Depuis la fin de l’été, il y a un album qui passe en boucle dans nos oreilles, et qui s’intitule le soleil et la mer. Derrière, se cache Adèle et Nicolas, aka Bibi Club. On a profité du passage du duo au MaMa Festival pour s’offrir une conversation autour de leur musique. On a parlé musique qui fait sens, live, de sérénité et du besoin de plus en plus important d’être ensemble.
La Face B : Salut Bibi Club, comment ça va ?
Adèle : Ça va bien, je suis contente d’être à Paris et d’avoir donné ce concert. Je me sens jetlag, j’ai une fébrilité dans le bout des doigts, je suis un peu fatiguée, mais je suis contente d’être ici.
Nicolas : Même chose, un peu fébrile. En même temps, c’est cool d’être ici, on a tellement peu voyagé durant ces dernières années que l’on se sent privilégié d’être ici. C’est cool de sortir de chez soi.
LFB : C’est la deuxième fois que vous jouez avec Bibi Club en France, comment ressentez-vous l’accueil ici par rapport au Québec ?
Nicolas: Pour le moment c’est étonnant, parce que l’accueil est positif. Au début, ça nous a étonnés même. C’est stimulant car ça donne le goût d’en donner plus, puis on dirait qu’on peut vraiment être nous-mêmes, que ça fonctionne, les gens le reçoivent bien.
Adèle : J’aime revenir ici car on se développe des amitiés, des contacts… On vient de croiser des personnes qui nous avaient vus au printemps pour le show des Inrocks. C’est cool d’avoir leurs inputs après le spectacle. On se sent évoluer ainsi, c’est super de pouvoir discuter avec les gens après.
Nicolas : Il y a moins ça au Québec, de discuter après le show que cela soit positif, négatif, constructif. Ici, c’est cool de pouvoir avoir ça.
LFB : Je suis assez obsédé par votre album depuis la fin de l’été, pour tout vous dire. Si je vous dis que votre musique est le pont idéal entre le rêve, le réveil et la réalité, est-ce que c’est une idée qui vous convient?
Nicolas & Adèle : Complètement!
Nicolas : Ça fait du sens. En discutant en entrevue avec différentes personnes, ça nous oblige à réfléchir à notre démarche.
Dans notre musique, il y a définitivement une tension qui est présente, mais pas nécessairement négative, c’est vraiment cet espèce d’état-là entre deux mondes, deux états, qui nous parle beaucoup.
Adèle : C’est dans ce mood que les chansons ont été composées : d’être fatigué, de se réveiller tôt, d’avoir un court moment pour composer enregistrer. Il y a un sentiment d’urgence, de tout donner avec le peu de temps qu’on avait.
Il y a de l’intensité durant ce moment, quelque chose de très pétillant, et en même temps, comme tu dis un état entre deux mondes.
LFB : Il y a un truc de transcendantal dans la construction des chansons, quelque chose qui navigue, on ne sait pas vraiment où l’on est, que ça soit dans les paroles ou dans la production, la composition. J’ai eu l’impression que selon l’heure de la journée, les chansons pouvaient avoir un impact différent.
Nicolas : Quand on composait en studio les arrangements, la prod, on revenait souvent à une artiste jazz, Alice Coltrane. On trouve de la spiritualité dans sa musique, justement ce mood d’être entre deux mondes, en suspension, une tension mais pas dark. C’est cool que tu aies entendu ça, car ça nous parle!
LFB : Il y a des mots, un peu mantra, qui reviennent comme des échos. Même les titres des chansons, qui sont assez brefs et représentent une émotion particulière.
Adèle : Par rapport aux titres, ça me fait penser aux paroles des chansons. On a une approche assez directe dans les paroles. Ce n’est pas une écriture dans la métaphore, dans l’image.
(un camion poubelle passe et on rigole tous)
Adèle : Mais oui c’est ça.
Nicolas : On travaille beaucoup en amont pour les paroles, mais tout se construit dans l’effervescence du studio. Adèle chante des mélodies, et c’est là qu’elle se rend compte si ça fait sens ou non. Il y a quelque chose d’instinctif et sensible qui est inspirant quand on travaille ensemble. Ça manque parfois en musique, d’avoir des paroles plus instinctives, davantage senties.
LFB : Il y a une vraie quête de la simplicité dans votre album, ce qui est la chose plus dure dans la musique : de laisser penser que c’est très simple alors qu’il y a un travail monumental derrière. On retrouve cette idée d’artisanat, hyper fluide, hyper pur.
Nicolas : Définitivement, le travail de textures, tout ça.
