ADN : Acide du noyau des cellules vivantes, constituant l’essentiel des chromosomes et porteur de caractères génétiques. Avec ADN, La Face B part à la rencontre des artistes pour leur demander les chansons qui les définissent. On retrouve aujourd’hui Oli Féra, qui nous confie ses influences musicales, lesquelles ont enrichi son nouvel EP Femme flamme.

Mélamine – Klô Pelgag
Pouvons-nous louanger suffisamment la poésie de Klô Pelgag ? Je ne pense pas. Pour l’histoire courte : Ma famille est anglo-ontarienne. Je suis née à Montréal et je suis la seule personne dans ma famille qui parle principalement français dans ma vie courante. C’est à un point où, culturellement, je m’identifie beaucoup plus au moeurs francophone et québécois que ceux de mes origines anglophones. Klô Pelgag a été une révélation pour moi : la première artiste francophone qui m’a introduit à une poésie qui me parlait vraiment. C’est grâce à elle que j’écris en français aujourd’hui.
Je suis, bien sûr, tombée en amour avec cette artiste principalement pour sa voix et sa poésie lors de la sortie de son premier album L’alchimie des monstres. Cet amour a continué avec L’Étoile thoracique. Cependant, c’est lorsqu’elle a dévoilé Notre-Dame-des-Sept-Douleurs que j’ai pogné de quoi au niveau des arrangements.
La chanson Mélamine est particulièrement hot : les changements de sections abrupts, le sentiment d’urgence, le son de la bass, le contraste entre les arrangements violents des couplets/refrains et ceux du pont (épuré, doux), les choix rythmiques et mélodiques de tous les instruments. Mélamine m’a révélé un morceau de moi-même que je ne connaissais pas : ma soif profonde pour les contradictions et les contrastes musicaux.
Barracuda – Heart
C’est la première chanson que j’ai chantée de ma vie… à l’âge de 4 ans ! Pas étonnant qu’aujourd’hui je tripe sur les chanteuses qui ont des voix puissantes et pleines de fougue. Je pense à des artistes comme PJ Harvey, Hayley Williams (Paramore), Christina Aguilera, Laurence Jalbert, Emily Armstrong (Linkin Park) ou Cayenne.
D’entendre des femmes prendre de la place avec leur voix m’a donné énormément de confiance. Je n’ai jamais cru qu’il fallait que je m’efface, je n’ai jamais cru que j’étais obligée d’être douce, je n’ai jamais cru à me taire. En point bonus, les sœurs Wilson sont des excellentes guitaristes. Ça m’a prit un long moment avant de comprendre d’où venait cette conviction chez moi qu’une femme peut très bien rocker sur scène, surtout qu’il manque énormément de modèles féminines dans ce style de musique.
C’est lorsque j’avais 28 ans que je suis retombée par hasard sur Heart et ça m’est revenu d’un coup sec (comme un flashback précipité dans un film) : j’ai appris à chanter en imitant ces deux femmes-là. J’espère sincèrement pouvoir rendre la pareille et être cette artiste qui pourra inspirer des jeunes filles à prendre toute leur place.
Skinny love – Bon Iver
Ceux qui me côtoient dans mon quotidien le savent : je suis fan de tout ce qui est franc, vrai, brut et sans filtre. Je crois que c’est ce qui m’amène à adorer la musique qui sonne lo-fi et produite avec les moyens du bord, ainsi que les chansons nostalgiques et mélancoliques. C’est le cas pour l’album For Emma, Forever Ago de Bon Iver, un album indie-folk complètement renversant sur lequel j’ai pleuré beaucoup trop de fois. Il y a une sincérité et un realness qui se dégage de toutes les chansons sans exception.
L’album a été enregistré en isolation totale, dans un chalet avec un seul micro et une guitare qui semble avoir été accordée à l’oreille pendant des mois. Je dis ça parce que si on essaye de jouer les chansons, une guitare accordée de façon conventionnelle sonne totalement faux même lorsqu’on joue les bons accords. Le traitement vocal sur l’album me hante (dans le bon sens du terme).
On y entend des voix doublées et des harmonies pas tout à fait synchro qui donnent une impression d’être entouré de plein de gens, même dans la solitude la plus totale. Si Heart m’a appris à prendre de la place, Bon Iver m’aura appris à pleurer et apprécier les moments de vulnérabilité en solo.
Myxomatosis – Radiohead
Radiohead est un groupe qui m’a accompagné depuis mon adolescence. Il y a quelque chose dans la fragilité et la franchise de la voix de Thom York, contrasté avec les arrangements complètement hors-normes qui changent d’album en album qui vient me chercher. Quand un band à l’odace d’explorer leur son et de se renouveler constamment, c’est là que j’ai l’impression d’être face à un vrai artiste. Radiohead est le premier groupe par lequel j’ai été obsédé, celui qui m’a bercé à travers les ruptures et les premières années en appartement.
L’album Hail to the thief, d’où est tiré la chanson Myxomatosis, a une place bien particulière dans mon cœur. La sound design est on point : le choix des sons de basse, le traitement sonore de la batterie, les contrastes marqués entre ballades folk lo-fi et rock grinçant, le mix décalé. Tout y est. Si ce n’était pas de ce groupe, je ne pense pas que j’oserais explorer autant les contrastes dans mon propre univers.
Glory Box – Portishead
Beth Gibbons (Portishead) est une autre interprète vocale féminine qui m’a énormément inspiré. Elle est sensuelle, troublante, provocante et incarne une force tranquille qui me jette à terre. Quand j’ai entendu Glory Box pour la première fois, c’est comme si le temps s’était arrêté. À qui appartenait cette voix ? Quel est ce style de musique qui combine beat hip-hop, guitare électrique, piano et sections de cordes ? Spoiler alert : c’était Beth Gibbons et c’était du trip-hop. Il y a une lenteur chargée d’émotions qui me touche dans la chanson Glory Box qu’on retrouve sur l’album Dummy au complet. J’ai dû l’écouter en boucle pendant deux ou trois ans. Je me rappellerai toute ma vie de la chance que j’ai eu d’aller voir Portishead en concert au Vieux Port de Montréal, le vendredi 7 octobre 2011, du haut de mes 17 ans.