Peut-être plus que les autres années, 2022 aura été riche d’albums forts et ce, dans tous les genres possibles et imaginables. La rédaction de La Face B a donc aiguisé ses plus belles plumes pour vous offrir ses albums coups de coeur du cru 2022. Premier acte tout de suite.
Bibi Club – Le Soleil et La Mer (Charles)
Si il ne devait y en avoir qu’un… Je vais pour une fois mettre de côté l’éternel « on », parce qu’il me semble impossible de parler de cet album de manière un temps soit peu distanciée.
Le Soleil et La Mer est l’album qui m’a le plus marqué cette année, car il m’a frappé comme cette année m’aura frappé : une sorte de renaissance, un lent réveil, pour revenir à une sorte d’état d’existence serein, positif et calme.
L’album de Bibi Club représente la bande son de mon année, ce dont j’avais besoin. Une poésie en douceur, des lentes montées et une douceur réconfortante, comme des vagues caressantes qui me réchauffent et me rafraîchissent lorsque le besoin s’en fait sentir.
Le soleil et la mer n’est pas à prendre au premier degré, ce sont des images sorties de rêves, des choses à atteindre et qui nous manquent : la famille, les amis, la chaleur des autres, des sourires et des promenades.
Peut-être sans le vouloir, ou sans le réaliser complètement, Adèle et Nicolas ont sculpté une œuvre d’émotions, des volutes sonores pas si éphémères et des morceaux qui, de par leur simplicité directe et évidente, s’attachent directement à des souvenirs et des pensées.
On plonge dans le matin et la nuit, on se pose sur le balcon pour croiser l’oiseau rouge et la femme-lady, avant de se boire un petit Bellini qui nous emmènera très très loin.
Le soleil et la mer, plus qu’un album, est un voyage dont on ne ressort différent. Une épopée onirique et tendre qui nous est offerte par Bibi Club.
De quoi tomber en amour, tout simplement.
Kendrick Lamar – Mr.Morale & The Big Steppers (Manu)
Kendrick Lamar est sans doute l’un des rappeurs les plus suivis et adulés de sa génération. Le prodige de Compton s’est bâti une réputation pour le moins impressionnante, en nous offrant des œuvres qui ont eu le mérite d’avoir marqué le grand public. C’est cinq ans après son dernier album, DAMN, que le californien est revenu cette année avec son quatrième disque : Mr.Morale & The Big Steppers.
Il va sans dire que ce projet marque une certaine rupture dans la carrière du rappeur. De fait, il s’agit du dernier sous la houlette de la prestigieuse écurie TDE (Top Dawg Entertainement). Ce départ signifie le début d’une nouvelle aventure, suite à la création du label pg.lang, enrôlant par la même occasion Baby Keem et Tanna Leone sous son aile.
De plus, l’autre argument majeur penchant vers une certaine nouveauté demeure dans le fait que ce projet est un double album. Souvent présentée comme un challenge piégeux, cette démarche porte le signe d’une volonté de s’affirmer. Ce genre d’entreprise étant souvent considérée comme la consécration pour un artiste, lorsque cette dernière est réussie.
Avec Mr. Morale & The Big Steppers, Kendrick Lamar nous offre un projet chapeauté jusqu’aux plus infimes détails. Le disque explore des sujets très personnels, abordant la question de plusieurs traumas, ou encore de ses pensées les plus sombres et introspectives. C’est une œuvre clivante, mais qui regorge d’une considérable inventivité, et structurée d’une main de maître.
Disiz – L’Amour (Pierre)
Comme un mantra, l’ouverture de cet album ne cessera sûrement jamais de résonner dans mon crâne : « Je veux du sublime, du sublime, du beau, du vrai, du sublime« .
En plus de le prendre personnellement, on peut y voir comme la réalisation d’une auto-prophétie qui infusera autant de beau et de sublime au reste de l’album.
Disiz, avec toute son expérience et sa fragilité, livre ici une nouvelle histoire de sa vie. Cette dernière commence par la fin d’une relation et la noirceur qui en découle, pour s’achever sur une note plus heureuse gorgée d’espoir. Entre, le chemin se poursuit et les sonorités se mélangent dans un patchwork cohérent, minutieusement orchestré par LucasV.
Thématique universelle et intemporelle, l’amour n’est jamais plus sublime que quand il est pris dans sa globalité. Ce qui est fait ici, entre les moments les plus obscurs et ceux radieux. Disiz prend soin d’y apporter sa sensibilité et sa prose pour conférer à ce projet toute l’authenticité dont il avait besoin.
En mettant des mots et de la musique sur ces dernières années, qui apparaissent comme charnière dans la vie de l’artiste, il livre un projet travaillé, profond et surtout sincère. On voulait du beau, du vrai, du sublime, et on l’a eu.