Adèle : C’est tout le temps dans la volonté de rester honnête avec nous-mêmes, avec ce qu’on propose. On ne veut pas jouer à être quelqu’un d’autre, ça reflète beaucoup ce qu’on est, cet album. Il y a une manière directe de travailler, très instinctive.
Adèle & Nicolas : No bullshit ! (rires)
LFB : Ça se ressent, il y a quelque chose d’accueillant. Ça va bien aussi avec le propos de l’album qui, pour moi, reflète une grande quête de sérénité !
Adèle & Nicolas : Oui, complètement.
Adèle : Sérénité, j’aime ça. Tu as raison c’est vrai, comme le mantra aussi dont tu parlais, il y a tout un contexte de se rassurer, de bienveillance, de rassurer les gens qu’on aime, de faire entrer les autres… Ce sont des mots forts qui nous inspirent.
LFB : J’ai l’impression que le fait qu’il ait été créé dans une période d’incertitude a renforcé ce besoin de créer des certitudes, de se dire que tout va bien aller. Des choses très douces et qui impactent l’auditeur.
Nicolas : C’est drôle, car le titre de l’album est venu des paroles pendant qu’on travaillait. C’était comme un concept qu’on aimait bien, mais le soleil et la mer c’est pas tant le lieu…
Adèle : Les plages sont très loin de chez nous (rires)
Nicolas : C’est de trouver ce qui était magique dans ce qui était devant nous, répéter la routine, se lever, aller marcher, c’est ça notre lieu de lumière. Le quotidien devient magique au final.
LFB : Pour moi, chaque chanson est très affirmée et représente une sorte de kaléidoscope de la même émotion, mais à chaque fois sous un prisme différent!
Nicolas : C’est cool ça.
Adèle : Je n’avais jamais penser à ça mais oui ça a du sens. Oui (rires)
Nicolas : Il y a une volonté de faire quelque chose avec une cohésion, de ne pas s’éparpiller ; en gardant toujours une authenticité, sortir quelque chose qui est vrai, qui est nous, en sachant que les autres ont leur propre prisme quand ils écoutent nos chansons.
LFB : Ce qui intéressant, je trouve, car ça a une répercussion sur vos clips ! Cet état vaporeux se retrouve sur Le Matin, mais aussi sur La Nuit par exemple. On est perdus dans sa solitude, il y a des endroits assez globaux dans vos clips.
Nicolas : On a de la chance, notre manageuse Carmel nous a proposé Léa Taillefer lorsqu’on cherchait une personne pour faire les clips. On a eu un blind date en Zoom, elle était à Tahiti avec sa tante pendant la pandémie.
On s’est parlé et c’était un coup de foudre, on a fermé le zoom et avec Adèle on s’est dit “C’est parfait, toutes ces idées ont du sens”.
Adèle : On a le même langage, la même direction, et vraiment ça a été un ajout de visuels qu’elle a pu créer pour nous. On a encore plus élargi ce qu’on essaie de véhiculer, c’est vraiment une cool rencontre artistique.
Nicolas : Pour le dernier clip, elle a voulu qu’on s’embrasse, mais pour nous c’était impossible de se frencher sur notre propre chanson, on trouvait ça très bizarre (rires). Du coup, par chance elle avait des amis de passage qui ont bien voulu s’embrasser dans notre clip…. puis ces gens sont devenus nos amis. Il y a quelque chose de très fluide, on est vraiment très privilégiés avec cet album-là.
Adèle : On a eu de superbes rencontres, c’est vraiment super positif.
LFB : Justement, en parlant d’étendre l’univers, vous êtes à 2 sur scène. Vous avez une volonté de re-transformer complètement les morceaux de l’album sur scène pour qu’ils gardent cette authenticité sur scène.
Nicolas : C’est toujours délicat le live, tu peux aller gigantesque, rester tout petit, créer un univers … Moi j’aime toujours le côté funambule, sans filet. Pour moi, les shows qui me touchent le plus sont ceux qui sont vulnérables, quand le guitariste casse une corde.
Quand tu ne sais jamais si les choses peuvent s’effondrer. Quand il y a des erreurs, quand c’est vivant! Pour l’instant, on continue notre choix « casse-cou » de continuer en duo.
LFB : C’est un peu punk non ?
Nicolas : Un ami à nous nous en parlait un jour et nous disait que même dans les grandes salles, il faut amplifier le petit, rendre ça gigantesque.
Adèle : Ca suit l’idée d’être radical dans la proposition. On pourrait être plusieurs musiciens sur scène, il y a beaucoup d’éléments dans les pièces qui pourraient justifier le fait d’être plusieurs sur scène. De rester punk à deux sur scène, néanmoins, on ne reste pas fermé sà appeler un ou une amie à nous rejoindre sur scène un jour.
