A la découverte de l’Odyssée d’Hippo

Vers l’infini et au-delà, nous avons rencontré Sébastien Gonzales, plus connu sous son pseudo Hippocampe Fou, et Lucas Dorier, pour parler de leur prochain spectacle – L’Odyssée d’Hippo, l’Aventure Continue – qu’ils ont imaginé ensemble. Un voyage immersif mêlant, dans leurs univers fantasmagoriques, musique et cinéma. Attirant, non ?

Hippocampe Fou (Sébastion Gonzales) et Lucas Dorier

La Face B : Pour commencer cette interview, j’aimerais te demander comment ça va ?

Hippo : Ça va très bien ! Pour être honnête, comme c’était les vacances scolaires, j’ai passé les deux dernières semaines à la maison avec mes trois enfants. Et puis j’ai sorti un album. C’est la première fois que je sortais un album avec autant d’enfants à la maison. Devoir faire des stories « Salut, tout le monde ! Mon album sort ! » avec les enfants à côté, c’était particulier, mais c’est aussi mon choix de vie.

Je suis dans cette recherche d’équilibre entre la vie de papa et la vie d’artiste. Les deux sont compatibles, mais il faut apprendre à bien gérer son temps. Donc, là tout de suite, je suis un peu fatigué. [Rires] C’était sportif, mais sinon tout va très bien !

La Face B : L’odyssée d’Hippo est un projet à la fois surprenant et attirant. Comment est-il né ? Quel en a été l’élément déclencheur ?

Hippo : L’élément déclencheur est là. Il est à ma gauche, Il s’agit de Lucas Dorier. Lucas, je te laisse te présenter.

Lucas Dorier : Je suis musicien et compositeur. En 2012, j’ai découvert Hippo sur Internet au travers de ses premières vidéos YouTube et j’ai bien aimé l’univers. Aussi, je lui ai écrit par mail en lui proposant de se rencontrer et de peut-être faire quelque chose ensemble. Et il m’a répondu et, de fil en aiguille, on a pu se rencontrer, discuter. On avait des passions communes sur le cinéma, la musique du monde, des choses comme ça. Et l’on s’est lancés en se disant : « Bah tiens, si on allait au-delà du concert de rap classique en se donnant un défi plus grand » ?

Hippo : Oui, c’est ça. En fait, j’ai toujours aimé faire de la mise en scène. J’ai fait des études de cinéma. Dans mes concerts, notamment ceux de la Cigale ou du Trianon, il y a toujours eu de la scénographie, des invités, des surprises. Et c’est ce que les gens retenaient. Au-delà de la prestation vocale, il y avait ce truc de : « Waouh, mais tu nous as embarqués ».

C’est ça qui nous a servi de levier pour aller voir nos producteurs, Blueline, et leur dire : « Je pense qu’on a un coup à jouer en créant un spectacle musical immersif qui va embarquer les gens pendant une heure ». Au lieu d’avoir deux ou trois tableaux marquants lors d’un concert, on va créer un spectacle entier qui va faire voyager les gens. Ça me permettait de renouer également avec ma passion pour le cinéma et le storytelling. Je le faisais déjà dans pas mal de mes morceaux, mais là, on l’a fait à plus grande échelle. Il faut tenir tout un spectacle avec un fil narratif clair.

Lucas : Et de tenter des mélanges un peu inédits de rap, de musique, de film, de musique du monde.

Hippo : En fait, on a tenté des choses formellement, mais sans oublier le fond, ce que cela raconte et la manière d’aborder le sujet. Donc voilà, je pense qu’on a un projet singulier qui nous ressemble et qui ne ressemble à rien d’autre.

La Face B : Le terme onirique revient facilement lorsque ton spectacle est évoqué. On bascule dans le domaine de l’imaginaire comme lorsqu’on était enfant.

Hippo : « Onirique » fait partie des mots clés que l’attachée de presse m’a demandé de placer dans toutes les interviews [Rires]. Pour le rapport à l’enfance, c’est bien ça. Je ne sais plus qui a dit que l’artiste est un enfant qui n’a pas voulu grandir. En tout cas, l’artiste conserve cette part d’enfance et, avec elle, un imaginaire toujours très présent.

