Du haut de ses 24 ans, le poète aux yeux bleus sait ce qu’il veut : danser et chanter sur scène, tous les jours, ou presque. Et c’est ce qu’il fait, depuis à peine un an. De concerts en festivals, Oete fascine, fait frissonner, frémir. Nous le rencontrions à la fin de l’année 2022 pour parler de son premier album, Armes & Paillettes, disponible depuis quelques jours en version physique et agrémenté d’un titre supplémentaire : Cobra.
La Face B : Salut Oete ! Ça va ? Bon, il faut que tu me fasses la blague d’où vient ton nom…
Oete : Alors, je faisais du karaté et OETE… PS : pour le Pape de la Pop. Sinon c’est Poète sans P, et aussi parce qu’il y a toi, il y a moi, et il y a eux.
LFB- Tu choisis un pseudo, Oete, et tu construis ton image. Parure ou armure ?
O : Ni l’un ni l’autre. C’est de la direction artistique. En 2022, on peut choisir ce qu’on veut montrer, contrairement aux années 2000 où l’image des chanteurs français était façonnée par les maisons de disques. Kalika par exemple, me captive beaucoup par la manière dont elle façonne son image. Moi, ça vient compléter le propos du projet. C’est peut-être une autre manière de se mettre en avant.
LFB : Armes et Paillettes, ton premier album, est donc sorti le 21 octobre chez Roy Music. Tu es accompagné de Grégoire Theveny à la co-composition et aux arrangements et tu l’as enregistré au mythique studio CBE. Peux-tu nous parler un peu de ces rencontres ?
O : J’ai pris contact avec Grégoire via Instagram, et c’était avant que je signe en label. Je cherchais un arrangeur pour La tête pleine car je l’ai sorti en solitaire. J’ai mis une annonce en story… j’ai d’ailleurs trouvé toutes mes locations d’appartements comme ça. (rires)
Pour la petite histoire, La tête pleine a été enregistrée au sein de mon étendoir à linge. J’ai mis un plaid dessus pour faire une cabine. Et puis on a finalement été au studio CBE où Daniel Darc, Françoise Hardy ou encore Michel Berger sont passés. Quand tu y vas, tu sens l’énergie de ces chanteurs sur ton épaule gauche quand tu enregistres une chanson. C’est assez fou. Ça n’a jamais été retapé depuis leur passage, j’aime ça !
LFB : L’aventure professionnelle commence pour toi aux auditions des iNOUïS du Printemps de Bourges le 22 avril. Depuis, tu enchaînes les festivals (Hop Pop Hop, MaMa), la tournée et les premières parties prestigieuses (Feu Chatterton, Julien Doré et bientôt Juliette Armanet). Comment est-ce que tu gères ça ?
O : Trop bien ! En ce moment, c’est hyper bizarre, parce que je n’ai plus le temps de m’ennuyer. Je suis content et stimulé. Quand on travaille comme ça pendant un an et demi et qu’on s’épanouit au bout, c’est réconfortant.
LFB : Tu dis que tu n’as plus le temps de t’ennuyer, est-ce que tu n’as pas peur alors de ne plus avoir le temps de composer ?
O : Non, parce que mon processus de création a toujours été instinctif. Pour écrire l’album, je ne me suis jamais dit :« Allez, j’ai trois heures aujourd’hui pour écrire une chanson d’amour au piano ». C’est plutôt une manière de travailler dans la précipitation et dans l’urgence. Par exemple, « histoire de tout partir, de tout laisser voler », ça me vient dans le métro donc après, je rentre chez moi et j’écris. Tout a été fait dans cet état et ça se ressent beaucoup au final. Quand l’inspiration est là, je mets 20 minutes à écrire une chanson. J’ai finalement juste besoin de l’élément déclencheur.
LFB : Alors, tu pars des mots pour aller à la mélodie ?
O : Ce sont les deux ensembles généralement. J’ai une phrase, je la fais au piano pour avoir la mélodie et si j’accroche, je garde et continue. Mais si la mélodie ne vient pas, je range ça loin dans un tiroir, que je ne rouvre plus.
LFB : Ma chanson préférée donne le nom à l’album, Amours & Paillettes. Elle est très calme et mélancolique, ce qui diffère du reste de l’album. Elle parle de tes paradoxes. Il y a des phrases si justes : « Devant la mort, la fête n’est triste que si on s’arrête. »
O : Merci. On m’a demandé sur quelle chanson j’avais pris le plus de risques, et je crois bien que c’est sur celle-ci. C’est une chanson qui est vraiment venue en one shot et que je ne comprenais pas trop au début. Je trouvais le côté paillettes assez candide et finalement, j’ai accepté les mots comme ils sont venus. Armes & Paillettes c’est un peu comme la chanson Voilà de Barbara Pravi. Avec elle, je me mets à nu et je demande au public : « Est-ce que tu tombes dans mes bras ou pas ? Est-ce que tu te vois dans mes chansons et est-ce que tu me prends en tant que chanteur ? ». A chaque fois que je la chante, je suis hyper stressé.
LFB : En plus, elle n’est que en piano/voix .