Odezenne – 1200 mètres en tout (Thomas)
Que dire sur ce disque si ce n’est que c’est un chef d’œuvre ? Les trois comparses d’Odezenne ont livré cette année ce qui est peut-être leur album le plus abouti. Encore un peu plus éloignés de leurs débuts, encore bien différent du précèdent, ils ne cessent d’explorer toutes leurs idées, leurs envies, de sillonner les genres à leur manière, à leur sauce. Les instrus sont toutes plus incroyables les unes que les autres, et les textes vont du délire presque surréaliste au minerai de sentiments pur. Il y a de nouveau, du neuf dans les sujets évoqués, mais ils restent néanmoins toujours parlants et pertinents.
On ne pourrait quantifier la beauté de titres comme Caprice, Pablo, Hardcore ou Géranium. Impossible de ne pas chanter la larme au bord du cœur avec elleux sur Une danse de mauvais goût, leur feat avec Mansfield.TYA. Odezenne se permettent tout, et les trips de Regarde si c’est loin, Deux traits ou Svengo sont juste un pur régal. Mr. Fétis est un chef d’œuvre magistral du genre. Et quel genre sinon le leur ? On écoute du Odezenne pour écouter du Odezenne, ils ne font rien comme personne, tout en jouant avec les codes de ce qui leur plaît en musique.
Incroyablement touchant, enivrant par moments (on pense à Bitch), ultra-créatif et original. Que demander de plus ? 1200 mètres en tout est une réussite absolue, qui vient se nicher parmi les autres pépites qu’Odezenne a le don de nous fournir, avec toujours un intimisme rare et un perfectionnisme palpable.
Kevin Morby – This Is A Photograph (Pierre Pouj)
Quand Dieu sort un album, ses disciples l’écoutent et l’adorent. Impossible de détester, donc. Parce que quoi que touche Kevin Morby (Dieu, donc), il le transforme en or.
Et ça fait limite chier quoi, mais bon, c’est comme ça qu’on appelle des idoles. Bref, This is a Photograph est un album assez introspectif du musicien américain. Il revient pas mal sur son enfance, ses débuts, ses origines, se questionne. Toujours dans sa folk américaine sauce Morby, bourrée de références venu d’Outre-Atlantique, de -son- dieu, (il est états-unien, certains clichés ont la peau dure), cet album est un vrai plaisir.
Ce que j’adore, c’est qu’il montre toutes les facettes de l’art de Kev (ouais, on l’appelle Kev). Une oeuvre poignante, très poétique, rock et à la fois contemplative et douce, le disque est extrêmement bien orchestré. On passe par toutes les émotions. On a autant envie de danser que de l’écouter, le regard perdu dans les paysages d’hiver qui défilent à travers la fenêtre d’un train. Pour l’avoir vu en live, à la Route du Rock (magnifiquement filmé par Arte Concert), c’est autant une claque dans un casque que sur scène. Kevin Morby, t’es un génie.
UTO – Touch the Lock (Damien)
Cela fait quelques années que l’on suit avec attention Neysa et Emilie dans leur projet musical UTO ; depuis qu’en 2017 les hurlements de The Beast se sont mis à résonner dans nos oreilles. C’est donc avec une certaine impatience que l’on attendait leur premier album. Avec un peu d’appréhension également, la peur de ne plus y retrouver les ingrédients qui nous faisaient aimer leurs premiers morceaux et nous les rendaient si particuliers. Mais non, Touch The Lock, ne nous a pas déçus, bien au contraire.
Des 12 morceaux qui composent le disque émanent une énergie créative folle. Une force non pas brusque, mais fougueuse, tant on ressent leur envie de partager et de nous entraîner dans leur univers fantasmagorique. Les lignes musicales se jouent tantôt aériennes et ensorcelantes, comme dans Souvent Parfois, ou alors au contraire décapantes comme dans Row Paddle, avec ses vrombissements telluriques et son côté exutoire. Parfois, les deux sensations se retrouvent et s’enchevêtrent au sein d’un même morceau, tel Heavy Metal, pour façonner cette dualité qui donne vie à leur musique. Car oui, leur musique est vivante. Constituée d’une matière sonore faite de la superposition d’une multitude de trames dans laquelle s’insère la voix de Neysa, résonnant en écho comme dans un mantra. Saisis dans leur tourbillon créatif, on sort un peu ébouriffé de Touch The Lock, mais en ressentant le plaisir d’avoir pu explorer avec eux les chemins d’un nouveau territoire.
Si vous ne connaissez pas encore UTO, allez les découvrir dans cet album. Et s’il vous est donné l’occasion de les voir sur scène, ne la laissez pas passer. Ils nous ont offert, à la Maroquinerie fin novembre, un des plus beaux et des plus fous concerts de l’année.