ADN #52 : Ojos

ADN : Acide du noyau des cellules vivantes, constituant l’essentiel des chromosomes et porteur de caractères génétiques. Avec ADN, La Face B part à la rencontre des artistes pour leur demander les cinq chansons qui les définissent et les influencent. Tel un serpent qui aurait fait sa mue, Ojos est né récemment. Une nouvelle peau qu’ils ont décidé de nous présenter aujourd’hui à travers leur ADN musical.

Crédit : Alexis Delong

Mercedes Sosa – Alfonsina y el mar

C’est un morceau emblématique de la culture Argentine. Derrière la voix tantôt grave, tantôt sensible d’une Mercedes Sosa toujours sur le fil, la plume de Felix Luna relate l’histoire poétiquement tragique d’Alfonsina Storni, poétesse féministe qui mit fin à ses jours après avoir composé son dernier poème, « Me voy a dormir » (Je vais dormir) en se laissant emporter par les flots de l’océan.
Cette chanson nous inspire tant par sa mélodie envoûtante que par le destin de celle qu’elle dépeint : celui d’une militante féministe devenue emblème de la lutte pour les droits des femmes dans un pays résolument machiste au début du XXème siècle.
Mujeres Argentinas est aussi l’un des albums que nous avons le plus écoutés lors de la composition des premiers morceaux de ce qui allait devenir Ojos, et une des raisons qui nous a poussés à faire le choix de chanter en espagnol, à raconter les histoires différemment.

Noga Erez – Off the radar

Nora Erez est une jeune artiste de Tel Aviv qui s’impose comme la révélation rnb / hip-hop israélienne du moment. A mi-chemin entre FKA Twigs et MIA, on est ici face à une artiste qui fait fi des préjugés de la chanteuse sexy, ce qui la rend d’autant plus sexy à nos yeux. Elle s’attaque aussi à des monstres du hip-hop comme Kendrick Lamar dont elle fait une reprise live d’une classe infinie. On est heureux de voir ce genre de figures prendre leur place dans un monde aussi masculin que celui du hip hop, et pouvoir alors y aborder des sujets tels que la condition de la femme, avec un vrai engagement politique.
On l’aime aussi pour sa façon de décrire son processus de création. Car derrière le nom et la figure de Noga Errez se cache Ori Rousso, son compagnon et producteur. «C’est une méthode d’écriture symbiotique, où chaque titre est écrit à quatre mains et deux cervelles ». C’est le processus qu’on essaie de défendre aussi, pour outrepasser les préjugés de la chanteuse incapable de produire une musique et inversement.
Son album Off the radar est aussi probablement un des albums qu’on a le plus écoutés cette année.

Miley Cyrus – Space Bootz

On a un respect infini pour cette artiste caméléon qui est capable de passer de twerks décomplexés aux MTV Music Awards à la sagesse de son album country, Younger now.
Elle a surtout produit en 2015 l’un des plus beaux albums de pop de cette décennie, produit par Phantogram et les Flaming Lips, qui aurait du devenir un classique instantanément. On y retrouve le morceau Space Bootz, une merveille de mélodie qui aurait pu sans complexe figurer sur un album de Lana Del Rey, mais aussi d’autres magnifiques productions telles que Karen don’t be sad ou Pablo the blowfish. C’est sous cette facette de l’artiste que l’on apprécie le mieux la sensibilité de sa voix, capable de nous faire pleurer en faisant tout simplement une déclaration d’amour à son poisson… toujours avec un humour et second degré déconcertants malgré la gravité apparente de ses chansons.

Kanye West – Freestyle 4

Bien qu’on soit très fans de ses 8 premiers albums, c’est pour sa période post Watch the throne qu’il nous fascine le plus. Bien qu’il n’en ait probablement jamais eu grand chose à faire (et d’ailleurs au vu de ses propos récents on préfère ne pas savoir ce qu’il en pense), n’avoir plus rien à prouver lui a permis de sortir des prods sans queue ni tête, dans lesquelles il enregistre des beats à la bouche (et on ne peut pas dire que ce soit un professionnel du beatbox) et des freestyles absurdes et pourtant entêtants comme pas deux, comme ce psychédélique Freestyle 4 rythmé par son cri tribal récurrent. Son album Life Of Pablo est probablement un de ses plus complets, on admire son hétérogénéité et sa mégalomanie dont il ne s’excuse jamais. C’est technique (No more parties in LA), c’est touchant (Saint Pablo), c’est drôle (I love Kanye).

Mavi Phoenix – Quiet

Sans le vouloir, quatre des cinq artistes qu’on cite ici sont des femmes. Ça nous met en joie et nous rassure de voir que plein de femmes font des choses fantastiques et nous influencent.
Mavi Phoenix, c’est une artiste que l’on a découvert en live au Pitchfork Avant Garde. On sortait du premier concert de Superparka et on était persuadés de ne plus rien voir à la hauteur du concert formidable qu’avait livré le duo au Pan Piper. Et puis on a vu Mavi Phoenix, et malgré la formule réduite, qui n’est pas forcément ce qui nous plait le plus dans les lives en général, et malgré son attitude un peu désinvolte, elle dégageait un truc qu’on n’a pas vraiment su identifier, assez mystique. On est rentrés intrigués et puis quelques mois plus tard, on est tombés sur ce morceau, Quiet. De notre côté, on venait de sortir notre morceau Misunderstood (sous le projet Holy Two), qui était notre premier pas vers le hip-hop.
C’est là qu’on a su vraiment ce qu’on voulait faire, dresser le portrait d’une génération libre et émancipée, impertinente. C’est ce qu’on a ressenti dans cette chanson, et plus tard sur ses sorties plus récentes ; il y a une certaine folie qui se dégage de son univers, à travers la musique mais aussi les clips. C’était peut-être le premier véritable pas vers notre nouveau projet, Ojos.

Bonus : Barbara – Mon enfance

Pour n’en citer qu’un. Barbara fait définitivement partie de l’ADN du projet en ce sens où elle représente un lyrisme intemporel, qui est sans aucun doute ce qui nous plait le plus dans la chanson française. Si l’on a choisi d’intégrer du français à nos compositions, c’est en référence à ses textes limpides, lyriques sans être lourds, bien que lourds de sens et d’émotions.
Mon enfance résume assez bien ce qu’on aime chez Barbara : son chant serein porté par un texte d’une gravité bouleversante, poignante, une ballade simple au piano. Et surtout sa force, sa manière de dévoiler une partie de sa vie (la traque de sa famille par la Gestapo pendant la seconde guerre mondiale) avec à la fois une distance et une émotion dont elle seule est capable.

Découvrez le projet Est-ce que ce Monde est sérieux ? de Ojos :