O : Oui j’avais envie de la garder ainsi. Elle est belle dans sa pureté et dans le minimalisme de ce qu’elle est.
LFB : Et pourquoi finir avec elle alors ?
O : C’est l’introduction et la conclusion. Je commence les concerts avec et je finis l’album avec.
Oete
Crédits photos : Cédric Oberlin
LFB : Avec cet album, tu abordes des sujets lourds, tels que la mort ou la maladie, mais sur un rythme toujours très dansant.
O : Oui, c’est ce que je souhaitais : que toutes ces questions et névroses ne me fassent plus mal et qu’elles deviennent de vraies armes, d’où Armes & Paillettes. Quand tu danses sur HPV, qui parle d’une MST, c’est ta victoire. Feu rouge avec l’attente d’un père, c’est pareil. Ce sont des choses qui me forgent et avec lesquelles j’avance. C’est ça que je trouve hyper beau : pouvoir transformer cette peine et cette rage. Toujours garder ce fond écorché, mais pouvoir danser dessus et ainsi le célébrer.
LFB : Il est aussi question du corps…
O : Oui. Avec Corps & Ego, je parle du regard que les autres avaient sur mon corps. Je me suis toujours pris des remarques du genre : « T’es trop gros, trop maigre, tu as un corps de faible». Et en plus, venant de personnes très proches, alors que moi je me trouvais juste bien (rires). Alors ce morceau, c’est un peu une manière de dire : « Je pense que tu es frustré, donc calme ta frustration avant de la rejeter sur moi ». Et en même temps, aime ton body parce que tout le monde est beau.
LFB : J’aimerai évoquer Défense, qui traite de dissociation identitaire. Est-ce que tu peux nous en dire plus ?
O : C’est hyper drôle que tu dises ça parce qu’elle est sortie le 4 mars 2022 et à cette époque-là, pour moi, elle parlait en effet de dissociation identitaire. Mais en fait, c’est une chanson que je ne comprends toujours pas aujourd’hui. Je ne sais pas de quoi elle parle et je crois qu’elle évolue tous les six mois, en fonction des questions que je me pose ou de l’anxiété que je vais avoir. Comme je délivre les chansons, elle prend à chaque fois une nouvelle forme. Je crée un peu comme ceux qui peignent et analysent après. Et Défense, c’est un peu ça pour moi. Quand tu as des moments anxieux, tu as la porte de sortie et bien, c’est elle. Tu vas danser, exorciser et oublier.
LFB : Il y a cette idée d’urgence et la ville de Paris qui revient toujours dans tes chansons. Tu es originaire de Picardie et tu as quitté Beauvais pour la métropole…
O: Oui il y a cette notion de migration culturelle, beaucoup parlent de transclasse, ou de transfuge social, lorsque l’on passe de la classe agricole populaire ouvrière à Paris. Mais pour moi, c’est une vraie migration, pas juste un transfert ! Sacha Guitry disait : « On ne nait pas Parisien on le devient », je crois qu’après deux ans et demi ici, je commence à me sentir parisien !
LFB : Et tu te sentais bien chez toi ?
O : Pas forcément, mais en Picardie je retrouve de l’apaisement quand j’y retourne. Paris, ça reste compliqué. On vit tous les uns sur les autres, on ne voit pas l’horizon. La vue la plus dégagée que tu as, finalement c’est l’immeuble d’en face. C’est écrasant et en même temps, tu as toute la culture dont tu peux avoir besoin, ce qui est paradoxal !
LFB : La culture est très importante pour toi car elle nourrit ta création. Si tu devais nous citer une œuvre qui t’as bouleversé et qui te définit, ce serait quoi ?
O : J’ai lu tous les livres d’Hervé Guibert cet été. Duchamp m’intéresse aussi énormément parce que j’adore le processus de création. Je ne suis pas très attaché à la finalité généralement. Je n’aime pas quand les choses sont figées. C’est fascinant d’apprendre toute l’histoire derrière une œuvre, comme pour l’urinoir. Il l’a imaginé pour la création de la FIAC et a pris un pseudonyme, Richard Mutt. Il souhaitait voir si cette foire était réellement ouverte à tous et au final, l’œuvre a été retirée.
Soulages est mort il y a deux jours (ndrl : interview réalisée le 28 octobre 2022) et il m’a aussi beaucoup influencé avec son travail autour du noir et de la lumière. Ça m’inspire énormément.
Puis, le spectacle de la Horde et Rone… Je l’ai vu au théâtre du Châtelet, c’était une énorme claque. Tu ressentais toutes leurs pulsions, c’était percutant. C’est tellement instinctif, la danse.
LFB : Tu aimes les mots, ça se sent et c’est assez fascinant. D’où est-ce que ça vient ?
O : J’crois que j’ai toujours aimé la poésie. C’était ma meilleure discipline à l’école. Pour moi, un texte doit être suffisamment large pour que tout le monde puisse imaginer ce qu’il a envie. HPV par exemple, si tu ne sais pas que ça parle d’une maladie sexuellement transmissible, tu ne comprends pas. Feu rouge peut te faire penser à une histoire d’amour. Et en même temps, j’adore les allitérations et les assonances. J’aime quand c’est riche, quand le texte est percutant et qu’il n’est pas trop premier degré. Je n’aime pas quand c’est évident, ça laisse une forme de niaiserie qui s’installe.