Pour moi, ça m’a toujours permis de m’évader. Et, parfois, sans doute par peur de la réalité, de me rassurer en me blottissant contre mes souvenirs, mes rêves d’enfant. Aujourd’hui, j’ai presque 40 ans et ma vie a évolué. Peut-être cette bascule vers la maturité qu’on rencontre tous, à un moment dans notre vie. Il existe des événements marquants, et je pense que ce spectacle se situe à un de ces moments clés. Et voilà, il faut venir voir le spectacle pour en savoir plus [Rires].

La Face B : Le fait d’être devenu père, cela a-t-il joué un rôle dans le processus de création ?

Lucas : Sur le sommeil !

Hippo : Oui, on dort moins ! Mais en fait, mes enfants me permettent justement de toujours être connecté à ce monde qui me fascine et qui me rassure. Je pense, comme je disais tout à l’heure, que l’équilibre entre la vie de papa et la vie de rappeur fait qu’on est toujours en train de jongler entre le côté ludique de l’amusement et le côté guide. Il faut leur montrer la voie. Il faut les éduquer. On ne peut pas juste être un enfant de plus, même si je le suis souvent dans mon foyer. Il faut montrer une voie et surtout éveiller la curiosité chez ses enfants. Je pense que mes enfants me stimulent autant qu’ils m’empêchent de dormir.

Mon deuxième fils a beaucoup de questions métaphysiques, existentielles. Il a déjà dépassé le stade que tous les enfants ont vers 4-5 ans, où ils ont des interrogations incroyables. Il me surprend en me posant des questions auxquelles je n’ai pas de réponse. C’est un fou de documentaires. Il veut tout comprendre et a une mémoire incroyable. De ce fait, j’apprends certains mots et découvre des espèces animales que je ne connaissais pas. Ça me fascine et j’adore ça. Quand j’étais enfant, j’étais fan de ciné. Je fascinais mes parents en retenant tous les noms d’acteurs, de réalisateurs, les dates… Lui, c’est la taille des insectes, leurs durées de gestation … Et ça, c’est juste un truc parmi d’autres. En tout cas, mes enfants me scotchent régulièrement. Ils me permettent de me dépasser en ne restant pas dans mes propres limites avec l’impression d’avoir déjà tout vécu.

J’ai dit dans un morceau, Le mal du pays, qu’il n’y a plus que mes enfants qui s’émerveillent. C’est vrai que s’ils n’étaient pas là, je pense que je serais peut-être moins jovial. La première fois qu’ils découvrent quelque chose, on revit également ce moment à travers eux. Vieillir, c’est le sentiment d’avoir coché beaucoup de choses, de se rendre compte qu’on commence à en avoir fait le tour. Là, pour moi c’est reparti !

La Face B : Ce sont des choses qui sont présentes dans ton spectacle ?

Hippo : C’est un spectacle qui a été pensé autant pour les enfants que pour les adultes. Et pas uniquement jeune public, c’est-à-dire que les parents peuvent également venir, passer un bon moment, voyager, comme des enfants qui ont grandi.

Lucas : Comme pour un Walt Disney ou un Pixar.

Hippo : Oui, avec différents niveaux de lecture. Je pense aussi que les films de Miyazaki sont une très bonne référence. Les Pixar aussi bien sûr comme tu le dis, ce sont des films qu’on peut voir à n’importe quel âge. Et on les voit différemment selon l’expérience que l’on a.

La Face B : La musique revêt toute son importance, apportant son pouvoir immersif. Ça a été principalement ta tâche, Lucas. Mais je suppose qu’il y a eu des allers-retours entre vous deux. Comment s’est déroulée cette écriture à quatre mains ?

Lucas : Oui, il y a eu beaucoup d’allers-retours. En fait, on a commencé par isoler des lieux dans le monde qui nous inspiraient. On en a pris un instrument et l’on a essayé de l’insérer à de la musique hip-hop. Voilà, ça crée un mélange entre la World Music, la musique hip-hop et cetera.

Hippo : Et la musique de films, pour le côté symphonique avec l’orchestral.

Lucas : Faire ce mélange par pays ou par lieu et petit à petit cerner l’univers de chacun. On souhaitait créer une ambiance qui rappell, même les yeux fermés, tel ou tel endroit. J’ai proposé à chaque fois à Hippo une ambiance. Il validait la base de 20 secondes et je commençais à en faire un morceau plus construit. De son côté, Hippo commençait à écrire des choses et on mettait en forme le tout avec des allers-retours.

