Embarquement immédiat pour l’univers psyché rock oriental d’Al-Qasar qui a sorti son tout premier EP, Miraj, en juin 2020 sur le label The Arabian Fuzz. Le groupe aux origines plurielles et aux morceaux transcendants était programmé à l’édition 2020 du festival Rock in the Barn, l’occasion pour nous de rencontrer Thomas Attar Bellier, membre fondateur du groupe.
La Face B : Pour commencer, comment ça va ?
Thomas Attar Bellier : Mais bien, mais grave bien, ça fait plaisir d’être ici, le fest à l’air assez cool quoi. Bonne ambiance !
LFB : Est-ce que tu peux présenter Al-Qasar ? D’où venez-vous ?
TAB : Bah écoute Al-Qasar c’est un projet franco-egypto-algéro-maroco-américain. En gros c’est du garage rock psyché, avec du chant en arabe et des instruments traditionnels du Monde Arabe.
LFB : Et vous êtes donc un duo qui s’agrémente de plusieurs musiciens en fonction de ce que vous composez ?
TAB : Exactement ouais c’est ça, c’est à dire qu’il y a Jaouad El Garouge notre chanteur et moi même qui sont un peu le cœur du projet et on a un collectif d’une dizaine de musiciens avec qui on bosse régulièrement. En live ça dépend, le line-up change toujours un peu.
LFB : Pour en venir à votre EP, Miraj, sorti en juin dernier, est-ce qu’on peut parler de vos influences ?
TAB : Au tout début d’Al-Qasar, c’est moi qui ai lancé le projet de mon coté. En fait j’avais envie de faire un truc qui fasse honneur à toute la pop psyché qui est sortie du Moyen Orient dans les années 60, 70. Ça c’était vraiment un point de départ et j’ai fait quelques démos comme ça. J’ai bossé avec un poète Jordanien qui s’appelle Fareed Al Madain qui a écrit des textes et en fait, ensemble, on a posé comme ça quatre, cinq démos qui nous on servis pour pitcher à des amis, à d’autres musiciens. Grâce à ça on a constitué le collectif. A partir de là, chacun a un peu amené sa patte à l’édifice. De l’idée de base de pop psyché orientale on est allés vers un truc un peu plus perso. Donc par exemple Jaouad a amené le groove gnawa dans tout ça car lui c’est vraiment un musicien de la « tradition ancestrale », c’est vraiment là d’où il vient, c’est ça qu’il fait. Après, tout le monde a amené son background quoi. Donc on arrive a avoir un truc qui est garage psyché oriental, en respectant tous les grooves, les patterns rythmiques de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient.
LFB : Et en tant que musicien, est-ce qu’on ne se perd pas dans un choix quant à la multitude d’instruments traditionnels ? Est-ce qu’il y en a que vous avez découverts et vous vous êtes dits : Je le veux dans l’EP ?
TAB : Carrément ouais, mon idée de base c’était vraiment de faire rencontrer guitare électrique et oud acoustique. Ça c’est quelque chose qui est très présent dans l’EP, sur toutes les chansons tu as ces deux éléments qui dialoguent. Et ensuite pour ce que tu dis sur des instru un peu plus uniques, un peu plus rares en fait, on a eu la chance d’aller enregistrer l’EP en partie au Caire et là-bas on a bossé avec un groupe de zâr, la transe égyptienne qui a historiquement plus tard donné naissance au gnawa. Dans ce groupe il y avait un flutiste incroyable qui s’appelle Amin Shaheen qui lui joue du kawala, du mizmar qui sont des vieilles flutes égyptiennes et de l’arghul qui est une flute bédouine, et il n’y a plus que trois mecs au Caire qui en jouent. C’était assez unique de bosser avec lui et de pouvoir poser ces sons, d’essayer de faire dialoguer ces vieux instruments avec ces compos garage rock.
LFB : Sur l’EP il y a un titre qui nous a marqués, « Ahlan wa sahlan » qui parle d’exil et des réfugiés qui arrivent dans un pays étranger en portant tout un espoir envers cet Ailleurs, et le titre est très dansant. Parmi les personnes qui vous écoutent, il y en a qui ne parlent pas arabe et ne saisissent pas forcément le sens des paroles lorsqu’ils dansent sur ce genre de musique. Du coup pour vous, conter des histoires plutôt sombres sur des morceaux dansants, qu’est ce que ça évoque ?
TAB : Ta question tu peux l’appliquer à beaucoup d’autre chansons, des musiques qui donnent envie de danser, t’amuser mais avec des paroles qui sont pas forcément sombres mais lourdes et chargées.
