Rencontre avec Alexis Evans autour de son nouvel album, Yours Truly

C’est à l’occasion de son concert au Jazz club Etoile à Paris en mars dernier que nous avons eu le plaisir de discuter avec le soulman bordelais Alexis Evans, venu jouer les titres de son troisième album Yours Truly sorti en février dernier, près de quatre ans après son précédent LP I’ve Come A Long Way.

Alexis Evans | Photo: Charles Schneider

La Face B: Bonsoir Alexis! Tu nous as récemment livré dans notre format ADN les 5 titres qui t’ont le plus influencé. Dans cette veine, peux-tu me parler de certaines expériences de vie et des artistes qui ont jalonné ton parcours et t’ont nourri au fil du temps?

Alexis Evans: J’ai commencé avec le blues quand j’avais douze ans, je n’écoutais que ça et j’étais ultra fan. C’est venu un peu de mon père, et je pense que c’est le même parcours pour mes potes, quand t’écoutes les Stones ou les Beatles et que tu vas chercher ce qu’ils écoutaient eux, ça revient toujours au blues, ça donne envie de creuser. J’ai donc commencé à écouter des artistes comme B.B King, qui reste l’un de mes artistes préférés toujours aujourd’hui. Il y a des guitaristes qui m’ont aussi beaucoup motivé, des trucs un peu plus recents comme Junior Watson de la country west américaine, qui jouait avec des mélanges de style, du jazz avec une touche à lui très folk, que j’adorais. Petit à petit en écoutant ces artistes des années 50-60 – les Little Walter, les Buddy Guy… – j’ai fait le chemin inverse, en regardant qui ils avaient inspiré. A part le rock, ça va vers la soul. La soul, le blues, le doo-wop, le gospel, tout ça est très proche. 

La Face B: Tu t’es donc intéressé à la soul dès ton adolescence?

Alexis Evans: Oui, j’ai commencé vers 15 ans, avec des gars comme Quincy Johnson. Et petit à petit je voulais composer des morceaux, mais j’avais aussi envie de mettre d’autres styles que j’aime dans le lot, faire quelque chose de personnel et pas de la copie. C’est ce qu’on a essayé de faire au maximum dans le dernier album, qui fait moins revival de soul, il y a toutes les influences que moi j’avais envie de donner. 

La Face B: Justement, tu as donc mélangé pas mal de sons dans cet album. Est-ce que pour toi c’est un album qui reflète bien où tu en es musicalement aujourd’hui, en tant qu’artiste?

Alexis Evans: Je dirais que cet album est particulier pour moi. Avec les confinements, j’ai beaucoup écrit et cet album est sorti de ça. Il y a eu beaucoup de recherche, comme si j’étais dans mon petit labo. Je voulais que les morceaux sonnent d’une certaine façon, sans réfléchir à comment ils allaient être joués en live. Puis j’ai appelé Louis-Marin Renaud, pour qu’il collabore avec moi sur le son. Je voulais que l’album soit abordable pour un public pas forcement initié à la soul, et que moi j’en sois fier aussi. Le travail que l’on a fait avec Louis-Marin Renaud c’était d’arriver à ce que chaque morceau puisse sonner au maximum comme ça nous plaisait à nous. L’idée c’était aussi de faire un son qui ne soit pas trop old school. Et peut-être que le prochain album n’aura rien à voir. 

La Face B: Tu te disais ça déjà au moment de l’écriture? Peux-tu d’ailleurs nous parler un peu de ton processus créatif ? Est-ce que tu as une certaine façon de travailler?

Alexis Evans: Y’a pas vraiment de règles, parfois je commence par une mélodie, parfois des paroles, et parfois tout vient d’un coup et en général ce sont les meilleurs morceaux car ça veut dire qu’ils sont évidents. En tout cas une fois qu’il y a une base rythmique, une mélodie et des paroles, j’ai une idée precise de comment sera le son dans le rendu final, ça vient donc très tôt. 

La Face B: Comment choisis-tu les thèmes dont tu parles? 

Alexis Evans: Y’a de tout. Dans mon premier album par exemple Girl Bait, il y avait plein de morceaux très second degré, genre le flambeur, alors que dans la vie personnelle j’ai tendance à être timide. Je ne parle donc pas de vraies experiences, mais ça me fait triper. Il y a aussi l’aspect plus poétique de partir et rêver. Dans le dernier album il y a quelques morceaux très personnels, des choses qui me parlent beaucoup et racontent des histoires qui me tiennent à coeur. C’est un peu comme tous les poètes que j’aime, quand ce n’est pas trop facile d’accès. J’aime bien quand ça vrille un peu, que c’est un peu cynique, que ça joue avec les auditeurs. 

La Face B:  Tu t’inspires parfois de la poésie ?

Alexis Evans: Oui, sur cet album surtout. J’aime bien Paul Eluard, et Edgar Poe qui est plus dark et mathématique. 

La Face B: Mathématique dans quel sens?