Hippo : C’est ça. Il y a quelques morceaux que j’ai écrits sur une boucle de 20 secondes que j’avais copiée/collée pour écrire tout le morceau.

Lucas : Et on avait le lieu, l’ambiance, l’émotion, on avait tout ça.

Hippo : Et après, il fallait structurer. Et je pense que c’est là où je dois vraiment parler de la place de cet album dans ma discographie. Par rapport à mes débuts, je me suis davantage investi dans la composition. J’avais fait mon troisième album, Terminus, avec un multi-instrumentiste. Je l’avais vu créer les musiques devant moi et je trouvais ça passionnant. Là, ce qui est incroyable, c’est que Lucas va bien au-delà de tout ce que j’ai pu faire et de ce que je pourrais faire tout seul. Dans le hip-hop, on a souvent cette notion de boucle et une fois qu’on a une loop qui marche bien, on la répète sur trois minutes en ajoutant un break par-ci, par-là.

Chez Lucas, il y a vraiment un truc d’arrangements, le côté orchestral. Et les morceaux évoluent entre leur début et leur fin. Pour moi, quand je l’écoute c’est peut-être un des albums qui me surprend le plus, parce que je me laisse prendre. Alors que c’est ma propre voix et que je connais très bien la musique, il continue à m’embarquer. Je pense que c’est aussi ce truc de musique de films, où on se refait le voyage dans la tête. C’est pour ça que je pense que c’est très bien d’avoir sorti la BO avant. Elle nous donne un avant-goût du spectacle. Et quand les gens auront vu le spectacle, ils la retrouveront, mais différemment.

La Face B : C’est vrai que c’est un album qu’on ne peut pas écouter dans n’importe quelles conditions. Exit le métro, le soir en revenant du travail.

Lucas : En fait, c’est un film sur CD. On peut fermer les yeux et se retrouver dans le spectacle.

Hippo : J’avais fait une story sur Instagram quand l’album est sorti. J’ai dit : « Si là vous êtes chez vous, ça sort à minuit, écoutez-le. Si vous êtes dans un autre mood et que vous voulez l’écouter plus tard, prenez votre temps ». Ce n’est pas un truc, je l’écoute, je le coupe, je réponds à un coup de fil. Je pense qu’il faut se mettre dans un coin comme quand on regarde un film.

Lucas : On ne regarde pas un film de Miyazaki en 15 fois.

Hippo : C’est ça. Je pense même qu’on devrait le regarder ou plutôt l’écouter dans le noir.

Lucas : Il y a une petite anecdote sympa quand même des allers-retours entre New York et Paris. La majorité du CD a été composé quand Seb était à New York. Du coup, ça ne nous a pas simplifié la tâche. Et il y a pas mal de fois où, avec le décalage horaire, quand Seb allait se coucher j’étais encore au studio en France.

Hippo : Il était 1h du matin à New York, et je disais : « Bon, je suis claqué, je vais dormir ». Lucas : « Ouais, je bosse encore ». Il était 7h du matin à Paris et il était encore dans son studio tel un animal souterrain.

Lucas : Ah c’est clair ! Maintenant, je ne referais plus ça, mais… [Rires]

La Face B : Au-delà de la musique, l’image est quant à elle une invitation à l’imaginaire. En tant que cinéphile, tu y as retrouvé un domaine que tu apprécies particulièrement.

Hippo : En fait, toute la matière visuelle est projetée. Il y a de la projection pratiquement tout le long du spectacle. On l’a pensé comme l’étoile peinte dans les ballets. Ce n’est pas dans un truc constamment animé, on se rapproche davantage du trompe-l’œil utilisé pour prolonger l’espace scénique. Et cette matière-là, elle a été fabriquée par différentes personnes : Émilie Boutillier, qui s’occupait de construire les maquettes qu’on a ensuite filmées avec des objectifs macro spéciaux. La partie animation a été réalisée par Cléo Sarrazin.