LFB : Comme le raï…
TAB : Ouais voila… (rires). L’idée c’est un peu le rock psyché, c’est pas de la musique juste pour la musique, c’est de la musique pour t’inviter à réfléchir, à aller chercher plus loin, à élargir ta perception du monde. Je pense que ça fait sens comme ça, parce que ces paroles sont là pour t’inviter à la réflexion et capter. Ahlan wa sahlan on est pas en train de dire mot à mot « oh les réfugiés on prit cher », et en fait tu te rend compte au fur et à mesure de la chanson que c’est le passeur qui est sur son canot et qui est en train d’essayer d’inviter les gars à traverser la méditerranée. Donc on essaye toujours de raconter ces sujets un peu lourds via des mises en scène plus légères ou en tout cas métaphoriques ou poétiques.
LFB : On parlait du raï il y a quelques instants, qui était majoritairement écouté par les familles et travailleurs immigrés dans les années 1990 en France. On connait l’époque de Barbès à Paris qui diffusait les cassettes de Cheb Hasni, Khaled… c’était très clivant. Selon toi est-ce que la musique arabe ou d’inspiration orientale aujourd’hui, celle qui installée et diffusée en France, elle est plus accessible, ouverte et ancrée dans la modernité ou est-ce que c’est l’époque et les mentalités qui ont changées ?
TAB : Je pense que ce sont les deux éléments en même temps, c’est à dire que oui c’est une musique super actuelle. Nous notre génération c’est quoi notre quotidien ? Notre réalité ? Tu prends ton Whatsapp tu peux écrire à ton pote qui habite en Afrique du Sud et puis ensuite tu vas sur Facebook et tu dialogue avec ton ami qui est en Argentine. Nous notre quotidien c’est transnational, multilingue, tu peux voyager n’importe où facilement… Je pense que pour nous c’est beaucoup moins choquant quand il y a des influences étrangères culturelles. Puis deuxièmement oui les mentalités ont changées parce qu’on est clairement d’accord qu’il y a une espèce d’ouverture sur les musiques arabes qui est en train de se faire et ça c’est trop cool. Je pense qu’il y a aussi ce côté où les gens on envie d’aller chercher autre chose dans la musique, envie d’aller découvrir des sons un peu plus profond, un peu différent. On le voit avec toutes ces maisons de disques qui font des rééditions de musiques arabes en ce moment, ça cartonne quoi et c’est génial.
LFB : Est-ce que tu penses que c’est un engouement éphémère en France, parce qu’aujourd’hui ça inclut plus de monde, ça transcende un peu les classes et les nationalités ?
TAB : Je pense que ça va perdurer pour deux raisons parce que déjà ça perdure depuis un bon bout de temps quand même, tu regarde un peu les premiers labels qui ont commencé à ressortir des morceaux arabes, Sublime Frequencies ça fait quand même 20 ans qu’ils font ça. Je pense que c’est là pour rester et deuxièmement c’est tellement ancré culturellement, c’est tellement un truc vrai je veux dire rien qu’en France, il y a tellement de gens qui ont un background arabe, donc c’est normal que ça se développe, que ce soit enfin grand public entre guillemets. Ces styles musicaux ont un vrai ancrage culturel donc il ne vont pas disparaître comme ça, c’est pas une mode, un style musical concocté de toutes pièces… C’est pas la tecktonik quoi… Quoi que la tecktonik elle a un peu un ancrage aussi … (rires).
LFB : Il y a également un titre sur l’EP, « Dance of Maria », qui est une reprise d’Elias Rahbani et qui déjà à l’époque mélangeait funk et instruments traditionnels libanais. Pourquoi avoir choisi de reprendre ce titre ?
TAB : Comme on disait tout à l’heure, l’idée de base d’Al-Qasar c’était de rendre hommage à toute la pop psyché orientale, et pour moi Rahbani c’est le papa vraiment dans ce domaine là. Aussi bien lui et ses frères (Assi et Mansour Rahbani ndlr), tout ce qu’ils ont fait avec Fairouz on l’entend, et donc voila on s’est dit, premier EP on est obligés de faire un petit hommage pour montrer d’où on vient, montrer l’ancrage historique.
LFB : Pour terminer, qu’est-ce que ça fait de revenir jouer en festival ?
TAB : Nous on a vraiment merdé parce que non seulement il y a eu toutes les dates annulées avec le covid et avant ça on était en mode préparation du live, donc on a pas fait de vrai concert depuis septembre 2019. Aujourd’hui on présente un nouveau live avec quelques nouveaux membres sur scène, quelque chose qu’on a vraiment bossé spécialement pour cette saison parce qu’on a pas mal de concert qui arrivent, enfin inch’allah… Là ça va être la baston.
Photos : Céline Non