Parmi les nombreuses sorties de l’année 2022, JTM de Johnny Jane avait tourné de manière très régulière dans nos oreilles. Un EP qui nous avait marqués par son énergie, son écriture et sa sincérité. On a donc eu grand plaisir à échanger longuement autour de ces morceaux, et de beaucoup d’autres choses, avec Johnny Jane lors de son passage au MaMA Festival.
La Face B : Comment ça va ?
Johnny Jane : Ça va. Je suis un peu stressé pour ce soir évidemment, mais ça va. Je suis un peu fatigué parce que j’avais plein de trucs encore. Donc là, je vais me poser un peu avant de jouer à 22 heures. Je vais me reposer un peu. J’ai envie d’être en forme pour ce soir. Je suis content de jouer ici, ça fait plaisir.
LFB : Ça représente quoi pour toi de jouer au MaMA ?
Johnny Jane : C’est important. J’ai des amis qui ont fait ça il y a un an, il y a deux ans. Je suis déjà venu pour voir des amis. C’est une date importante, c’est un bon festival. En plus La Boule Noire, c’est une super salle. Je suis trop content de jouer ici.
LFB : J’ai une question un peu étrange mais qui, pour moi, est assez évidente : est-ce que Johnny Jane ne serait pas un peu un colosse aux pieds d’argile ?
Johnny Jane : Je ne me trouve même pas colosse. Pieds d’argile oui, après colosse… Faut le chercher je trouve.
LFB : Tu es quelqu’un de très grand.
Johnny Jane : Peut-être par la taille, ça je peux le comprendre, mais je ne suis pas du tout quelqu’un qui dégage de la solidité. Je fais pas peur. Pour moi, un colosse, c’est quelqu’un d’imposant, qui fait peur. Quelqu’un de très musclé. Moi je suis frêle.
LFB : Du coup, tu as juste les pieds d’argile.
Johnny Jane : Ouais, j’ai juste les pieds d’argile.
LFB : Ce que j’aime beaucoup dans ton dernier EP, c’est que je trouve qu’il porte parfaitement son nom. C’est-à-dire que pour moi c’est un EP qui parle de l’amour qui se termine, mais d’une personne qui ne veut pas y croire. J’ai l’impression que le personnage c’est ça, quelqu’un qui traverse et réalise que la personne qu’il aime ne l’aimera plus.
Johnny Jane : Oui, tu as bien dit les choses. C’est l’après de l’amour, mais où tu es confronté uniquement à des souvenirs, parce que j’ai beaucoup écrit là dessus. Et puis après, tu es aussi dans un jeu avec ça, et après il y a un truc où ces souvenirs peuvent avoir un côté bénéfique. Qui permettent de re-aimer quelqu’un d’autre. Mais je pense que c’est un truc qu’on vit beaucoup, en tout cas à vingt ans, c’est notre premier amour, c’est un truc qui marque parce que tu as une sorte de candeur vis-à-vis de ça. Tu te dis « c’est quoi l’amour ? » et tu te fais forcément prendre par toutes ces émotions qui te dépassent, que tu ne contrôles pas, et tu n’as pas du tout un bon jugement souvent au début. Le jugement n’est pas : « Ah fais attention, faut aller doucement ». Non t’es dans la passion totale, dans le fait de te faire souffrir de la dépendance. Et après, quand tu réalises combien c’était quelque chose de pas forcément sain, c’est forcément après l’amour.
LFB : Le personnage que tu incarnes, qui n’est pas forcément loin de ta réalité, a un peu l’air de dire dans tes chansons : « Ouais, ça ne me fait rien et tout » et au fur et à mesure, il s’effrite un peu. Il se prend la réalité dans la tronche.
Johnny Jane : Ouais. Après, forcément, il y a les musiques que j’ai proposées dans un EP, mais quand tu regardes les périodes dans lesquelles je les ai écrites… Tu vois, l’une des dernières, c’est Zéro. Ça se sent que c’est une des dernières. Même kny, il y a plus de distance. Il y a une évolution par rapport aux premières.
LFB : Est-ce que pour toi, l’écriture s’ancre forcément dans la réalité ? Ou est-ce que tu peux parfois écrire sur de la fiction pure, des choses que tu n’as pas vécues ?
