On connaissait jusqu’à présent Arthur Vonfelt aka Vonfelt surtout par le prisme des différents projets auxquels il a participé en tant que membre ou collaborateur (Freez, Joko, mais aussi Petit Prince ou Jacques). On est d’abord intrigué de découvrir les compositions qui sortiraient de son projet solo puis subjugué par le premier morceau qu’il a publié au printemps dernier, Je ne sais où. Un titre à l’élégance baroque d’un Homme à la tête de chou de Gainsbourg qui emprunterait des chemins de traverses psychédéliques.
Depuis Vonfelt a publié un premier EP en octobre chez Vraiment Records. Nous sommes allés à sa rencontre pour en savoir un peu plus sur son univers musical.
La Face B : Bonjour, Arthur, comment vas-tu ?
Vonfelt : Cela va plutôt bien. Je sors d’une répétition et ça va. Aujourd’hui, il fait doux et bon. Tout va bien !
La Face B : Un premier EP publié, qu’est-ce que cela représente pour toi ?
Vonfelt : C’est un moment que j’attends depuis longtemps. Justement, je pense que je me suis un peu protégé parce que j’ai plein d’amis musiciens qui m’ont dit « Tu vas avoir le baby blues une fois que ton EP va naître ». Je me suis armé face à ça. En réalité, je suis content que les gens puissent l’écouter. Et cela signifie aussi pour moi, pouvoir passer à autre chose et travailler activement à la suite.
La Face B : Tu as beaucoup travaillé avec ou pour les autres. Comment est née cette envie de libérer tes propres créations ?
Vonfelt : Je l’ai toujours un peu fait. Et puis le déclencheur a été, comme pour beaucoup, la période du confinement. L’isolement a fait que j’ai dû arrêter de collaborer avec les gens, ce qui était mon activité principale. Cela m’a permis de mettre un vrai coup de boost sur mes compos solos, en tant que chanteur. C’est à ce moment que j’ai ressenti une cohérence entre plusieurs morceaux, une atmosphère générale qui se dessinait. Je me suis dit que ce serait cool d’en faire vraiment quelque chose et que cela ne reste pas sur mon ordinateur. C’est donc le confinement qui m’a permis de concrétiser mon projet solo.
La Face B : Et sur la manière de composer, je suppose que la manière de composer au sein d’un groupe ou en solo n’est pas la même. Cela change quoi pour toi ?
Vonfelt : Cela change plusieurs choses. Dans les points positifs, il n’y a plus de concessions à faire. Quand on travaille en groupe, l’un a une idée pour le refrain, l’autre n’est pas d’accord. Cela débouche sur de longues discussions. Mais ce sont les règles du jeu lorsque l’on compose à plusieurs et qui, à la fin, lui donne sa patte collective. En travaillant en solo, tu peux aller vraiment au bout de tes idées.
Ce qui est plus compliqué, c’est que l’on peut avoir moins de recul. On est moins objectif. Même si l’on peut toujours prendre l’avis de proches ou de copains musiciens. La différence, c’est principalement ça. Être tout seul comme il n’y a pas de concessions à faire cela force son trait de caractère, son écriture personnelle.
La Face B : Il existe un risque à s’éparpiller ?
Vonfelt : Quand on est seul face à soi-même, on peut rencontrer des difficultés dans la prise de décisions et alors on peut craindre de s’éparpiller. Alors on met le morceau de côté. On en fait un autre et puis on y réécoute plus tard. On fait comme si l’on était un groupe, et on le fait évoluer. C’est comme cela que je fais.
La Face B : Où as-tu puisé tes sources d’inspiration ? On pense à celles de Gainsbourg.
Vonfelt : Oui, forcément, comme c’est du parlé-chanté. Cela se ressent aussi dans le choix du synthétiseur, du mellotron. Ce sont des sons qui sont liés à cette époque et en particulier à l’album de Serge Gainsbourg qui m’a beaucoup influencé, L’Histoire de Melody Nelson. Il y a d’autres influences plus modernes. J’ai fait beaucoup de jazz. Même s’il n’y a pas de voix, c’est une manière de faire de la musique qui m’inspire énormément et que l’on peut trouver chez des gens que je ne classe pas forcément dans le jazz.
C’est le cas de Jacques avec qui j’ai beaucoup travaillé et qui est un ami d’enfance. C’est quelqu’un qui improvise et qui prend des risques en live. En cela, cela s’apparente au jazz. Et les gens le ressentent. Il y a comme une espèce de suspens qui se crée. C’est une sensation qui est importante pour moi. Qui est complexe à retranscrire sur disque, mais que j’essaye de retrouver en live. Après, il y a beaucoup d’autres choses qui m’inspirent. La liste est longue.
La Face B : Tes chansons – dans leurs constructions en différents plans possèdent également une composante cinématographique forte.
Vonfelt : Plus que de parler d’un sujet précis, c’est l’atmosphère qui m’inspire. Des visuels sur lesquels je vais tomber. C’est peut-être tout cela qui apporte le côté cinématique. Après, je suis également fan de tous ces groupes des années 70, comme les Pink Floyd, qui étiraient leurs morceaux en longueur en peignant des paysages sonores.
