Cette année, le Pitchfork Music Festival parisien a encore changé de monture pour être rallongé. La partie avant-garde est restée dans le onzième arrondissement tout un week-end, tandis que les autres jours de la semaine ont bénéficié de têtes d’affiches à la Gaîté Lyrique essentiellement. Nous avons pu voguer parmi de nombreuses salles parisiennes du 14 au 21 novembre, même s’il était impossible d’assister à l’ensemble des 65 prestations proposées. Voici un bref résumé de ce que nous avons retenu de notre escapade indie rock.
Lundi 14 novembre 2022
O. (La Gaîté Lyrique)
Habitué à représenter fièrement la première partie de Black Country, New Road ou encore de black midi, O. profite de l’annulation de yot club pour être mis à l’avant. Il n’y a sûrement pas plus avant-gardiste que ce groupe. Il est composé de la batteuse Tash Keary et du saxophoniste Joe Henwood, qui ont longtemps improvisé leur premier son à la maison. Ce tandem peut paraître étonnant dans sa composition, mais il se révèle efficace car il parvient à ouvrir des brèches à des sonorités très variées et dynamiques. L’instrument à vent est la pièce centrale, se jouant à coups de pédales et de distorsions sonores ensorcelantes. Il en ressort un mix post punk fusionné à l’électro-jazz, qui s’étire de The Time Is Coming à Radiohead.
Débuter par un tel pari, c’est bien l’image du Pitchfork que l’on se fait. Le concert a commencé bien tôt en semaine (19h30). Les retardaires ont alors entamé le festival avec de l’expérimental peu attrayant au bar de la Gaîté Lyrique. Mais nous sommes ici parmi les amoureux des nouveautés. En passant par les portes qui donnent accès sur la scène, on se retrouve embarqués dans un univers transgressif. D’abord, il faut le dire, Joe Henwood a tout du mec le plus sympa. Lorsqu’il profite d’une interlude pour présenter le projet et s’amuser de la difficulté de retrouver le groupe aisément sur les réseaux sociaux, il nous touche par sa simplicité. Ensuite, l’ingéniosité du tandem vient de leur capacité à gérer différents temps calmes et atmosphériques, coupés par la furie de Tash Keary. On se surprend alors à se dandiner, voire à danser, tant ces drops donnent du punch. Le festival commence de belle manière, surprenante, comme on le souhaitait.
DEADLETTER (La Gaîté Lyrique)
Dernière arrivée en date de la programmation suite à une annulation de dehd, la formation britannique se voit portée sur le devant de la scène. L’arrivée de la trompette sur scène nous faisait craindre le mauvais running gag de la soirée pour les amateurs de sons bruts. Il n’en était rien. Voilà que débarque un guitariste fin, élancé, au regard énervé, accompagné d’un batteur en mode schlag avec son survêt Adidas et ses lunettes de soleil. S’ensuivent ensuite deux jeunes effrontés, accompagnés de la trompettiste et percussionniste. MAIS SURTOUT, de Mick Jagger ! Ou son fils réincarné, ce n’est pas possible autrement. Et il n’y a pas que ce physique distordu et cette coiffe qui frise le mulet à frange qui laissent penser cela : ce flow, ce swag à la Iggy Pop, et ce déhanché sur scène aussi ! Il ne lui a fallu que six petites minutes pour qu’il se retrouve torse nu et qu’il donne à chacun l’envie d’une relation charnelle. Je n’aurais en tout cas pu lutter si ma petite amie me trompait avec lui. Je suis peut-être trop faible.
Il a été suivi très rapidement de son camarade guitariste aux cheveux frisés. Je ne savais pas qu’il y avait un concours de torse imberbe ce soir mais en tout cas, ils font tout pour montrer leurs meilleurs atouts. « We Need More Heat« , entonne le leader Zac Lawrence. Évidemment, on n’est jamais rassasié de petits bijoux. La puissance scénique de Zac est poussée par des cris de guerre issus de leur dernier EP, Heat. Il n’en fallait pas plus à cet hyperactif pour se retrouver allongé dans la fosse ,autour d’une ronde en extase devant cet être en transe. De plus, il venait de s’arroser d’eau, faisant luir son corps. Les morceaux devenant de plus en plus fous, le public ne pouvait plus résister à réaliser le pogo de leur vie. Une occasion en or pour me rapprocher des premiers rangs de ce show. Et là, on se rappelle qu’il y a encore de la musique sur scène après toute celle folie. C’est ce qu’on doit appeler la magie du post punk. Après le concert, j’ai pu croiser ce si charismatique Zac. Il fumait un cigarillo. Un bien grand défaut. J’en aurais voulu finalement à ma petite amie de me tromper pour lui.