Johnny Jane : Bien sûr. Je fais pas mal d’impro quand je suis au micro. Et l’impro m’aide après, sur le sujet que je vais traiter. Par exemple, Kleenex, c’est la chanson la moins personnelle que j’ai faite. c’était un jeu de base de faire des rimes avec « ex », comme Gainsbourg l’avait fait pour Françoise Hardy. J’ai pris cette idée, il y avait Carl dans le studio qui a fait une super harmonie et dessus, j’ai pris une topline de Spider Zed qui était « Je crois que je suis content ».
C’était que du rafistolage d’idées qui m’a amené à faire ça. Tu vois, c’était beaucoup moins personnel qu’une chanson comme Maintenant ou Hier soir, ce n’est pas la même chose. Mais je pense aussi que cette légèreté, il faut l’avoir, parce que je ne peux pas faire que des chansons qui sont très deep. Non non, il faut aussi avoir des trucs de jeu.
Je l’ai fait souvent à la fin, où limite moi je ne pensais plus… Je suis dans ma nouvelle vie, j’ai quelqu’un, je suis très bien, mais je me dis je vais jouer avec ça, avec des codes déjà utilisés, en mélanger d’autres, faire un truc nouveau/neuf.
LFB : Tu parles de légèreté, mais j’ai l’impression que tu la retrouves aussi dans la production ou dans la composition des morceaux. Ils sont hyper entraînants alors que parfois, le sujet est hyper lourd quoi.
Johnny Jane : Ouais, c’est un truc que j’ai cherché parce que j’avais l’impression, et peut-être que je l’ai moins, pendant un moment, que c’était un peu trop ton sur ton, les accords mineurs, la ballade mineure et de faire des paroles tristes. Je trouvais ça un peu trop redondant et trop souffrance, souffrance.
J’aime bien aussi, comme tu le dis, avoir une prod’ entraînante, quelque chose qui est beaucoup plus rythmé, pour des trucs qui sont tristes. Mais c’est beaucoup plus fort je trouve que le côté piano/voix avec les trois accords de la descente, en mineur, où tu finis par faire ton texte un peu triste.
LFB : Il y a un truc proche de l’éthylisme presque. La personne qui est ivre et fait la fête. Je trouve que pour moi, ton EP a une ambiance très nocturne. J’ai l’impression qu’il est très codifié, très calqué sur un espace temps de la nuit.
Johnny Jane : Tu viens ce soir ?
LFB : Oui.
Johnny Jane : Tu vas voir. La dernière musique, c’est ce que t’as dit. Ce que je fais prochainement, c’est ça. Je l’ai déjà fait, mais la prochaine musique qui va sortir (normal, un énorme tube ndlr), elle parle justement de la fête, qui ne me parle pas totalement en plus. Mais c’est une spirale très très rock et très entraînante pour le coup. C’est marrant que tu dises ça.
LFB : Cet EP, tu l’as pensé dans un espace-temps particulier ?
Johnny Jane : Non, en vrai j’ai fait plein de son. Je n’ai pas fait que cinq chansons. En vrai, j’en ai fait peut-être vingt, trente, et il n’y en a que six qui ont été retenues parce qu’elle étaient bien. J’ai essayé de parler d’autres sujets mais on s’est dit, tiens, on va faire un EP un peu love. Mais je ne parlais pas que de ça, je ne suis pas obsédé par ça. Juste on s’est dit que c’était intéressant de partir d’un premier truc un peu sentimental, parce que c’est aussi cette partie de moi, pour après évoluer vers des trucs plus rocks, qui parlent plus de la fête. Il y a plein de parties de moi.
Il y a aussi des mots où je vais être dans un moment un peu gueule de bois, très vulnérable. C’est ça aussi quand tu parles d’alcool, tu as ce côté vraiment invulnérable. Donc ta musique va faire ressentir ça sur un truc de boum boum. Alors que le lendemain, t’es très fragile, très vulnérable et donc pour ce moment-là, tu vas avoir un truc beaucoup plus doux. Tu vas faire une musique, tu vas te sentir tout petit. C’est aussi ça mon projet. Même dans le live, il y a des moments où je fais des piano/voix, c’est tout fragile, c’est très pur, et d’autres fois où tu as des grosses prod’ bam bam et un détachement total, quoi. Solide. C’est peut-être ça le colosse, c’est quand je bois, que j’ai peur de rien, que j’en ai rien à foutre.