La Face B : Commencer un projet solo, c’est également l’occasion de chanter alors que tu ne le faisais pas auparavant.
Vonfelt : À part des cœurs, toujours derrière, un peu planqué. Souvent, c’était trop aigu pour moi donc dans une voix de tête, quelque chose d’assez hasardeux. Je chantais quand j’étais petit, naturellement. Et j’ai mué. Ma voix est beaucoup descendue. J’ai perdu mes repères. Inconsciemment, j’ai fui le chant puisque je n’étais pas à l’aise avec lui. Quand j’ai poussé ces morceaux pendant le confinement, j’ai pu expérimenter, tester. J’étais très timide au début. J’avais beaucoup de mal à me réécouter ou à partager avec ma copine. Puis petit à petit, en le faisant, ça s’est débloqué. J’ai suivi des cours de chant. C’est un instrument que je travaille encore.
La Face B : À l’écoute des titres de ton EP, on a l’impression que tu prends plaisir à jouer avec ta voix, à la découvrir.
Vonfelt : Cela rejoint ce que je te disais sur le jazz. Avec chaque instrument, l’objectif est de trouver la couleur que l’on va utiliser, déterminer pour quelle raison et de quelle manière. La voix c’est pareil. Je suis complètement en train d’expérimenter avec elle. Au début, ce qui paraissait évident c’était de parler. On m’a dit « Tu as la voix grave, c’est cool, ça sonne bien, ça fait un peu Gainsbourg ». Mais assez vite, j’ai eu envie de faire autre chose. J’adore les mélodies et ce qu’elles peuvent évoquer. C’est ce que j’ai essayé d’explorer dans premier EP et dans les nouveaux titres que j’écris aujourd’hui.
La Face B : Pour d’ailleurs finir – dans Cœur Bleu – en la laissant seule en scène. Presque a cappella, si on retire les effets.
Vonfelt : À la fois a cappella, à la fois pas du tout. Puisqu’au final ma voix, on ne l’entend pas. Elle sert juste à exprimer des mots. Dans Cœur Bleu, le son est joué par des synthétiseurs.
La Face B : Une chanson, donc presque pas du tout a cappella, mais aussi un (5 ?) ou plutôt deux morceaux instrumentaux dont un caché.
Vonfelt : C’est aussi un clin d’œil aux années 70 de voir le titre caché pour ceux qui laisseront l’album déroulé. D’ailleurs, on ne devrait pas en parler parce que c’est censé être secret. Mais oui, il y a deux titres instrumentaux et c’est important pour moi. Parce que plusieurs fois je me suis dit que malgré le fait d’avoir envie de chanter, d’écrire des mots, de raconter des histoires, je souhaitais que la voix soit un instrument comme un autre. Je trouve que, par moment, s’affranchir de la voix permet de laisser plus de place à l’imagination. Sur ces deux morceaux, chacun est libre d’avoir sa propre interprétation.
La Face B : Et puis c’est une façon de bousculer la setlist de ton EP.
Vonfelt : Oui, j’aime bien. Ça fait des pauses, des interludes. C’est à la fois la conclusion du morceau précédent et une intro pour le suivant. Ça les tuile. En fait même dans les morceaux, il existe des passages instrumentaux. Une guitare ou un synthétiseur va y prendre le rôle principal.
La Face B : Côté instruments, tu es devenu multi-instrumentiste. Le fait d’être batteur d’origine doit colorer tes compositions d’une certaine façon.
Vonfelt : Peut-être. J’imagine que tout le monde a quelque chose d’unique en fonction de ce qu’il a fait avant. J’ai fait du jazz, mais aussi d’autres choses. Cela a construit la musique que je fais aujourd’hui. Ce n’est pas en me penchant sur mon EP que je me suis mis à jouer de tous les instruments. La batterie a été mon champ d’études et j’ai peut-être une certaine expertise dans le domaine du jazz. Pour le reste, je l’ai fait au fur et à mesure en apprenant sur YouTube, en essayant de reproduire ce que j’entendais.
Néanmoins, ce qui est notable c’est que tous les morceaux de cet EP ont d’abord été composés à la batterie. C’était un moment où je n’avais pas de studio d’enregistrement. Quand je faisais des sessions pour d’autres artistes, à la fin de la journée, je demandais si je pouvais enregistrer de la batterie pour moi. J’improvisais une structure à la batterie. Tous les morceaux de cet EP ont commencé par une structure de batterie sur laquelle j’ai posé ensuite les instruments et ma voix. C’est ce qui fait leurs particularités. Aujourd’hui, ce n’est plus systématique dans les nouveaux morceaux. Mais pour ceux de l’EP, les premiers éléments ont toujours été de la batterie.
La Face B : Et tu as joué l’ensemble des instruments sur ton EP ?
Vonfelt : Presque, j’ai invité des amis à faire des petites apparitions. Un copain joue un solo de clavier sur Le Chahut, un autre fait des cœurs sur Dragon, Jacques a fait des textures sur Je ne sais où. En substance, ce que l’on retrouve dans les différents morceaux c’est uniquement moi.