On a là quelque chose qui nous est totalement propre, qui est singulier. Je vois beaucoup de spectacles utilisant des projections, des concerts incroyables, des créations géniales, mais à aucun moment je me dis : « Oh là là, ça joue sur le même terrain que nous », parce que ce qui figure dans nos vidéos, c’est nous. Le mélange de plein de choses qu’on aime, et en particulier ce rapport à l’enfance, alimenté par le côté miniature. On s’est amusés, on était comme des gamins quand on a tourné. C’était une partie jouissive. Et aujourd’hui, de voir que tout existe dans un spectacle, qu’il y a les chansons, tout un jeu scénique. C’est incroyable, parce qu’on sait d’où on vient et le temps qu’on a passé sur chacune des étapes. Et ça, je pense que le spectateur le ressentira aussi.

La Face B : Passer du rap – qui est un style musical très formaté – à un spectacle tout public, cela se fait-il naturellement ? Ne crains-tu pas de provoquer une incompréhension ?

Hippo : Cela fait partie de la prise de risque. À un moment, je me suis dit qu’il était possible qu’une partie des gens qui me suivent se disent « Mais ce n’est plus vraiment du rap. Moi, je l’aime quand il kick, j’aime quand c’est un kicker, un rappeur pour les rappeurs ». J’ai fait beaucoup de morceaux techniques parce qu’il y avait cette recherche de légitimité. Mais dès le départ, j’ai toujours fait un petit pas de côté par rapport au rap classique et j’ai toujours emmené les gens dans des thèmes inattendus, féériques ou fantaisistes.

Je ne m’inscrivais pas dans la même tendance que les autres rappeurs. Mais il y avait toujours cet aspect technique et ce côté performance. Là, l’idée était de garder cela, évidemment, mais aussi que la plume prenne le dessus. Et finalement, ce qui est dit est plus important que le flow.

C’est aussi une recherche que l’on a – en tant que rappeur – quand on commence à avoir l’approbation, l’aval de nos pères, de ceux qui ont rappé avant nous. Et une fois que je l’ai eue, je me suis dit : « Ça y est, j’ai fait mes preuves, je me suis prouvé ce que je devais prouver à moi-même. Maintenant, j’ai envie de raconter des histoires ».

Les gens savent que je peux rapper vite, que je peux changer de flow d’une mesure à l’autre. Maintenant, je souhaite que le texte prime et que surtout ce côté onirique et imaginaire prenne le dessus, le temps de ce spectacle.

Lucas : Ce qui est marrant, c’est qu’on ne l’avait pas vu comme ça tout au début. Initialement, l’idée était de faire chaque morceau avec un flow différent.

Hippo : Je pense que ce défi est toujours là, mais il est passé au second plan. Il est masqué sous l’histoire. Mais bien sûr que quelqu’un qui tend l’oreille va dire : « Ouh là là, mais ça, c’est un rythme à 9 temps et tout », « Mais comment il rappe dessus ? », « Mais là, y’a même pas de batterie, c’est juste une contrebasse ». Il y a évidemment de la technique, mais ce n’est pas ça qui prime. Et je pense que l’idée est que les gens soient vraiment dans le truc. Il y a des rappeurs que j’adore, je vais citer Orelsan, MC Solaar auparavant, Gaël Faye, Hocus Pocus, et j’ai toujours été fasciné par cette force qu’ils avaient de nous prendre dans leurs histoires sans qu’on soit en train de se dire : « Ouah, comment il rappe bien ! » ou « Comment il accélère ! ». Ce qui importe c’est ce qu’ils racontent.

Lucas : C’est l’étape du dessus. Même pour un musicien, avoir assez de technique pour qu’on puisse l’oublier.

Hippo : Et là, je pense vraiment que ce spectacle est construit avec ça.

La Face B : Avec le rap, la façon de phraser, la façon de dire les choses, ça se prête très bien à la narration.

Hippo : C’est le genre musical où le texte est le plus présent. On a des couplets qui sont beaucoup plus longs que dans la chanson française. Mais cela dit, on a aussi essayé de faire des morceaux qui ressemblent davantage à des chansons qu’à des titres de rap. Il y a des petites structures, des refrains. Ce n’est pas du parlé, slamé du début à la fin. On y retrouve aussi un aspect chanson, une rengaine.

La Face B : Si l’on prend d’autres exemples, comme Puppetmastaz pour ne citer qu’eux, on voit que cela marche très bien. Ont-ils été inspirants pour toi ?