Black Country, New Road (La Gaîté Lyrique)
Malgré le départ d’Isaac Wood (chanteur et guitariste) et le fabuleux projet Jockstrapp de Georgia Ellery en parallèle, Black Country, New Road continue d’exister. Si le show commence par l’emblématique hit de Van Halen, le penchant post punk disparaît pour laisser place à une pop mélodieuse et orchestrale. Point de personnages torse nu sur scène cette fois-ci mais une foison de montées transcendantes. Il y a autant d’instruments qu’à l’Opéra Garnier, sans le factice chef d’orchestre : accordéon, violon, pipeau, batterie, basse, guitares et…. un archet pour la guitare électrique. Nous sommes dans le turfu. La formule du groupe a évolué : moins électrique et plus planant. Les meilleurs titres ressemblent à des tubes Disney avant-gardistes, quand les mélodies naviguent sur celles de I’m From Barcelona. À leur honneur, ils ont ressuscité The Dodos par le biais de la voix de Lewis Ewans, qui est capable d’alterner avec n’importe quel instrument en trente secondes. En fait, tout est beau chez Black Country, New Road, au risque toutefois de paraître de plus en plus lisse.
Mardi 15 novembre 2022
TV Priest (La Gaîté Lyrique)
Cette deuxième journée commence de manière plus impulsive, avec la rage associée à la détresse de Charlie Drinkwater, leader et chanteur du groupe TV Priest. Le charisme scénique du groupe repose essentiellement sur la prestance du chanteur Charlie, qui clame avec vergogne chacun de ses propos le poing serré. Si la batterie vive et les riffs lourds accompagnent son chant, on ressent au fond une pointe de détresse dans un style très Protomartyr. La formation londonienne pèche néanmoins dans la mélodie sur les morceaux les plus bruts. Paradoxalement, ce sont les titres les plus pop du dernier album, Upper qui donnent un peu plus de richesse sonore. Le final cut est celui que l’on attendait avec impatience, et qui a enchanté l’auditoire : leur hit Press Gang, qui lance parfaitement l’engouement pour la suite de la soirée.
Nation of Language (La Gaîté Lyrique)
Il n’a pas été possible d’assister à l’intégralité de ce concert très attendu. En guise de punition, il était impossible de s’approcher de la scène tant la fosse était bien remplie. Ceci étant, entendre September Again en novembre nous met au chaud dans le bain. On s’envole sur les airs planants du refrain et on oublie très rapidement la distance qui nous sépare de Ian Richard Devaney. Le leader de ce trio a choisi d’appuyer sur l’accent new wave pour leur deuxième album, A Way Forward. En live, This Fractured Mind est l’illustre héritier de Orchestral Manoeuvre in the Dark, tandis que The Wall & Will est la relève de New Order dans sa période Age of Consent.
Le moment fut assez incroyable pour deux raisons. D’abord, les artistes sur scène ont transmis tant de convictions et de passion dans leurs actes. Aidan Noell ne cachait jamais son plaisir sur chaque transition réussie. La complicité de Ian et Aidan donnait de même une communion agréable, qui se transmettait jusqu’aux sourires des spectateurs. Ces derniers sentaient la transe les prendre au fil des morceaux, grâce à cette atmosphère 80’s remasterisée. Le bouquet final tant attendu, Accross That Fine Line, qui fut désigné hymne du festival, a donné des frissons à chacun, est s’est terminé sous les cris de joie d’un public emballé. La copie est propre, le rendu merveilleux. Nation of Language peut entrevoir l’horizon sereinement.
Vendredi 18 novembre 2022
Le vendredi et le samedi sont quant à eux consacrés aux groupes méconnus mais au grand potentiel. La curiosité et l’esprit d’aventure sont les qualités requises pour voyager dans le onzième arrondissement afin de dénicher les pépites à travers six salles de concerts. Il y en a pour tous les goûts ce week-end mais la fibre rock sera plus mise en avant. Il faut déjà commencer par chercher les bracelets à la de la place de Bastille pour permettre l’entrée aux salles de concert . Cela demande un peu d’organisation et d’anticipation sur dans notre emploi du temps. Malheureusement, il faut faire face à des imprévus comme le début précoce du trop court concert de yeule au Badaboom. Tant pis, direction le Supersonic.
