À la découverte de Teenage Bed

Si on le résumait brièvement, on pourrait dire que notre rencontre avec la musique de Teenage Bed a tout du coup de foudre. Lorsqu’on a découvert Expectations, on a eu la sensation de trouver la bande son de notre état du moment (et ça n’était pas très joyeux). Cette sensation s’est reproduite avec Since We’re Stuck At Home, son album composé pendant le confinement. On avait donc envie d’en savoir plus sur le garçon derrière la musique, on a donc pris rendez vous avec Nathan sur Facebook pour une interview découverte.

La Face B : Salut Nathan ! Comment vas-tu aujourd’hui ?

Teenage Bed : Plutôt pas mal. Je dirais que je tape un bon 7 sur 10 sur l’échelle de la bonne humeur. Ce qui est un résultat plutôt solide je trouve.

LFB : On va faire un peu les présentations. Qui est tu Teenage Bed ?

T.B : Déjà la question de savoir si Teenage Bed c’est exactement moi peut être vaste. Quand j’ai démarré le projet je travaillais avec un groupe qui s’appelle Woodrow avec Olivier Le Tohic (qui fait maintenant de la très bonne musique avec Trainfantome).
J’écrivais déjà beaucoup de chansons et il y a un moment ou ça a fait embouteillage. J’ai donc appelé mon ami Laurent Day pour en enregistrer quelques unes sur 3 jours dans une maison vide à Lorient.
Le résultat m’a plu, j’ai donc décidé de le sortir et j’ai du trouver un nom dans un second temps pour enrober tout ça. Le résultat est devenu le premier EP I believe I’m seing things et le nom de projet Teenage Bed.
A partir de là je pense que ce projet là c’est surtout des chansons et c’est devenu un cadre pour les faire vivre. J’écris beaucoup, c’est ce que j’aime faire, donc j’en avais besoin. Après tout le reste peut se permettre d’être mouvant: la façon de jouer sur scène, d’enregistrer, les textures sonores, les collaborations de part et d’autres. Forcément je me retrouve souvent à jouer dans la cours d’une pop acoustique un peu lo-fi et vaguement dépressive (selon les échelles de mesures). Mais en vrai je ne m’interdis rien. Quand je fais confiance aux chansons et à mon rapport mélodie/texte, il y a souvent une cohérence qui ressort (enfin j’ai l’impression) que je mette des guitares ou non, boite à rythme, vraie batterie ou rien du tout, clavier débile ou guitare électrique. Tout ça m’importe peu. Ça c’est pour le côté un peu expérimental de la démarche.

Je dirais même que c’est amusant pour moi de voir jusqu’ou Teenage Bed peut rester Teenage Bed même lorsque je change les règles du jeu en terme de son.

LFB : Donc Teenage Bed c’est toi sans être toi ? Pour moi le nom a une certaine fantasmagorie, qui ramène à une époque, l’adolescence, ou tout est plus intense, les joies comme les drames et j’ai l’impression de retrouver ça dans ta musique. Ce côté autant écorché vif que très lyrique et intense.

T.B : Il y a de ça oui. Même si la musique devient de plus en plus partie intégrante dans ma vie aujourd’hui ce n’était pas forcément le cas quand j’ai créé le projet. Je la considérais sans doute comme un exutoire face à une vie plus normée dans laquelle je devais inexorablement rentrer. J’avais donc d’un côté une version raisonnable et adulte de ma personne. Avec des ambitions d’adulte raisonnable (avoir un vrai métier, fonder une famille, souscrire à un PEL et accéder à la propriété), qui passe aussi par l’idée de ne pas fantasmer ou d’essayer de rendre lyrique des situations de drame amoureux ou autres. Ce qu’on fait plus à l’adolescence. Puis cette autre version qui se permettait de prendre une guitare pour écrire et mettre en scène sa mélancolie. Le cliché d’une vision romantisée du monde. La notion d’adolescence retranscrits bien ce refus de passer au monde adulte tout en soulignant la soif de créer autre choses. Même si c’est totalement bancal. Au final je me sens à l’aise dans cette idée. Aujourd’hui j’assume plus l’idée que devenir un adulte raisonnable me fait chier et que la maturité ne veut pas dire forcément suivre une voie normée.