Hippo : Oui, ce sont des marionnettistes. J’ai fait un morceau avec eux. Ils font d’ailleurs partie des artistes que j’ai écoutés vraiment beaucoup à une époque. Il y avait aussi le Peuple de l’Herbe. Et quand j’ai fait le morceau avec eux, ils m’ont invité sur une date. C’était, je crois, au Trabendo. Et j’ai vu l’envers du décor. Ça pour le coup, ça m’a bluffé parce qu’ils étaient là avec un personnage en train de rapper, ils ont un micro-casque de type HF. Et pendant que le personnage rappe, ils sont en train de chercher la marionnette d’après. Ils sont multitâches. Pour eux, rapper, c’est presque trop facile.

C’est pour cela que dans ce spectacle, il y a des trucs suspendus. L’idée c’était aussi de dire que rapper, pour moi aujourd’hui, c’est facile. Juste rapper, être bien dans les temps, avoir la bonne tonalité. C’est quelque chose que j’ai fait suffisamment pour avoir envie de me remettre en difficulté. J’ai envie à un moment d’avoir la tête vers la tête en bas et de réussir à rapper quand même. Toujours me surpasser et sortir de ma zone de confort.

Et je pense que sur l’aspect scénique, on a essayé de se coller à chaque univers. Et donc, par exemple, dans le passage qui se déroule sur la lune, j’ai essayé – j’essaye toujours, car c’est un work in progress – d’avoir vraiment une gestuelle ralentie, même si le flow ne l’est pas complètement. Il faut détacher le corps et ce sont presque des exercices de danse, de chorégraphie. Il faut faire comme font les Puppetmastaz : déconnecter le flow de ce que fait le corps. Et moi qui suis nul avec mes deux mains et qui n’arrive pas à jouer des instruments, juste de réussir à faire ça, avoir le texte d’un côté et le corps qui raconte autre chose, c’est jouissif, parce qu’on a cette impression de proposer quelque chose d’original.

La Face B : Et donc, finalement as-tu appris à aimer danser ?

Hippo : La vérité, c’est pour cela que j’ai dit « J’aime pas danser » et non « J’aime pas la danse ». J’adore voir des gens danser et je serais tellement heureux de savoir danser comme eux. Mais il y a quelque chose de l’ordre de la pudeur qui m’empêche d’aller sur la piste de danse parce que je me dis que je n’ai rien à y faire. Car ce que je fais n’a rien d’exceptionnel.

C’est pour ça que je fais très peu de choses. Je ne joue pas au foot. Je ne pratique aucun sport parce qu’à partir du moment où je sens que je ne suis pas bon et que je n’ai pas de facilité, je n’ai pas envie de me donner en spectacle. Donc la danse, même si c’est quelque chose qui m’a toujours attiré, je me suis dit que ce n’était pas pour moi. Mais comme je te disais juste avant j’ai travaillé un autre type de danse.

La Face B : L’art de se mouvoir.

Hippo : C’est ça. C’est toujours accompagné de textes et finalement c’est un travail qui se rapproche davantage du théâtre que de la danse.

Lucas : Tu as besoin d’avoir des chorégraphies claires.

Hippo : Après j’ai un lâcher-prise. Tu vois ? Quand je rappe et tout.

Lucas : Oui, mais ton lâcher-prise est plus simple sur scène quand tu rappes. Tu y arrives très bien. Sur le spectacle, c’est plus compliqué.

Hippo : Au début, j’ai essayé de le faire comme un concert et ça ne marchait pas. « Pourquoi tu bouges la main ? », « Qu’est-ce que tu fais ? ». J’allais à droite et à gauche tout le temps. Non « Tu te mets à un endroit, tu prends la lumière, tu arrêtes de bouger et tu dis ton texte ! ».

Lucas : Merci Christophe ! [Christophe Gendreau – Metteur en scène]

Hippo : Mais moi, je n’ai pas l’habitude. Normalement en tant que rappeur, tu es là, tu t’accroupis, tu vas dans le public. Non, là, il faut se placer à des endroits précis. Pour l’instant, on est dans la contrainte. Mais petit à petit, on va arriver dans le plaisir. Au début, un spectacle c’est comme un labyrinthe. Tu as un seul chemin et il ne faut pas se tromper. Il faut bien le suivre pour arriver jusqu’au bout. Mais après tu te fais plaisir, et tu peux peut-être alors casser un mur à un endroit. Pour l’instant, on l’aborde de manière assez scolaire, en essayant de respecter ce que le metteur en scène nous dit. Et en se faisant plaisir parce que c’est quand même le but. Si c’est juste subi, le spectateur ne va pas apprécier.