Nicolas : On l’a fait dans notre concert de lancement à Montréal, on a invité des amis sur deux morceaux…
Adèle : J’ai invité ma mère à jouer sur scène (rires). Elle était très contente de monter sur scène.
Nicolas : C’est très drôle, mais la pandémie nous a l’a mis en plein visage : les liens forts sont ce qu’il y a de plus important.
Adèle : Il ne reste pas grand-chose d’autre que les liens qu’on entretient.
LFB : J’aime bien que les gens me parlent de la construction d’un morceau, et j’ai choisi celui qui est pour moi le plus impressionnant dans l’album : Bellini.
Nicolas : La chanson a été composée juste avant la pandémie. Il y a une salle à Montréal où j’ai fait une résidence, j’invitais des gens à jouer avec moi en duo. J’avais demandé à Adèle de partager une chanson et elle m’a proposé cet enchaînement d’accord. On a jammé dessus pendant le show et beaucoup d’amis nous dit de travailler dessus, qu’il y avait quelque chose de cool dans cette tune.
Le lendemain, tout fermait à Montréal à cause de la pandémie, on était focus sur nos enfants, notre vie de famille, mais on a quand même booké des journées en studio pour se sortir du quotidien.
“On est des parents mais on veut aussi être des artistes” et Bellini est né ainsi. On l’a fait en deux takes, quelque chose de très live.
On a aussi pris du LSD pour vraiment se sortir de cette vie parentale pendant le confinement. C’est pas notre méthode de travail (rires) mais cette fois-là ça nous a permis d’être libres. C’était tellement différent de ce qu’on faisait tous les jours que pendant un instant c’était libérateur. La démo est resté quasi identique à celle de l’album.
Adèle : La voix du début, c’est un ami qui s’appelle Iban Sanchez. Cette voix-là vient d’une performance qu’on a faite il y a plusieurs années à Montréal, et cet enregistrement provient de cette époque et de son iPhone. Et pour Bellini, on a eu le flash de le mettre là.
Nicolas : Il y a des petits ajouts, mais c’est une chanson qui est peu manipulée.
Adèle : On l’a joué récemment en live et on a pris vraiment du plaisir à la jouer. On y va un peu plus dynamique, on agrandit les choses et pis ça fait du bien.
Nicolas : Il y a quelque chose où tout peut s’éffondrer à tout moment ?
Adèle : Sur la corde raide.
crédit : Eva Duc
LFB : Qu’est ce qu’on peut vous souhaiter pour le futur ?
Adèle : J’aime beaucoup venir jouer ici, c’est rafraîchissant! Il y a une curiosité avec l’album, je sens que le projet est compris. J’aimerais beaucoup avec bibi club qu’on sorte de notre ville pour jouer à l’étranger, faire des rencontres.
Nicolas : On fait un autre album en ce moment, je nous souhaite des concerts! On est vigilants mais on ne veut pas se perdre, ne pas tomber dans une sur-analyse, on veut avoir le même plaisir à écrire nos chansons, rester nous-mêmes dans notre filon.
LFB : Est ce que vous avez des coups de cœur à nous faire partager?
Nicolas : J’ai écouté énormément cette dernière année Duval Tiimothy, c’est un artiste de Sierra Leone qui vit à Londres. J’ai écouté un vieil album, c’est du piano qui peut paraître hyper cheesy, mais il y intègre des conversations qu’il a avec sa famille de Sierra Leone. Il y a quelque chose qui me touche et qui prend pour moi avec cet artiste.
Adèle : Je pense aussi à des musiques que j’ai découvertes cette année, Dry Cleaning qui ont été très révélateurs et très stimulants. On a été les voir en concert à Montréal, je trouve ça très positif, c’est des amis qui jouent ensemble.
Nicolas : Il y a aussi Cola, anciennement Ought, c’est une proposition super radicale, super simple mais une voix profonde, des paroles cool, c’est punk DYI , c’est facile à écouter, presque new wave, mais super à découvrir.
Adèle : J’ai un dernier coup de cœur qui n’est pas de la musique. Chez nous, on a un jardin et on fait pousser des choses et je ne sais pas pourquoi j’ai pensé à ça, mais l’Agastache.
C’est une plante avec un goût anisé, un peu menthe, c’est super bon pour la digestion (rires). Les enfants en mangent énormément. L’Agastache, dernier coup de coeur.
Nicolas : C’est un excellent coup de cœur, bravo. (rires)