L’Objectif (Supersonic)
Jeunes et fringants comme des jeunes étudiants en école de commerce, les quatre joyeux lurons anglais débarquent gentiment pour déballer un premier titre post punk assez classique. Sympa, mais rien de transcendant. On attend pas mal de choses d’eux. Ils se réclament de venir avec quatre styles différents : jazz, funk, hip-hop et punk. Sur le papier, c’est assez emballant. En live, on ressent peu cette combinaison. Seul Have It Your Way se démarque justement, par ses couplets aux riffs funky. Le chant est aussi plus irrégulier et les à-coups relancent sans cesse un rythme percutant et hypnotique. L’autre titre majeur, Drive in Mind convainc également avec ses percussions tranchantes. La prestation reste propre et sans faute. L’Objectif a des idées mais manque de finalité. Il leur faudrait prendre plus d’initiatives originales pour se démarquer sur la scène post punk bien garnie en cette époque. Ils en ont les moyens, car ils sont encore tout jeunes. Malheureusement, on était ce soir plus proche du bar de nuit parisien L’Objectif Nul que dans le club Supersonic.
Sudan Archives (Café de la Danse)
La claque ! L’artiste américaine d’origine soudanaise a livré un show de quarante minutes sans aucun temps mort. La prestation fut magistrale. Dès les premiers beats, on sent que le projet est déjà bien rôdé et a connu de plus grandes foules. Il faut dire que Sudan Archives était sûrement la headliner de la soirée, à juste titre. Il s’agit de la pièce de puzzle manquante à cette scène pop et R&B actuelle, qui marque le renouveau de ce genre.
Déjà, parce que Brittney Parks est une violoniste de formation qui n’a pas oublié son savoir-faire en l’intégrant à ses goûts, qu’elle parsème à travers de la trap ou de l’électro. Très impulsive, elle soulève le public sur Not For Sale et les fait danser sur NBPQ (Topless). Le show résulte donc beaucoup de son hyperactivité sur scène, où elle danse en toupie d’Inception aux quatre coins de son espace de jeu jusqu’à rejoindre son beatmaker. Adepte du violon, elle s’amuse à le tenir comme un fusil et à l’user sur chaque transition. Une utilisation loin d’être symbolique, parce qu’il sert à la fois de rythmique et donne de la grâce aux transitions. Elle a eu l’excellente idée de terminer par Come Meh Way, avec son rythme chill et oriental. Juste avant, Selfish Soul a offert ce que tout le public réclamait : son dernier hit générationnel. Qu’il est bon en live également ! Tout est bien huilé et préparé pour être entonné dans de plus grandes salles. Mais bon, si tout semble parfait, un point gâche l’ensemble : le playback. Bouh.
Samedi 19 novembre 2022
CMAT (Supersonic)
Attention, star mondiale dans le onzième arrondissement de Paris ! CMAT débarque dans l’antre du Supersonic avec un public déjà aimant et conquis. Si le terme « country-folk » vous effraie, il faudra faire une pointe d’effort, car vous risquez sinon de passer à côté de quelque chose de grandiose. Ciara Mary-Alice Thompson a révolutionné ce genre. Son style ? Une dose de bonne humeur et de fun. Que ce soit sur Peter ou KFC, elle nous offre des ballades entêtantes, calées sur les riffs énergiques de Josh McGlorey, guitariste de The Strypes. Le concert contiendra huit titres, pour une durée de quarante minutes. Mais le dernier quart fut bien réservé à son tube cliché Cowboy, au rythme duquel elle ordonna des pas de danse de côté à l’ensemble de la salle. La foule s’exécute rapidement, pour devenir un bateau chavirant de plaisir aux yeux de Ciara. La soirée commence donc avec les meilleures vibes possible, grâce à l’énergie positive de CMAT. Merci !
Mandy, Indiana (Supersonic Records)
Il faut être préparé à l’avance pour apprécier ce groupe. Déjà, c’est un concept avant-gardiste. Les percussions poussent vers l’excentricité de Girl Band, pendant que la guitare se noie dans des distorsions brumeuses. Et surtout, au centre, Valentine Caufield, déguisée en Mia Wallace à la perruque blanche. On comprend très vite qu’elle tient les clés de la prestation de ce soir, devant une foule attentif et curieuse. Son regard et son sourire sont démoniaques. Son regard tente de piéger celui d’un spectateur. C’est un poil terrifiant, mais amusant. Les rires qu’elle simule renforcent l’atmosphère horrifique installée dans le Supersonic Records. Derrière, la batterie enchaîne les mouvements variés et énergiques, tandis que le tambour est mis à contribution pour un effet sauvage.