Le côté écorché vif n’est pas forcément recherché. Ça fait partie du registre et des sujets que je traite. Heureusement cela ne m’accompagne pas au quotidien. La flemme. Je l’exorcise justement en chanson.


LFB : Mais ce qui est intéressant justement dans ta musique, c’est qu’on a souvent l’impression que tu te parles à toi même.

C’est quelque chose que tu intellectualises ça ? Ou tu ne t’en rends pas forcément compte ?

T.B : Je n’intellectualise pas beaucoup ma musique. C’est bien le seul domaine dans ma vie que je n’intellectualise pas d’ailleurs. Au moins pas dans un premier temps. Ça bloquerait ma création je pense. Le rapport au sujet est assez intéressant dans l’écriture.
Je pense que c’est le cas de beaucoup de personnes qui écrivent des chansons et je sais en tout cas que c’est vrai pour moi.
On utilise bien souvent des ‘tu’, ‘il’, ‘elle’, ‘je’ pour se rendre compte dans un deuxième temps que les sujets sont parfois interchangeables. Parfois tu as l’impression d’engueuler quelqu’un puis en fait tu te parlais clairement à toi même. Du coup j’aime écrire des chansons cohérentes en elle même mais je ne considère plus vraiment le sujet. Il peut changer au cours d’une même chanson. Il peut concerner quelqu’un lors d’un couplet et concerner une autre au second. Les textes sont toujours soumis à interprétation de toute façon, en cela ils sont mouvant. Fatalement je me parle toujours un peu à moi, je parle toujours un peu à quelqu’un à qui j’aimerais continuer de parler, à un ami à qui je n’arrive pas à dire ou bien à des gens qui m’écouteront potentiellement. Et les gens qui y prêteront attention utiliseront eux même les sujets comme ils veulent et y projetteront sans doute des choses que je n’avais pas prévus.
Mais ça m’arrive régulièrement d’écouter des gens et de me dire « cette personne est clairement en train de se rassurer elle même en disant ‘tout va bien se passer’ à quelqu’un d’autre ».

Je suis assez persuadé que c’est le cas de beaucoup de songwriters.

LFB : Donc, tu viens de sortir Since We’re Stuck At Home. Tu avais mis quasiment trois ans à dévoiler Expectations et tu lui sors un successeur en trois mois. Le confinement t’a été bénéfique au final ?

T.B : Je suis toujours assez rapide pour l’écriture. Les 2 ans d’Expectations n’étaient pas du au processus d’écriture mais plus au fait que mon ami Laurent était parti à Londres entre temps et qu’on avait laissé ça de côté. Ça correspond aussi à un moment ou je suis parti en voyage. C’est là que j’ai enregistré shelf life x teenage bed en rencontrant Scotty Leitch à Philadelphie. On avait composé et rentré un album en 3 semaines sans se connaître au préalable. L’album était sorti dans la foulée et j’avais donc retardé encore plus la sortie d’Expectations. La rapidité d’exécution est un processus qui me plaît beaucoup dans l’enregistrement. Ça permet de cristalliser une certaine spontanéité même si tu perds parfois en qualité sonore à proprement parlé.

Mais clairement Since we’re stuck at home était pas prévu dans mon planning de sortie et ça a été salvateur en confinement. Les chansons sont sorties très facilement et j’ai pris le temps de mixer seul (sans Laurent ou Scott) ce qui m’a permis d’apprendre beaucoup. J’ai toujours eu un ami pour me guider dans le processus de mix et c’était un défi en soit de passer derrière eux sans rendre un travail qui me semblait en dessous de ce que j’avais fait avant.