La Face B : Justement, la relation au public n’est pas la même dans un concert ou à un spectacle, moins directe en tout cas.

Lucas : On parle du quatrième mur. En fait, on se rapproche du théâtre. Dans la première version du spectacle, on cassait une fois le quatrième mur [celui fictif qui sépare les acteurs des spectateurs] et finalement on a décidé de ne pas le faire pour garder ce côté immersif. C’est surtout toi, Seb, qui est devant la scène. Il y a une espèce de coupure.

Hippo : Les spectateurs sont assis.

Lucas : J’ai l’impression qu’on est dans notre bulle et qu’ils sont également, d’une certaine façon, dans leurs bulles.

Hippo : En tout cas, on les amène dans notre bulle. Et je pense qu’on a deux appellations un peu synonymes : « Spectacle musical immersif » et « Film musical vivant ». Il y a ce truc de t’asseoir comme quand tu regardes un film, mais, là, l’acteur est sur le plateau et il lui arrive des choses. « Ah, mais il bouge vraiment ! »

Lucas : C’est pour ça que ça se rapprocherait davantage du théâtre que du concert.

Hippo : Mais comme il y a les projections, on a aussi le côté cinématographique.

Lucas : C’est mélangé.

La Face B : Et sur ton ressenti sur scène, d’avoir moins de contact avec le public.

Hippo : Le fait d’avoir un metteur en scène, Christophe Gendreau, encore une fois merci à toi, a permis de nous apporter le recul que l’on avait pas. Avec Lucas on était tous les deux metteurs en scène et lors des premiers essais, le seul recul qu’on pouvait avoir était celui des techniciens et des gens de la salle. Filmer, ça ne rend souvent pas grand-chose parce qu’il faudrait des objectifs spéciaux, car on a des projections.

Le travail avec Christophe nous a permis de resserrer le spectacle. Il m’a dit : « Non, mais là c’est bien ce que tu fais. Tu es à ta place » « Fais ça ! » « N’en fais pas trop ! ». Ça et le travail avec une chorégraphe que j’ai fait de mon côté m’ont permis de prendre confiance. Et au lieu de me regarder – en plus j’ai des ears-monitors donc je suis un peu dans ma bulle – et de me dire « Oh là là, mais là qu’est-ce que les gens pensent de moi ? » comme j’ai toujours une action, ça passe. Il m’a donné des choses à faire tout le long du spectacle. Il y avait des moments où je ne savais pas quoi faire, pas où me placer. C’étaient des choses que je subissais au départ et qui ont disparu.

Depuis que l’on travaille avec lui, c’est un plaisir. Je me surprends à aimer jouer la comédie alors que c’était ma hantise. J’avais un complexe, moins que la danse, mais quand même. « Je ne suis pas comédien » « Je ne vais pas le faire ». Et là franchement, j’ai regardé la sortie de résidence et je me suis dit « Ça va !» [Rires]. On verra si ça va toujours sur les prochaines dates que l’on va faire, mais « Ça va !». Je n’ai pas à rougir. Donc on revient de loin parce que les premières fois qu’on s’est filmés, j’avais envie de m’enterrer au plus profond de la terre. Mais on a eu envie de se dépasser.

La Face B : Les salles dans lesquelles tu vas jouer ne sont plus celles que tu connaissais en tant que musicien. Découvres tu un monde nouveau ?

Hippo : Oui, mais je le rattache au cinéma, aux salles de cinéma. En fait, je me vois assister à un spectacle ou à un film et j’adore cette position là aussi. Plus je vieillis, plus je suis passif en concert. Avant, j’allais dans la fosse, je sautais dans tous les sens. Quand je fais des concerts de rap, je le fais toujours, mais quand je suis spectateur, je me mets bien au fond, je regarde le truc et finalement une petite chaise ne me dérangerait pas. Ça ne veut pas dire que le spectacle n’est pas pêchu ou que j’ai perdu toute énergie, mais je me dis que cette position est confortable aussi.