LFB : Un titre comme Hier soir, c’est ça en fait.
Johnny Jane : Je l’ai fait bourré celui-là, en plus. Je l’ai fait, j’étais dans une énergie où j’étais à fond dedans et j’ai aimé le faire comme ça. Mais je n’aurais pas du tout fait ce morceau… En tout cas, je l’aurais peut-être fait mais un peu plus lent et avec une voix un peu plus basse. Parce que gueuler, c’est un truc qui te vient quand tu te sens invulnérable, tu te dis que tu peux gueuler parce que tu t’en fous.
LFB : L’émotion passe aussi par cette interprétation.
Johnny Jane : Il n’y a pas chez moi un sens de la fête profond. Les choses que je raconte, c’est aussi des parts de moi que j’enfouis volontairement mais qui ressortent, comme plein de gens. Il y a des moments où tu perds le contrôle, c’est une recherche de ça.
LFB : Moi, j’ai arrêté de boire et j’ai accepté ma fragilité et les choses que je cachais.
Johnny Jane : Bien sûr. Moi, je bois moins qu’avant déjà. Je ne prône pas ça du tout. Je ne suis pas du tout à dire aux gens que c’est trop bien de boire. C’est un moment dans ma vie où je n’allais malheureusement pas bien, avec une sorte de médicament, une sorte de remède social, c’est hyper puissant. Et du coup, tu deviens vraiment socialement quelqu’un d’autre et puis finalement, tu te retrouves piégé. Mais d’un côté, ce qu’il y a d’intéressant dans toutes ces étapes-là, tu comprends vraiment aussi que le monde qui t’entoure est violent. Et ça, c’est ce dont je parle dans Zéro.
LFB : J’ai l’impression que Zéro est une ouverture à ça. Je trouve qu’il est différent des autres morceaux parce qu’il y a beaucoup plus de recul dans la façon dont tu le dis et dans les choses que tu dis. J’ai vraiment l’impression que c’est la porte ouverte à la suite des aventures de Johnny Jane.
Johnny Jane : Dans un sens, oui. Dans un sens, non parce qu’il y a… Ouais en fait, si. C’est une suite sur une partie des chansons qui, comme je te le disais, ont un côté invulnérable. Quand je dis que je n’ai plus de sentiments, que j’en ai rien à foutre comme quand je suis en vélo pété, sur le Boulevard de Barbès. Il y a d’autres morceaux qui sont bien plus intimes, bien plus bedroom. Donc, il y aura toujours une dualité et je ne ferai jamais un projet où ce n’est que du piano/voix, et je ne ferai jamais un projet où c’est que du guitare rock avec 150 BPM.
La fameuse musique que je joue ce soir en dernier, qui s’appelle Normal, c’est la suite de Zéro, encore plus. Mais après il y en a d’autres, tu verras, qui sont à l’inverse.
LFB : Il y a la volonté de surprendre aussi, je pense.
Johnny Jane : Ouais, ouais. C’est évident. Ce n’est même pas pour les autres. C’est pour moi, c’est me surprendre moi. Je ne supporterais pas de faire un truc que j’ai déjà fait. Dès que je me dis que j’ai déjà fait cette topline, j’ai déjà fait ce sujet et tout, bah… Parfois, il y a un truc où je le fais, ça marche. Si tu regardes bien, Zéro et Kleenex, c’est les mêmes accords. C’est con tu vois, mais c’est vrai.
Tu regardes ça et tu te dis « putain c’est marrant » et moi je l’ai fait, je me suis dit que ces accords avaient marché pour Kleenex, donc ce n’est pas grave. Il y a des gens qui ne le savent pas. Personne ne me l’a jamais dit parce que les gens ne recherchent pas ça, il pensent à autre chose dans ma musique. Mais moi qui suis musicien, je sais que tu as une suite d’accords qui est entraînante, qui apporte un peu de légèreté, utilise-la. Et je ne suis pas le seul à le faire, d’ailleurs.