Le son est continuellement puissant et fait trembler les murs de la salle. On reste surpris par le bon choix de la setlist, qui ose poser un cadre à leurs idées. On retient notamment le passage avec l’interlude en fin de set qui lance parfaitement les trois derniers morceaux, dont le fou furieux Peach Fuzz, qui percute avec ses paroles : « Ce n’est pas une révolte mais une révolution« . Valentine nous a un peu inquiété de la scène après chaque titre, mais bien heureusement, elle fait son retour. Sur Alien 3, elle finit même par déambuler telle une zombie parmi les spectateurs, pour finir assise et dévastée aux yeux de tous. Sûrement le concert avec le concept le plus intéressant et original de la soirée.
Vlure (Supersonic)
Vous aimez le double cheddar avec un supplément cheddar coulant sur votre bun de burger ? Vous aimerez Vlure. C’est lourd, gras et bon. Le leader charismatique Hamish Hutcheson donne de sa grosse voix pour décharger toute sa colère devant des spectateurs au départ médusés, puis conquis. Dans un style électro punk indus’, l’énergie de Vlure ne faiblit jamais et se destine clairement pour le dancefloor, tant le son est fédérateur. Le synthétiseur apporte le taux de mélodie nécessaire pour ne pas rendre le contenu trop abrasif. On apprécie les voix pré-enregistrées, ou encore les effets de cornemuse. La puissance dégagée par Hamish pourrait contribuer à une alternative de nos énergies nucléaires. Les écossais mélangent la violence de The Prodigy, l’indus’ de Nine Inch Nails et les synthèses de Rendez-vous.
Bien entendu, le chanteur a eu le droit à son bain traditionnel après avoir agité le cocotier. La surprise vient des deux derniers morceaux, provenant d’une galaxie lointaine. Alex Pearson délaisse le synthé pour prendre le micro pour une prestation techno qui semble être une reprise de Faithless. Cette dynamite a fait exploser le public du Supersonic, qui n’a dès lors qu’une envie : retourner en rave. Après le dernier titre, Euphoria, tout aussi tonitruant, la folie semble se calmer, et Hamish reprend le micro pour nous complimenter : « FUCKING AMAZING PARIS ! ». Charmant. Sans prétention et de manière très certaine, il tend ses oreilles à ses nouveaux fans pour entendre une clameur générale. Maestro. Fier de lui, il sort fièrement le drapeau de sa patrie pour quitter la scène. Aucun drapeau breton n’a été signalé durant cet événement. Victoire totale pour l’Ecosse.
Nukuluk (POPUP!) vu par notre rédactrice Lucie T.
Au PopUp du Label, les offensives soniques de Nukuluk ouvrent la soirée. Rencontré quelques minutes avant le concert, le collectif promettait de jouer de nouveaux morceaux, outre leur récent EP Disaster Pop, mais sans aucun autre matériau que de brumeux souvenirs, il m’est difficile d’en décrire la teneur. Le mot « chaos » vient à l’esprit. Un chaos maîtrisé, de ceux qui conjuguent ambition pop et dislocations rythmées, de ceux qui peuvent faire s’entrechoquer basse nu metal et productions électroniques abrasives. Ce n’est pas ce genre d’écarts mélodiques qui rebutent la foule : le public est connaisseur, crie les paroles, s’agite. L’assaut scénique de Monika, l’un des deux rappeurs, impressionne. Il y a pourtant quelque chose de tendre dans cette offensivité, comme une tentative d’approcher avec émotions un monde disjoint. C’est l’interaction de Monika avec ses pairs qui nous touche, c’est leur maîtrise technique mêlée à une émulation adolescente qui rappelle parfois Pavement ou Slint, dont on devine l’héritage dans le jeu et la voix du chanteur et guitariste Luke Kulukundis, qui donne au groupe sa profondeur.
Grove (POPUP!) vu par notre rédactrice Lucie T.
