On se demandait ce qu’Agar Agar nous concoctait. Ils sont de retour avec un magnifique nouvel album, Player Non Player, dont la sortie est accompagnée d’un jeu vidéo réalisé par Jonathan Coryn et d’une tournée qui les mènera de Paris (à la fin février) à Los Angeles (en novembre). Nous les avons rencontrés pour en savoir un peu plus.
La Face B : Comment allez-vous ?
Armand : Franchement, ça va. C’est l’hiver.
Clara : Moi, je suis un peu malade [Rires]. Mais j’ai juste besoin d’un peu de repos. Sinon, ça va très bien aussi.
La Face B : Votre précédent album, The Dog and the Future, date d’il y a un peu plus de quatre ans. C’était le temps nécessaire pour avoir du recul avant de partir sur un nouvel album ?
Clara : En partie. Après notre premier album, nous avons beaucoup tourné. Et cette tournée nous a bien éreintés. Aussi, comme on était surmenés, plutôt que de repartir en création directement après, on a préféré évoluer, séparément, dans des projets solos. On avait besoin d’autre chose. Le Covid est arrivé là-dessus et a tout mis en stand-by. On n’a recréé pour Agar Agar qu’ensuite.
Le fait de pouvoir bénéficier de ce recul a été hyper intéressant car, quand on s’y est remis, on avait beaucoup d’inspirations et d’enthousiasme pour créer quelque chose de nouveau et ainsi tourner une page. C’était agréable. En tout cas, personnellement, cela m’a fait du bien.
La Face B : Cette période en off a-t-elle été quand même propice à des créations ou des expérimentations ?
Armand : Oui, on composait chacun des choses de notre côté. On se développait artistiquement sans pression. Quand on s’est retrouvé pour faire de la musique, les choses sont apparues comme évidentes. On avait accumulé beaucoup d’air frais pendant cette période. On a recommencé à faire de la musique sans aucune pression, pour le fun comme au bon vieux temps. Et ça, ça fait plaisir !
La Face B : Player Non Player est un projet pluriel tenant en même temps de la musique et du jeu vidéo. Comment et pourquoi est-il né ?
Armand : La genèse de ce jeu vidéo date d’avant le premier album. C’est un projet ancien qui a pris de l’ambition. On voulait autre chose qu’un mini jeu. Pour cela, il fallait du temps. Au moment du premier album, on s’est dit qu’on allait le garder pour plus tard, pour un prochain projet d’Agar Agar. Avec la venue du deuxième album, les deux se sont vraiment liés. Ce qui est cool, c’est que comme l’univers du jeu vidéo existait, on a pu s’en inspirer pour créer de la musique. Et inversement : Jonathan Coryn – le développeur-artiste du jeu vidéo – a pu également s’inspirer des nouvelles chansons pour actualiser le jeu. Cela s’est fait, ainsi, de manière collaborative.
La Face B : Jonathan Coryn, que vous connaissez depuis longtemps.
Armand : Oui, on le connaît de notre école d’art.
La Face B : Tu as commencé à en parler, mais quel est le niveau d’imbrication des deux composantes – jeu et musique ? Le jeu se nourrit-il de votre apport musical et inversement, votre album s’appuie-t-il sur le jeu ?
Armand : À la base de la base, Jonathan s’est pas mal inspiré de notre univers musical « en général ». C’est-à-dire des thèmes abordés et des émotions qu’il ressentait. C’est donc une interprétation très personnelle de sa part. Il a décidé de mettre en place un univers dans lequel on rencontre des personnages qui ont – chacun et chacune – leurs états émotionnels particuliers et qu’on apprend à connaître petit à petit. La géographie de l’univers qu’il a conçu était, selon lui, une sorte de reflet de notre musique traduite visuellement.
À partir de là, et inversement, ces éléments ont pu nous inspirer. Clara a écrit des textes en partant de certains personnages, mais là aussi en interprétant librement ce que ces personnages lui évoquent, comme si ce jeu n’était pas lié au projet. On en a tiré des lignes directrices, des envies de parler de certains sujets, de faire une musique qui a telle couleur. Cela n’a pas été notre seule source d’inspiration – on essaye de faire que notre projet puisse se nourrir de plusieurs éléments, ou du moins ne pas le bloquer dans quelque chose, mais cela a été une des inspirations fortes.