LFB : Tu as dit en interview que ta musique s’adresse à la chair plus qu’à l’intellect.
O : Ça je ne l’ai pas dit, mais Numeromagazine l’a écrit. J’essaie de lier les deux. Par exemple, Défense a fait un mini buzz en Turquie. C’est une influenceuse qui a dansé dessus en story et ça a shazamé à mort. En dansant, elle a vraiment saisi l’énergie que j’ai voulu mettre dans la chanson. Donc tu n’as pas forcément besoin de comprendre les paroles pour savoir de quoi j’ai envie de parler. Dans ce cadre-là, ça s’adresse plus à la chair.
LFB : Tu nous révélais il y a quelques jours, ton ADN musical. Tes influences sont diverses, de Daniel Darc à Zazie, en passant par Benjamin Biolay, avec toujours un soin apporté aux mots. Depuis quand écris-tu ?
O : J’ai commencé à écrire à six ans. Je trouve qu’il y a beaucoup de poésie dans ce que peut faire Zazie, que ce soit avec Rodéo ou Un point c’est toi.
LFB : Quand est-ce que tu as écris l’album ?
O : Liberté chérie et HPV à 18 ans. Le reste, pendant le Covid.
LFB : Passionné par le spectacle vivant, tu as intégré un cursus artistique mêlant les arts plastiques, le théâtre et la danse. Tu as aussi fait un service civique à Lyon et tu as été éducateur spécialisé. Avant d’écouter ton instinct et de te lancer dans la musique…
O : Oui, j’ai eu 1000 vies avant mes 23 ans! Mais la voix intérieure, c’était la musique…
LFB : Tu mêles aussi la danse…
O : La danse, c’est vraiment l’instinct. Je ne sais pas comment je pourrais être autrement sur scène. J’ai attendu ça toute ma vie donc les 45 minutes sur scène, je vais les manger (rires).
Je trouve qu’Arthur Teboul (Feu ! Chatterton) a une énergie hyper similaire. Tu sens que quand il est sur scène, ça pourrait être sa dernière fois. Je trouve ça très beau. Puis ça dépend aussi de ton public. A Villefranche-sur-Saône, je faisais la première partie de November Ultra et c’était dans des conditions difficiles. Je jouais dans le hall d’un théâtre avec 60 personnes devant moi. Mais tu dois donner de l’énergie, car moins tu as de gens plus il faut qu’ils restent jusqu’à la fin. Parce que le but, c’est qu’ils ne partent pas. Mais comme je suis face à un public que je ne connais pas (à l’inverse du MaMA par exemple, où j’avais plein d’amis de Paris), je suis davantage avec les musiciens. C’est des piliers !
Oete
Crédit photo : Cédric Oberlin
LFB : Comment as-tu trouvé tes musiciens ?
O : Leslie était ma prof de piano au Studio des variétés. Alors que je devais faire mon premier concert en solo au Popup du label le 18 septembre 2021, elle m’a dit : « Tu as trop d’énergie à donner pour t’enfermer derrière un piano. Ton label ne veut pas une forme duo sur scène, mais je viens avec toi ».
LFB : Ça fait qu’un an que tu fais de la scène…
O : Oui. Leslie a donc joué avec moi et mon équipe, présente, a dit à la fin : « OK, vous aviez raison, on part sur cette formule». Thomas était aussi dans mon entourage professionnel, donc je l’ai rencontré et ça s’est bien passé. C’est la force tranquille !
Je voulais partir en tournée avec des musiciens qui avaient de la bouteille, parce qu’il y a déjà énormément de choses à gérer. Puis sur un festival, ils connaissent leur stress et le gèrent. Ils ont 36 et 38 ans, moi j’en ai 23. Je les suis et tout se passe bien. J’ai mes deux petites fées (rires).
LFB : Dans l’ADN, tu nous a dis que tu as compris très vite que la vie était pour toi quelque chose d’éphémère et que c’est venu désacraliser l’idée de la mort. Ca vient d’où ?
O : Je ne sais pas pourquoi j’ai ce ressenti-là mais pour moi, la mort est quelque chose d’inévitable. Beaucoup ont cette crainte de la mort mais il faut en parler et que les gens se préparent à ça. J’espère que j’aurais la meilleure vie possible mais je sais pas pourquoi, depuis que je suis gamin, mentalement, je me prépare à mourir à 45 piges dans un accident de bagnole ou je ne sais quoi (rires). Tout est éphémère. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il faut oser faire les choses et croire en ce qu’on veut faire. Tout donner pour se réaliser. Il n’y a pas assez de temps pour se contenter d’avoir son CDI et faire plaisir à ses parents, prendre une baraque, avec un chien et un crédit pour un congélo. Ce qui est très bien comme mode de vie mais qui, moi, ne m’inspire pas.