LFB : Je me demandais, à quel point la musique te soigne ? Tu parlais de médicament social, tout ça.
Johnny Jane : C’est intéressant, parce qu’il y a vraiment deux choses que je sépare fondamentalement. C’est d’une part la musique que je fais seul dans ma chambre, avec mes instruments, mon piano, ma guitare et tout. Là, dans un sens, ça me soigne et c’est un besoin, il y a un besoin de faire, ça m’équilibre, ça me fait du bien. Dès que je suis quelque part. Quand je vais chez mes parents, je joue du piano, c’est la première chose que je fais avant même de leur dire bonjour, ils sont choqués à chaque fois. C’est hyper profond en moi et évident.
D’autre part, il y a le monde de la musique, faire du stream musical, tes devoirs, ce que tu dois faire, la communication, l’image que tu dois cultiver, entretenir, conserver, les professionnels, le public. Ça, ça me soigne pas du tout. À l’inverse, ça m’angoisse à un point énorme. C’est très très particulier. On s’endurcit dans la vie. Je pense que ça forge quand tu es face à tout ça. Tu apprends aussi socialement comment te comporter avec différentes personnes, comment dire quoi à qui, évidemment.
Mais il y a une partie qui me soignera toujours, même si j’arrêtais demain, je ferais quand même du piano tous les jours. Par contre, l’autre partie qui rend plus malade qu’autre chose, c’est l’industrie, Paris, les réseaux. Tu te compares, on te demande ça, il faut s’habiller comme ça, il faut ressembler à ça…
LFB : C’est le pendant de mon autre question : Est-ce qu’il y a pas un truc, limite dangereux, à revivre certaines émotions dans tes chansons ou à te fondre dans cette masse ? On voit bien que tu es quelqu’un qui est hypersensible, poreux. Est-ce qu’il y a pas du coup quelque chose de dangereux à revivre les émotions que t’as posées dans tes chansons ?
Johnny Jane : Non. J’arrive vraiment à me détacher de ça. En concert, je me détache et je fais beaucoup plus confiance aux beats, à ce qui sort du truc. Il y a peut-être une des chansons qui me rappelle quelques trucs, mais il n’y a pas de dangers là-dessus. Il y a quand même une différence entre vie privée, ce que je dévoile dans ma musique, et mon jardin secret. J’ai fait des chansons qui ne sortiront jamais. Ce sont les miennes et j’ai pas envie de les montrer à d’autres gens. Je sais que c’est tellement intime ce que j’ai vécu, ce que j’ai mis dedans, que les autres ne pourraient même pas s’y reconnaître. Ce que j’ai ressorti, ce sont des trucs où les gens peuvent se reconnaître. C’est ce qu’ils me disent d’ailleurs. Il y a une distance.
LFB : Johnny Jane, c’est un personnage. Il y a une barrière très claire entre ce que tu es et ce que tu montres aux gens.
Johnny Jane : Bien sûr, comme tout le monde. Quel intérêt de dévoiler autant ? Je pense que tu deviens fou, quoi. On es tous inconstants, on va pas être les mêmes chaque jour, on va changer. Moi, j’ai connu en trois mois, deux décès. C’est un truc où tu changes, tu vois. Tu grandis. Pourtant, mes titres sont figés. Les photos que j’ai faites sont figées, elles ne bougent pas. Mais du coup, moi je dois aussi m’adapter à ça. Mais tu ne peux pas… Si on devait vraiment être nous-mêmes, on bougerait tous les jours, ça serait insupportable. Il faut aussi figer une partie de soi, parce que c’est ce que j’ai figé, une partie de moi-même, mais il y a une autre partie qui reste ma propriété et qui restera ma propriété, évidemment.
LFB : T’es dans une zone de confort avec ce personnage-là ?