Ensuite toutes ces réflexions sont retournées dans le jeu. Jonathan suivait le développement de la musique et cela lui a permis d’avoir de nouvelles idées, de créer de nouvelles atmosphères, d’intégrer les musiques au jeu, d’avoir de nouvelles idées de scénario…
La Face B : Le jeu étant basé sur un monde ouvert, cela laisse beaucoup de possibilités.
Clara : C’est ce qui était aussi important pour nous. Le jeu ne devait pas s’adresser qu’aux gamers aguerris. On avait envie de transmettre quelque chose de plus démocratique. Il doit être accessible à tous, même aux personnes qui ne savent pas trop jouer et qui sont un peu paumées dans le monde des jeux. En cela, l’Open World était vraiment parfait. Le joueur fait ce qu’il veut. Il se promène dans un espace. Il n’est même pas obligé de résoudre les quêtes. S’il souhaite seulement écouter de la musique et se promener, c’est possible. Et s’il a envie d’aller au bout du jeu, de résoudre les énigmes, il le peut également.
La Face B : Son aspect contemplatif est important.
Clara : Oui complètement, c’est un monde qui est très vaste avec beaucoup de reliefs et d’endroits différents, de grandes plages, des forêts, des rochers. C’est un territoire fourni dans lequel on peut se promener allègrement.
La Face B : Il me semble que l’on retrouve ce ton dans vos compositions. Peut-être même davantage sur Player Non Player que sur l’album précédent, une musique plus libérée.
Clara : Cette sensation provient peut-être du fait qu’on a simplement grandi et que créativement, on se fait davantage confiance. On s’est peut-être permis plus de choses, mais inconsciemment.
Armand : Peut-être plusieurs étapes. Notre premier EP laissait apparaître nos premières recherches. Elles avaient un côté qui tenait de l’évidence, car on devait se rencontrer musicalement. On est allés à l’essentiel. Puis, dans notre premier album, on a essayé de décloisonner le tout et d’aller plus loin, de nous surprendre nous-mêmes. Mais c’était encore fragile, car il s’agissait des premiers souhaits de construire ailleurs que sur les premières pierres que l’on avait posées. Sur ce deuxième album, on a la volonté – sans la conceptualiser à l’avance – de continuer notre recherche, mais en consolidant ce que l’on a déjà fait.
La Face B : Votre son a aussi évolué par rapport à votre précédent album, même si on retrouve toujours la signature Agar Agar.
Clara : Nos inspirations ont évolué, nos envies respectives de faire les choses de manière différente et dans d’autres directions. Purement musicalement, il y a eu un gros changement de setup. Armand a mis de côté la grande majorité des machines que l’on avait, jusque-là, utilisées. Il s’est racheté plein de synthés. La couleur du son est différente également parce que l’on a introduit de nouveaux instruments.
Armand : De nouvelles inspirations, d’envies de continuer à chercher des endroits où on n’était pas encore allés tous les deux. C’est un plaisir de le faire, de commencer un morceau de musique en se disant : « Tiens ce type de rythmique, on ne l’a pas encore exploré ». C’est agréable de se laisser surprendre et d’aller creuser les endroits où l’on peut s’étonner soi-même.
La Face B : Effectivement, cela donne des sonorités que l’on n’attendait pas. Même par moments, quelques reflets à la Kraftwerk. La voix semble également se parer d’autres reliefs.
Clara : J’avais envie de, peut-être, plus théâtraliser la voix. De lui donner un spectre plus complet. Il y a des chansons très douces et d’autres où je crie. J’avais besoin de crier !
La Face B : C’était déjà le cas sur le premier EP (avec, par exemple, le génial Cuidado, Peligro, Eclipse).
Clara : Oui, c’est vrai. Mais là c’est plus en mode « Je suis en colère ». C’est un album qui parle énormément de trahison, de colère et de guerres. Il fallait qu’il y ait un moment de cris comme sur le premier EP.
La Face B : Il y a également des morceaux qui font contrepoids, plus doux.
