ADN : Acide du noyau des cellules vivantes, constituant l’essentiel des chromosomes et porteur de caractères génétiques. Avec ADN, La Face B part à la rencontre des artistes pour leur demander les chansons qui les définissent. À l’occasion de son nouvel album Xaos, sorti le 17 novembre, la pianiste lorientaise, amoureuse des mots et des accords, nous dévoile ses influences musicales.
Crédit photo: Florimond Furst Herold
Je crois que mes choix musicaux sont unis par le voyage sensoriel qu’elles proposent. Elles me transportent loin des conventions ou des constructions attendues à » l’occidental « . Ce qui est certain c’est que pour moi ils traduisent tous des émotions très fortes, savoureuses et intemporelles.
Öldurót – Ólafur Arnalds ft Atli Örvarsson, SinfoniaNord
J’ai envie de commencer en douceur avec Ólafur Arnalds , maître de la musique intime des grands espaces, de leur lumière et de leur mélancolie.
Je voudrais rendre hommage à cette musique » trop pop pour intéresser les radios de musique classique, mais trop classique pour plaire aux radios pop » comme le dit Olafur Arnald’s lui-même.
J’ai entendu exactement le même constat devant cette musique dite de » niche » lorsque je suis allée enregistrer mon dernier album chez le talentueux Sylvain Texier et je trouve cela vraiment dommage, que notre société continue à cliver et rejeter d’aussi belles créations au nom de conventions.
Ce titre ölduròt est majestueux d’élégance. Arnalds répète un thème à l’infini , passe d’un instrument à l’autre, jusqu’à ce que la maille de quelques notes devienne une évidence qui frappe le cœur tant ce minimalisme de génie nous emmène au creux de l’intime et de la grâce subtile . De la beauté , de la pudeur, de la simplicité , rien de plus fort pour m’émouvoir jusqu’aux larmes.
J’aimerais encore gagner en subtilité, en finesse du détail dans mes compositions, à la pureté de l’émotion.
Comme lui , la voix est un instrument pour moi qui ne doit pas proposer de paroles précises avec un sens défini, afin de ne rien imposer à l’auditeur. On retrouve ici l’écriture minimaliste et la volonté de ne pas remplir la narration musicale d’événements en nombre avec une foule de personnages, ce que j’appelais plus haut les constructions à « l’occidental ». L’auditeur doit pouvoir se réapproprier l’œuvre, y imprimer son histoire, choisir la fin ou ne pas la choisir… la musique, ma musique doit pouvoir le laisser libre et l’inviter au rêve.
Ce morceau, ölduròt , reprend tous mes instruments préférés, jusqu’à la clarinette, et chacun d’eux trouve sa juste place, au bon moment, l’électro , comme un trait de crayon, apportant la petite touche de relief au paysage musical.
La mémoire et la mer – Léo Ferré
Comme je suis également professeur de français et que je pense que la vie entière devrait être poésie, je poursuis avec ce poème musical de Léo Ferré: La mémoire et la mer.
Là encore je voyage dans l’évidence d’une beauté absolue , qui saura résister aux assauts des modes et lubies répétées. Tout, le lyrisme du texte, de la musique, atteint l’universalité de la condition humaine.
C’est un hymne à l’amour, à la mer, à la littérature, à la musique…… C’est un poème d’une grande liberté, sans ponctuation, marqué par le rythme unique de la marée . Le mouvement du flux et du reflux nous installe dans une grande sensualité au gré de la mémoire de l’eau, où la parole poétique devient aussi parole érotique, effleurant tous nos sens aux aguets.
Cette liberté est pourtant le résultat d’une grande rigueur au travail et d’une forte assise littéraire: on trouve ici des réminiscences de Victor-Hugo, Charles Baudelaire ( le spleen ), Arthur Rimbaud ( le bateau ivre ) et Guillaume Apollinaire.
C’est aussi là la marque des grands, en musique comme en littérature: travailler, ciseler, trouver le souffle, l’image, jusqu’à rendre la matière totalement lumineuse et fluide.
Le choix d’une musique sobre et répétitive, ajoute à la puissance de l’émotion.
Un chef d’œuvre!
Olsen Olsen – Sigur Rós
Mais j’aimerais repartir un peu en Islande, ce pays magique où je rêve d’aller depuis si longtemps! J’ai acheté le Lonely planet sur l’Islande pour voyager de mon salon et rêver en attendant le jour béni , où , je le sens, je pleurerai d’émotion devant ces paysages aussi époustouflants que mystiques.
Cette fois, c’est presque comme un » way of life » que je choisis ce morceau de mon groupe préféré : Sigur Rós .
Ce clip reflète tout à fait mon côté fleur-bleue, candide….. Même leurs pulls sont beaux! J’adore cet esprit de nature simple , cette osmose entre l’homme et son environnement. Dominer et exploiter ne semble pas de mise ici et il y aurait presque quelque chose de religieux, de l’ordre du rite et de la communion.
La musique devrait toujours être partagée de cette façon, librement en famille , à la bonne franquette!
La force de Sigur Rós c’est de faire en sorte que chaque instrument nous rapproche du sacré par une puissance et une beauté libératrice qui s’élève petit à petit, jusqu’à la fête des sens lorsque tous se rassemblent dans une communion parfaite. Et puis cette voix, claire , juvénile, incroyable de candeur, et puis cet effet d’archet sur leur guitare électrique, inimitable!