Finalement, être dans une salle assise avec un morceau qui donne envie de bouger – j’avais, par exemple, vu Stomp, un spectacle basé sur les rythmes du monde – on n’a qu’une envie c’est de se lever et de bouger dans tous les sens parce que c’est ultra entraînant. Pourtant, on est assis. On a un peu cette frustration, mais ça ne me dérange pas. Ça ne me dérange pas que les gens qui assistent au spectacle soient dans cette envie de se lever, d’aller bouger et de faire un petit pogo. Peut-être que pour un certain nombre de dates les gens vont se lever et commencer à faire des pogos dans les rangées. Je n’en sais rien. C’est possible [Rires]. Ce serait drôle. On est là pour casser les codes. On verra. Pour l’instant, on se concentre sur ce qu’il se passe sur scène, mais peut-être que l’on trouvera des idées pour dynamiser le spectateur dans la salle.

Lucas : Je pense qu’il n’y en a pas besoin. Il y a déjà de quoi faire en voyageant dans le spectacle.

Hippo : Le vrai plaisir, pour Lucas comme pour moi, c’est de se dire que dans la salle il y a des gens de mon âge, des étudiants un peu plus jeunes qui aiment le rap un peu différent et des enfants qui pour certains vont peut-être découvrir pour la première fois le rap sur scène sans que les parents soient en train d’avoir envie de boucher leurs oreilles. Et qu’ils puissent se dire « Je suis content de vivre ce voyage avec mon enfant ». On en revient à ces films qui sont un vrai plaisir pour toutes les générations.

La Face B : Prévois-tu de graver sur pellicule ou sur Dvd ton l’odyssée d’Hippo ?

Hippo : Je ne sais pas. Il faut que la technique évolue.

Lucas : Je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée. Déjà en théâtre c’est compliqué. Nous, on a plusieurs espaces, ce qui fait que c’est très compliqué pour que le rendu soit fidèle. Il vaut mieux le voir en vrai.

Hippo : On a réussi, grâce au talent de Judicaël Oliviern à avoir un teaser qui a réussi à retranscrire un peu cette immersion que l’on ressent en tant que spectateur, mais parce qu’il a bougé, il n’était pas en mode plan fixe.

Lucas : En fait, pour moi, si on le mettait sur pellicule, il faudrait le penser comme un film et non comme une captation de théâtre.

Hippo : Il faudrait différentes valeurs de plan, constamment repensées. Après, j’ai vu de très beaux spectacles, comme ceux de James Thierrée, qui avaient été filmés. Je n’étais pas dans la salle, mais j’ai ressenti le truc et c’était très bien fait donc ce n’est pas impossible. Mais pour l’instant, on a des contraintes techniques, on a des projections, filmer un écran ce n’est pas évident. Mais on finira peut-être par trouver une idée pour immortaliser le voyage. En tout cas aujourd’hui on a déjà la BO !

La Face B : Et pour finir, que peut-on vous souhaiter ?

Lucas : Faire voyager un paquet de monde.

Hippo : C’est ça ! Qu’on fasse voyager et qu’on voyage nous-mêmes. On aimerait, enfin, ce serait tellement incroyable de pouvoir jouer ce spectacle dans des pays non francophones. Pour l’instant, j’ai toujours été limité par mes textes aux pays francophones, même si j’ai fait un concert à New York quand j’y étais. Mais je pense que si l’on a un spectacle justement, grâce aux projections, on pourrait envisager d’intégrer des sous-titres ou du sur-titrage. Et ça fait tellement voyager, tout n’est pas basé sur le texte. On a de la musique, on a de la projection, on a du jeu. Et je pense que même si l’on ne parle pas la langue, on peut déjà ressentir et comprendre le voyage. Mais si en plus on a les sous-titres pour ceux qui ont envie de lire et qui lisent vite parce que parfois ça va vite, on pourrait vraiment le jouer dans le monde entier. Ça, c’est un peu le rêve ultime. Mais si l’on arrive à faire une belle tournée en France et dans les pays francophones, ça sera déjà magnifique.

Retrouvez Hippocampe Fou dans son Odyssée le 9 décembre 2022 à La Couarde-sur-Mer (Ile de Ré) et les 16 et 17 janvier 2013 à Paris dans la salle du 13ième Art. D’autres dates seront sans doute proposés prochainement. Consulter le site de Blueline pour les découvrir (ici)