Que faire de toute cette énergie insufflée par ce live qui a fait l’effet d’une montée en puissance sans redescente, d’un trop plein d’adrénaline qu’il faudrait évacuer avant qu’elle ne se transforme en frustration ? De vieilles habitudes post-punk me poussent à vouloir quitter le lieu pour courir au Supersonic et ne pas louper le début de Mandy, Indiana, mais c’est le chanteur de Nukuluk qui a raison de mes velléités adolescentes en me conseillant de rester pour le concert de Grove. Certain.e.s dans la salle les ayant vu.e.s à Londres par le passé confirment : il faut rester. Tant pis pour les autres salles, cette soirée que j’avais prévue atomisée se resserre autour d’une jeune scène expérimentale dont seule l’Angleterre a le secret. Non pas que les inclinaisons électroniques de Mandy, Indiana ne soit dénuées d’exploration sonore, mais une fébrilité raveuse toute britannique m’anime ce soir-là. Je me réjouis personnellement que les musiques afro-caribéennes, reggaeton et dancehall en tête, percent le plafond du snobisme indie pour me permettre de whiner au Pitchfork Festival. Je m’en réjouis encore plus lorsque je prends conscience que les soubresauts vitaux de Grove, descendu.e dans la foule, me font combiner twerk et pogo dans la plus pure tradition punk. L’artiste queer, anglais.e d’origine jamaïcaine, connaît son histoire, celle de sa communauté, celle de son identité. Iel sait qu’histoire personnelle et histoire politique se mêlent intimement, et s’applique à les transmettre sans intention didactique, avec une chaleur qui appelle au collectif. Plongée à pleine vitesse dans l’énergie de cette rave, nul doute qu’Angela Davis elle-même saurait convoquer la praxis du dancefloor en lieu et place de la théorie. Trente minutes suffisent donc à Grove pour présenter les morceaux de son EP Queer + Black aux titres clairvoyants (Ur Boyfriend’s Wack, Fuck Ur Landlord), où radicalité politique et breakbeats saccadés se superposent , où l’on peut crier à l’unisson « Fuck les proprios » sur des sonorités hardcore.
Yunè Pinku (POPUP!) vu par notre rédactrice Lucie T.
Difficile de passer après un tel exorcisme. Certes. Comme une extension de mon cerveau, les algorithmes de streaming avaient attiré mon attention il y a quelques mois sur un single de Yunè Pinku, ayant compris que la jungle sirupeuse de PinkPantheress occupait visiblement une grande place dans mes écoutes de l’année. Revenue dans la salle, je comprends que la hype dépasse l’algorithme : le PopUp est comble. Dans le même temps, je me rappelle instantanément pourquoi je n’y vais que rarement, agacée par l’espace exigu, mal agencé : la scène sur la droite dès l’entrée, le public trop grand pour le plafond trop bas, rendant impossible le moindre mouvement chaloupé. La revisite pop de la rave et de l’acid house que propose Yunè Pinku invite à danser et à élargir les frontières horaires de la nuit. Dommage que la salle choisie (ou le format itinérant du Pitchfork Avant-Garde qui contraint à la course et aux débuts de concerts loupés) annihile d’emblée toute envie de clubber. Les hésitations et le manque d’éclat de la productrice à côté de la puissance scénique des deux groupes précédents me font l’effet d’un fantôme. Je n’en ressors ni déçue ni frustrée, simplement refroidie.
Il est aisé de saisir la cohérence immédiate de cette programmation : le regard nostalgique comme base sonique, les années 1990 comme liant, la vigueur juvénile comme force de conviction. Mais en 2022, où est l’avant-garde dans la dance music britannique, la jungle, le rock alternatif, hormis dans leurs productions texturées inspirées par le travail pionnier de productrices contemporaines comme SOPHIE ? Celle-ci ne peut uniquement être contenue dans la rareté (voire l’absence) de ces scènes dans le paysage musical français, brandie comme un argument de choix par les programmateurs. Il n’y a rien d’intrinsèquement futuriste dans ces phénomènes revivalistes d’un passé nineties. Pourtant, dans cette alchimie, Nukuluk se distingue et se hisse assez haut pour mériter l’étiquette « expérimental », passage obligé pour retenir l’attention du public exigent du festival. L’expérimentation, ici, se loge dans le téléscopage réussi des genres et les rythmes disloqués de leurs productions, à la manière du futur désarticulé que nous promet l’époque. Comment créer dans la perspective d’un futur déjà annoncé et effondré ? Le son du futur ne peut-il être façonné qu’avec l’aide d’un puissant composant nostalgique ? À l’issue de la soirée, le collectif londonien semble apporter une réponse alternative à ces angoisses, jouant avec les codes, transperçant le digital pour revenir dans le réel. Grove, en parallèle, offre une réponse politique immédiate en invoquant la catharsis du dancefloor. C’est la présence de chacun.e sur scène, comme un exorcisme par la sueur, qui ramène à la vitalité.
Crédits photos : LucieTravaillé, Maureen Frn, Loélia Dbc.