J’ai voulu que l’on retrouve l’esprit de Sigur Rós un peu dans Je t’aime et la deuxième partie de The Burning Man de mon dernier album. La voix devait s’y élever à l’octave au – dessus mais Gaëlle Kerrien et sa douce voix d’ange perdait en qualité en montant aussi haut. Elle est restée donc à l’octave en dessous. Cela donne un côté plus grave et solennel à l’album que ce que j’avais imaginé. Ce sont les joies de la création!
Un jour, j’irai en Islande…
Reminiscence – Ólafur Arnalds, Alice Sara Ott
Séjour de la mélancolie et du rêve, les nocturnes de Chopin symbolisent toutes les passions et ma nature romantique ne peut y résister. Ma préférée , la Nocturne N° 20. J’ai envie de vous faire écouter le travail magnifique qu’en ont fait Ólafur Arnalds et Alice Sara Ott dans leur œuvre intitulée The Chopin Project.
C’est un chant plein d’intimité, merveilleuse expression de l’amour , de la douleur aussi et de l’ineffable. La musique de Chopin ne dit pas l’amour , elle fait l’amour, dans un chant absolument pur, presque cosmique.
Cette reprise n’a surtout pas la prétention de vouloir réinventer un génie, mais Arnalds tisse une toile délicate ici entre ce monde et celui de Chopin. Il invente une autre époque nappée de spleen servant en toute humilité l’Histoire et la modernité.
Si ce travail est possible, c’est aussi certainement parce que Chopin était déjà moderne . Il suffit de lire cette consigne qu’il avait donnée : « Que votre main gauche soit votre maître de chapelle; elle est la montre. Quand à la droite, faites-en ce que vous voulez ou ce que vous pouvez. » Une main gauche qui exprimerait le déroulement du temps, n’est-ce pas là le point de départ d’une structure répétitive ? N’affleurons-nous pas les idées d’un certain courant minimaliste?
Un ballet cosmique, qui danse de l’Histoire à notre modernité , passant de l’un à l’autre comme pour les unir, comme pour offrir « la possibilité d’une île » entre ces deux mondes, c’est le propos de mon album Xaos. On y passe d’une pièce classique et chargée de culture , qui raconte l’humanité sur un fil, proche de sa chute, comme » Remember Humans » à un voyage dans l’inconnu, futuriste , « errance cosmique III » qui semble pourtant , si on tend bien l’oreille, réclamer de l’amour et chanter la mélancolie, comme une grosse bête vulnérable en manque d’humanité.
Metamorphosis II – Philip Glass
Enfin, parce que la musique, c’est aussi un acte de philosophie, et que j’aime particulièrement la philosophie, qu’elle équilibre mes pensées et l’ensemble même de ma psyché, je ne peux m’empêcher d’évoquer Philip Glass car ses créations nous amènent forcément à penser la condition humaine et sa métaphysique.
J’ai choisi Metamorphosis II de Philip Glass parce que le morceau représente bien la rupture, dans les années 80, du courant minimaliste avec la musique sérielle très dogmatique et excluante de l’époque. L’artiste propose ici une musique d’épure, qui se prête beaucoup au cinéma et au théâtre. Les compositions sont une sorte de dentelle fine dans laquelle la main gauche rappelle le déroulement inexorable du temps dont parlait déjà Chopin et où la main droite apporte avec subtilité une mélodie où chaque interstice compte.
Écoutez comme le temps y reste suspendu …. On en revient à cette musique sensorielle et pure non plus fondée sur l’accumulation à l’occidentale mais sur un dépouillement qui nous donne accès à une dimension psychologique de l’œuvre. J’oserais avancer l’idée que l’écriture de Philip Glass serait Durassienne, dans sa transgression des codes du langage, dans l’écriture du désir, libéré des codes traditionnels, avec un rythme, une répétition obsédante, que l’on se doit d’intégrer jusqu’à ne plus l’entendre pour mieux ouvrir l’oreille à chaque petit détail apporté et qui prend alors des allures de cathédrale. L’extrême économie du langage, le minimalisme, exprime ce qui est enfoui dans l’intime, le détail, bien plus fort qu’une immense déclaration parce qu’il nous porte je crois au plus près de la sincérité et de l’authentique. Ce n’est pas un hasard si Philip Glass a travaillé avec Samuel Beckett, obsédé lui par le dépouillement du langage et l’abstraction.
Beaucoup de gens me parlent de la force émotionnelle de ma musique, je crois humblement que c’est justement sa dimension métaphysique et authentique qui en est la raison. Et puis je laisse entrer la compassion, ou bien l’amour, ou bien encore la mort sans trop la figurer, en laissant là encore une sorte de dépouillement qui suggère mais ne s’impose pas. Chacun peut y déposer ainsi le degré de sa charge émotionnelle. La plongée vers le néant à la toute fin de Xaos laisse entrer le froid des ténèbres inconnues de façon très abstraite. On ressent le noir et le silence épais de l’espace à travers ce ballet désenchanté et sombre qui contraste avec la vitalité lumineuse de » je t’aime « . L’humanité semble avoir choisi ce dernier voyage cosmique , fascinant mais un brin mortifère.
En réalisant Xaos, j’ai eu l’impression aussi de pouvoir approcher un tout petit peu la dimension poétique de l’Univers et de ses scientifiques que je qualifierais avant tout de rêveurs rigoureux et je rejoins alors Philip Glass qui parlait lui de » la figure poétique du scientifique. »
Chacun, à sa manière, deviendrait alors une sorte de messager de ce tout immense qui à la fois nous dépasse et nous constitue et que nous ne finissons pas d’explorer.