Clara : Plus doux peut-être, mais en vrai il y a assez peu de morceaux légers. Les chansons plus douces sont également plus tristes. Elles parlent de la guerre. À l’exception de Dune on Horse, qui est très légère, dans laquelle on a en featuring Zombie-Chang, une Japonaise qui fait de la super musique. C’est un titre qui est vraiment fun à écouter et à interpréter.
La Face B : Pour revenir au titre de l’album. Player Non Player, c’est se sentir Non Player dans la vie aujourd’hui et vouloir ensuite en reprendre le contrôle ?
Armand : Le personnage que l’on incarne n’est pas un PNJ [personnage non-joueur]. Player non player fait référence aux personnages qui ne sont pas incarnés par des gens du monde réel ou physique, mais qui sont, pour autant, des personnages avec qui l’on peut avoir une interaction – autant dans le scénario que dans le partage d’émotions. Cela fait écho, presque philosophiquement, à ces moments de la vie où l’on se sent parfois acteurs et parfois pas acteurs de sa propre vie.
Clara : Cela fait nous interroger sur ce qui fait que l’on est actif de notre vie, que l’on vit pleinement les choses. Il y a peut-être derrière l’idée du Truman Show. Est-ce que l’on est tous – d’une certaine manière des PNJ ?
La Face B : Et ce côté PNJ impacte votre musique ?
Clara : Je ne sais pas. C’est une question intéressante. On le retrouve peut-être dans la manière de composer à deux. Comme Agar Agar est un duo, on se passe la balle.
Armand : Il y a aussi cette idée de dépassement de soi, ce qui se passe à l’extérieur de soi et que l’on ne contrôle pas forcément. Mais c’est questionnant : « Veut-on avoir le contrôle ou pas ?». Sans fermer le sujet, il y a des thèmes qui s’en rapprochent. C’est un questionnement qui nous traverse pour de multiples raisons.
La Face B : Sachant que la thématique du jeu peut paraître par moments anxiogène.
Clara : Anxiogène, pas forcément. On peut l’interpréter de beaucoup de façons. Le personnage principal peut tout caresser, tout toucher. Personnellement, je ne le vois pas comme étant anxiogène. Il y a des jeux qui le sont bien plus. Il existe toute une dimension contemplative. Cette liberté de pouvoir faire ce que l’on veut, je la ressens comme étant à l’antipode de l’anxiété. Par contre, il est vrai que le jeu peut paraître perturbant. Inattendu dans le rapport que l’on a avec les personnages. On a besoin de comprendre leurs secrets. Ils peuvent avoir des côtés malsains ou étranges. Je dirais que le jeu est plus perturbant qu’anxiogène.
La Face B : En prenant soin de n’en pas trop en dévoiler, la quête que l’on peut mener, est-elle importante ?
Armand : Il y a plusieurs quêtes. L’idée est que les personnages nous parlent et qu’ils vont répondre aux interactions que l’on va avoir avec eux ou avec elles. Il faut savoir s’adapter à ce que les personnages recherchent dans leurs vies. Cela pose la question de ce que c’est d’être joueur ou joueuse. Souvent, le jeu vidéo nous impose des règles. On doit avoir des comportements définis par le jeu. Cela va à l’opposé de ce que pourrait ressentir un humain. Il a ses propres limites et va consentir à des interactions à certains moments, et à d’autres non. C’est ce qu’il faut prendre en compte pour comprendre les personnages du jeu, qui vont alors nous dévoiler des pans de leurs histoires, de leurs personnalités, et débloquer les instants musicaux. Mener les quêtes, c’est interagir avec les personnages, les écouter en retour et savoir s’adapter pour mieux les comprendre.
La Face B : En faisant le parallèle avec les concerts… Les spectateurs se retrouvent avec des rôles de NPJ. Comment allez-vous les embarquer dans votre monde ?
Armand : L’idée du concert que l’on prépare, c’est d’être le plus clair possible visuellement, en matière d’attitudes et de sons, sur les émotions que l’on souhaite provoquer. Être efficace en créant un environnement qui va transporter les gens dans cet univers. Le live est une dimension que l’on a toujours beaucoup explorée. On a envie de créer quelque chose qui nous ressemble et qui rend notre musique compréhensible, accessible. Après, on ne va pas non plus inviter les gens sur scène. Ce ne sera pas sous cette forme que se fera l’interaction, mais plus en rendant le spectacle, d’une certaine manière, immersif.
