ADN #656 : Aghiad

ADN : Acide du noyau des cellules vivantes, constituant l’essentiel des chromosomes et porteur de caractères génétiques. Avec ADN, La Face B part à la rencontre des artistes pour leur demander les chansons qui les définissent. Gagnant du prix du public des INOUïS du Printemps de Bourges, Aghiad nous invite à découvrir ses influences musicales.

Crédit : Ian Caulfield

Azar Habib – ‘Ajbin al-leil

Aghiad : Azar Habib c’est un grand chanteur et compositeur de pop libanaise des années 1980 qu’on écoute beaucoup chez moi, et c’est aussi mon chanteur préféré ! Dans ‘Ajbin al-leil, il chante « sur le front de la nuit, je t’ai écrit cette chanson ». C’est un très bon exemple de ce qui fait la pop syro-libanaise de ces années-là : un texte d’amour très léger, sur des arrangements très nostalgiques. C’est un style que je trouve vraiment riche, dans lequel on retrouve autant les drames et les tristesses de la région à l’époque (dus aux guerres civiles), que des aspirations à retrouver les bonheurs du quotidien.

Dans les textes que j’écris en arabe ou en turc, j’essaye de me rapprocher de cette poésie un peu naïve, avec beaucoup de métaphore en lien avec la nature, la lune, les fleurs, la mer. Dans cette chanson, il dit par exemple : « sur les feuilles de laurier, je t’ai écrit mon amour un bouquet de poèmes que j’ai décoré avec mes chansons ». Je trouve ça si joli !

Musicalement, on s’inspire aussi beaucoup des arrangements doux amers de la pop syro-libanaise, au piano et aux violons par exemple. On utilise beaucoup les sons de mellotron, pour se rapprocher de ces textures. On est très fans aussi des chœurs qui sont très présents dans ces chansons. On chante très souvent en chœur sur scène.

Radiohead – 15 step

Aghiad : On rentre maintenant dans les influences qu’on partage avec les deux autres membres du projet, Tom Hachez et Billy Sueiro. Dans ce projet, on essaye vraiment de mêler les inspirations du Moyen-Orient avec les identités musicales qu’on aime depuis l’adolescence, de rock alternatif notamment.

Radiohead c’est un de nos groupes préférés à tous les trois, et il nous pousse à faire plein d’expériences dans nos compositions et arrangements, que ce soit en termes de mélodies, de rythmiques ou d’harmonies. Il nous arrive assez souvent de les écouter et de les regarder leurs vidéos live pendant nos sessions.

On entend un peu cette influence dans l’un des derniers morceaux qu’on a composés, qui s’appelle Yom el Fura’. C’est un morceau qui évolue pas mal harmoniquement, dans lequel il y a trois parties assez différentes, et dont les harmonies peuvent rappeler certaines choses de Radiohead. C’est un côté du projet qu’on aime beaucoup.

C’est pas du tout la seule influence alternative dans ce qu’on fait. On réécoute aussi pas mal Alt-J ensemble. On s’inspire notamment de certains de leurs morceaux où les chœurs ont une place centrale. Ça illustre assez bien notre processus de travail en studio. On écoute des choses assez variées au cours d’une même session, et sur une même idée d’arrangement, on trouvera chacun des échos avec des influences différentes. Billy va dire « c’est cool ça me rappelle Alt-J », et moi je vais dire « c’est cool ça me rappelle Melhem Barakat (un chanteur de pop libanaise des années 1980) ».

Caribou – You and I

Aghiad : Il y aussi une dimension plus électro dans notre projet, qui est bien représentée par ce titre de Caribou. Ce qu’on aime ici, c’est les rythmiques, les ruptures, et les sons de synthé. On intègre différents synthés dans nos prods. Il y a des synthés vintage (comme le mellotron, le farfisa), mais aussi des choses plus modernes.

C’est des influences qui ont été notamment apportées par Billy lorsqu’il a rejoint le projet en 2020. En écoutant le projet, il a eu envie de lier ses différentes directions avec des textures plus électroniques, avec en tête des projets comme Caribou, The Blaze, Darkside. Ça s’entend bien dans Karagül, lorsque le kick rentre, puis la nappe synthé, avec un arpégiateur aussi un peu plus tard.

Ce sont des influences qui tranchent avec les idées de Tom et les miennes, qui sont généralement plus organiques. Mais à la fin on trouve un équilibre qu’on aime vraiment beaucoup !

Ahmed Mounib – Finak Ya Mishwari

Aghiad : Ahmed Mounib c’est un auteur-compositeur et chanteur d’Égypte que j’ai découvert il y a quelques années. Il vient de Nubie, une région du Sud de l’Égypte. C’est une région avec une histoire très difficile, qui a été très marginalisée par l’État égyptien. Il y a beaucoup de nostalgie et de tristesse dans ses chansons. Ses textes sont très profonds, très métaphoriques aussi. Dans ce morceau, dont le titre veut dire « où es-tu, mon chemin ? », il a une manière très personnelle et pudique de parler de sa quête de sens. C’est comme une petite épopée. Dans les textes en français sur lesquels on travaille ensemble avec Vincent L’Anthoën, on peut avoir cette approche aussi, dans un morceau qui s’appelle Liman notamment (qui donne son nom à notre premier EP qui sort bientôt…).

Musicalement, je pense qu’Ahmed Mounib a joué un rôle crucial dans l’émergence de la pop arabe. C’est l’un des premiers à avoir intégré des instruments électroniques des guitares électriques, des synthés et des boites à rythmes parmi les artistes des régions SWANA. Il fait ça à partir de ses propres influences, qui mêlent la musique arabe, des traditions musicales d’Afrique du Nord et de l’Est, et aussi du jazz et du reggae. Il a ensuite composé pour les premières grandes stars de la pop en Égypte. Tout ça donne une vision très globale de l’essor de ce genre musical, qui est très loin de l’idée d’après laquelle tout ça aurait été importé depuis l’Occident…

C’est la vision que j’enseignais à mes étudiant.e.s dans mon cours sur la musique et la politique à Sciences Po. J’aime beaucoup cette idée d’une pop à la fois globale et authentique, elle est à la base de notre projet. C’est une approche qui tranche avec la « musique du monde », dont on veut vraiment s’éloigner.

Miki Matsubara – Mayonaka no door (Stay with me)

Aghiad : Cette chanson c’est pas forcément une influence en soi, mais une chanson qu’on écoute beaucoup ! Ça fait partie des chansons qu’on met souvent en fin de session, en mode karaoké pour pouvoir chanter. On écoute pas mal de city pop japonaise ensemble plus généralement. On lance une petite playlist et on danse.

Il y a un groove super fort dans ces morceaux, le tout joué avec beaucoup de finesse et de douceur. On aura pas la prétention de se lancer dans une direction comme ça, mais je pense que ça nous a quand même influencé un peu dans certains des derniers morceaux qu’on a faits, où on retrouve un tout petit peu ce côté funk doux.

En plus on a commencé à apprendre le japonais tous les trois au même moment (l’une de nos activités en groupe), du coup ça nous fait réviser !

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