LFB : Et justement, tous les morceaux de Since we’re stuck at home tu les as vraiment écrit sur la période d’enfermement ?

T.B : Oui. Tout à été écrit pendant. Ça fait partie de l’exercice. J’ai souvent l’habitude de composer guitare voix avant de me mettre à enregistrer. ici on était plus dans un rapport d’immédiateté. L’écriture se faisait devant le logiciel et les parties se dessinaient au fur et à mesure. Je n’avais jamais fait les choses comme ça. J’ai toujours besoin d’être stimulé pour être inspiré et en ce sens changer quelques choses du processus marche très bien sur moi. Du coup l’écriture à suivi de manière très fluide. L’ambiance générale s’est dessinée d’elle même, chanson après chanson.

LFB : Contrairement à tes sorties précédents, j’ai aussi l’impression que cet album là, fonctionne comme une vraie histoire, avec une vraie progression non ?

T.B : Sans doute. Mise à part l’album avec Shelf Life c’est clairement celui ou les chansons ont été écrites dans le plus petit laps de temps (2 semaines). Le premier EP rassemblait des chansons qui avait entre 5 ans et 1 mois. Expectations c’était un peu le même délire. Ici le coté immédiat permet de capter la cohérence de la progression de mes humeurs sur un temps de confinement. C’est pour ça que j’ai aimé le processus. Tu n’as pas à t’arracher les cheveux ou à sur analyser les choses pour raconter une histoire et capter une progression logique et efficace. Tu as juste besoin de faire confiance à la manière dont tu ressens les choses sur un temps donné et à les capter de la façon la plus sincère possible. Normalement la cohérence globale se fera d’elle même.

J’avais aussi un rapport assez appuyer à ma fenêtre. Et on sent clairement le printemps arrivé petit à petit. Entre fin mars et début avril.

LFB : Oui, il y a un vrai côté positif sur la seconde partie de l’album, une vraie évolution.

C’est aussi la première fois que tu invites d’autres voix. Comment se sont passées ces collaborations ? Ca t’intéresser de confronter ta musique à d’autres personnes ?

T.B : A fond ! C’est toujours excitant. Pour le coup l’idée est venue naturellement. Je savais que Steph (Steph Grace) et Eli (Yung Sham) était eux aussi confinés dans leur ville respective (Berlin et Philadelphie) et nous étions en contact parce que ce sont des amis. Le contexte était donc super favorable. Quand je leur ai demandé, les deux m’ont répondu oui instantanément et il n’y avait pas de problème de planning. Nos énergies étaient au diapason malgré les kilomètres de distances. Ça me fascinait de savoir qu’on vivait la même chose si loin les uns des autres. Ça m’a donc semblé à propos de rajouter cette notion de partage sur un EP de confinement à la dimension forcément intimiste.

Sinon les collaborations m’ont toujours intéressé oui. D’autant plus depuis que je suis à peu près sur de mon écriture. L’expérience de l’album à quatre mains avec Shelf Life a été aussi décisif la dessus. Il m’avait notamment demandé de lui écrire une chanson (cf. Better présente sur l’album) qu’il a chanté de bout en bout. Au delà du fait d’être maxi honoré qu’un gars comme lui, américain et très bon compositeur chante un de mes textes, j’ai adoré l’expérience. Puis je ne suis vraiment pas avare avec mes chansons. J’en ai plein. Du coup les confronter à un maximum de situation différentes est plus amusant qu’autre chose.

LFB : Justement, puisque tu me reparles de Shelf Life. Tu chantes en français sur certains morceaux. Est ce que tu vois une différence dans ton processus d’écriture entre l’anglais et le français ? Est ce que tu envisages de sortir quelque chose en français un jour ?