Johnny Jane : Ouais, je maîtrise. Je ne vais pas m’amuser à prendre trop de risques non plus, même si parfois, je le fais. Prendre des risques, ça peut mener aussi à trop de fragilité, et quand t’es un peu sensible comme moi, et j’ai des traits de sociabilité qui font que j’ai du mal parfois à me détacher de certaines choses, je ne peux pas me permettre d’aller trop loin. Il faut cadrer les choses. Mais c’est une chose qui est intéressante dans mon projet, c’est voir comment mon entourage voit le projet et comment ils anticipent ce qu’il pourrait devenir. Il faut le faire. Tu ne peux pas dire : « Fais tes trucs, fais n’importe quoi comme musique et on verra ». Non, non, il y a aussi un truc où on cadre quelque chose et le cadre, même pour soi-même, sert aussi. Si t’es pas cadré, tu pars en vrille je pense.
LFB : Tu viens d’Orléans.
Johnny Jane : Ouais.
LFB : Comme Gargantüa. Je viens aussi d’une ville où globalement on se fait chier ,et je me demandais si ce besoin de faire la musique, de s’échapper, venait aussi du fait d’avoirgrandi dans une ville où il ne se passait pas forcément énormément de choses.
Johnny Jane : Déjà, tu parles de Gargantüa, c’est important. J4N D4RK, le chanteur, c’est mon voisin d’Orléans. On n’a jamais été au lycée ensemble, on est sortis un peu après mais on a vraiment grandi dans le même quartier. Donc effectivement, il y a un truc qui se passe. Quand tu es à Orléans et que tu te fais chier, moi je me faisais vraiment chier à Orléans, je te jure, on s’ennuie à mort, oui tu as envie de grandeur. Tu as la folie des grandeurs. T’as envie de Paris, ça te fait rêver. Quand j’y suis allé la première fois, ça me paraissait gigantesque.
Aujourd’hui, après six-sept ans, quand je fais du vélo, ça me paraît tout petit. Je connais tout par cœur maintenant. Tu as tes rêves de grandeur d’une part et quand tu es à Paris, ce ne sont plus les mêmes questionnements qui te viennent en tête. C’est ça qu’est particulier. Tu te poses plus des questions sur ce que la ville t’impose, c’est quoi briller ? et le rapport au bien-être, au côté sain d’esprit. Tu te rends compte qu’il y a beaucoup de futilités et un espace malsain à Paris de ressembler à, machin. Il y a plein de cultures très très sombres vraiment, qu’il faut éviter. Il y a un rapport à la drogue qui est terrible. Plein de trucs qui peuvent t’emmener dans un truc bien sombre. À Orléans, tu te fais chier et tu veux faire des trucs de ouf.
À Paris, vu que tu es dans ce monde-là, tu essaies de faire des trucs plus personnels et te détacher de la masse. Alors que quand j’étais à Orléans, je n’en avais rien à foutre de me distinguer. Je voulais juste faire un truc qui marche. Mais après, c’est une ville qui t’oblige à te marginaliser. Quand je vois sur Facebook ce que les gens dans mes contacts sont devenus, je me dis « ah ouais ». Donc ouais, avec J4N D4RK, on se marginalisait. En plus, il y a un problème qui n’existe plus mais moi, j’ai fait L. Au lycée déjà, quand t’es en L, par rapport à 2 000 élèves, tu es déjà marginal.
Donc déjà au sein de l’établissement, tu es marginalisé et c’est de pire en pire. On te dit que tu n’as pas de porte ouverte. Moi au lycée, j’étais une brêle, j’étais nul. Donc du coup, qu’est-ce que tu fais ? Je ne sais faire que de la musique. Mais en vrai, pour l’instant j’ai eu de la chance, parce que j’ai rencontré aussi des gens qui m’ont fait des prod’ de ouf, j’ai trop de chance. Mais Orléans, c’est vrai, ça donne la dalle quoi. Tu as envie de bouger. J’ai des potes qui sont à Paris et ils ont moins la dalle. Ils sont juste bien dans le truc et ils ne veulent pas devenir… Ce que je peux comprendre aussi, parce qu’ils ont pas la même éducation que moi. Moi, l’éducation que j’ai, c’est en mode il faut faire un truc de sa vie sinon tu vas finir à Orléans comme papa. Et je ne veux pas finir à Orléans.
LFB : Tu as envie de sortir.
