et m’encourageait, alors que n’importe qui d’autre m’aurait dit le contraire (rires). C’est un hommage, c’était une femme incroyable et j’aime bien m’appeler comme elle, porter son nom me donne plus de confiance.
LFB : Après cette soirée et la sortie des clips, quelle sera la suite pour toi ?
MONA : Après un dernier concert pour La Grande Party à la Marbrerie, je pars en Bretagne pendant deux mois pour composer. J’ai beaucoup de projets en friche qui n’attendent qu’un coup de production et de mix pour sortir. J’espère reprendre les lives en 2023, peut-être avec une autre formule !