La Face B : Pour les concerts, vous commencerez votre tournée par deux grosses deux dates à Paris.
Clara : On s’est dit que ce serait intéressant d’organiser une sorte de festival. C’est un grand mot, mais on avait envie de prendre possession d’un espace pour célébrer cet album. Cela se fera par exemple en organisant une exposition avec tous les artistes visuels qui ont collaboré à cet album. Et aussi en faisant venir des musiciens auxquels on tient et que l’on apprécie. On a organisé ce petit festival sur deux jours aux Magasins Généraux les 23 et 24 février.
Ce seront les deux premières dates de la tournée, qui se fera avec la nouvelle scénographie. La tournée va se poursuivre en province, en Europe et, en novembre, aux États-Unis. Ça va nous faire une bonne année !
La Face B : Les États-Unis, il y a un côté challenge ?
Clara : On l’avait déjà fait. On a joué dans le nord des États-Unis il y a trois ou quatre ans, New York, Washington, Boston … On était restés dans le Nord. C’était fou. On avait loué un gros van. C’est une expérience en soi de jouer de l’autre côté du monde et de nous dire qu’il y a des gens qui nous écoutent de l’autre côté de la planète.
Cette année, on y retourne, mais en faisant plutôt le Sud, même si l’on fera une étape à New York. J’avoue que je suis plutôt Sud-Ouest, Los Angeles, San Francisco. Je suis très contente d’aller en Californie.
La Face B : Et pour finir, que peut-on vous souhaiter ?
Clara : Je ne sais jamais répondre à cette question [Rires]
Armand : De passer du bon temps ensemble, de toujours continuer à s’amuser quand on fait de la musique.
Clara : À prendre du plaisir.
Armand : De ne pas subir !
La Face B : Vous avez tourné une nouvelle page avec Player Non Player. À vous de la remplir maintenant.
Clara : Je vais passer pour une grosse privilégiée en disant cela, mais dans le fait d’avoir sa passion comme métier, un moment ça devient tellement un métier que l’on en oublie la passion. C’est parfois difficile de rééquilibrer le truc. Ce que l’on peut souhaiter à tous ceux qui ont fait de leur passion leur métier, c’est de ne pas oublier l’essence même de leur passion.
Armand : Garder de la fraîcheur et de la naïveté.
Clara : Ne pas rentrer dans une routine. Et de se dire, j’ai trop de chance, c’est trop bien. Il faut apprécier ce que l’on a. Par moments, la fatigue fait que l’on est en mode « Non, c’est trop chiant ». Mais en vrai, c’est trop bien !
Agar Agar en tournée :
Magasins Généraux, Paris : 23/02/2023
Magasins Généraux, Paris : 24/02/2023
Espace Julien, Marseille : 01/03/2023
Paloma, Nimes : 02/03/2023
Bikini, Toulouse : 03/03/2023
Confort Moderne, Poitiers : 10/03/2023
Stereolux, Nantes : 11/03/2023
Aéronef, Lille : 17/03/2023
L’Autre Canal, Nancy : 30/03/2023
La Laiterie, Strasbourg : 31/03/2023
Heaven, Londres : 06/04/2023
DGTL , Amsterdam : 08/04/2023
Frannz Club, Berlin : 09/04/2023
Cabaret Botanique, Rennes : 11/04/2023
Transbordeur – Lyon : 15/04/23
Komplex 457, Zürich 28/04/2023
Aucard de Tours, Tours : 10/06/2023
Down The Rabbit Hole – Pays-Bas : 30/06/23
Festival des Vieilles Charrues – Carhaix-Plouguer : 14/07/23
Le Poisson Rouge, New York – US : 26/10/2023
Great American Music Hall, San Francisco – US : 31/10/2023
Regent Theatre, Los Angeles – US : 02/11/2023
Et pour les gamers avertis ou en devenir, le jeu Player Non Player sera prochainement disponible sur steam (ici) et en early access sur le site itch.io de Jonathan Coryn (là)