La Face B : Tes chansons ont une dimension onirique forte. Elles me donnent l’impression d’être dans une phase de sommeil où l’on confondrait réalité et rêve. Dragon en est un bon exemple.
Vonfelt : Juste laisser flotter l’imagination. Après, Dragon c’est peut-être celui qui a un des thèmes les plus concrets. J’avais vu dans le ciel un nuage qui ressemblait à un dragon et la lune – présente -faisait office d’œil. Je me suis imaginé me retourner pour le voir de face et avec deux lunes à la place des yeux. Il renfermerait a en son for intérieur une sorte d’univers parallèle. Pour y accéder, il faut se faire dévorer par le dragon. Ça ressemble à un rêve.
La Face B : Ton EP s’ouvre avec Je Pars, une irrépressible mise en mouvement. C’est un de tes traits de caractère de vouloir aller toujours plus loin ?
Vonfelt : Il y a de ça, clairement un mouvement ; une fuite en avant perpétuelle. Ça parle aussi d’un sentiment de liberté. On est tous amenés, un jour, à quitter une personne, une relation, un travail. C’est à la fois une chose qui peut être stressante, source d’angoisse, mais qui provoque parfois une légèreté, un sentiment d’être libre. C’était de cela dont j’avais envie de parler et qui est illustré par le fait que je m’envole et que je finis carrément par me désintégrer dans le cosmos. La liberté ultime !
La Face B : Liberté que l’on retrouve sur scène. Avec Jacques que tu as accompagné lors de sa dernière tournée, tu avais une batterie mobile. Tu as même fini dans avec elle dans la fosse lors de son concert à l’Olympia.
Vonfelt : Oui, c’est un truc que l’on faisait. J’en parlais tout à l’heure. Il y avait de l’impro jusque dans la technique. On avait une batterie équipée de micros sans fil. J’avais le droit, le choix d’aller où je voulais. Pendant un morceau c’est compliqué parce que je ne peux pas m’arrêter de jouer. Mais en fonction des salles dans lesquelles on jouait, s’il y avait un balcon, je pouvais choisir d’y apparaître. On mettait les lumières pour l’effet de surprise quand je commençais à jouer de la batterie. Entre les morceaux, je me déplaçais et ça m’est arrivé de finir dans la fosse. À l’Olympia, on nous l’avait interdit. Mais je me suis quand même senti obligé de le faire. Finalement, on n’a pas eu de problème.
La Face B : En parlant de Jacques ou même d’Elliot [Diener aka Petit Prince aka Manama], tu as tout un entourage constitué d’anciens amis musiciens
Vonfelt : On a la chance d’être encore amis aujourd’hui alors qu’on s’est rencontrés lorsqu’on était en train de se construire chacun musicalement et humainement. On faisait partie de groupes et on faisait des jams dans la cave de mes parents. On s’est perdu de vue pendant un moment et puis on s’est retrouvés. Aujourd’hui, on continue tous à faire de la musique et à collaborer les uns avec les autres. Demain, j’accompagne Elliot sur son nouveau projet Mamama. Un concert privé pour le lancement de son label Byebye Records. Avec Jacques, on se voit régulièrement. C’est chouette !
La Face B : De ton côté tu as des projets de concerts ?
Vonfelt : J’ai un concert à Strasbourg le 16 décembre au Molodoï. C’est la ville d’où je viens. C’est donc toujours plaisant d’y jouer. Actuellement, on est en train de monter une tournée pour 2024.
La Face B : Tu restes seul sur scène pour le moment.
Vonfelt : Oui, j’ai une formule où je suis seul. Je joue de la batterie en chantant, accompagné de synthétiseurs qui jouent des boucles, des arpèges. Il y a aussi un sampler. Je me débrouille comme cela en essayant d’éviter l’écueil du one-man-band. Il y a un morceau où je joue de la guitare sur tout le titre que je veux vraiment garder. Pareil pour la batterie. Ça me permet de varier les plaisirs.
Je vais garder cette formule pendant un moment. Elle me permet d’être flexible, de pouvoir sauter sur l’importe quelle occasion. Étant moi-même musicien, je sais que croiser les emplois du temps est toujours compliqué. Dans un deuxième temps, j’aimerais bien m’entourer de musiciens et de musiciennes en gardant batterie-chant. Mais en prenant des personnes qui pourraient improviser avec moi au synthétiseur ou au saxophone, au trombone, va savoir. On verra. Pour le moment je continue à explorer la formule solo.
La Face B : Et pour finir, que peut-on te souhaiter ?
Vonfelt : Je me pose la question de l’objectif ultime. Si j’y réfléchis bien, j’aimerais toucher les gens avec ma musique comme moi je suis touché par celle des gens que j’ai admirés et qui me font musicalement kiffer.
Vous pourrez retrouver Vonfelt sur scène mercredi prochain pour sa release le 6 décembre à Ground Control (dans le quartier de la Gare de Lyon à Paris, le 16 décembre au Molodoï à Strasbourg, à Paris au Pop-Up du Label le 28 février 2024 et à Metz aux Trinitaires en première partie de Lescop le 22 mars 2024. D’autres dates viendront s’ajouter prochainement.