Collectif Medz Bazar : « On est un groupe à la fois très organique et organisé. »

10 ans, ça se fête ! Alors pour leur anniversaire, le Collectif Medz Bazar organise un grand bal à La Marbrerie de Montreuil, ce samedi 10 décembre. Une ribembelle d’artistes seront aussi de la party, comme Papier d’Arménie, Assafir, Chercher la femme, et plein d’autres invités surprises. Or, le groupe phare de la soirée sera bien évidemment Le Collectif Medz Bazar, avec qui La Face B a pu échanger.

LFB : Comment allez-vous ? 

Elâ : Ça va à peu près (rires)

Marius : On prépare notre concert samedi, donc c’est chouette. Toute la semaine, on est en résidence avec plusieurs artistes : des Grecs, des Turcs, des Kurdes, des Vénézuéliens. C’est agréable de préparer cet évènement.

LFB : Comment vous décririez le Collectif Medz Bazar à quelqu’un qui ne vous connaît pas du tout ? 

Elâ : On essaie de créer notre propre terme. On a du mal avec les appellations “world musique” ou “musique du monde”, alors on dit qu’on fait plutôt de “la musique urbaine de diasporas”. 

LFB : Le projet est né lors d’une jam à la Péniche Anako. Lors de ces rassemblements, il y a des musiciens amateurs ou professionnels. Est-ce que vous étiez déjà tous musiciens professionnels ? 

Marius : Pas tous, certains n’envisageaient même pas de devenir musiciens. 

Elâ : Je peux dire que ma carrière à commencé sérieusement avec Medz Bazar. 

Marius : Je faisais déjà des tournées avec un autre groupe avant, alors j’avais déjà pas mal d’expériences. Je savais que je voulais faire musicien. 

Elâ : Je pense que la musique était très présente chez tout le monde, Vahan, Shushan, Ezgi, Sevana [ndlr. ancienne membre fondatrice du groupe. 

Marius : Shushan ne faisait même pas de contrebasse à l’origine, elle s’y est mise presque par nécessité car les basses pouvaient nous manquer.

Elâ : Oui, il y avait beaucoup de percussions, pas du tout d’accordéon, et Vahan jouait même de la guitare ! 

LFB : Le groupe fête ses dix ans, qu’est-ce qui a changé depuis ? 

Elâ : (rires) Beaucoup de choses ! 

Marius : Déjà, on est passé d’un groupe de dix à un groupe de cinq. On était à huit pendant assez longtemps et depuis un an ou deux ans, on est cinq.

Elâ : Mais à part ça, les instruments ont changé et le répertoire aussi. 

Marius :  À la base, c’était un groupe plutôt de reprises de musiques traditionnelles du Moyen-Orient. Puis, on s’est élargi vers le bluegrass, voire la fusion. Par exemple, je jouais du cuatro, qui est un instrument à cordes d’Amérique latine et dont certaines rythmiques sont proches de la musique arménienne. On peut l’entendre sur le titre Khio Khio. 

Elâ : Ensuite, il y a eu un début de compos, puis de plus en plus… Les Turcs ont commencé à composer ! (rires) Car avant il n’y avait pas vraiment de chansons en turc. 

LFB : Et aussi, il me semble que vous habitez tous assez loin les uns des autres : est-ce que c’est un moteur ou un frein pour la création ? 

Marius : Ça dépend, car ça fait longtemps qu’on fonctionne comme ça. Vahan est parti vivre au Portugal juste après la création du groupe. Et puis, Sevana est partie il y a six ans vivre en Arménie. Pour dire le bon côté, quand on se retrouve, on fait des résidences pendant une longue période. 

Elâ : C’est vrai que finalement le temps devient plus précieux qu’au tout début. On faisait des répétitions qui duraient une journée entière, à discuter, à manger. C’était pas du tout efficace alors qu’aujourd’hui ça fonctionne très bien là. Maintenant, on a notre méthode alors quand on se retrouve, on va direct on va à l’essentiel. 

LFB : Dans vos chansons, on retrouve moins cette patte très traditionnelle, par exemple avec Sen Rengi. Comment vos influences musicales ont-elles évoluées ? 

Elâ : En fait, on est partis des musiques purement traditionnelles pour finalement arriver à des compositions influencées de musiques traditionnelles. 

Marius : Je pense qu’on a beaucoup évolué, encore plus quand on regarde des titres avec des textes un peu plus naïfs qu’on a fait au début comme Kokoreç. On compose tous ensemble, mais les textes sont plutôt individuels. Aujourd’hui, quand on compose, on fait plus attention aux uns et aux autres, c’est à la fois très organique et organisé. 