T.B : Il y aura plusieurs chansons en français sur mon premier album. L’écriture en français est assez nouvelle pour moi et là ou je considère avoir de l’expérience en anglais, je suis encore dans un tâtonnement en français. Ça peut paraître paradoxale mais lorsque l’immense majorité de son éducation musicale est anglophone c’est finalement assez logique. J’essaye de respecter le français pour ce qu’il est et du coup je ne peux pas me permettre de calquer des réflexes d’écriture en anglais dessus. Le processus est donc plus heurté mais j’arrive doucement à quelques choses qui me satisfait. Ça fait longtemps que je voulais y venir. Scott est quelqu’un de curieux et forcément quand un musicien français est venu dormir sur son canapé il m’a logiquement demandé de bosser quelques morceaux en français. J’étais aussi curieux de savoir comment les mots allaient résonner avec ce type de production (Lofi de la cote Est que j’apprécie par dessus tout / cœur avec les oids). L’occasion à fait le larron comme on dit et j’ai mis le pied à l’étrier comme on dit aussi.

Je serais personnellement très curieux d’entendre un album typé lofi / cote est américaine tout en français. Peut être que je le ferais moi même un jour.

LFB : Donc qui dit chanson en français dit aussi nouvelle identité musicale pour l’album ?

T.B : Pour moi c’est dans la continuité. D’autant plus que pour le coup toute les chansons ont été composée avant Since we’re stuck at home. Je me permets un processus plus lent pour celui là. J’adore écouter la musique en album. Je ne fait pratiquement que ça et je veux faire bien. Après nouvelle identité je ne pense pas. Exploration d’autres facettes sûrement. Pour ma part je ne me pose pas la question. Tout est en moi. Si je trouve ça cool je le mets. Je ne réfléchis pas plus loin.

LFB : On a parlé de musique, j’aimerais parler d’une autre facette de ta carrière puisque tu gères aussi Pale Figure Records. Est ce que tu peux m’en parler un peu ?

T.B : Oui. J’ai créé ça pour poser les albums de Teenage Bed et ceux de copains. Notamment Fairy Tales In Yoghourt (Nantes), des projets de Philadelphie ( Yung Sham, About a million, Decent). Mais aussi des conneries plus ou moins sérieuses avec la MEGA COMPIL des Tubes de Darons qui rassemblent un ensemble de groupes cool autours de reprises de standards de la chanson française (Lesneu, Tropique Noir, La Houle, La Battue, Mermonte et j’en passe une tonne) on est au volume 3. L’impulsion de projet et l’organisation de tout un tas de truc fait aussi partie de ma personnalité du coup ça m’a semblé naturel. La encore la ligne de conduite du label est assez flou. Je ne m’interdis rien. Tant que ça me parait être une bonne idée je considère que c’est à propos. Concernant Teenage Bed je compte quand même chercher un autre label pour mon premier album. Ça peut avoir quelques choses d’assez ingrat de faire ce taf pour un projet qui est à toi. Je m’en rends compte de plus en plus. Donc je suis sur le marché ! Je sais qu’il y a des milliers de patrons de label prêts à dépenser une tonne de flouze dans l’indé donc je le signale là.

LFB : – Pour finir, qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour l’avenir ?

T.B : Et bien un joli premier album qui tombe dans un maximum d’oreilles ce serait pas mal. Des dates. Des collabs. Une tournée aux états unis aussi. Monter un groupe pour faire des sets plus rock quand l’envie m’en prends. Je sais pas pour le maximum d’oreilles mais tout le reste est en bonne voie.

LFB : Est ce que tu as des coups de coeurs récents à partager avec nous ?

LFB : Je vais être assez décevant mais pas forcément. J’ai découvert la filmographie des frères Safdie récemment (Uncut Gems, Good time, Heaven knows what) qui m’a vraiment enthousiasmé sous plusieurs aspects. Sinon le confinement m’a fait passer plus de temps sur insta et j’y ai rencontré ou approfondi des relations avec pas mal de gens cools. Du coup Charles de Dogs for friends et chahu m’a conseillé d’écouter Haggert Mctaggert (batteur de The Districts) et on va dire que j’écoute les conseils des angevins avec plus d’attention maintenant.