Johnny Jane : Ouais, c’est un truc d’éducation. Et après, tu évolues, dans tout ce que tu rencontres. Quand je bosse au bar, je fais des rencontres de gens qui ont 40-50 ans, qui t’apprennent des trucs sur le parcours qu’ils ont eu. Ce sont des milieux sociaux différents, des gens du bâtiment, des gens qui sont dans la musique, qui sont intermittents. Mais c’est vrai qu’Orléans, je trouve vraiment que c’est une ville de merde. Il y a vraiment trop de trucs nuls à faire là-bas. Le truc qui m’a fait, c’est que ça m’a donné la dalle, tu vas envie d’y arriver, d’en sortir. Je suis pas allé à Paris directement, je suis allé à Bruxelles, aux Beaux-arts.
Quand je rentrais à Orléans, j’étais fier, content. Limite, c’était une fierté qui est mal placée parce que t’as pas à être fier de ça. J’étais en mode : « Les gars, je ne vis plus ici tu vois ». Je rentre à Noël pour faire plaisir aux parents et je repars à Bruxelles. À Bruxelles, j’étais tout le temps dans des squats, des soirées de ouf, j’avais 18 ans avec des colocs de 27 ans, donc j’avais une vie de malade. C’était un peu trop d’ailleurs, je reconnais. C’est un truc qui m’a pas mis forcément bien mais à ce moment-là, je m’en étais sorti. Et après Bruxelles, Paris.
Tu arrives à Science Po comme ça, tu te frottes de plus en plus à des milieux ou des gens qui sont là-dedans, dans la réussite, dans le fait de briller. Et quand je rentre à Orléans aujourd’hui, que je suis dans ce milieu-là, ça m’apaise. Et c’est l’inverse. Au final, je suis là, bon, Orléans c’est toujours une ville de cons. Aujourd’hui je comprends ce que ça fait et si j’y reste deux semaines, je vais retrouver la dalle. Je vais retrouver ce truc : putain je m’ennuie, je veux faire un truc de ouf. Alors que quand t’es entouré de gens qui font des trucs de ouf, bah tu veux juste un peu te démarquer, c’est pas la même chose.
Mais je vois, mon manager vient de Bordeaux. Pareil. Il a grave la dalle. Il est arrivé stagiaire aux Inrocks, il est devenu rédacteur en chef en quelques années, enfin tu vois, il avait la dalle tu vois. Un parisien s’en fout d’être journaliste, il cherche pas à avoir trop de responsabilités sur le dos, trop d’heures de travail, il veut juste être bien quoi. C’est pas la même chose, pas la même mentalité.
LFB : Est-ce que tu as des coups de cœur récents qui t’ont marqué en musique, en films, n’importe quoi, que tu as envie de partager avec nous ?
Johnny Jane : Je sais pas. Comme tout le monde, je regarde le truc sur Dahmer. Tout le monde dit que je lui ressemble, en plus. Je trouve ça pas mal mais sinon… De manière générale, je trouve que là je suis face un peu à un ennui de plein de trucs. Si, putain, je suis allé voir un spectacle de danse au théâtre Chaillot, je ne sais plus comment ça s’appelle. Dès que je vois un truc que j’aime, je ne sais plus comment ça s’appelle. C’est ouf. Au cinéma, je n’ai pas eu de coup de coeur récent. Après je ne suis pas allé voir Sans filtre, apparemment il est bien. C’est la palme d’or. Ça, faut que je le vois.
Après musicalement, souvent je suis très sincère dans ce que je raconte, donc je vais regarder dans mes derniers titres likés, j’oublie parfois, et je vais te dire s’il y a des trucs. Ouais, en ce moment, je me prends un peu la jeune génération du rap, genre H JeuneCrack, Ness, Luther et j’écoute aussi Jorja Smith. J’ai vu le clip qui est sorti il y a douze jours de Michel Polnareff, Lettre à France. Il a fait un clip genre trop chelou dans un lieu limite de clip de rap américain. Il est chéper le mec, j’ai écouté le son et j’ai trop kiffé. Maintenant que je bosse au bar, j’ai aussi une playlist, j’écoute un peu plus des trucs d’ambiance tu vois, donc je ne sais pas, ça dépend. Mais ouais, dans la musique à partager, je donnerai de la force à H JeuneCrack et la jeune génération de rap, ils sont trop forts. Même Kalika, c’est bien aussi ce qu’elle fait je trouve.