Elâ : Je pense aussi qu’on arrive plus facilement à dire dans nos textes ce qui nous tient à cœur. 

LFB : Justement, cette place de la parole est importante dans les albums. Par exemple avec Notre Patrie, qui est pratiquement comme une pièce de théâtre ou encore avec l’intervention de Pınar Selek dans Infini. Comment voyez-vous la formation d’un album, comme un objet purement musical, ou quelque chose qui irait plus loin dans le processus créatif ? 

Elâ : Pour l’instant, on n’a pas une idée fixe sur ce que représente en album pour nous. Tous les albums ont été créés de façon très différente. Aujourd’hui, on est arrivés au stade où on arrive à réfléchir aux transitions, à l’ordre, aux noms des morceaux. Ce dernier album est beaucoup plus travaillé sur ce point. C’est comme une histoire du début jusqu’à la fin. 

Marius : Ce désir est surtout porté par Vahan, qui aime bien intégrer des enregistrements autres que du chant ou des instruments de musique. Par exemple, au début du dernier album, il y a un bruit de véhicule. Vahan avait aussi le désir d’enregistrer le bruit de la rue, ou de la forêt, des oiseaux. 

Elâ : Pour Pınar, on l’a croisé lors d’un concert dans le Sud-Ouest, dans une période où on avait déjà enregistré l’album. Et je lui ai demandé, parce que quand on la voit c’est vraiment comme un soleil, et en plus on la connaît. On défend les mêmes causes, notamment pour la Turquie : par exemple, elle est très présente par rapport au génocide arménien. On est sur la même longueur d’onde, c’est comme une évidence.

LFB : Est-ce que Pınar Selek sera présente au concert-anniversaire ? 

Elâ et Marius : Non malheureusement…

LFB : Alors qui sont les invités surprise ?

Marius et Elâ : Il y a le groupes Assafir, nos amies Violette Boulanger, Héléna Morag, les groupe Chercher la femme, qu’on appelle aussi le Rebetiko club, Papiers d’Arménie, l’Ensemble Kerovpyan, qui sont les parents de Shushan et Vahan… beaucoup de monde !

LFB : Là on parle du monde sur scène, mais dans le public, est-ce que depuis dix ans vous avez constaté une différence, une évolution ? 

Elâ : Au début, c’était surtout les communautés.

Marius : Les Arméniens beaucoup, au tout début. Tous les gros concerts ont été soutenus financièrement grâce à la diaspora. Grâce à elle, on est allés trois fois aux Etats-Unis, au Canada, en Russie, en Arménie… C’était incroyable ! (surprises)

Elâ : Tout marchait directement, je pense que les Arméniens nous ont vu comme un groupe arménien et même chose pour les Turcs. Puis, que des Turcs et des Arméniens jouent ensemble, c’est super rare. 

Marius : Mais à un moment donné, il y a trois ans, on a senti qu’on était moins soutenu qu’avant. 

Elâ : Je pense qu’on y est pour quelque chose aussi, car on a choisi de se libérer un peu de ce soutien. C’est le désavantage de ce que je disais tout à l’heure, les Arméniens voyaient notre groupe comme un groupe arménien, alors qu’on chante en turc. Ça nous a même posé problème par moment. On était allés aux Etats-Unis avec une association arménienne assez proche des milieux conservateurs, voire nationalistes.  

Marius : Les organisateurs ne nous avaient jamais écouté en live et ne savaient pas qu’on a des titres aussi en turc. Après un premier concert, la veille du second, il y a eu des gros problèmes au sein de la communauté arménienne. Certains on dit : « C’est n’importe quoi, ils chantent en turc. Il ne faut pas faire ça, car ce sont des Arméniens qui les invitent. » L’organisateur a même reçu des menaces. 

Elâ : Cette histoire m’a vraiment déprimé, qu’il nous dise qu’il allait se faire tabasser si on chantait. Finalement, on a décidé de prendre la parole la dessus pendant le concert. On a dit qu’on devait chanter une chanson en turc mais sans rentrer dans les détails qu’on nous a empêcher. Et là (rires) c’était comme dans un film américain ! Il y a un gars du fond qui a fait « Sing it ! » et tout le monde a repris « Sing it! Sing it ! Sing it ! » (rires) Du coup, on a chanté cette chanson qui devait être Balık ou Kanadım Değdi Sevdaya, et c’était hyper émouvant. 