Alexis Evans: Quand il écrivait c’était très calculé, il disait que le talent n’existait pas de manière innée, que c’était du travail, il passait des heures à écrire ses vers, à faire tout bien sonner ensemble, comme un puzzle presque. Et il y a Jacques Prevert aussi, qui fait plus de la prose, moins versifié. 

La Face B: Tu dirais que tes paroles peuvent se lire comme des poèmes?

Alexis Evans: Pas vraiment, je ne les écris pas comme ça. Mais sur certains morceaux ça pourrait. 

La Face B: Et les musiciens qui t’accompagnent, est-ce qu’ils ont un rôle dans la composition?

Alexis Evans: Je demande beaucoup que chacun s’exprime, apporte ses idées. C’est génial d’avoir tout un groupe qui s’exprime, d’entendre tout le monde. En général j’amène des morceaux très complets, et on revoit tout ensemble. On épure, on bouge des choses, on teste certaines harmonies… 

La Face B: Tu joues avec eux depuis longtemps?

Alexis Evans: Alexandre Gallinié (saxophone) et Maxime Lescure (trompette) ça fait sept ans, Robin Magord (clavier) quatre ans, Eric Boreave (batterie) plus de dix ans. Et le petit dernier c’est Grégoire Oboldouieff le bassiste qui est arrivé il y a trois ans. 

Photo: Charles Schneider

La Face B: Ah oui donc personne n’est nouveau, vous vous connaissez déjà tous bien. 

Alexis Evans: Oui, on a beaucoup tourné ensemble, on essaie d’être au maximum avec le groupe de titulaires, pour se connaitre le plus possible. Plus on est nombreux plus c’est compliqué d’avoir tout le monde à chaque concert. Six ça commence à être nombreux. 

La Face B: Et demain à Bordeaux c’est la release party de ton album! Quels sont les plans après ça ? Une tournée est-elle prevue?

Alexis Evans: On a pas mal de concerts en France et en Espagne surtout. L’Espagne c’est genial, c’est toujours la fête, il y a un bon public, moins de règles, c’est rafraichissant de jouer là-bas. 

La Face B: Et l’Amérique du Nord, c’est une aspiration?

Alexis Evans: Oui carrément, ca me plairait. J’y suis allé quelques fois déjà. On avait fait des boeufs, et j’avais joué dans un challenge de blues avec mon ancien groupe, quand on avait 17 ans, il y avait aussi Thibault Ripault avec moi notamment. Mais il faut avoir les contacts, et on ne roule pas sur l’or donc c’est difficile d’organiser les choses par nous-mêmes. Mais j’adorerais, et je pense que ça se fera à un moment. Pour le moment il faut déjà arriver à en vivre correctement ici. Et ce n’est pas facile, en France chanter en anglais c’est compliqué, des groupes à six musiciens il y a toujours une crainte, il n’y a pas un amour inconditionnel pour des styles un peu “niches”. 

La Face B: En France, ils te mettent rapidement dans la case blues?

Alexis Evans: Avant on était plus sur un réseau blues, c’est un public d’amateurs et de connaisseurs, c’est toujours agréable de jouer devant ce public. Maintenant, on a la chance de pouvoir être dans plusieurs styles de festivals, c’est bien même si le fait d’être nombreux sur scène freine parfois les gens. On fait autant des festivals de jazz que de musiques actuelles, de blues, ou même de reggae!

La Face B: Ça existe encore les festivals de reggae?!

Alexis Evans: Oui, on en a fait notamment un en Allemagne il y a deux ans. On est dans le programme ‘à côté’, genre la soirée soul du festival de reggae. Et tu te rends compte que c’est pas si éloigné. 

La Face B: Ça te permet de toucher un public different aussi, qui ne seraient pas forcément elles dans un club de jazz par exemple.

Alexis Evans: Oui carrément, c’est ça. Et dans le reggae tout ce qui est rocksteady, ska, c’est pas très loin. Historiquement c’était des gens qui reprenaient des morceaux de rythme and blues et de soul américains. Tous ces sons sont proches. Dans l’album on a voulu mettre tous ces styles qu’on adore, il y a pleins d’influences de rocksteady, de jazz – car dans le groupe il y a beaucoup de membres qui viennent du jazz et ont des façons de jouer différentes. Ça crée une couleur unique et cohérente. 

La Face B: Et pour l’enregistrement, tu as choisi de le faire en prise live, pour capturer ce son de groupe au mieux j’imagine?

Alexis Evans:  Oui, on a enregistré la basse, la batterie et la guitare en prise live, puis les claviers dans d’autres studios. On a fait ça dans la cave du batteur. Et la voix après. 

La Face B: A cause du confinement?

Alexis Evans: Non, c’était une volonté, un petit challenge. Le fait d’être avec un producteur qui savait ce qu’il faisait, où placer les micros etc, c’était interessant. 

La Face B: Pour finir, tu aurais un morceau à nous recommander que tu écoutes en ce moment?

Alexis Evans: Il y a un morceau qui est mon réveil en ce moment, c’est Blind Alley de The Emotions. C’est un super groupe très funky, feel good music, dansant et qui réveille bien!

La Face B: Merci Alexis!

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