LFB : Pourtant, c’est vrai qu’il y  a un aspect assez politique dans le groupe, mais au contraire plutôt intercommunautaire, qui au contraire de diviser, rassemble. Je pense par exemple au titre Vodki. Qu’est-ce que vous pouvez me dire sur ce titre ? 

Elâ : On a tous composé à distance, en 2020, pendant le Covid, mais surtout en réaction aux attaques de l’Azerbaïdjan au Haut-Karabagh. Au début, on a fait une vidéo acoustique pour témoigner notre soutien, en particulier à Sevana et Raffi, deux anciens membres fondateurs du groupe, et faire passer un message pacifique. Le texte est très sérieux, éloigné de ce qu’on avait l’habitude de faire. 

Marius : C’est parti d’un chant traditionnel, qui existe aussi en kurde. Les Arméniens ont changé les paroles en arménien, puis est venu le slogan « Vodki! » [ndlr. qui signifie “Debout !”] On était tous à l’étranger, en Turquie, en France, en Suisse, en Inde. Puis, on a tout envoyé à Vahan, qui a fait tout le montage. 

Elâ : Puis on a invité Mahdokht Karampour, qui a chanté un vieux poème en persan qui date du quinzième siècle. 

Marius : Et on a demandé à nos amis de partout de participer au clip, en dansant par exemple. 

Elâ : On a aussi dit aux participants qu’ils pouvaient cacher leurs visages, car ça peut être dangereux de participer à ce genre de message, surtout en Turquie. On regrette aussi de ne  pas avoir eu d’Azerbaïdjanais.

LFB : Cette chanson est liée à une impulsion, mais est-ce que par la suite, vous aimerez faire des chansons plus « politique » ?

Elâ : Pourquoi pas ! J’avoue qu’il se passe un truc de dingue quand on chante cette chanson sur scène, vraiment. C’est hyper touchant. Puis, ça fait du bien de critiquer la gouvernement turc (rires) 

LFB : Vous n’avez jamais eu de problèmes en Turquie ? 

Elâ : Non.. .bizarrement. 

Marius : C’est ça qui est marrant ! (rires) Les problèmes se sont produits là où on devrait ne pas en avoir : aux Etats-Unis ! 

Elâ : Après, on fait très gaffe à ce qu’on organise. On a joué dans des lieux ultra-conservateurs, limites dangereux, comme Elâzığ [ndlr. en Turquie] dans un sous-sol.

Marius : Paradoxalement, ailleurs qu’au Moyen-Orient, les communautés sont assez conservatrices, comme les Arméniens, alors qu’à l’inverse, quand on va jouer au Moyen-Orient, c’est des gens qui en peuvent plus du conservatisme et du radicalisme. Et qui sont hyper ouverts. 

Elâ : Après notre concert à Adana, on nous a déconseillé de jouer en kurde. C’était une période où on déconseillait aux artistes de chanter en kurde, et des concerts ont été annulés. C’était un moment sensible. On se prend ça de tous les côtés. 

Marius : Et juste après on est allé au Kurdistan iorakien et on a eu la même chose pour le turc. 

LFB : (rires) Donc, soit vous ne chantez pas en arménien, soit vous ne chantez pas en kurde, soit vous ne chantez pas en turc ! 

Elâ : Hrant Dink [ndlr. journaliste turc d’orgine arménienne, assassiné par un nationaliste turc] était aussi critiqué par les Turcs et par les Arméniens. 

Marius : Mais encensé aussi ! C’est un vrai symbole.

LFB : Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite, en particulier pour samedi ? 

Elâ : Beaucoup de monde ! (rires) Qu’il y ait des gens de partout, car on a donné beaucoup d’énergie. Et il y  aura beaucoup de musiciens de malade qui viendront jouer. Je disais hier: « C’est comme notre mariage ! » (rires) Et sinon, qu’est-ce qu’on peut nous souhaiter d’autre … un tourneur ? 

Marius : Et d’avoir plus de visibilité dans un milieu plus conventionnel, car on reste encore très underground, même s’il y a des petites ouvertures de temps en temps. Finalement, même au sens de world music, on est peu connus finalement, car on reste très niche. On gagnerait, (sourire) je pense qu’on mérite d’être plus connus et que ça plairait ! Jouer dans plus de festivals avec une certaine renommée, ça nous aiderait sur pas mal de plans d’avoir ce soutien.